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03/03/2021 | CJUE | N°C-841/19

CJUE | CJUE, Ordonnance de la Cour, JL contre Fondo de Garantía Salarial (Fogasa)., 03/03/2021, C-841/19


 ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

3 mars 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Directive 2006/54/CE – Article 2, paragraphe 1, et article 4 – Égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins – Accord-cadre sur le travail à temps partiel – Clause 4 – Travailleurs à temps partiel, essentiellement de sexe féminin – Institution nationale garantissant aux travailleurs concernés le paiement des créances non payées par leurs employeurs insolvables 

Plafond au paiement de ces
créances – Montant du plafond réduit pour les travailleurs à temps partiel en ...

 ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

3 mars 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Directive 2006/54/CE – Article 2, paragraphe 1, et article 4 – Égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins – Accord-cadre sur le travail à temps partiel – Clause 4 – Travailleurs à temps partiel, essentiellement de sexe féminin – Institution nationale garantissant aux travailleurs concernés le paiement des créances non payées par leurs employeurs insolvables – Plafond au paiement de ces
créances – Montant du plafond réduit pour les travailleurs à temps partiel en fonction du rapport entre le temps de travail de ces derniers et le temps de travail des travailleurs à temps plein – Principe du pro rata temporis »

Dans l’affaire C‑841/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social no 41 de Madrid (tribunal du travail no 41 de Madrid, Espagne), par décision du 7 novembre 2019, parvenue à la Cour le 20 novembre 2019, dans la procédure

JL

contre

Fondo de Garantía Salarial (Fogasa),

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Wahl, président de chambre, M. F. Biltgen (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour JL, par Me I. J. Tello Limaco, abogada,

– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par M. M. van Beek, Mmes I. Galindo Martín et A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24), ainsi que de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de
l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant JL au Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) [Fonds de garantie salariale (Fogasa), Espagne] au sujet du montant de la créance détenue par JL sur son ancien employeur, afférente à l’emploi à temps partiel qu’il occupait et dont le Fogasa est chargé d’assurer le paiement à la suite de l’insolvabilité de cet employeur.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 79/7

3 Conformément à son article 3, paragraphe 1, sous a), la directive 79/7 s’applique aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques de maladie, d’invalidité, de vieillesse, d’accident du travail, de maladie professionnelle ainsi que de chômage.

4 L’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne :

– le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes,

– l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations,

– le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations. »

L’accord-cadre sur le travail à temps partiel

5 La clause 4, points 1 et 2, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997 (ci-après l’« accord-cadre sur le travail à temps partiel »), qui figure à l’annexe de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9), telle que modifiée par la directive 98/23/CE du Conseil, du 7 avril 1998 (JO 1998, L 131, p. 10), énonce :

« 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à temps partiel ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.

2. Lorsque c’est approprié, le principe du pro rata temporis s’applique. »

La directive 2006/54

6 L’article 1er, premier et deuxième alinéas, de la directive 2006/54 dispose :

« La présente directive vise à garantir la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

À cette fin, elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne :

[...]

b) les conditions de travail, y compris les rémunérations ;

[...] »

7 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “discrimination indirecte” : la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ;

[...]

e) “rémunération” : le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal et tout autre avantage, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ;

[...] »

8 L’article 4, premier alinéa, de ladite directive est ainsi libellé :

« Pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, la discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est éliminée dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération. »

La directive 2008/94/CE

9 Les considérants 3 et 7 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 2008, L 283, p. 36), sont rédigés comme suit :

« (3) Des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur et pour leur assurer un minimum de protection, en particulier pour garantir le paiement de leurs créances impayées, en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté. À cet effet, les États membres devraient mettre en place une institution qui garantisse aux travailleurs concernés le paiement des créances impayées des
travailleurs.

[...]

(7) Les États membres peuvent fixer des limites à la responsabilité des institutions de garantie, limites qui doivent être compatibles avec l’objectif social de la directive et peuvent prendre en considération les différents niveaux de créances. »

10 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive :

« La présente directive s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité au sens de l’article 2, paragraphe 1. »

11 L’article 3 de ladite directive prévoit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail y compris, lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.

Les créances prises en charge par l’institution de garantie sont les rémunérations impayées correspondant à une période se situant avant et/ou, le cas échéant, après une date déterminée par les États membres. »

12 L’article 4 de la même directive dispose :

« 1.   Les États membres ont la faculté de limiter l’obligation de paiement des institutions de garantie visée à l’article 3.

2.   Lorsque les États membres font usage de la faculté visée au paragraphe 1, ils fixent la durée de la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Cette durée ne peut toutefois être inférieure à une période portant sur la rémunération des trois derniers mois de la relation de travail se situant avant et/ou après la date visée à l’article 3, deuxième alinéa.

Les États membres peuvent inscrire cette période minimale de trois mois dans une période de référence dont la durée ne peut être inférieure à six mois.

Les États membres qui prévoient une période de référence d’au moins dix-huit mois peuvent limiter à huit semaines la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Dans ce cas, les périodes les plus favorables au travailleur salarié sont retenues pour le calcul de la période minimale.

3.   Les États membres peuvent assigner des plafonds aux paiements effectués par l’institution de garantie. Ces plafonds ne doivent pas être inférieurs à un seuil socialement compatible avec l’objectif social de la présente directive.

Lorsque les États membres font usage de cette faculté, ils communiquent à la Commission les méthodes selon lesquelles ils fixent le plafond. »

Le droit espagnol

13 Le real decreto legislativo 2/2015 (décret législatif royal 2/2015), du 23 octobre 2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100224), a approuvé le texte refondu de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (loi sur le statut des travailleurs, ci-après le « statut des travailleurs »). L’article 33, paragraphes 1, 2 et 5 de ce statut est libellé comme suit :

« 1.   Le [Fogasa], organisme autonome relevant du ministère de l’Emploi et de la Sécurité sociale, doté de la personnalité juridique et de la capacité d’agir en vue de l’accomplissement de ses objectifs, verse aux salariés le montant des salaires qui n’ont pas pu leur être payés en raison de l’insolvabilité de leur employeur ou de la procédure collective de règlement du passif dont il fait l’objet.

Aux fins de l’alinéa qui précède, est considéré comme salaire le montant reconnu comme tel dans un acte de conciliation ou une décision judiciaire à tous les titres visés à l’article 26, paragraphe 1, ainsi que les salaires échus durant la procédure de contestation d’un licenciement dans les cas prévus par la loi, sans que le [Fogasa] puisse verser, à un titre ou un autre, conjointement ou séparément, une somme supérieure au montant résultant de la multiplication du double du salaire minimum
interprofessionnel journalier, y compris la partie proportionnelle des primes, par le nombre de jours de salaire impayés, dans la limite de cent vingt jours.

2.   Dans les cas visés au paragraphe précédent, le [Fogasa] verse les indemnités reconnues par un jugement, une ordonnance, un acte de conciliation judiciaire ou une décision administrative, en faveur des travailleurs du fait du licenciement ou de la cessation des contrats conformément aux articles 50, 51 et 52 de la présente loi ou de la cessation des contrats conformément à l’article 64 de la loi 22/2003, du 9 juillet 2003, sur la faillite, ainsi que les indemnités pour cessation des contrats
temporaires ou à durée déterminée dans les cas prévus par la loi. Dans tous les cas, ce paiement s’effectue dans la limite maximale d’une annuité, étant entendu que le salaire journalier, servant de base au calcul, ne peut excéder le double du salaire minimum interprofessionnel, y compris la partie proportionnelle des primes.

Le montant de l’indemnité, aux seules fins de son versement par le [Fogasa] en cas de licenciement ou de cessation de contrat conformément à l’article 50 de la présente loi, est calculé sur la base de 30 jours par année de service et ne peut excéder le plafond indiqué à l’alinéa précédent.

[...]

5.   Le [Fogasa] est financé par les cotisations versées par l’ensemble des employeurs [...] qu’ils soient publics ou privés.

Le taux de cotisation est fixé par le gouvernement sur les salaires servant de base au calcul de la cotisation destinée à couvrir les risques liés aux accidents du travail, aux maladies professionnelles et au chômage dans le système de sécurité sociale. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

14 JL a travaillé, à compter du 27 septembre 2017, pour Construcción y Obra Pública Toletum SL (ci-après l’« entreprise en cause ») en tant que serveur, en vertu d’un contrat de travail à durée déterminée et sous un régime de travail à temps partiel à 50 %, à hauteur de 20 heures par semaine. Il a perçu une rémunération déterminée par la convention collective applicable.

15 Le 26 décembre 2017, l’entreprise en cause a fermé l’établissement dans lequel JL travaillait. Elle a aussi quitté ses locaux ainsi que son siège connu.

16 JL a introduit, devant la juridiction de renvoi, le Juzgado de lo Social no 41 de Madrid (tribunal du travail no 41 de Madrid, Espagne), un recours tendant à la contestation de son licenciement. Par un jugement du 11 juin 2018, cette juridiction a accueilli ce recours, en déclarant que le licenciement de JL était abusif et que le contrat de travail de ce dernier était éteint. Cette déclaration était assortie d’un droit à la perception d’une indemnité de 433,13 euros ainsi que des salaires à
compter de la date du licenciement jusqu’à celle de ce jugement, pour un montant de 6170,75 euros.

17 L’entreprise en cause ayant été déclarée insolvable le 20 décembre 2018, il incombait au Fogasa de répondre solidairement des dettes de celle-ci relatives à cette indemnité et à ces salaires, dans les limites fixées à l’article 33 du statut des travailleurs.

18 JL a saisi la juridiction de renvoi d’une action en paiement contre le Fogasa, afin de contester le montant que celui-ci avait décidé de lui verser.

19 Selon la juridiction de renvoi, les juridictions espagnoles interprètent l’article 33, paragraphe 1, du statut des travailleurs en ce sens que, en ce qui concerne le versement à un travailleur à temps partiel des salaires et des indemnités qui sont à la charge du Fogasa en cas d’insolvabilité d’une entreprise, le plafond légal prévu à cette disposition, qui correspond au double du salaire minimal interprofessionnel (ci-après le « SMI ») journalier, doit être réduit proportionnellement au temps de
travail accompli par ce travailleur par rapport au temps de travail ordinaire d’un travailleur à temps plein exerçant la même activité.

20 La juridiction de renvoi considère que, pour un travailleur à temps partiel, cette disposition ainsi interprétée conduit à une double réduction. D’une part, la base des salaires de ce travailleur serait déjà réduite en raison du caractère partiel de son activité. D’autre part, l’application du mécanisme de responsabilité du Fogasa donnerait lieu à une nouvelle réduction dans le cadre du calcul du montant mis à la charge de ce dernier.

21 Selon la juridiction de renvoi, cette double réduction constitue un désavantage particulier pour les travailleurs à temps partiel. Dans la mesure où, en Espagne, ainsi qu’il ressortirait des statistiques mentionnées dans l’arrêt du 8 mai 2019, Villar Láiz (C‑161/18, EU:C:2019:382), une proportion significativement plus importante de femmes que d’hommes sont des travailleurs à temps partiel, cette juridiction se demande si l’application de l’article 33 du statut des travailleurs entraîne une
discrimination indirecte fondée sur le sexe, contraire aux directives 79/7 et 2006/54.

22 Dans ces conditions, le Juzgado de lo Social no 41 de Madrid (tribunal du travail no 41 de Madrid) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 et l’article 2, paragraphe 1, de la directive [2006/54] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’[un] État membre [...], telle que celle en cause au principal, qui prévoit, concernant le montant à hauteur duquel le Fogasa est responsable à l’égard du travailleur à temps partiel, que la base des salaires de ce travailleur, qui est réduite en raison du caractère partiel de l’activité, fasse l’objet d’une
nouvelle réduction dans le cadre du calcul du montant à la charge du Fogasa en vertu de l’article 33 du statut des travailleurs, en tenant compte une nouvelle fois du caractère partiel de l’activité, par rapport à un travailleur à temps plein comparable, dans la mesure où ladite réglementation désavantage particulièrement les travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

23 Le gouvernement espagnol estime que la question posée présente un caractère hypothétique, de telle sorte qu’elle est irrecevable. D’une part, la juridiction de renvoi n’aurait pas établi la pertinence, pour la résolution du litige au principal, d’une éventuelle discrimination indirecte à l’égard des travailleurs féminins, que la réglementation nationale en question comporterait, étant donné que le requérant au principal est un travailleur masculin. D’autre part, les statistiques mentionnées dans
l’arrêt du 8 mai 2019, Villar Láiz (C‑161/18, EU:C:2019:382), invoquées par la juridiction de renvoi, ne seraient pas pertinentes aux fins dudit litige, qui différerait à plusieurs titres de celui ayant donné lieu à cet arrêt.

24 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée
du droit de l’Union ou l’examen de la validité de celui-ci n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ainsi que pour comprendre les raisons pour lesquelles la juridiction nationale considère qu’elle a besoin des réponses à ces questions aux fins de trancher le litige pendant
devant elle (arrêt du 2 février 2021, Consob, C‑481/19, EU:C:2021:84, point 29 et jurisprudence citée).

25 En l’occurrence, d’une part, il ressort clairement des motifs de la décision de renvoi que JL estime être désavantagé, en tant que travailleur à temps partiel, par l’article 33 du statut des travailleurs, tel qu’interprété par les juridictions nationales. De ce fait, il doit être considéré que l’issue du litige au principal serait affectée par une éventuelle décision de ces dernières de ne pas appliquer cette disposition, dans l’hypothèse où elle comporterait une discrimination indirecte fondée
sur le sexe, laquelle fait l’objet de la question préjudicielle.

26 D’autre part, le point de savoir quelles sont les statistiques pertinentes aux fins de l’examen de l’existence d’une telle discrimination indirecte est sans incidence sur la recevabilité de la question posée, mais relève du fond de l’affaire au principal.

27 Il s’ensuit que la question préjudicielle est recevable.

Sur le fond

28 En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une réponse à la question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

29 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

30 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la Cour a itérativement jugé que, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation de certains aspects du droit de l’Union, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions
(arrêt du 9 juillet 2020, Santen, C‑673/18, EU:C:2020:531, point 35 et jurisprudence citée).

31 En l’occurrence, si la question posée fait mention de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, il importe de constater que la prestation en cause au principal, qui consiste dans le paiement au travailleur concerné, par le Fogasa, de créances résultant de salaires non payés par l’employeur en raison de son insolvabilité, n’a pas trait aux régimes légaux de protection contre les risques énumérés à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, à savoir la maladie, l’invalidité, la
vieillesse, l’accident du travail, la maladie professionnelle et le chômage. Par conséquent, la directive 79/7 n’est pas applicable à une situation telle que celle en cause au principal.

32 En revanche, la directive 2006/54, également mentionnée dans ladite question, est applicable à une telle situation. En effet, les salaires dont le Fogasa assure le paiement relèvent de la notion de « rémunération », au sens de l’article 1er, deuxième alinéa, sous b), et de l’article 2, paragraphe 1, sous e), de cette directive. De même, l’indemnité de licenciement accordée à JL, dont le Fogasa est aussi chargé du paiement, doit être considérée comme relevant de cette notion, dans la mesure où il
découle de l’article 33, paragraphe 2, du statut des travailleurs que le montant d’une telle indemnité est déterminé sur la base du travail accompli pour le compte de l’ancien employeur (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C‑486/18, EU:C:2019:379, point 71 et jurisprudence citée).

33 Cela étant, si l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/54, qui est mentionné dans la question posée, définit notamment, aux fins de cette directive, les notions de « discrimination indirecte » et de « rémunération », c’est l’article 4 de celle-ci qui, pour un même travail ou un travail auquel est attribuée une valeur égale, prévoit l’élimination de la discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe dans l’ensemble des éléments et des conditions de rémunération.

34 Dès lors, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, en ce qui concerne le paiement, par l’institution nationale responsable, des salaires et des indemnités non payés aux travailleurs en raison de l’insolvabilité de leur employeur, prévoit un plafond à ce paiement en ce qui concerne les
travailleurs à temps plein, lequel, s’agissant des travailleurs à temps partiel, est réduit proportionnellement au temps de travail accompli par ces derniers par rapport à celui qui est accompli par les travailleurs à temps plein, lorsque cette réduction affecte particulièrement les travailleurs féminins.

35 Il convient de relever que la réglementation nationale en cause au principal entre dans le champ d’application de la directive 2008/94. En effet, aux termes de son article 1er, cette directive s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité. En outre, il découle d’une lecture combinée du considérant 3 et de l’article 3 de ladite directive que les États membres
sont tenus de mettre en place une institution de garantie qui assure le paiement de telles créances impayées, y compris, lorsque le droit national le prévoit, les dédommagements pour cessation de la relation de travail. En l’occurrence, le Royaume d’Espagne a mis en place le Fogasa en tant qu’institution de garantie, conformément à la même directive.

36 En vertu du considérant 7 et de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2008/94, les États membres peuvent assigner des plafonds aux paiements effectués par l’institution de garantie, pour autant qu’ils ne sont pas inférieurs à un seuil socialement compatible avec l’objectif de cette directive. Il apparaît, dès lors, sous réserve du respect de cette condition, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que des plafonds fixés au paiement des créances des
travailleurs, tels que ceux prévus à l’article 33 du statut des travailleurs, sont conformes à cette directive.

37 Il n’en demeure pas moins que, ainsi qu’il découle des points 32 et 33 de la présente ordonnance, il y a lieu d’examiner si, dans l’affaire au principal, l’application de tels plafonds, en particulier en ce qui concerne les travailleurs à temps partiel, est conforme à la directive 2006/54 (voir, par analogie, arrêt du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 21 et jurisprudence citée).

38 À cet égard, il convient de relever que l’appréciation portée par la juridiction de renvoi sur l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe repose sur la double prémisse selon laquelle l’article 33 du statut des travailleurs, tel qu’interprété par les juridictions nationales, désavantage le groupe des travailleurs à temps partiel, lequel est majoritairement constitué de travailleurs féminins.

39 Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, un travailleur à temps partiel tel que JL fait l’objet d’une réduction du plafond fixé au paiement des salaires impayés, prévu à l’article 33, paragraphe 1, du statut des travailleurs. Alors que ce plafond s’élève, pour les travailleurs à temps plein, au double du SMI journalier, il est réduit, s’agissant des travailleurs à temps partiel, proportionnellement au temps de travail de ces derniers par rapport au temps de travail des travailleurs à temps
plein exerçant la même activité.

40 Or, il y a lieu de relever que, nonobstant les indications en ce sens figurant dans les motifs de la décision de renvoi, il n’apparaît pas qu’un travailleur à temps partiel subisse, en vertu de ladite réglementation, une « double » réduction, consistant, en sus du salaire réduit du fait du caractère partiel de son activité, en une « nouvelle » réduction concernant le plafond fixé au paiement assuré par le Fogasa. En effet, conformément à l’article 33, paragraphe 1, du statut des travailleurs,
cette dernière réduction s’opère non pas sur la base du salaire réduit du travailleur à temps partiel, mais sur le montant du SMI journalier, multiplié par deux. Dès lors, elle ne donne pas lieu à une réduction supplémentaire, mais est déterminée de la même manière que le salaire du travailleur à temps partiel, à savoir par la prise en considération du temps de travail de ce dernier.

41 Afin de déterminer si cette réduction du plafond fixé au paiement en ce qui concerne les travailleurs à temps partiel doit être considérée comme désavantageant ces derniers par rapport aux travailleurs à temps plein, et, à ce titre, eu égard aux considérations figurant dans la décision de renvoi mentionnées au point 38 de la présente ordonnance, comme étant éventuellement contraire à la directive 2006/54, il y a lieu de rappeler que le point 1 de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à
temps partiel prévoit que, pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à temps partiel ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.

42 Toutefois, cette exigence d’équivalence entre travailleurs à temps plein et travailleurs à temps partiel en ce qui concerne les conditions de travail est posée sans préjudice de l’application appropriée, conformément au point 2 de ladite clause 4, du principe du pro rata temporis (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 64).

43 En effet, la prise en compte de la quantité de travail effectivement accomplie par un travailleur à temps partiel, comparée à celle d’un travailleur à temps plein, constitue un critère objectif, au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, justifiant une réduction proportionnée des droits et des conditions de travail d’un travailleur à temps partiel (voir, en ce sens, arrêts du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 65, ainsi que
du 5 novembre 2014, Österreichischer Gewerkschaftsbund, C‑476/12, EU:C:2014:2332, point 20).

44 À cet égard, la Cour a déjà appliqué le principe du pro rata temporis à des prestations liées à une relation de travail à temps partiel. Aussi a-t-elle jugé que le droit de l’Union ne s’oppose au calcul, selon ce principe, ni d’une pension de retraite (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker, C‑4/02 et C‑5/02, EU:C:2003:583, points 90 et 91), ni du congé annuel payé (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2010, Zentralbetriebsrat der Landeskrankenhäuser Tirols, C‑486/08,
EU:C:2010:215, point 33), ni encore d’une allocation pour enfant à charge servie par l’employeur (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Österreichischer Gewerkschaftsbund, C‑476/12, EU:C:2014:2332, point 25).

45 Dans ces conditions, il convient de considérer que l’application, en ce qui concerne les travailleurs à temps partiel, d’un ajustement au plafond de paiement assuré par le Fogasa, prévu à l’article 33, paragraphe 1, du statut des travailleurs, qui correspond au pourcentage du temps de travail accompli par les travailleurs à temps partiel par rapport au temps de travail accompli par les travailleurs à temps plein exerçant la même activité constitue une application appropriée du principe du pro
rata temporis, au sens de la clause 4, point 2, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel.

46 En effet, ainsi que le gouvernement espagnol et la Commission européenne l’ont relevé dans leurs observations écrites, ledit ajustement est de nature à garantir le même montant maximal de paiement, par le Fogasa, des créances impayées des travailleurs par heure travaillée et, de ce fait, à favoriser l’égalité de traitement (voir, par analogie, ordonnance du 17 novembre 2015, Plaza Bravo, C‑137/15, EU:C:2015:771, point 28).

47 Cette conclusion est corroborée par le fait que, en vertu de l’article 33, paragraphe 5, du statut des travailleurs, le Fogasa est financé par des cotisations versées par les employeurs, dont le taux est appliqué sur les salaires servant de base au calcul de la cotisation destinée à financer les risques couverts par le système de sécurité sociale national.

48 Eu égard à ces considérations, la réglementation en cause au principal ne saurait être considérée comme désavantageant une catégorie déterminée de travailleurs, en l’occurrence ceux travaillant à temps partiel et, à plus forte raison, les travailleurs féminins. Par conséquent, elle ne saurait être qualifiée de « mesure indirectement discriminatoire », au sens de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 4 de la directive 2006/54.

49 Dès lors, il convient de répondre à la question posée que l’article 2, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, en ce qui concerne le paiement, par l’institution nationale responsable, des salaires et des indemnités impayés aux travailleurs en raison de l’insolvabilité de leur employeur, prévoit un plafond à ce paiement en ce qui concerne les travailleurs à temps plein, lequel, s’agissant
des travailleurs à temps partiel, est réduit proportionnellement au temps de travail accompli par ces derniers par rapport au temps de travail accompli par les travailleurs à temps plein.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle–ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  L’article 2, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, en ce qui concerne le paiement, par l’institution nationale responsable, des salaires et des indemnités impayés aux
travailleurs en raison de l’insolvabilité de leur employeur, prévoit un plafond à ce paiement en ce qui concerne les travailleurs à temps plein, lequel, s’agissant des travailleurs à temps partiel, est réduit proportionnellement au temps de travail accompli par ces derniers par rapport au temps de travail accompli par les travailleurs à temps plein.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-841/19
Date de la décision : 03/03/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado de lo Social n° 41 de Madrid.

Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Directive 2006/54/CE – Article 2, paragraphe 1, et article 4 – Égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins – Accord-cadre sur le travail à temps partiel – Clause 4 – Travailleurs à temps partiel, essentiellement de sexe féminin – Institution nationale garantissant aux travailleurs concernés le paiement des créances non payées par leurs employeurs insolvables – Plafond au paiement de ces créances – Montant du plafond réduit pour les travailleurs à temps partiel en fonction du rapport entre le temps de travail de ces derniers et le temps de travail des travailleurs à temps plein – Principe du pro rata temporis.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : JL
Défendeurs : Fondo de Garantía Salarial (Fogasa).

Composition du Tribunal
Avocat général : Bobek
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:159

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