Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 18 juin 1996 et 18 juillet 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Richard X... ; M. X... demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 18 avril 1996 accordant son extradition aux autorités américaines ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi du 10 mars 1927 ;
Vu la loi du 11 juillet 1979 ;
Vu la convention franco-américaine d'extradition du 6 janvier 1909 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Errera, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Richard X...,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant que le décret du 18 avril 1996 accordant l'extradition du requérant aux autorités américaines énumère les différentes infractions pour lesquelles ce dernier est recherché par la justice américaine et précise, d'une part, que les faits qui lui sont reprochés sont punissables en droit français, qu'ils ne sont pas couverts par la prescription et n'ont pas un caractère politique et, d'autre part, que les infractions ont été constatées de telle façon que les lois françaises justifieraient l'arrestation et la mise en jugement de l'intéressé si elles avaient été commises en France ; qu'il n'appartenait pas aux auteurs du décret d'assortir ces constatations d'éléments de preuve ; qu'ainsi le décret attaqué satisfait aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ;
Sur la légalité interne dudit décret :
Sur les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 et 5-1° de la loi du 10 mars 1927 :
Considérant qu'il résulte des termes de la convention franco-américaine d'extradition du 6 janvier 1909 qu'elle ne permet pas au gouvernement français de subordonner l'extradition à des conditions autres que celles qui sont prévues par la convention ; que, si l'article 1er de la loi du 10 mars 1927 dispose que cette loi s'applique aux points qui n'auraient pas été réglementés par les traités, cette disposition ne saurait prévaloir sur celles de la convention précitée qui, en vertu de l'article 55 de la Constitution, ont une autorité supérieure à celle de la loi ; que, dès lors, le requérant ne peut utilement se prévaloir, pour soutenir que le gouvernement ne pouvait légalement accorder son extradition aux autorités américaines, ni des dispositions de l'article 3 de la loi du 10 mars 1927 ne permettant d'accorder l'extradition si l'infraction a été commise en dehors du territoire de l'Etat requérant, par un individu étranger à cet Etat, que si ladite infraction est au nombre de celles dont la loi française autorise la poursuite en France, alors même qu'elles ont été commises par un étranger à l'étranger, ni de celles de l'article 5-1° de la même loi interdisant l'extradition des protégés français ;
Sur les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Considérant que si le décret attaqué est susceptible de porter atteinte, au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, au droit du requérant au respect de sa vie familiale, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre publicet sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes résidant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes et des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits ;
Sur les moyens tirés de la méconnaissance de la convention franco-américaine d'extradition du 6 janvier 1909 :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention franco-américaine d'extradition du 6 janvier 1909 les deux gouvernements s'engagent : "à se livrer réciproquement les individus qui, poursuivis ou condamnés pour l'un des crimes ou délits spécifiés à l'article suivant, commis dans la juridiction de l'un des Etats contractants, auront cherché un asile ou seront trouvés sur le territoire de l'autre" ; qu'il résulte de l'instruction que les faits reprochés à M. X... ont été commis en partie sur le territoire français et, pour l'autre partie, sur le territoire des Etats-Unis ; que la circonstance que lesdits faits aient été partiellement commis en France était sans influence sur les obligations résultant, pour le gouvernement français, des stipulations de l'article 1er de la convention franco-américaine d'extradition ;
Considérant qu'aux termes de l'article 6-3 de la convention précitée : "L'extradition ne sera pas accordée ... lorsque la prescription de l'action ou de la peine est acquise selon la législation soit de l'Etat requérant, soit de l'Etat requis" ; que le délai de prescription de l'action publique était en l'espèce, en droit français, celui de dix années résultant des dispositions de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1987 modifiant l'article L. 627-6 du code de la santé publique, qui ont été reproduites par l'article 706-31 du code de procédure pénale dans la rédaction résultant de l'article 77 de la loi du 16 décembre 1992 ; que les faits reprochés à M. X..., qui entrent dans le champ d'application dudit article et se sont poursuivis jusqu'en 1987 n'étaient pas atteints, au 2 février 1995, date de la demande d'extradition formulée par les autorités américaines, par ladite prescription ; que le moyen tiré de la prescription de l'action publique doit, dès lors, être rejeté ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention de 1909 précitée : " ... l'extradition n'aura lieu que dans le cas où l'existence de l'infraction sera constatée de telle façon que les lois du pays où le fugitif sera trouvé justifieraient son arrestation et sa mise en jugement si le crime ou délit y avait été commis" ; qu'il résulte des pièces du dossier que les éléments recueillis à l'encontre de M. X... par les autorités américaines et sur lesquelles elles se sont fondées auraient justifié son arrestation et sa mise en jugement en France, si les faits y avaient été commis ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la peine de mort n'est pas encourue aux Etats-Unis par M. X... ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Richard X... et au garde des sceaux, ministre de la justice.