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13/07/2023 | CJUE | N°C-73/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Grupa Azoty S.A. e.a. contre Commission européenne., 13/07/2023, C-73/22


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 juillet 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Aides d’État – Lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Secteurs économiques éligibles – Exclusion du secteur de la fabrication de produits azotés et d’engrais – Recours en annulation – Recevabilité – Droit de recours des personnes physiques ou morales – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Condition selon laquelle le requérant doit être directem

ent concerné »

Dans les affaires jointes C‑73/22 P et C‑77/22 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’ar...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 juillet 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Aides d’État – Lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Secteurs économiques éligibles – Exclusion du secteur de la fabrication de produits azotés et d’engrais – Recours en annulation – Recevabilité – Droit de recours des personnes physiques ou morales – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Condition selon laquelle le requérant doit être directement concerné »

Dans les affaires jointes C‑73/22 P et C‑77/22 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement le 3 et le 4 février 2022,

Grupa Azoty S.A., établie à Tarnów (Pologne),

Azomureș SA, établie à Târgu Mureş (Roumanie),

Lipasmata Kavalas LTD Ypokatastima Allodapis, établie à Palaio Fáliro (Grèce),

représentées par Mes D. Haverbeke, L. Ruessmann et P. Sellar, avocats,

parties requérantes dans l’affaire C‑73/22 P,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouchagiar, G. Braga da Cruz et J. Ringborg, puis par MM. A. Bouchagiar et J. Ringborg, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

et

Advansa Manufacturing GmbH, établie à Hamm (Allemagne),

Beaulieu International Group NV, établie à Waregem (Belgique),

Brilen SA, établie à Zaragoza (Espagne),

Cordenka GmbH & Co. KG, établie à Erlenbach am Main (Allemagne),

Dolan GmbH, établie à Kelheim (Allemagne),

Enka International GmbH & Co. KG, établie à Wuppertal (Allemagne),

Glanzstoff Longlaville SAS, établie à Longlaville (France),

Infinited Fiber Company Oy, établie à Espoo (Finlande),

Kelheim Fibres GmbH, établie à Kelheim,

Nurel SA, établie à Zaragoza,

PHP Fibers GmbH, établie à Erlenbach am Main,

Teijin Aramid BV, établie à Arnhem (Pays-Bas),

Thrace Nonwovens & Geosynthetics monoprosopi AVEE mi yfanton yfasmaton kai geosynthetikon proïonton S.A., établie à Magikó (Grèce),

Trevira GmbH, établie à Bobingen (Allemagne),

représentées par Mes D. Haverbeke, L. Ruessmann et P. Sellar, avocats,

parties requérantes dans l’affaire C‑77/22 P,

les autres parties à la procédure étant :

Dralon GmbH, établie à Dormagen (Allemagne),

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouchagiar, G. Braga da Cruz et J. Ringborg, puis par MM. A. Bouchagiar et J. Ringborg, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par leurs pourvois, Grupa Azoty S.A., Azomureș SA et Lipasmata Kavalas LTD Ypokatastima Allodapis (C‑73/22 P), ainsi que Advansa Manufacturing GmbH, Beaulieu International Group NV, Brilen SA, Cordenka GmbH & Co. KG, Dolan GmbH, Enka International GmbH & Co. KG, Glanzstoff Longlaville SAS, Infinited Fiber Company Oy, Kelheim Fibres GmbH, Nurel SA, PHP Fibers GmbH, Teijin Aramid BV, Thrace Nonwovens & Geosynthetics monoprosopi AVEE mi yfanton yfasmaton kai geosynthetikon proïonton S.A. et Trevira
GmbH, (C‑77/22 P) demandent l’annulation, pour les premières, de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 29 novembre 2021, Grupa Azoty e.a./Commission (T‑726/20), et, pour les secondes, de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 29 novembre 2021, Advansa Manufacturing e.a./Commission (T‑741/20) (ci-après, prises ensemble, les « ordonnances attaquées »), par lesquelles le Tribunal a rejeté comme étant irrecevables leurs recours respectifs tendant à l’annulation partielle de la
communication de la Commission intitulée « Lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2021 » publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 25 septembre 2020 (JO 2020, C 317, p. 5, ci-après les « lignes directrices litigieuses »).

Le cadre juridique

La directive 2003/87

2 La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/410 du Parlement européen et du Conseil, du 14 mars 2018 (JO 2018, L 76, p. 3) (ci-après la « directive 2003/87), a établi un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union (ci-après
le « SEQE »).

3 L’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87 énonce :

« Les États membres devraient adopter des mesures financières [...] en faveur des secteurs ou sous-secteurs qui sont exposés à un risque réel de fuite de carbone en raison des coûts indirects significatifs qu’ils supportent effectivement du fait de la répercussion des coûts des émissions de gaz à effet de serre sur les prix de l’électricité, pour autant que ces mesures financières soient conformes aux règles relatives aux aides d’État et, en particulier, ne causent pas de distorsions de
concurrence injustifiées sur le marché intérieur. [...] »

4 L’article 10 ter, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Sont considérés comme étant exposés à un risque de fuite de carbone les secteurs et sous-secteurs pour lesquels le résultat de la multiplication de l’intensité de leurs échanges avec des pays tiers, définie comme le rapport entre la valeur totale des exportations vers les pays tiers plus la valeur des importations en provenance des pays tiers et la taille totale du marché pour l’Espace économique européen (chiffre d’affaires annuel plus total des importations en provenance des pays tiers), par
l’intensité de leurs émissions mesurées en kg de CO2 et divisées par leur valeur ajoutée brute (en euros), est supérieur à 0,2. [...] »

5 L’article 10 ter, paragraphes 2 et 3, de ladite directive prévoit les conditions dans lesquelles des secteurs et sous-secteurs qui ne dépassent pas ce seuil peuvent également être considérés comme étant exposés à un risque de fuite de carbone et inclus dans le groupe visé au paragraphe 1 de cette disposition.

Les lignes directrices litigieuses

6 Au point 7 des lignes directrices litigieuses, la Commission européenne indique que, dans celles-ci, elle « énonce les conditions auxquelles les mesures d’aide relevant du SEQE de l’[Union] peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, point c), [TFUE] ».

7 Le point 9 de ces lignes directrices est libellé comme suit :

« Les principes énoncés dans les présentes lignes directrices s’appliquent uniquement aux mesures d’aide spécifiques prévues à l’article 10 bis, paragraphe 6, et à l’article 10 ter de la directive [2003/87]. »

8 Aux termes des points 19 à 21 desdites lignes directrices :

« 19. Une aide octroyée pour les coûts des émissions indirectes sera considérée comme compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, point c), [TFUE] pour autant que les conditions ci-dessous soient remplies.

20. Ce type d’aide a pour objectif de prévenir un risque important de fuite de carbone imputable en particulier aux coûts des [quotas de l’Union européenne] répercutés sur les prix de l’électricité que doit supporter le bénéficiaire de l’aide lorsque ses concurrents des pays tiers ne sont pas confrontés aux mêmes coûts dans leur prix de l’électricité et que le bénéficiaire n’a pas la possibilité de répercuter ces coûts sur les prix de ses produits sans subir d’importantes pertes de parts de
marché. Parer au risque de fuite de carbone en aidant les bénéficiaires à réduire leur exposition à ce risque sert un objectif environnemental, étant donné que l’aide vise à éviter toute augmentation des émissions mondiales de gaz à effet de serre due à des délocalisations de productions en dehors de l’Union, en l’absence d’accord international contraignant concernant la réduction de ces émissions.

21. Pour limiter le risque de distorsion de la concurrence au sein du marché intérieur, l’aide doit être limitée aux secteurs qui sont exposés à un risque réel de fuite de carbone en raison des coûts indirects significatifs qu’ils supportent effectivement du fait de la répercussion des coûts des émissions de gaz à effet de serre sur les prix de l’électricité. Aux fins des présentes lignes directrices, on considère qu’il existe un risque réel de fuite de carbone uniquement lorsque le bénéficiaire
exerce ses activités dans un des secteurs énumérés à l’annexe I. »

9 Cette annexe I se compose d’une liste de quatorze secteurs considérés comme exposés à un risque réel de fuite de carbone en raison des coûts des émissions indirectes.

10 Le point 64 des lignes directrices litigieuses prévoit que, à partir du 1er janvier 2021, celles-ci remplacent les lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2012 publiées le 5 juin 2012 (JO 2012, C 158, p. 4). Aux points 65 et 66 des lignes directrices litigieuses, la Commission prévoit qu’elle appliquera les principes énoncés dans celles-ci du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2030 à toutes les
mesures d’aide notifiées sur lesquelles elle est appelée à statuer à partir du 1er janvier 2021, même si les projets ont été notifiés avant leur publication.

Les antécédents du litige

11 Les requérantes sont des entreprises actives dans le secteur de la fabrication de produits azotés et d’engrais.

12 Ce secteur n’apparaît pas dans la liste figurant à l’annexe I des lignes directrices litigieuses, intitulée « Secteurs considérés comme exposés à un risque réel de fuite de carbone en raison des coûts des émissions indirectes », alors qu’il était inclus dans la liste figurant à l’annexe II des lignes directrices publiées le 5 juin 2012, intitulée « Secteurs et sous-secteurs considérés ex ante comme exposés à un risque important de fuite de carbone en raison des coûts des émissions indirectes »,
qui était applicable jusqu’au 31 décembre 2020.

Les procédures devant le Tribunal et les ordonnances attaquées

13 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 15 et 16 décembre 2020, les requérantes ont, au titre de l’article 263 TFUE, introduit des recours tendant à l’annulation de l’annexe I des lignes directrices litigieuses.

14 Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal les 1er et 12 mars 2021, la Commission a soulevé des exceptions d’irrecevabilité, au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

15 Par les ordonnances attaquées, le Tribunal a déclaré les recours irrecevables au motif que les requérantes, qui ne sont pas destinataires des lignes directrices litigieuses, ne sont pas directement concernées par celles-ci, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dès lors que ces lignes directrices ne produisent pas directement des effets sur la situation juridique des requérantes.

16 À l’appui de cette appréciation, le Tribunal a notamment exposé, aux points 39 à 43 des ordonnances attaquées, que, bien qu’il ait été considéré, dans les lignes directrices litigieuses, qu’il existe un risque réel de fuite de carbone uniquement lorsque le bénéficiaire de l’aide exerce ses activités dans l’un des secteurs énumérés à l’annexe I de ces lignes directrices, ceci n’exclut pas que les États membres puissent notifier à la Commission des mesures d’aide en faveur d’entreprises actives
dans des secteurs autres que ceux énumérés à cette annexe et puissent tenter de démontrer que, en dépit de la non-satisfaction de l’un des critères posés dans lesdites lignes directrices, une aide destinée à ces entreprises répond à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Tout en reconnaissant qu’il est, dans un tel cas, très probable que la Commission adopte, au titre du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015,
L 248, p. 9), une décision constatant que l’aide envisagée est incompatible avec le marché intérieur, le Tribunal a indiqué que seule cette décision serait susceptible de provoquer des effets juridiques directs à l’égard des entreprises qui auraient pu bénéficier de l’aide.

17 Le Tribunal a par ailleurs exposé, au point 38 des ordonnances attaquées, que, dans l’hypothèse où un État membre n’adopte aucune mesure d’aide relevant des lignes directrices litigieuses, la Commission ne prend aucune décision au titre du règlement 2015/1589. Dès lors, dans ce cas également, ces lignes directrices ne produiraient pas directement des effets sur la situation juridique des requérantes.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

18 Par leurs pourvois, les requérantes demandent à la Cour :

– d’annuler les ordonnances attaquées ;

– de déclarer les recours recevables ;

– à titre subsidiaire, d’annuler les ordonnances attaquées au seul motif que le Tribunal aurait dû réserver la décision sur la recevabilité jusqu’à l’examen des recours au fond ;

– de renvoyer les affaires au Tribunal pour examen au fond ;

– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure, et

– de réserver la question des dépens de la procédure devant le Tribunal, à charge pour celui-ci de statuer sur ces dépens lorsqu’il aura procédé à l’examen au fond.

19 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter les pourvois et

– de condamner les requérantes aux dépens ;

– à titre subsidiaire, si la Cour devait annuler les ordonnances attaquées, de statuer elle-même sur les recours en rejetant ceux-ci comme étant irrecevables, et de condamner les requérantes aux dépens.

20 Par décision du président de la Cour du 16 septembre 2022, les affaires C‑73/22 P et C‑77/22 P ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt.

Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

21 Par acte déposé au greffe de la Cour le 21 avril 2023, les requérantes dans l’affaire C‑73/22 P ont demandé la réouverture de la phase orale de la procédure.

22 À l’appui de cette demande, ces requérantes font valoir que la question de savoir si les lignes directrices litigieuses les concernent directement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, n’a pas été dûment examinée dans les conclusions de M. l’avocat général et n’a pas fait l’objet d’un débat complet devant la Cour.

23 Le débat sur cette question doit, selon lesdites requérantes, continuer dans le cadre d’une audience de plaidoiries et porter sur le contenu, la nature, les objectifs et les effets juridiques de l’acte attaqué, ainsi que sur le droit à une protection juridictionnelle effective. L’analyse contenue dans les conclusions ne tiendrait pas dûment compte de ces éléments.

24 À cet égard, il convient de relever que, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, l’avocat général entendu, ordonner à tout moment la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument
qui n’a pas encore été débattu entre les parties.

25 En l’espèce, s’agissant, d’une part, des observations formulées par les requérantes à l’égard des conclusions de M. l’avocat général, il importe de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général. En vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute
impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles-ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la phase orale de la procédure (arrêt du 31 janvier
2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée).

26 Pour ce qui concerne, d’autre part, le débat ayant eu lieu entre les parties, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose, au terme de la phase écrite de la procédure qui s’est tenue devant elle, de tous les éléments nécessaires pour statuer, les arguments contenus dans la demande de réouverture de la phase orale de la procédure ayant d’ailleurs été largement débattus pendant cette phase écrite.

27 Il convient de rappeler, à cet égard, que le droit d’être entendu n’impose pas une obligation absolue de tenir une audience de plaidoiries dans toutes les procédures. Il en va notamment ainsi lorsque l’affaire ne soulève pas de questions de fait ou de droit ne pouvant être adéquatement résolues sur le fondement du dossier et des observations écrites des parties (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 123 et
jurisprudence citée). L’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour prévoit précisément que celle-ci peut décider de ne pas tenir d’audience de plaidoiries si elle estime, à la lecture des mémoires ou des observations déposés au cours de la phase écrite de la procédure, être suffisamment informée pour statuer.

28 Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de réouverture de la phase orale de la procédure.

Sur les pourvois

29 À l’appui de leurs pourvois respectifs, les requérantes soulèvent, à titre principal, deux moyens identiques, tirés, le premier, d’une insuffisance de motivation, et, le second, d’une erreur de droit dans l’application de la condition selon laquelle la personne physique ou morale introduisant un recours en annulation contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, doit être directement concernée par cet acte. Par un moyen subsidiaire, également identique dans les deux affaires, elles font
valoir que le Tribunal aurait dû joindre l’examen des exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Commission à l’examen au fond des recours.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

30 Par la première branche de leur premier moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal a omis d’établir les faits et qu’il n’a pas répondu aux arguments invoqués devant lui.

31 À cet égard, les requérantes soulignent qu’elles avaient exposé devant le Tribunal que, à la différence d’autres lignes directrices, les lignes directrices litigieuses ne sont pas seulement indicatives mais créent des obligations juridiques pour les États membres. En établissant, à l’annexe I des lignes directrices litigieuses, une liste exhaustive des secteurs en faveur desquels les aides visées à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87 devraient être accordées, la Commission
aurait privé les États membres de la possibilité d’accorder, au titre de cette disposition, une aide d’État compatible avec le marché intérieur à un secteur non mentionné dans cette annexe. Il s’ensuivrait que ladite annexe est contraignante pour les États membres.

32 Or, malgré la présentation de cette argumentation, le Tribunal n’aurait opéré aucune constatation factuelle sur le contenu, la nature ou le contexte des lignes directrices litigieuses. Cette omission aurait conduit à une motivation insuffisante, laquelle contrasterait, notamment, avec celle de l’arrêt de la Cour du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570), et de l’ordonnance du Tribunal du 23 novembre 2015, EREF/Commission (T‑694/14, EU:T:2015:915). Dans ces deux décisions
juridictionnelles, portant respectivement sur une communication concernant le secteur bancaire et sur des lignes directrices dans le domaine de la protection de l’environnement, le juge de l’Union aurait fondé son appréciation sur une analyse détaillée des actes en cause.

33 Par la seconde branche du premier moyen, les requérantes affirment que le Tribunal n’a pas suffisamment motivé son appréciation, figurant au point 38 des ordonnances attaquées, selon laquelle, même dans le cas de figure où un État membre n’adopte aucune mesure d’aide relevant des lignes directrices litigieuses, il n’est pas satisfait à la condition selon laquelle la personne physique ou morale introduisant un recours contre un acte dont elle n’est pas le destinataire doit être directement
concernée par cet acte.

34 Elles observent que ce cas de figure peut se produire, dès lors que l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87 n’oblige pas les États membres à adopter des mesures d’aide. Il importerait donc de comprendre pour quelles raisons le Tribunal estime que, en l’absence de mesures d’aide adoptées par les États membres, les requérantes ne peuvent être directement concernées par les lignes directrices litigieuses. Or, l’appréciation du Tribunal, qui reviendrait à constater que seule une
décision de la Commission au titre du règlement 2015/1589 peut concerner directement les requérantes, serait insuffisamment motivée.

35 Selon la Commission, ce premier moyen doit être rejeté.

Appréciation de la Cour

36 S’agissant de l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, il est de jurisprudence constante que la décision du Tribunal doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de celui-ci, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (voir, notamment, arrêts du
13 janvier 2022, Allemagne e.a./Commission, C‑177/19 P à C‑179/19 P, EU:C:2022:10, point 37, et du 9 mars 2023, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, C‑682/20 P, EU:C:2023:170, point 40).

37 Dans les ordonnances attaquées, le Tribunal a tout d’abord décrit, dans une section consacrée aux antécédents du litige, le contenu et le contexte des lignes directrices litigieuses, puis rappelé, dans une première partie de son appréciation, la jurisprudence relative aux conditions qui régissent la recevabilité des recours introduits par des personnes physiques ou morales contre des actes dont elles ne sont pas les destinataires.

38 Il a ensuite exposé, au point 34 de ces ordonnances, que la liste des secteurs économiques figurant à l’annexe I des lignes directrices litigieuses a pour effet de contraindre, en principe, la Commission à ne considérer, dans le champ d’application de ces lignes directrices, comme compatibles avec le marché intérieur que les aides d’État octroyées en faveur de secteurs mentionnés dans cette liste.

39 Au regard de ces éléments, le Tribunal a analysé, aux points 36 à 43 des ordonnances attaquées, les différents cas de figure qui peuvent se présenter concernant les aides visées par les lignes directrices litigieuses, dont l’octroi est encouragé à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87. Les points 36 et 37 de ces ordonnances portent sur des cas de figure dans lesquels un État membre décide d’octroyer ces aides, tandis que leur point 38 est consacré à la situation dans laquelle un
État membre décide de ne pas les octroyer. Les points 39 à 43 desdites ordonnances portent sur l’hypothèse où un État membre envisage d’octroyer de telles aides en faveur d’un secteur non mentionné dans l’annexe I des lignes directrices litigieuses et notifie ces aides à la Commission, en se fondant sur le droit primaire de l’Union, à savoir l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

40 Par cette analyse, le Tribunal a exposé un raisonnement détaillé qui explique sans équivoque le rejet de l’argumentation des requérantes. Celles-ci avaient, en effet, fait valoir que les lignes directrices litigieuses lient les États membres, empêchent ceux-ci d’octroyer des aides en faveur des secteurs non mentionnés dans l’annexe I de ces lignes directrices et produisent ainsi directement des effets sur la situation juridique des entreprises qui sont actives dans ces secteurs.

41 S’agissant, en particulier, du cas de figure, mis en exergue par les requérantes, dans lequel un État membre décide de n’adopter aucune mesure d’aide relevant des lignes directrices litigieuses, le Tribunal a clairement formulé, au point 38 de ces ordonnances, son appréciation selon laquelle, dans une telle situation, ces lignes directrices ne peuvent affecter la situation juridique des requérantes, dès lors que, en l’absence d’aide, la Commission ne sera pas amenée à appliquer lesdites lignes
directrices.

42 Le Tribunal a par ailleurs exposé de manière circonstanciée, aux points 39 à 43 des ordonnances attaquées, dont le contenu est résumé au point 16 du présent arrêt, qu’il demeure loisible aux États membres de notifier à la Commission des mesures d’aide en faveur d’un secteur économique qui, tout en n’étant pas mentionné dans cette annexe, pourrait, en raison de circonstances exceptionnelles, être exposé à un risque réel de fuite de carbone et être éligible à l’octroi d’une aide au titre de
l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

43 Partant, contrairement à ce qui est soutenu dans la première branche du premier moyen, le Tribunal a analysé les exceptions d’irrecevabilité à la lumière du contenu et du contexte des lignes directrices litigieuses et a, aux points 36 à 43 des ordonnances attaquées, répondu à l’argumentation des requérantes et ainsi exposé clairement les motifs de sa décision. Le point 38 de ces ordonnances, qui est spécifiquement critiqué par la seconde branche du premier moyen, s’intègre dans le raisonnement du
Tribunal et permet sans difficulté de comprendre les motifs pour lesquels celui-ci a considéré que l’annexe I des lignes directrices litigieuses ne produit pas directement des effets sur la situation juridique des requérantes lorsqu’aucune aide visée par ces lignes directrices n’est octroyée.

44 Il s’ensuit qu’aucune des deux branches du premier moyen n’est fondée. Partant, ce moyen doit être rejeté.

Sur le second moyen

Argumentation des parties

45 Par leur second moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’elles ne sont pas directement concernées par les lignes directrices litigieuses.

46 Elles font observer que, pour déterminer les effets juridiques produits par un acte de l’Union, il y a lieu de s’attacher notamment à l’objet et au contenu de cet acte, ainsi qu’au contexte dans lequel celui-ci est intervenu. Or, les ordonnances attaquées se fonderaient non pas sur un tel examen concret mais sur un raisonnement plus général, qui serait entaché de plusieurs erreurs.

47 Ainsi, le Tribunal serait parti de la prémisse erronée que, sous l’angle de l’article 263 TFUE, toutes les lignes directrices de la Commission doivent être qualifiées de la même manière. À cet égard, les requérantes observent que les ordonnances attaquées s’alignent sur l’arrêt de la Cour du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570), et sur l’ordonnance du Tribunal du 23 novembre 2015, EREF/Commission (T‑694/14, EU:T:2015:915), alors même que ces décisions juridictionnelles portent
sur des actes qui, contrairement aux lignes directrices litigieuses, laissent une marge d’appréciation aux États membres.

48 En suivant une telle approche, le Tribunal aurait méconnu le fait que les lignes directrices litigieuses s’adressent aux États membres et ne laissent à ceux-ci aucune marge d’appréciation pour ce qui concerne les secteurs économiques éligibles aux aides pouvant être accordées au titre de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87.

49 Au regard de cette absence de marge d’appréciation pour les États membres, le Tribunal aurait, selon les requérantes, dû suivre le raisonnement exposé dans l’arrêt du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission (C‑386/96 P, EU:C:1998:193), dont le point 44 énonce qu’un particulier, qui n’est pas le destinataire d’un acte de l’Union, peut être considéré comme étant directement concerné par cet acte lorsque la possibilité pour les destinataires dudit acte de ne pas donner suite à celui-ci est purement
théorique.

50 Le Tribunal aurait, à tort, tenu compte de la possibilité qu’un État membre notifie à la Commission des mesures d’aide en faveur d’entreprises qui exercent leurs activités dans des secteurs autres que ceux énumérés à l’annexe I des lignes directrices litigieuses et que cet État tente de démontrer que ces mesures sont compatibles avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

51 À cet égard, les requérantes font valoir que, s’il est vrai que, juridiquement, une telle possibilité existe, cette circonstance ne change rien au fait que les lignes directrices litigieuses excluent l’octroi, aux opérateurs économiques actifs dans les secteurs non mentionnés à leur annexe I, des aides prévues à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87. Cette exclusion ne serait pas compensée par la possibilité d’accorder des aides d’État en vertu de l’article 107, paragraphe 3,
sous c), TFUE. En effet, toute prévision à propos de l’octroi de telles aides serait purement spéculative, tandis que les aides visées à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87 seraient formellement prévues et encouragées par cette disposition.

52 Le Tribunal se serait, en outre, fondé sur la prémisse erronée qu’un opérateur économique ne peut être directement concerné que si la Commission adopte une décision en vertu du règlement 2015/1589. La Cour aurait déjà constaté, dans le domaine des aides d’État, qu’un opérateur économique peut être directement concerné par une prise de position de la Commission sans que celle-ci ait formellement adopté une décision à son égard (arrêt du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina,
C‑519/07 P, EU:C:2009:556, points 48 à 50).

53 En raison de l’appréciation erronée du Tribunal, les requérantes se retrouveraient privées de toute voie de recours, alors même que leur cas relèverait de la situation, visée notamment au point 33 de l’arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, EU:C:2002:462), dans laquelle un recours en annulation doit pouvoir être introduit afin qu’une protection juridictionnelle soit assurée.

54 À ce dernier égard, les requérantes soulignent que les États membres ne sont pas obligés d’adopter des mesures d’aide en vertu de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87. Il est, selon elles, probable qu’aucune aide, visée à cette disposition, ne soit octroyée et qu’aucune décision de la Commission ne soit donc adoptée par rapport à une telle aide. Financièrement, une telle situation serait comparable à celle dans laquelle la Commission déclare incompatible avec le marché
intérieur une aide notifiée. Toutefois, dans la première situation, les requérantes ne disposent, selon le raisonnement suivi par le Tribunal, d’aucune voie de recours, alors que, dans la seconde, elles en disposent. Cette différence serait inadmissible, les requérantes étant, dans les deux cas de figure, concernées de la même manière.

55 La Cour aurait, par ailleurs, reconnu qu’il n’est pas légitime d’attendre des opérateurs économiques affectés par un acte de l’Union qu’ils provoquent une décision négative d’un État membre afin de pouvoir contester cet acte de l’Union (arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 66). Il ne serait pas non plus plausible de s’attendre à ce que des États
membres enfreignent leur devoir de coopération loyale visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE en notifiant des aides au secteur de la fabrication de produits azotés et d’engrais alors même que l’annexe I des lignes directrices litigieuses ne mentionne pas ce secteur.

56 Selon la Commission, ce second moyen des pourvois doit également être rejeté.

Appréciation de la Cour

57 Ainsi qu’il ressort des points 7 et 9 des lignes directrices litigieuses, celles-ci énoncent les exigences qui doivent être remplies afin que les mesures d’aide relevant du SEQE, en particulier celles visées à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87, puissent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

58 L’adoption de telles lignes directrices s’inscrit dans l’exercice, par la Commission, de sa compétence exclusive pour apprécier la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur, au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE. La Commission bénéficie, à cet égard, d’un large pouvoir d’appréciation (voir en ce sens, notamment, arrêts du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, points 37 à 39, ainsi que du 15 décembre 2022, Veejaam et Espo, C‑470/20, EU:C:2022:981, point 29).

59 En établissant, par la voie de lignes directrices, les conditions auxquelles des mesures d’aide peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur, et en annonçant, par la publication de ces lignes directrices, qu’elle appliquera les règles contenues dans celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de ce pouvoir d’appréciation, en ce sens que, si un État membre notifie un projet d’aide d’État qui est conforme à ces règles, la Commission doit, en principe, autoriser ce
projet. Elle ne saurait, en principe, se départir desdites règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux de droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (arrêts du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 40, ainsi que du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 90).

60 L’article 263, quatrième alinéa, TFUE prévoit qu’une personne physique ou morale peut former un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

61 Les requérantes ne peuvent être qualifiées de destinataires des lignes directrices litigieuses. Par conséquent, au regard du libellé même de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, la qualité pour agir des requérantes présupposait, à tout le moins, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 27 des ordonnances attaquées, que ces lignes directrices les concernent directement.

62 La condition selon laquelle le requérant doit être concerné directement par l’acte attaqué figurant, en termes identiques, tant au deuxième membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE qu’au troisième membre de phrase de cette disposition, elle doit revêtir la même signification dans chacun de ces membres de phrase (arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 73). Selon une jurisprudence constante, cette condition requiert que deux
critères soient cumulativement réunis, à savoir que ledit acte, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, dès lors qu’il a un caractère purement automatique et découle de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêt du 16 mars 2023, Commission/Jiangsu Seraphim Solar System et Conseil/Jiangsu Seraphim
Solar System et Commission, C‑439/20 P et C‑441/20 P, EU:C:2023:211, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

63 Les lignes directrices litigieuses, qui concernent notamment les mesures d’aide que les États membres devraient, selon l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87, adopter, ont, conformément à la jurisprudence rappelée au point 59 du présent arrêt, pour effet que, en cas de notification d’un projet d’aide d’État qui suit les critères établis dans ces lignes directrices, dont la liste des secteurs éligibles contenue dans l’annexe I de celles-ci, la Commission doit, en principe,
autoriser ce projet.

64 Dès lors que les requérantes sont actives dans un secteur qui ne relève pas de cette annexe, il est exclu qu’elles puissent bénéficier d’une telle obligation de la Commission.

65 Cela étant, ainsi que le Tribunal l’a exposé, en substance, aux points 39 à 41 des ordonnances attaquées, ces lignes directrices n’ont, juridiquement, pas pour effet de priver les requérantes de la possibilité d’être éligibles à l’octroi des aides d’État visées à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87.

66 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que l’adoption de lignes directrices n’affranchit pas la Commission de son obligation d’examiner les circonstances spécifiques exceptionnelles qu’un État membre peut invoquer, dans un cas particulier, afin de solliciter l’application directe de l’article 107, paragraphe 3, TFUE. Les États membres conservent la faculté de notifier à la Commission des projets d’aide qui ne satisfont pas aux conditions énoncées par des lignes directrices et la Commission peut
autoriser de tels projets dans des circonstances exceptionnelles (voir, notamment, arrêts du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, points 41 et 43, ainsi que du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, points 92 et 93).

67 Ainsi, dans le cadre du SEQE, rien n’empêche un État membre de notifier à la Commission, en faveur des entreprises d’un secteur économique non mentionné à l’annexe I des lignes directrices litigieuses, un projet d’aide qui vise, au titre de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87, à réduire un risque réel de fuite de carbone auquel ce secteur est, à son avis, soumis et de présenter les circonstances susceptibles de justifier l’approbation de ce projet en vertu de l’article 107,
paragraphe 3, sous c), TFUE, nonobstant le fait que la Commission n’a pas, dans ces lignes directrices, identifié ce secteur comme étant exposé à un tel risque.

68 Il s’ensuit, ainsi que le Tribunal l’a à bon droit considéré, que les lignes directrices litigieuses, tout en réduisant les chances des requérantes d’obtenir une aide au titre de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87, ne déterminent pas pour autant, en soi, leur éligibilité à une telle aide et ne produisent donc pas directement des effets sur leur situation juridique.

69 Contrairement à ce que font valoir les requérantes, le fait de ne pas pouvoir exercer une voie de recours directe contre les lignes directrices litigieuses ne les prive pas d’une protection juridictionnelle effective. En effet, le droit procédural de l’Union permet à une personne physique ou morale d’invoquer l’illégalité de lignes directrices à l’appui d’un recours dirigé contre un acte, adopté au regard de ces lignes directrices, qui affecte cette personne d’une manière qui satisfait aux
conditions énoncées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 209 à 212).

70 Par ailleurs, pour autant que les requérantes invoquent l’hypothèse où les États membres ne décident d’octroyer aucune aide visée à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87, de sorte qu’aucune décision d’autorisation ou de refus d’autorisation d’un projet d’aide ne soit adoptée par la Commission au regard des lignes directrices litigieuses, il y a lieu de considérer que, dans un tel cas de figure, les requérantes ne peuvent se trouver, de ce fait, dans une situation concurrentielle
désavantageuse par rapport à d’autres entreprises dont l’activité économique se situe dans le même secteur que la leur. Dans de telles circonstances, le droit à un recours effectif, consacré à l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, n’exige pas qu’elles puissent contester la légalité de ces lignes directrices.

71 Il est, à cet égard, de jurisprudence constante que les particuliers doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 54 et jurisprudence citée). Or, le droit que les particuliers tirent des règles du droit de l’Union en matière d’aides d’État est celui à ne pas subir une concurrence faussée (voir, en
ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 43 et jurisprudence citée).

72 Il résulte de ce qui précède que le raisonnement suivi par le Tribunal n’est pas entaché d’erreur de droit et que le second moyen est non fondé.

Sur le moyen subsidiaire

Argumentation des parties

73 Selon les requérantes, le Tribunal aurait dû examiner les recours au fond avant de se prononcer sur la recevabilité. Elles rappellent que, aux termes de l’article 130, paragraphe 7, du règlement de procédure du Tribunal, celui-ci-joint l’examen des exceptions ou autres incidents de procédure au fond « si des circonstances particulières le justifient ». Aux fins d’une bonne administration de la justice, le Tribunal aurait dû considérer que de telles circonstances existent en l’espèce. En effet,
pour apprécier les effets juridiques des lignes directrices litigieuses, il aurait été nécessaire d’entendre les arguments au fond.

74 Selon la Commission, ce moyen subsidiaire est inopérant et, en tout état de cause, non fondé.

Appréciation de la Cour

75 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, il appartient au Tribunal d’apprécier si une bonne administration de la justice justifie ou non qu’une exception d’irrecevabilité soit jugée immédiatement ou que son examen soit joint au fond. Une jonction au fond n’est pas requise lorsque l’appréciation de l’exception ne dépend pas de l’appréciation des moyens de fond invoqués par le requérant (arrêt du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C‑599/15 P, EU:C:2017:801, point 46 et jurisprudence citée).

76 En l’espèce, il résulte de l’examen du second des deux moyens soulevés à titre principal à l’appui des pourvois que le Tribunal a pu, à bon droit, conclure, sans examen des recours au fond, que les requérantes étaient dépourvues de qualité pour agir.

77 Partant, ce moyen subsidiaire ne saurait être accueilli.

78 Aucun des moyens n’étant fondé, les pourvois doivent être rejetés dans leur intégralité.

Sur les dépens

79 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

80 La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission dans le cadre des pourvois.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Les pourvois dans les affaires C‑73/22 P et C‑77/22 P sont rejetés.

  2) Grupa Azoty S.A., Azomureș SA et Lipasmata Kavalas LTD Ypokatastima Allodapis supportent leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, afférents au pourvoi dans l’affaire C‑73/22 P.

  3) Advansa Manufacturing GmbH, Beaulieu International Group NV, Brilen SA, Cordenka GmbH & Co. KG, Dolan GmbH, Enka International GmbH & Co. KG, Glanzstoff Longlaville SAS, Infinited Fiber Company Oy, Kelheim Fibres GmbH, Nurel SA, PHP Fibers GmbH, Teijin Aramid BV, Thrace Nonwovens & Geosynthetics monoprosopi AVEE mi yfanton yfasmaton kai geosynthetikon proïonton S.A. et Trevira GmbH supportent leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, afférents au pourvoi dans l’affaire
C‑77/22 P.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-73/22
Date de la décision : 13/07/2023

Analyses

Pourvoi – Aides d’État – Lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Secteurs économiques éligibles – Exclusion du secteur de la fabrication de produits azotés et d’engrais – Recours en annulation – Recevabilité – Droit de recours des personnes physiques ou morales – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Condition selon laquelle le requérant doit être directement concerné.


Parties
Demandeurs : Grupa Azoty S.A. e.a.
Défendeurs : Commission européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:570

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