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23/11/1988 | FRANCE | N°51405

France | France, Conseil d'État, 4 / 1 ssr, 23 novembre 1988, 51405


Vu la requête, enregistrée le 17 juin 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la VILLE DE SAINT-LO, représentée par son maire en exercice, à ce dûment autorisé par délibération du conseil municipal en date du 8 juin 1983, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 29 mars 1983 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation des constructeurs du lycée technique et du collège d'enseignement technique mixte Pierre et Marie Y... à lui payer in solidum la somme de 660 714 F avec int

érêts de droit et capitalisation des intérêts au 9 octobre 1981 ;
2°...

Vu la requête, enregistrée le 17 juin 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la VILLE DE SAINT-LO, représentée par son maire en exercice, à ce dûment autorisé par délibération du conseil municipal en date du 8 juin 1983, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 29 mars 1983 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation des constructeurs du lycée technique et du collège d'enseignement technique mixte Pierre et Marie Y... à lui payer in solidum la somme de 660 714 F avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts au 9 octobre 1981 ;
2°) condamne ces constructeurs à lui verser cette somme et ces intérêts,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Perret, Conseiller d'Etat,
- les observations de la S.C.P. Lesourd, Baudin, avocat de la VILLE DE SAINT LO, de Me Blanc, avocat de Me F..., syndic de la liquidation des biens de la société La Callendrite, de Me Roger, avocat de la société de contrôle technique et d'expertise de la construction (SOCOTEC), de Me Odent, avocat de la société Zenone et compagnie et de la société anonyme Edmond Z... et de Me Boulloche, avocat de M. Frédéric D... et autres,
- les conclusions de M. Daël, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par marché du 17 juillet 1968, la VILLE DE SAINT-LO a confié aux sociétés Edmond Z..., Nicolaï et Zenone et Cie les travaux de gros oeuvre et de fondations spéciales du lycée technique "Pierre et Marie Y..." et du collège d'enseignement technique mixte qui lui est annexé ; que la société anonyme La Callendrite a été chargée de l'étanchéité de ces bâtiments ; que la maîtrise d'ouvrage a été assurée par l'Etat, la maîtrise d'oeuvre par l'architecte D... et la vérification technique par la Société de Contrôle technique et d'Expertise de la Construction ou Socotec ; que des infiltrations ont été constatées entre les réceptions provisoires intervenues en 1969 et 1970 et la réception définitive prononcée sans réserve le 23 février 1973 ; que, postérieurement à cette réception définitive, de nouveaux désordres ont affecté le système d'étanchéïté des immeubles ; qu'à la demande de la VILLE DE SAINT-LO le président du tribunal administratif de Caen a, par ordonnance du 24 juin 1977, commis comme expert M. B..., qui a déposé son rapport le 21 octobre 1977 ; que, par jugement du 12 juin 1979, le tribunal administratif de Caën a ordonné une nouvelle expertise confiée à M. C..., qui a déposé son rapport le 12 août 1981 ;
Sur la valeur de la première expertise :
Considérant que si, comme l'a constaté le tribunal administratif dans son jugement du 12 juin 1979, l'expertise confiée à M. B... ne présente un caractère contradictoire qu'en ce qui concerne la société anonyme La Callendrite et n'est, par suite, pas opposable aux autres constructeurs, elle peut être valablement utilisée par le juge administratif dans la mesure où elle contient des constatations de fait dont, comme en l'espèce, l'exactitude n'est pas contestée ;
Sur la garantie décennale :

Considérant qu'en admettant même qu'à la date de la réception définitive, prononcée sans réserves le 23 février 1973, les réparations effectuées pour mettre un terme aux infiltrations constatées en raison du défaut d'étanchéïté des joints de dilatation des toitures-terrasses du lycée technique "Pierre et Marie Y..." et de ses annexes, n'aient pu être regardées comme y ayant définitivement porté remède, il résulte de l'instruction que, d'une part, ni l'origine, ni la gravité de ces désordres n'avaient été révélées au maître de l'ouvrage avant leur réapparition aux joints de dilatation et leur extension aux parties courantes de ces toitures-terrasses postérieurement à la réception définitive et que, d'autre part, ces désordres, dont toutes les causes, la nature et l'ampleur n'ont pu être déterminées qu'après deux expertises, rendaient ces bâtiments scolaires impropres à leur destination, bien que ces bâtiments n'aient cessé d'être utilisés ; que, par suite, la VILLE DE SAINT-LO est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé que la responsabilité des constructeurs ne pouvait être engagée sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil et a pour ce motif rejeté sa demande ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du second rapport d'expertise, que le manque d'étanchéité des bâtiments en cause est imputable à la fois à un tracé défectueux des joints de dilatation des toitures-terrasses, réalisés en outre sans costières, à une mauvaise disposition des descentes d'eaux pluviales, à une mise en oeuvre trop humide du béton cellulaire léger ou Bétocel entraînant des retraits anormaux, à une insuffisante qualité des produits d'étanchéité utilisés, à l'absence de papier "kraft" et de film pare-vapeur et à l'adhérence aux formes de pente d'un système d'étanchéité qui aurait du rester indépendant ; que ces vices de conception et d'exécution et l'insuffisance de la surveillance et du contrôle qu'ils révèlent sont de nature à engager la responsabilité solidaire de l'architecte, de la Socotec et des entrepreneurs ; que la circonstance que les travaux auraient été réalisés, d'ailleurs pour partie seulement, conformément aux normes techniques admises à l'époque de la construction ne saurait exonérer les constructeurs de leur responsabilité ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces figurant au dossier, notamment d'une convention conclue le 19 septembre 1968, que la responsabilité de la Socotec n'aurait pu être mise en cause qu'après consultation du directeur de l'équipement scolaire ;
Sur l'indemnité :
Considérant qu'il ressort du second rapport d'expertise que le montant des travaux de réparation déjà réalisés à la date du dépôt de ce rapport ou restant à effectuer à cette même date s'élève à 1 060 714 F ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que l'abattement pour vétusté du système d'étanchéité conduit à retenir une somme de 400 000 F, toujours à cette date ; qu'il n'est pas établi que la réfection du système d'étanchéité procure une plus-value aux bâtiments ; qu'ainsi le montant de l'indemnité due à la VILLE DE SAINT-LO s'élève à 660 714 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que la VILLE DE SAINT-LO a droit aux intérêts de la somme de 660 714 F à compter du 30 octobre 1978, date de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Caen ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 9 octobre 1981, 17 juin 1983 et 10 janvier 1985 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les conclusions d'appel provoqué :

Considérant que les conclusions des sociétés Edmond Z... et Zenone et compagnie et de Maître F..., syndic de la liquidation des biens de la société La Callendrite, tendant à obtenir du Conseil d'Etat la garantie des héritiers de l'architecte D..., ont été provoquées par l'appel principal de la VILLE DE SAINT LO ; que la reconnaissance du caractère solidaire des responsabilités encourues par l'architecte et les entrepreneurs a pour effet de porter atteinte à la situation des entreprises précitées ; qu'ainsi les conclusions susanalaysées sont recevables ; que dans les circonstances de l'espèce, eu égard au vice de conception imputable à l'architecte, ces entreprises sont fondées à obtenir la garantie des héritiers de ce maître d'oeuvre dans la limite de 30 % du montant de la condamnation ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre les frais d'expetise à la charge de Maître F..., agissant en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme La Callendrite, pour la première expertise effectuée par M. B..., et à la charge de Maître F..., en cette même qualité, et de tous les autres constructeurs ou de leurs ayants-cause, solidairement, pour la seconde expertise effectuée par M. C... ;
Article ler : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 29 mars 1983 est annulé.
Article 2 : La société anonyme Edmond Z..., la société Zenone et Cie, la société à responsabilité limitée Nicolaï, la SOCOTEC, Maître F..., agissant en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme La Callendrite, Mmes A...
D... et X...
D..., E... Marie-Christine D..., MM. Frédéric D..., Bernard D..., Sylvain D..., Marc D... et Luc D... en leur qualité d'héritiers de M. Marcel D... sont solidairement condamnés à verser à la VILLE DE SAINT-LO la somme de 660 714 F.
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 1978.
Les intérêts échus les 9 octobre 1981, 17 juin 1983 et 10 janvier1985 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les héritiers de M. D... garantiront les sociétésEdmond
Z...
et Zenone et Cie et Maître F..., agissant en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme La Callendrite dans le limite de 30 % du montant de la condamnation pronocée à l'article 2.
Article 4 : Les frais d'expertise exposés devant le tribunal administratif de Caen sont mis à la charge de Maître F..., agissant en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société anonyme La Callendrite pour l'expertise effectuée par M. B... et, solidairement, à la charge de Maître F..., en cette même qualité, des sociétés Edmond Z..., Zenone et Cie, et Nicolaï, des héritiers de M. D... et de la SOCOTEC pour l'expertise effectuée par M. C....
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la VILLE DE SAINT-LO, à la société Edmond Z..., à la société Zenone et Cie, àla société Nicolaï, à la société de Contrôle technique et d'Expertise de la Construction, à Maître F..., syndic de la liquidation des biens de la société anonyme La Callendrite, à Mmes A...
D... et X...
D..., à Mlle Marie-Christine D..., à MM. Frédéric D..., Bernard D..., Sylvain D..., Marc D... et Luc D... et au ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et des sports.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - DESORDRES DE NATURE A ENGAGER LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS - ONT CE CARACTERE - (1) Désordres rendant les ouvrages impropres à leur destination - (2) Désordres non connus à la date de la réception définitive.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - REPARATION - CONDAMNATION SOLIDAIRE - Fautes conjointes des constructeurs.

PROCEDURE - INSTRUCTION - MOYENS D'INVESTIGATION - EXPERTISE - RECOURS A L'EXPERTISE - CARACTERE CONTRADICTOIRE DE L'EXPERTISE - Expertise non contradictoire pouvant être valablement utilisée par le juge dans la mesure où les éléments de faits y contenus ne sont pas contestés.

PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - APPEL - CONCLUSIONS RECEVABLES EN APPEL - APPEL PROVOQUE - Conclusions à fin de garantie provoquées par l'appel principal du demandeur indemnisé - Jugement en appel faisant droit à l'appel principal et aggravant la situation du défendeur.


Références :

Code civil 1154, 1792 et 2270


Publications
Proposition de citation: CE, 23 nov. 1988, n° 51405
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Perret
Rapporteur public ?: Daël

Origine de la décision
Formation : 4 / 1 ssr
Date de la décision : 23/11/1988
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 51405
Numéro NOR : CETATEXT000007753868 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1988-11-23;51405 ?
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