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13/07/2023 | CJUE | N°C-551/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 13 juillet 2023., Commission européenne contre Conseil de l'Union européenne., 13/07/2023, C-551/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 13 juillet 2023 ( 1 )

Affaire C‑551/21

Commission européenne

contre

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Décision (UE) 2021/1117 – Protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021‑2026) – Signature au nom de l’Union européenne et application provisoire – Habilitation à signer – Désignation de la p

ersonne habilitée à signer par le président du Conseil de l’Union européenne – Signature par le représentant permanent de la République p...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 13 juillet 2023 ( 1 )

Affaire C‑551/21

Commission européenne

contre

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Décision (UE) 2021/1117 – Protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021‑2026) – Signature au nom de l’Union européenne et application provisoire – Habilitation à signer – Désignation de la personne habilitée à signer par le président du Conseil de l’Union européenne – Signature par le représentant permanent de la République portugaise et président du Comité des représentants
permanents des gouvernements des États membres de l’Union (Coreper) – Article 13, paragraphe 2, et article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE – Article 218, paragraphes 2 et 5, articles 220 et 221 TFUE – Pouvoir de représentation extérieure de l’Union appartenant à la Commission européenne – Compétence du Conseil pour conclure des accords internationaux – Principe de coopération loyale entre les institutions de l’Union – Articles 296 et 297 TFUE – Obligation de motivation – Publication de la
décision d’habilitation »

Table des matières

  I. Introduction
  II. Le cadre juridique
  A. Les deux conventions de Vienne
  B. Le droit de l’Union
  1. Le traité UE
  2. Le traité FUE
  III. Les antécédents du litige
  IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
  V. Appréciation
  A. Sur la recevabilité
  B. Sur le fond
  1. Sur le premier moyen
  a) La question non tranchée de la relation entre l’article 17 TUE et l’article 218 TFUE
  b) L’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE – la notion de « représentation extérieure de l’Union »
  1) Interprétation à la lumière du droit international
  2) Interprétation à la lumière des articles 220 et 221 TFUE
  3) Conclusion intermédiaire
  c) L’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE – l’autorisation de la signature par le Conseil
  1) Argumentation des parties
  2) Appréciation
  d) Conclusion intermédiaire
  2. Sur le second moyen
  VI. Sur les dépens
  VII. Conclusion

I. Introduction

1. Par le présent recours au titre de l’article 263 TFUE, la Commission européenne cherche à obtenir l’annulation de l’article 2 de la décision (UE) 2021/1117 du Conseil, du 28 juin 2021, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et à l’application provisoire du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021‑2026) ( 2 ) (ci-après la « décision attaquée »). Cet article autorise le président
du Conseil de l’Union européenne à désigner la ou les personnes habilitées à signer ce protocole au nom de l’Union. La Commission demande par ailleurs à la Cour d’annuler la désignation, effectuée par le président du Conseil sur la base dudit article, du représentant permanent de la République portugaise et président du Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union (Coreper) comme personne habilitée à signer ledit protocole au nom de l’Union (ci-après la
« désignation attaquée »).

2. La Commission fait en substance grief au Conseil d’avoir excédé ses compétences et d’avoir ainsi empiété sur son propre pouvoir de représentation extérieure de l’Union en vertu de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE. Elle fait valoir que l’article 218, paragraphe 5, TFUE investit le Conseil uniquement du pouvoir d’autoriser la signature d’un accord et, le cas échéant, son application provisoire avant son entrée en vigueur, mais non de celui d’ordonner la signature par un représentant,
car cela relève, au contraire, de la compétence de la Commission.

3. Ces questions n’ont pas encore été tranchées par la Cour. Elles concernent le maintien de l’équilibre institutionnel au sein de l’Union dans le cadre de la procédure de conclusion d’accords internationaux avec des États tiers ou organisations internationales telle qu’elle résulte du traité de Lisbonne. Certes, la pratique du Conseil en cause en l’espèce est bien plus ancienne que cela. La Commission la conteste cependant pour la première fois par le présent recours, faisant notamment valoir que
le traité de Lisbonne a modifié les règles applicables. Il est d’une importance fondamentale, non seulement à l’intérieur du cadre institutionnel de l’Union, mais également du point de vue des États tiers et des organisations internationales, que les compétences soient clarifiées.

II. Le cadre juridique

A. Les deux conventions de Vienne

4. L’article 7 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 ( 3 ), intitulé « Pleins pouvoirs », stipule :

« 1.   Une personne est considérée comme représentant un État pour l’adoption ou l’authentification du texte d’un traité ou pour exprimer le consentement de l’État à être lié par un traité :

a) si elle produit des pleins pouvoirs appropriés ; ou

b) s’il ressort de la pratique des États intéressés ou d’autres circonstances qu’ils avaient l’intention de considérer cette personne comme représentant l’État à ces fins et de ne pas requérir la présentation de pleins pouvoirs.

2.   En vertu de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs, sont considérés comme représentant leur État :

a) les chefs d’État, les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères, pour tous les actes relatifs à la conclusion d’un traité ;

b) les chefs de mission diplomatique, pour l’adoption du texte d’un traité entre l’État accréditant et l’État accréditaire ;

c) les représentants accrédités des États à une conférence internationale ou auprès d’une organisation internationale ou d’un de ses organes, pour l’adoption du texte d’un traité dans cette conférence, cette organisation ou cet organe. »

5. L’article 10 de la convention de Vienne de 1969, qui porte le titre « Authentification du texte », dispose :

« Le texte d’un traité est arrêté comme authentique et définitif :

a) suivant la procédure établie dans ce texte ou convenue par les États participant à l’élaboration du traité ; ou,

b) à défaut d’une telle procédure, par la signature, la signature ad referendum ou le paraphe, par les représentants de ces États, du texte du traité ou de l’acte final d’une conférence dans lequel le texte est consigné. »

6. L’article 11 de la convention de Vienne de 1969 énonce, sous le titre « Modes d’expression du consentement à être lié par un traité » :

« Le consentement d’un État à être lié par un traité peut être exprimé par la signature, l’échange d’instruments constituant un traité, la ratification, l’acceptation, l’approbation ou l’adhésion, ou par tout autre moyen convenu. »

7. La convention de Vienne de 1969 régit uniquement les traités entre États. La convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, du 21 mars 1986 (Documents officiels de la Conférence des Nations Unies sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, vol. II, ci-après la « convention de Vienne de 1986 »), qui n’est pas entrée en vigueur, contient à ses
articles 10 et 11 des règles très largement identiques concernant l’authentification du texte et la conclusion de traités. L’article 7 de cette convention ne prévoit cependant pas de représentation en vertu des fonctions.

B. Le droit de l’Union

1.   Le traité UE

8. L’article 13, paragraphe 2, TUE est rédigé comme suit :

« Chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci. Les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale. »

9. L’article 15, paragraphe 6, deuxième alinéa, TUE précise :

« Le président du Conseil européen assure, à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. »

10. L’article 17, paragraphe 1, TUE prévoit notamment :

« [...] À l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, [la Commission] assure la représentation extérieure de l’Union. [...] »

11. L’article 27, paragraphe 2, TUE est libellé comme suit :

« Le haut représentant représente l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune. Il conduit au nom de l’Union le dialogue politique avec les tiers et exprime la position de l’Union dans les organisations internationales et au sein des conférences internationales. »

2.   Le traité FUE

12. L’article 218 TFUE dispose notamment :

« 1.   Sans préjudice des dispositions particulières de l’article 207, les accords entre l’Union et des pays tiers ou organisations internationales sont négociés et conclus selon la procédure ci-après.

2.   Le Conseil autorise l’ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords.

3.   La Commission, ou le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité lorsque l’accord envisagé porte exclusivement ou principalement sur la politique étrangère et de sécurité commune, présente des recommandations au Conseil, qui adopte une décision autorisant l’ouverture des négociations et désignant, en fonction de la matière de l’accord envisagé, le négociateur ou le chef de l’équipe de négociation de l’Union.

4.   Le Conseil peut adresser des directives au négociateur et désigner un comité spécial, les négociations devant être conduites en consultation avec ce comité.

5.   Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision autorisant la signature de l’accord et, le cas échéant, son application provisoire avant l’entrée en vigueur.

6.   Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision portant conclusion de l’accord.

Sauf lorsque l’accord porte exclusivement sur la politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil adopte la décision de conclusion de l’accord :

a) après approbation du Parlement européen dans les cas suivants :

[...]

b) après consultation du Parlement européen, dans les autres cas. [...]

7.   Par dérogation aux paragraphes 5, 6 et 9, le Conseil peut, lors de la conclusion d’un accord, habiliter le négociateur à approuver, au nom de l’Union, les modifications de l’accord, lorsque celui-ci prévoit que ces modifications doivent être adoptées selon une procédure simplifiée ou par une instance créée par ledit accord. Le Conseil peut assortir cette habilitation de conditions spécifiques.

[...]

10.   Le Parlement européen est immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure.

11.   Un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités. En cas d’avis négatif de la Cour, l’accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités. »

13. L’article 220 TFUE énonce :

« 1.   L’Union établit toute coopération utile avec les organes des Nations unies et de leurs institutions spécialisées, le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Organisation de coopération et de développement économiques.

L’Union assure, en outre, les liaisons opportunes avec d’autres organisations internationales.

2.   Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la Commission sont chargés de la mise en œuvre du présent article. »

14. L’article 221 TFUE prévoit :

« 1.   Les délégations de l’Union dans les pays tiers et auprès des organisations internationales assurent la représentation de l’Union.

2.   Les délégations de l’Union sont placées sous l’autorité du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Elles agissent en étroite coopération avec les missions diplomatiques et consulaires des États membres. »

III. Les antécédents du litige

15. Le 22 octobre 2015, le Conseil a adopté, sur recommandation de la Commission, une décision autorisant celle-ci à conduire, au nom de l’Union, des négociations avec la République gabonaise en vue d’un nouveau protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021‑2026) (ci-après le « protocole »). Cet accord de partenariat avait été conclu au cours de l’année 2007 et accordait aux pêcheurs de la Communauté
des possibilités de pêche dans les eaux relevant de la souveraineté de la République gabonaise ( 4 ).

16. À l’issue des négociations, le protocole a été paraphé le 10 février 2021.

17. Le 19 mai 2021, la Commission a présenté au Conseil sa proposition de décision relative à la signature, au nom de l’Union, et à l’application provisoire du protocole.

18. L’article 2 de la décision proposée était rédigé comme suit :

« Le secrétariat général du Conseil élabore l’instrument de pleins pouvoirs autorisant la personne indiquée par la Commission à signer [le] protocole, sous réserve de sa conclusion. »

19. Le Conseil n’a pas accepté le libellé de l’article 2 proposé ; par la suite, il a adopté la décision attaquée.

20. La décision attaquée est libellée comme suit :

« Article premier

La signature, au nom de l’Union, du protocole [...] est autorisée, sous réserve de [sa] conclusion [...].

Article 2

Le président du Conseil est autorisé à désigner la ou les personnes habilitées à signer le protocole au nom de l’Union.

Article 3

Le protocole est appliqué à titre provisoire à partir de la date de sa signature [...], dans l’attente de l’achèvement des procédures nécessaires à son entrée en vigueur. »

21. Par la désignation attaquée du 28 juin 2021, le président du Conseil a accordé les pleins pouvoirs à M. Nuno Brito, représentant permanent de la République portugaise auprès de l’Union européenne et président du Coreper, l’habilitant seul à signer le protocole au nom de l’Union.

22. Le 30 juin 2021, le secrétariat général du Conseil a informé la Commission et les États membres, par le document ST 10307/21, de la signature du protocole et du fait que, conformément à son article 24, le protocole était appliqué depuis le 29 juin 2021.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

23. Par acte déposé au greffe de la Cour le 7 septembre 2021, la Commission a introduit le présent recours en annulation.

24. La Commission demande à la Cour :

– d’annuler l’article 2 de la décision attaquée ;

– d’annuler la désignation attaquée ;

– de condamner le Conseil aux dépens.

25. Le Conseil demande à la Cour :

– de rejeter le recours comme irrecevable ;

– à titre subsidiaire, de rejeter le recours comme non fondé ;

– de condamner la Commission aux dépens ;

– à titre encore plus subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour annulerait les actes attaqués, d’indiquer, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, que les effets de ces actes doivent être considérés comme définitifs.

26. Par décision du président de la Cour du 26 janvier 2022, la République tchèque, la République française, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

27. Par ordonnance du président de la Cour du 3 mars 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci‑après le « haut représentant ») a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

28. La Commission, le haut représentant, la République tchèque, la République française et la République portugaise ont à la fois présenté des observations écrites et participé à l’audience du 8 mars 2023. La Hongrie et le Royaume des Pays-Bas ont uniquement présenté des observations écrites.

V. Appréciation

29. Le Conseil conteste tant la recevabilité que le bien-fondé du recours en annulation.

A. Sur la recevabilité

30. Le Conseil, soutenu par la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise, fonde l’irrecevabilité du recours en annulation en substance sur le fait que l’autorisation figurant à l’article 2 de la décision attaquée qui est contestée ne peut être détachée du reste de cette décision. D’après lui, l’annulation de son article 2 est susceptible de modifier la substance de la décision.

31. La Commission, soutenue par le haut représentant, le conteste.

32. Selon la jurisprudence constante, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. Ce n’est le cas que si l’annulation partielle n’affecte ni l’esprit ni la substance de l’acte. Pour vérifier le caractère détachable des dispositions contestées, il faut en examiner la portée. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible d’évaluer si leur annulation modifierait l’esprit et la substance de
l’acte attaqué. Il s’agit là d’une appréciation objective, qui n’est pas liée à la volonté politique (subjective) de l’institution qui a adopté cet acte ( 5 ).

33. À l’article 1er de la décision attaquée, le Conseil autorise la signature du protocole et, à l’article 3 de cette décision, il en ordonne l’application provisoire. L’article 2 de ladite décision autorise le président du Conseil à désigner la personne habilitée à signer le protocole.

34. Les dispositions des articles 1er et 3 de la décision attaquée sont donc l’expression de la décision (politique) du Conseil d’approuver, quant à son contenu, le protocole négocié par la Commission et de le rendre applicable à titre provisoire. L’autorisation de désigner la personne habilitée à signer le protocole, objet de l’article 2 de cette décision, concerne quant à elle la manière dont la volonté (de politique extérieure) de l’Union sera exprimée et mise en œuvre à l’égard de la République
gabonaise. Objectivement, il ne saurait être considéré que la question juridique de savoir qui sera habilité à signer le protocole en tant que représentant de l’Union aurait pu influencer la décision du Conseil d’autoriser la signature du protocole et d’en ordonner l’application provisoire.

35. Il aurait également été concevable que l’autorisation de désigner la personne habilitée à signer le protocole et la désignation de cette personne interviennent ultérieurement, dans un acte séparé. Cela montre que les règles énoncées aux articles 1er et 3 de la décision attaquée pourraient également exister sans l’article 2 de cette décision.

36. Une éventuelle annulation de l’article 2 de la décision attaquée n’aurait donc pas pour effet de vider les articles 1er et 3 de cette décision de leur contenu normatif ou de modifier celui-ci. Elle n’aura a fortiori pas pour effet de modifier la substance ou l’esprit de ladite décision.

37. L’article 2 de la décision attaquée peut dès lors être détaché du reste de cette décision et faire l’objet d’un recours en annulation.

38. Le fait que l’article 2 de la décision attaquée a déjà été exécuté et que le protocole a été signé d’une manière qui engage l’Union en droit international est à cet égard sans incidence. En effet, en raison du risque concret que la situation se reproduise, le litige n’est pas désormais sans objet. Eu égard à la position défendue par le Conseil, il ne fait en effet aucun doute qu’il adoptera également à l’avenir des actes comparables à l’article 2 de la décision attaquée ( 6 ).

39. Il convient, enfin, d’écarter l’argument avancé par le Conseil, soutenu sur ce point par la Hongrie, selon lequel la Commission n’a visé dans la requête, et joint en annexe à celle-ci, que le courrier du secrétariat général du Conseil du 30 juin 2021 informant la Commission de la signature du protocole, mais non la désignation attaquée du 28 juin 2021. Celle-ci n’avait pas été publiée ni jointe à ce courrier. Au contraire, elle n’a été communiquée à la Commission que dans le cadre de la
procédure écrite, en annexe au mémoire en défense du Conseil.

40. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil.

B. Sur le fond

41. La Commission invoque deux moyens à l’appui de son recours. Elle fait valoir que le Conseil a, premièrement, empiété sur ses compétences (sous‑section 1) et, deuxièmement, manqué à ses obligations de motivation et de publication de la décision attaquée (sous-section 2).

1.   Sur le premier moyen

42. Le premier moyen comporte deux branches, à savoir le non‑respect de la compétence de la Commission (article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, appliqué en combinaison avec l’article 13, paragraphes 1 et 2, TUE) (première branche) et la violation du principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, TUE) (seconde branche). Nous examinerons ces deux branches ensemble.

a)   La question non tranchée de la relation entre l’article 17 TUE et l’article 218 TFUE

43. La règle énoncée à l’article 2 de la décision attaquée ne constituerait une violation des traités au sens de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE que si le Conseil avait été tenu, en vertu de l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE, appliqué en combinaison avec l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, de laisser à la Commission le soin de désigner un représentant en vue de la signature du protocole. L’article 218 TFUE reconnaît certes au Conseil des compétences essentielles dans le cadre
de la procédure de conclusion des accords internationaux ( 7 ). En vertu de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, toutefois, la Commission assure, sous réserve d’autres dispositions du traité, la représentation extérieure de l’Union.

44. La question déterminante est par conséquent celle de savoir si le pouvoir de désigner la personne qui sera habilitée à signer des accords internationaux au nom de l’Union fait partie de la compétence de la Commission d’assurer la représentation extérieure de l’Union au sens de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE ou des compétences du Conseil dans le cadre de la conclusion de tels accords en vertu de l’article 218 TFUE.

45. La réponse à cette question ne ressort pas de façon explicite de ces dispositions des traités, de même rang ( 8 ), mais doit être dégagée par voie d’interprétation. L’élément central de cette interprétation est la relation entre les dispositions de l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE, d’une part, et celles de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, d’autre part, qui n’a encore que peu attiré l’attention de la Cour.

46. Concernant l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, la Cour a uniquement jugé que le pouvoir de représentation extérieure de la Commission ne l’habilitait pas à signer un addendum non contraignant à un accord, alors même que cet addendum reflétait une position ou une politique de l’Union déjà établie par le Conseil. Au contraire, la Commission devait obtenir à cette fin l’autorisation préalable du Conseil ( 9 ). La Cour n’a cependant pas tranché la question qui se pose dans la présente
affaire, à savoir celle de savoir si, après que le Conseil a autorisé la signature, la Commission dispose de façon générale du pouvoir de signer un accord contraignant avec un État tiers ou de désigner la personne habilitée à le faire.

47. À cet égard, il convient d’examiner en particulier s’il ressort de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE que la Commission jouit – comme elle le soutient – d’une compétence exclusive pour désigner la personne habilitée à signer des accords internationaux tels que le protocole en cause. À cette fin, nous nous pencherons tout d’abord sur la signification de la notion de « représentation extérieure de l’Union », en particulier au regard du droit international [sous b)]. Nous analyserons
ensuite le lien entre l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, d’une part, et l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE, d’autre part, en tenant compte de l’objectif poursuivi par ces dispositions [sous c)].

b)   L’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE – la notion de « représentation extérieure de l’Union »

48. Le droit de l’Union ne définit pas ce qu’il convient d’entendre par « représentation extérieure de l’Union ». Il n’est notamment pas explicitement réglé si cette représentation inclut également la signature d’accords internationaux.

49. La genèse de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, non plus, ne fournit aucun indice que les auteurs des traités entendaient étendre les compétences de la Commission en matière de conclusion d’accords internationaux et restreindre celles du Conseil. Les travaux préparatoires ne contiennent aucune information à cet égard. Une règle de compétence rédigée en des termes identiques figurait déjà à l’article I‑26, paragraphe 1, du traité établissant une Constitution pour l’Europe ( 10 ),
sans que les travaux préparatoires éclairent les motifs ou les objectifs de son adoption ou son contenu normatif.

50. Habituellement, une représentation au sens juridique se caractérise toutefois par le fait que le représentant est habilité par le représenté à accomplir certains actes ( 11 ). Cela inclut notamment les manifestations de volonté. Signer un accord international constitue prima facie une telle manifestation de volonté.

1) Interprétation à la lumière du droit international

51. Les articles 10 et 11 tant de la convention de Vienne de 1969 que de la convention de Vienne de 1986 corroborent cette compréhension. Il ressort de ces dispositions que la signature d’un tel accord peut en arrêter le texte définitif ou exprimer le consentement à être lié par celui-ci. Cette signature est donc dans les deux cas une manifestation de volonté qui est typiquement comprise dans le pouvoir de représentation.

52. Certes, la convention de Vienne de 1969 ne régit que les traités entre États et celle de 1986 a été signée par l’Union, mais n’est pas entrée en vigueur ; elles sont cependant toutes deux très largement l’expression du droit international coutumier. De ce fait, il est possible de s’inspirer de leurs dispositions lors de l’interprétation du droit de l’Union ( 12 ).

53. Sur cette base, la Commission et le haut représentant ont même fait valoir que les deux conventions de Vienne fournissaient des éléments indiquant que l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE conférait directement un pouvoir de représentation à la Commission pour signer des accords internationaux.

54. Le point de savoir si un représentant d’un État est habilité, dans les relations avec d’autres États, à émettre une manifestation de volonté est réglé dans les deux conventions de Vienne. Celles-ci opèrent une distinction, aux fins des deux fonctions de la signature visées à leurs articles 10 et 11, entre, d’une part, des personnes investies du pouvoir ou habilitées à représenter l’État et, d’autre part, les personnes qui sont considérées en vertu de leurs fonctions comme représentant l’État.
Une personne investie du pouvoir de représenter l’État doit présenter des « pleins pouvoirs appropriés » ou l’habilitation à représenter l’État doit ressortir de la pratique des États intéressés ou d’autres circonstances ( 13 ). En outre, les personnes occupant certaines fonctions, par exemple les chefs d’État, les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères, sont considérées en vertu de leurs fonctions comme représentant leur État ( 14 ).

55. En ce qui concerne les organisations internationales, la convention de Vienne de 1986 prévoit toutefois uniquement un pouvoir ou une habilitation à représenter l’organisation qui ressort des circonstances, mais non un pouvoir de représentation en vertu des fonctions occupées ( 15 ). Apparemment, les auteurs de cette convention ont, s’agissant des organisations internationales, sciemment renoncé à instaurer une règle de représentation en vertu des fonctions occupées afin de tirer notamment les
conséquences des importantes différences qui existent quant à la structure et aux règles de représentation de ces organisations ( 16 ).

56. Le fait qu’une représentation en vertu des fonctions occupées n’est pas prévue en ce qui concerne les organisations internationales plaide contre la possibilité que l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE puisse directement conférer à la Commission un pouvoir de représentation extérieure.

57. Un tel pouvoir de représentation extérieure de la Commission ne résulte pas davantage de la pratique de l’Union et des États intéressés ( 17 ). Les parties à la procédure l’ont confirmé à plusieurs reprises. Ainsi qu’il ressort des documents produits par le Conseil, celui-ci a, au contraire, maintenu depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne sa pratique constante, consistant à désigner seul un représentant, en règle générale le représentant permanent de l’État membre qui assure la
présidence du Conseil ( 18 ), et à l’habiliter à signer des accords internationaux avec des États tiers. Ce n’est que dans des cas particuliers que le Conseil désigne, aux côtés de son représentant, un membre de la Commission ou des services de la Commission ( 19 ). Il en va de même, dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union, du haut représentant ( 20 ). Cette pratique constante, qui n’est pas expressément prévue par les traités (voir points 71 et
suivants des présentes conclusions), n’est cependant pas susceptible de créer un précédent contraignant à l’égard des institutions et qui exclurait une représentation par la Commission ( 21 ).

58. Suivant cette compréhension du droit international et ladite pratique constante, la décision attaquée considère elle aussi qu’il n’existe pas de pleins pouvoirs ou pouvoir de représentation extérieure de la Commission, encore moins de pouvoir découlant directement de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, mais que le Conseil doit les conférer en application de l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE. Dès lors, l’article 2 de cette décision « [autorise le] président du Conseil [...] à
désigner la ou les personnes habilitées à signer le protocole au nom de l’Union ».

59. Enfin, l’ajout de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE par le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, ne peut être considéré comme une « autre circonstance », conférant des pleins pouvoirs ( 22 ). Il est déjà permis de douter qu’une modification du droit interne d’une partie à un accord international puisse constituer une telle circonstance. Cela se heurte notamment à l’idée, inscrite à l’article 27 des deux conventions de Vienne, qu’une partie ne peut invoquer les
dispositions de son droit interne comme justifiant la non‑exécution d’un traité.

60. La question de savoir si l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE exige d’habiliter la Commission ou la personne qu’elle désignera à signer l’accord concerne donc uniquement les relations internes à l’Union. Elle est notamment sans incidence sur le point de savoir si la signature du protocole par le représentant désigné par le Conseil était apte à produire un effet de droit à l’égard de la République gabonaise ou était sans effet, faute de pouvoir de représentation ( 23 ).

61. Contrairement à ce que soutiennent la Commission et le haut représentant, le droit international, notamment les deux conventions de Vienne, ne fournit donc aucune information sur la manière dont le pouvoir de signer des accords internationaux est réparti entre le Conseil et la Commission.

2) Interprétation à la lumière des articles 220 et 221 TFUE

62. Par ailleurs, les articles 220 et 221 TFUE pourraient avoir une importance pour l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE. En effet, notamment l’article 221, paragraphe 1, TFUE fait expressément référence à la « représentation de l’Union » par ses délégations.

63. Les dispositions figurant aux articles 220 et 221 TFUE énoncent depuis le traité de Lisbonne de nouvelles règles en ce qui concerne notamment les relations entre l’Union et des organisations internationales et États tiers, en répartissant les compétences en la matière entre la Commission et le haut représentant. Si ce dernier n’est pas une institution autonome de l’Union au sens de l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais un membre de la Commission, il est cependant investi de compétences
spécifiques et autonomes en tant que représentant de l’Union, notamment dans le cadre de la PESC (article 18 et article 27, paragraphe 2, TUE) ( 24 ).

64. En dépit du fait qu’ils utilisent le terme « représentation », les articles 220 et 221 TFUE ne concernent toutefois pas la représentation de l’Union dans le cadre de l’élaboration d’accords internationaux, et encore moins le pouvoir de les signer, mais uniquement sa représentation diplomatique ou consulaire et la coopération avec des organisations internationales.

65. Cela n’exclut pas, cependant, qu’il faille comprendre l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, également ajouté par le traité de Lisbonne, et la notion de « représentation extérieure de l’Union » qui y figure dans un sens plus large (voir point 50 des présentes conclusions). L’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE pourrait, à l’instar de l’article 27, paragraphe 2, TUE, qui, lu en combinaison avec les articles 220 et 221 TFUE, a transféré au haut représentant l’ensemble de la
représentation extérieure dans le domaine de la PESC, avoir étendu les compétences de la Commission également en ce qui concerne la conclusion d’accords internationaux.

3) Conclusion intermédiaire

66. Partant, ni le libellé de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE ni son interprétation à la lumière du droit international ou des articles 220 et 221 TFUE ne confèrent à la Commission un pouvoir de représentation extérieure l’habilitant à signer des accords internationaux au nom de l’Union. Dans les relations intérieures de l’Union, la compétence pour signer des accords internationaux est toutefois prima facie incluse dans la notion de « représentation extérieure de l’Union ».

c)   L’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE – l’autorisation de la signature par le Conseil

67. Les compétences conférées à la Commission par l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE ne le sont toutefois que sous réserve « des autres cas prévus par les traités ». Une telle restriction pourrait résulter de l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE et de la compétence de conclure des accords internationaux que cet article attribue au Conseil.

1) Argumentation des parties

68. Selon la Commission et le haut représentant, il découle notamment du libellé, de l’économie et de l’objet de l’article 218, paragraphe 5, TFUE que cette disposition se borne à réglementer quelle institution, dans les relations intérieures de l’Union, doit approuver l’accord négocié et sa signature, à savoir le Conseil. Or, font-ils valoir, la question de savoir qui signe un tel accord est relative à la représentation extérieure de l’Union. Celle-ci est régie par l’article 17, paragraphe 1,
sixième phrase, TUE, qui constitue à cet égard la loi spéciale, et est, dans les domaines autres que la PESC, attribuée à la Commission.

69. Le Conseil, au contraire, interprète l’article 218, paragraphe 5, TFUE en ce sens qu’il régit non pas uniquement la compétence pour autoriser la signature, mais aussi la signature elle-même. Il soutient que la décision d’autoriser la signature constitue un continuum juridique avec l’autorisation de désigner le signataire. Il en conclut que l’article 218, paragraphe 5, TFUE est la norme la plus exhaustive et a le caractère d’une loi spéciale à l’égard de l’article 17, paragraphe 1, sixième
phrase, TUE.

70. Pour répondre à la question de savoir laquelle de ces deux analyses est correcte, nous interpréterons l’article 218 TFUE au regard de son libellé et de l’économie de ses dispositions. La genèse de cet article n’apporte aucun élément utile à son interprétation ( 25 ).

2) Appréciation

71. Conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 218 TFUE constitue, en matière de conclusion d’accords internationaux, une norme autonome et générale de portée constitutionnelle, en ce qu’il attribue aux institutions de l’Union des compétences déterminées. Visant à établir un équilibre entre ces institutions, cette disposition prévoit, en particulier, que les accords entre l’Union et un ou plusieurs États tiers sont négociés par la Commission, dans le respect des directives de négociation
arrêtées par le Conseil, puis conclus par le Conseil, soit après approbation, soit après consultation du Parlement. La compétence pour conclure de tels accords est toutefois attribuée au Conseil sous réserve des compétences reconnues à la Commission dans ce domaine ( 26 ).

72. Cette dernière réserve concernant les compétences reconnues à la Commission figurait à l’origine à l’article 228, paragraphe 1, du traité CEE ( 27 ) et par la suite à l’article 300, paragraphe 2, CE, mais est absente de l’article 218 TFUE. En effet, l’adoption de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE a inversé le rapport règle/exception. Désormais, les pouvoirs conférés à la Commission dans ce domaine le sont en effet sous la réserve des autres dispositions des traités, notamment de
l’article 218 TFUE.

73. L’article 218, paragraphe 2, TFUE contient notamment une disposition générale prévoyant que le Conseil « autorise » la signature et conclut les accords. La notion de « conclusion des accords » pourrait inclure la signature.

74. L’autorisation de la signature fait cependant l’objet d’une règle spécifique, énoncée à l’article 218, paragraphe 5, TFUE. Aux termes de cet article, le Conseil « adopte une décision autorisant la signature de l’accord et, le cas échéant, son application provisoire avant l’entrée en vigueur ». En outre, en vertu de l’article 218, paragraphe 6, TFUE, le Conseil adopte « une décision portant conclusion de l’accord ».

75. Il est possible qu’il faille comprendre l’article 218, paragraphe 5, TFUE en ce sens que le Conseil doit « autoriser » la signature par une personne qu’il a habilitée. Cette interprétation suivrait l’argument du Conseil, selon lequel il existe un « continuum juridique » entre l’autorisation de la signature, exigée par l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE, et la désignation de la personne habilitée à l’apposer.

76. Elle tiendrait en outre compte de la nature « hybride » du Conseil. En effet, à la différence des autres institutions de l’Union, la structure du Conseil n’est pas homogène et n’a pas de hiérarchie claire et durable. Aux termes de l’article 16, paragraphe 2, TUE, le Conseil est, au contraire, composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l’État membre qu’il représente et à exercer le droit de vote, mais qui ne représente pas le
Conseil en tant qu’institution. Cette représentation est, comme en l’espèce, assurée en règle générale par l’État membre qui assure la présidence tournante conformément à l’article 16, paragraphe 9, TUE ( 28 ). Faute de pouvoir de représentation institutionnel et général, elle requiert toutefois dans chaque cas concret une décision expresse.

77. Cette interprétation n’exclurait en outre pas que le Conseil confère à une autre institution les pleins pouvoirs pour signer un accord international lorsque cela lui semble opportun, mais il ne serait pas tenu de le faire. Ainsi que nous l’avons mentionné au point 57 des présentes conclusions, cela arrive parfois en pratique.

78. Ni le libellé ni l’économie des dispositions de l’article 218 TFUE ne fournissent cependant un appui suffisant à cette compréhension.

79. En effet, les paragraphes 2, 5 et 6 de l’article 218 TFUE distinguent la compétence du Conseil pour conclure un accord international, d’une part, de l’autorisation de sa signature, d’autre part. De ce fait, la signature en tant que telle ne peut entrer dans les compétences du Conseil pour conclure des accords internationaux.

80. Ces dispositions laissent en outre ouverte la question de savoir qui désigne la personne qui signera l’accord international au nom de l’Union. Le fait que le Conseil se borne à « autoriser » la signature par une décision est à cet égard un indice que cette signature n’entre pas dans ses propres compétences et que ce n’est pas non plus au Conseil lui-même de désigner la personne qui y est habilitée.

81. En faveur de cette position plaide également l’interprétation de l’article 218, paragraphes 2 et 5, TFUE à la lumière de l’article 218, paragraphe 3, TFUE, préconisée par la Commission et le haut représentant.

82. Aux termes de l’article 218, paragraphe 3, TFUE, sauf dans le domaine de la PESC, le Conseil adopte, sur recommandation de la Commission, une décision autorisant l’ouverture des négociations et désignant le négociateur ou le chef de l’équipe de négociation de l’Union. Ainsi que la jurisprudence de la Cour le reconnaît (voir point 68 des présentes conclusions), ces personnes appartiennent en règle générale aux services de la Commission qui ont préparé les recommandations en vue de l’accord
projeté. La Commission et le haut représentant en concluent, de façon tout à fait plausible, que, en vertu de cette disposition, le Conseil ne fait que désigner le négociateur ou le chef de l’équipe de négociation (appartenant à la Commission) et que, faute de disposition équivalente à l’article 218, paragraphe 5, TFUE, il ne peut avoir le pouvoir de désigner également la personne habilitée à signer l’accord.

83. Les arguments les plus forts plaident donc en faveur de ce que, conformément à l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE, seule la Commission puisse dans ce type de cas être autorisée à signer un accord international dans l’exercice de ses compétences de représentation extérieure de l’Union ou à désigner la personne qui y est habilitée.

84. L’article 218 TFUE ne conférant pas compétence au Conseil pour désigner la personne habilitée à signer l’accord international, cette compétence fait partie des compétences de représentation extérieure de l’Union appartenant à la Commission en vertu de l’article 17, paragraphe 1, sixième phrase, TUE.

d)   Conclusion intermédiaire

85. Il convient par conséquent d’accueillir le premier moyen, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par la Commission et le haut représentant, notamment ceux relatifs à la violation alléguée de l’obligation de coopération loyale en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

2.   Sur le second moyen

86. Dans le cadre du second moyen, la Commission fait grief au Conseil d’avoir violé les obligations de motivation et de publication de la décision attaquée que lui imposent l’article 296, deuxième alinéa, et l’article 297 TFUE (première branche), ainsi que l’obligation de coopération loyale entre les institutions en vertu, en l’occurrence, de l’article 13, paragraphe 2, seconde phrase, TUE (seconde branche).

87. Ce moyen est manifestement infondé en sa première branche.

88. D’une part, le contenu normatif des articles 1er à 3 de la décision attaquée ressort clairement du libellé de ces articles, ainsi que nous l’avons constaté aux points 33 et 34 des présentes conclusions. D’autre part, l’autorisation de signer un accord avec un État tiers n’est, comme la Commission le reconnaît elle-même implicitement dans son mémoire en réplique, soumise à aucune obligation de publication.

89. La première branche du second moyen est dès lors inopérante.

90. La seconde branche de ce moyen, cependant, est fondée. Ainsi qu’il ressort de nos développements consacrés au premier moyen, le Conseil a, du fait qu’il a excédé ses compétences, violé l’article 13, paragraphe 2, seconde phrase, TUE au détriment de la Commission.

91. Partant, il convient de faire droit au recours de la Commission.

92. La demande subsidiaire du Conseil tendant au maintien des effets juridiques de la décision attaquée et de la désignation attaquée en application de l’article 264, deuxième alinéa, TFUE doit en revanche être rejetée.

93. Aux termes de l’article 264, deuxième alinéa, TFUE, la Cour peut indiquer, si elle l’estime nécessaire, ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Selon la jurisprudence, cela est notamment nécessaire, pour des raisons ayant trait à la sécurité juridique, lorsque les effets immédiats de l’annulation entraîneraient des conséquences négatives graves pour les parties concernées ( 29 ).

94. Or, le Conseil n’a pas identifié de personnes éventuellement concernées ni exposé quelles conséquences négatives graves celles-ci subiraient en cas d’annulation. Il s’est, au contraire, borné à évoquer en des termes généraux la sécurité juridique et la crédibilité de l’Union en tant qu’acteur international.

95. Comme le fait valoir la Commission et comme le reconnaît le Conseil, l’annulation de la décision attaquée et de la désignation attaquée concerne uniquement les relations internes à l’Union. Elle est sans incidence sur les effets juridiques de la signature du protocole et, partant, sur la bonne mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche avec la République gabonaise. En effet, l’absence de pouvoir du représentant du Conseil constatée ne constitue pas une violation
manifeste d’une règle d’importance fondamentale au sens de l’article 46 des deux conventions de Vienne susceptible de remettre en cause la validité du protocole au regard du droit international. Au demeurant, il suffirait que l’Union confirme, au sens de l’article 8 des deux conventions de Vienne, la signature par le représentant du Conseil pour que la sécurité juridique soit garantie dans les relations extérieures.

VI. Sur les dépens

96. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Conseil aux dépens et celui-ci ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens.

97. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, la République tchèque, la République française, la Hongrie, le Royaume des Pays‑Bas, la République portugaise et le haut représentant supporteront leurs propres dépens.

VII. Conclusion

98. Nous suggérons à la Cour de statuer comme suit :

1) L’article 2 de la décision (UE) 2021/1117 du Conseil, du 28 juin 2021, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, et à l’application provisoire du protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021‑2026), est annulé.

2) La désignation, par le président du Conseil de l’Union européenne le 28 juin 2021, du représentant permanent de la République portugaise et président du Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union (Coreper) comme personne habilitée à signer ce protocole au nom de l’Union est annulée.

3) Le Conseil supporte ses propres dépens et ceux exposés par la Commission européenne.

4) La République tchèque, la République française, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité supportent leurs propres dépens.

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( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) JO 2021, L 242, p. 3.

( 3 ) Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci-après la « convention de Vienne de 1969 ».

( 4 ) Règlement (CE) no 450/2007 du Conseil, du 16 avril 2007, relatif à la conclusion de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (JO 2007, L 109, p. 1).

( 5 ) En ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Commission/Conseil (Adhésion à l’acte de Genève) (C‑24/20, EU:C:2022:911, points 47 et 48 ainsi que jurisprudence citée).

( 6 ) Sur la recevabilité de recours introduits par des institutions en vue de l’annulation d’actes qui ont déjà été exécutés ou qui ne sont plus applicables au moment de l’introduction du recours, voir arrêt du 24 novembre 2022, Parlement/Conseil (Mesures techniques relatives aux possibilités de pêche) (C‑259/21, EU:C:2022:917, points 45 à 48 et jurisprudence citée).

( 7 ) Voir points 67 et suiv. des présentes conclusions.

( 8 ) Voir article 1er, troisième alinéa, TUE et article 1er, paragraphe 2, TFUE.

( 9 ) Voir arrêt du 28 juillet 2016, Conseil/Commission (C‑660/13, EU:C:2016:616, points 34 à 38).

( 10 ) JO 2004, C 310, p. 1.

( 11 ) Voir, par exemple, article 119, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure de la Cour.

( 12 ) Voir, en ce sens, arrêts du 25 février 2010, Brita (C‑386/08, EU:C:2010:91, points 40 à 43) ; du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118, points 47 et 48), ainsi que du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 90).

( 13 ) Article 7, paragraphe 1, sous a) et b), des deux conventions de Vienne.

( 14 ) Article 7, paragraphe 2, des deux conventions de Vienne.

( 15 ) Article 7, paragraphe 3, sous a) et b), de la convention de Vienne de 1986.

( 16 ) Points 7 et suiv., notamment point 12, du commentaire de l’article 7 du projet dont est issue la convention de Vienne de 1986 publié à la suite de la 33e session de la Commission du droit international (CDI), Annuaire de la Commission du droit international, vol. II, 2e partie, 1981, p. 130 et 131.

( 17 ) Voir article 7, paragraphe 1, sous b), de la convention de Vienne de 1969 ; voir également article 7, paragraphe 3, sous b), de la convention de Vienne de 1986.

( 18 ) Voir, dans le domaine de la politique de la pêche, par exemple, protocole relatif à la mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et la République de Guinée-Bissau (2019‑2024) (JO 2019, L 173, p. 3), accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et la République des Seychelles (JO 2020, L 60, p. 5), et accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne, d’une part, et
le gouvernement du Groenland et le gouvernement du Danemark, d’autre part (JO 2021, L 175, p. 3).

( 19 ) Voir, par exemple, accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7), et accord sur la sécurité de l’aviation civile entre l’Union européenne et le Japon (JO 2020, L 229, p. 4).

( 20 ) Voir, par exemple, accord-cadre entre l’Union européenne et les Nations unies pour la fourniture d’un soutien mutuel dans le cadre de leurs missions et opérations respectives sur le terrain, signé à New York le 29 septembre 2020 (JO 2020, L 389, p. 2), qui a été signé uniquement par un représentant du Conseil. Un exemple de signature en commun, par un représentant du Conseil et le haut représentant, est l’accord de partenariat volontaire entre l’Union européenne et la République socialiste du
Viêt Nam sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (JO 2019, L 147, p. 3). Voir toutefois également accord entre l’Union européenne et le gouvernement de la République socialiste du Viêt Nam, établissant un cadre pour la participation du Viêt Nam à des opérations de gestion de crise menées par l’Union européenne (JO 2019, L 276, p. 3), signé uniquement par le haut représentant.

( 21 ) Voir arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Conseil (CMR-15) (C‑687/15, EU:C:2017:803, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

( 22 ) Voir article 7, paragraphe 1, sous b), de la convention de Vienne de 1969 et article 7, paragraphe 3, sous b), de la convention de Vienne de 1986.

( 23 ) Article 8 des deux conventions de Vienne.

( 24 ) Conformément à la disposition précédemment en vigueur de l’article 26 TUE (traité d’Amsterdam), la fonction de haut représentant était encore exercée par le secrétaire général du Conseil.

( 25 ) Voir notamment article 300, paragraphe 2, premier alinéa, CE, disposition qui a précédé l’article 218, paragraphe 5, TFUE et était rédigée en des termes similaires.

( 26 ) Arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Conseil (C‑425/13, EU:C:2015:483, point 62).

( 27 ) Voir arrêt du 9 août 1994, France/Commission (C‑327/91, EU:C:1994:305, point 28).

( 28 ) Voir article 15 du règlement intérieur du Conseil, tel qu’adopté par la décision 2009/937/UE du Conseil, du 1er décembre 2009 (JO 2009, L 325, p. 35).

( 29 ) Arrêt du 1er mars 2022, Commission/Conseil (Accord avec la République de Corée) (C‑275/20, EU:C:2022:142, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-551/21
Date de la décision : 13/07/2023
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Recours en annulation – Décision (UE) 2021/1117 – Protocole de mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la République gabonaise et la Communauté européenne (2021-2026) – Signature au nom de l’Union – Institution compétente pour désigner la personne habilitée à signer – Article 13, paragraphe 2, TUE – Respect par chaque institution de l’Union des limites des attributions qui lui sont conférées – Coopération loyale entre les institutions de l’Union – Article 16, paragraphes 1 et 6, TUE – Pouvoir du Conseil de l’Union européenne de définir des politiques et d’élaborer l’action extérieure de l’Union – Article 17, paragraphe 1, TUE – Pouvoir de la Commission européenne d’assurer la représentation extérieure de l’Union – Article 218 TFUE.

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:579

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