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25/10/2019 | FRANCE | N°2019-811

France | France, Conseil constitutionnel, 25 octobre 2019, 2019-811


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er août 2019 par le Conseil d'État (décision nos 431482, 431501 et 431564 du 31 juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée, d'une part, pour Mme Fairouz H., M. Yves G., Mme Laurence G., M. Quentin M., Mme Sheila Z. et MM. Douglas Edward W. et Michael Charles S. par Me Julien Fouchet, avocat au barreau de Bordeaux, d'autre part, pour Mme Hélène T. et le parti animaliste par Me Caroline Lanty, avocate au barreau de Paris et, enf

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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er août 2019 par le Conseil d'État (décision nos 431482, 431501 et 431564 du 31 juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée, d'une part, pour Mme Fairouz H., M. Yves G., Mme Laurence G., M. Quentin M., Mme Sheila Z. et MM. Douglas Edward W. et Michael Charles S. par Me Julien Fouchet, avocat au barreau de Bordeaux, d'autre part, pour Mme Hélène T. et le parti animaliste par Me Caroline Lanty, avocate au barreau de Paris et, enfin, par M. Jérémy A.. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-811 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la décision 2002/772/CE Euratom du Conseil du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002 modifiant l'acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 78/787/CECA, CEE, Euratom ;
- la décision 2018/994/UE Euratom du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du 20 septembre 1976 ;
- la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations en intervention présentées pour M. François A. et l'union populaire républicaine par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 21 août 2019 ;
- les observations présentées pour Mme Hélène T. et le parti animaliste par Me Lanty, enregistrées le 22 août 2019 ;
- les observations présentées pour Mme Fairouz H. et autres par Me Fouchet, enregistrées le 23 août 2019 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour Mme Hélène T. et le parti animaliste par Me Lanty, enregistrées le 8 septembre 2019 ;
- les secondes observations présentées pour Mme Fairouz H. et autres par Me Fouchet, enregistrées le 9 septembre 2019 ;
- les secondes observations en intervention présentées pour M. François A. et l'union populaire républicaine par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Fouchet pour Mme Fairouz H et autres, Me Lanty pour Mme Hélène T. et le parti animaliste, Me Jérémy Afane-Jacquart, avocat au barreau de Paris, pour lui-même, Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 15 octobre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 3 de la loi du 7 juillet 1977 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 juin 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :« L'élection a lieu au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel.
« Les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l'attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité de suffrages, le siège est attribué à la liste dont la moyenne d'âge est la moins élevée.
« Les sièges sont attribués aux candidats d'après l'ordre de présentation sur chaque liste ».

2. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, contestent le seuil de 5 % des suffrages exprimés conditionnant l'accès à la répartition des sièges lors de l'élection, en France, des représentants au Parlement européen. En premier lieu, en raison de la nature particulière des élections européennes, ce seuil n'aurait selon eux aucune justification. En particulier, l'objectif de dégager une majorité stable et cohérente ne serait pas pertinent, dès lors que le nombre de députés européens élus en France ne permettrait pas, à lui seul, la formation d'une majorité au sein du Parlement européen. En outre, ces mêmes députés étant des représentants des citoyens de l'Union européenne résidant en France, et non des représentants de la nation française, l'objectif de lutte contre l'éparpillement de la représentation nationale serait dépourvu de pertinence. En second lieu, ce seuil aurait des conséquences disproportionnées, en ce qu'il empêcherait l'accès au Parlement européen de mouvements politiques importants et priverait un grand nombre d'électeurs de toute représentation au niveau européen. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant le suffrage et de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 3 de la loi du 7 juillet 1977.
- Sur les conclusions aux fins de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne :
4. Certains requérants demandent au Conseil constitutionnel de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles portant sur la validité de la décision du Conseil de l'Union européenne des 25 juin et 23 septembre 2002 mentionnée ci-dessus ou sur celle de la décision du Conseil de l'Union européenne du 13 juillet 2018 mentionnée ci-dessus. Toutefois, la validité de ces décisions est sans effet sur l'appréciation de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit. Par suite, leurs conclusions doivent, sur ce point, être rejetées.
- Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :
5. L'article 3 de la loi du 7 juillet 1977 définit les conditions dans lesquelles sont élus au Parlement européen les représentants des citoyens de l'Union européenne résidant en France. Il prévoit que cette élection a lieu, dans le cadre d'une circonscription nationale unique, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, suivant la règle de la plus forte moyenne. Aux termes des dispositions contestées, seules les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés sont admises à la répartition des sièges.
6. Selon le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant le suffrage, qui s'applique aux élections à des mandats et fonctions politiques, est applicable à l'élection des représentants au Parlement européen.
7. Aux termes du troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions est un fondement de la démocratie.
8. S'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales, d'arrêter des modalités tendant à favoriser la constitution de majorités stables et cohérentes, toute règle qui, au regard de cet objectif, affecterait l'égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée, méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
9. Selon l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».
10. En premier lieu, en instituant un seuil pour accéder à la répartition des sièges au Parlement européen, le législateur a, dans le cadre de la participation de la République française à l'Union européenne prévue à l'article 88-1 de la Constitution, poursuivi un double objectif. D'une part, il a entendu favoriser la représentation au Parlement européen des principaux courants d'idées et d'opinions exprimés en France et ainsi renforcer leur influence en son sein. D'autre part, il a entendu contribuer à l'émergence et à la consolidation de groupes politiques européens de dimension significative. Ce faisant, il a cherché à éviter une fragmentation de la représentation qui nuirait au bon fonctionnement du Parlement européen. Ainsi, même si la réalisation d'un tel objectif ne peut dépendre de l'action d'un seul État membre, le législateur était fondé à arrêter des modalités d'élection tendant à favoriser la constitution de majorités permettant au Parlement européen d'exercer ses pouvoirs législatifs, budgétaires et de contrôle.
11. En second lieu, l'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi.
12. Il résulte de ce qui précède que, en fixant à 5 % des suffrages exprimés le seuil d'accès à la répartition des sièges au Parlement européen, le législateur a retenu des modalités qui n'affectent pas l'égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée et qui ne portent pas une atteinte excessive au pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
13. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et d'égalité devant le suffrage doivent être écartés.
14. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 25 octobre 2019.


Synthèse
Numéro de décision : 2019-811
Date de la décision : 25/10/2019
Mme Fairouz H. et autres [Seuil de représentativité applicable aux élections européennes]
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 25 octobre 2019 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 25 octobre 2019 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2019-811 QPC du 25 octobre 2019
Origine de la décision
Date de l'import : 09/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2019:2019.811.QPC
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