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25/02/2021 | CJUE | N°C-804/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, BU contre Markt24 GmbH., 25/02/2021, C-804/19


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

25 février 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence en matière de contrats individuels de travail – Dispositions de la section 5 du chapitre II – Applicabilité – Contrat conclu dans un État membre pour un emploi auprès d’une société établie dans un autre État membre – Absence de prestation de travail pendant toute la durée du contrat – Exclusion de l’

application de règles nationales de
compétence – Article 21, paragraphe 1, sous b), i) – Notion de “lieu où ou ...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

25 février 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence en matière de contrats individuels de travail – Dispositions de la section 5 du chapitre II – Applicabilité – Contrat conclu dans un État membre pour un emploi auprès d’une société établie dans un autre État membre – Absence de prestation de travail pendant toute la durée du contrat – Exclusion de l’application de règles nationales de
compétence – Article 21, paragraphe 1, sous b), i) – Notion de “lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail” – Contrat de travail – Lieu d’exécution du contrat – Obligations du travailleur à l’égard de son employeur »

Dans l’affaire C‑804/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg, Autriche), par décision du 23 octobre 2019, parvenue à la Cour le 31 octobre 2019, dans la procédure

BU

contre

Markt24 GmbH,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader, MM. M. Safjan (rapporteur) et N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Markt24 GmbH, par Me G. Herzog, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme I. Gavrilová, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Heller, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, point 1, et de l’article 21 du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BU, une personne physique ayant son domicile en Autriche, à Markt24 GmbH, société de droit allemand dont le siège social se trouve à Unterschleißheim dans le Landkreis München (collectivité territoriale de Munich, Allemagne), au sujet du paiement par cette dernière d’arriérés de salaire, de gratifications dues prorata temporis ainsi que d’une indemnité compensatrice de congés payés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes des considérants 14 et 18 du règlement no 1215/2012 :

« (14) [...]

[...] pour assurer la protection [...] des travailleurs, pour préserver la compétence des juridictions des États membres dans les cas où elles ont une compétence exclusive et pour respecter l’autonomie des parties, certaines règles de compétence inscrites dans le présent règlement devraient s’appliquer sans considération de domicile du défendeur.

[...]

(18) S’agissant des contrats [...] de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. »

4 Le chapitre II de ce règlement est relatif à la compétence judiciaire. La section 1 dudit chapitre, intitulée « Dispositions générales », comprend les articles 4 à 6.

5 L’article 4 dudit règlement dispose, à son paragraphe 1 :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

6 L’article 5 du même règlement prévoit :

« 1.   Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.

2.   Ne peuvent être invoquées contre les personnes visées au paragraphe 1 notamment les règles de compétence nationales que les États membres doivent notifier à la Commission en vertu de l’article 76, paragraphe 1, point a). »

7 La section 2 du chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulée « Compétences spéciales », comprend les articles 7 à 9 de ce dernier.

8 L’article 7 dudit règlement énonce :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

[...]

– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;

[...]

5) s’il s’agit d’une contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, devant la juridiction du lieu de leur situation ;

[...] »

9 La section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulée « Compétence en matière de contrats individuels de travail », comprend les articles 20 à 23 de ce dernier.

10 L’article 20, paragraphe 1, dudit règlement est ainsi libellé :

« En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6, de l’article 7, point 5), et, dans le cas d’une action intentée à l’encontre d’un employeur, de l’article 8, point 1). »

11 L’article 21, paragraphe 1, du même règlement dispose :

« Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ; ou

b) dans un autre État membre :

i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou

ii) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur. »

Le droit autrichien

12 L’article 4 du Bundesgesetz über die Arbeits- und Sozialgerichtsbarkeit (Arbeits- und Sozialgerichtsgesetz) (loi fédérale sur les juridictions compétentes en matière sociale), du 7 mars 1985 (ci‑après l’« ASGG »), prévoit, à son paragraphe 1 :

« Est territorialement compétent pour connaître des litiges visés à l’article 50, paragraphe 1, au choix du demandeur :

1) dans les cas visés aux points 1 à 3, également le tribunal dans le ressort duquel

a) le travailleur a son domicile ou sa résidence habituelle pendant la durée du rapport de travail ou avait celui‑ci ou celle‑ci lors de la cessation du rapport de travail,

[...]

d) la rémunération est due ou, en cas de cessation du rapport de travail, était due en dernier lieu [...]

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 BU, domiciliée en Autriche, a été contactée à Salzbourg (Autriche) par un employé de Markt24, une société ayant son siège social à Unterschleißheim dans la collectivité territoriale de Munich, et a signé avec celle-ci, par l’intermédiaire de cet employé, un contrat de travail en qualité d’agent d’entretien chargé des tâches de nettoyage, pour la période allant du 6 septembre au 15 décembre 2017 (ci-après le « contrat en cause »).

14 Markt24 disposait, au début du rapport de travail établi par le contrat en cause, d’un bureau à Salzbourg. Toutefois, ce contrat a été signé non pas dans ledit bureau, mais dans une boulangerie sise à Salzbourg. La date d’entrée en fonction convenue était le 6 septembre 2017 et le travail était censé être effectué à Munich. Cependant, Markt24 n’a finalement confié aucun travail à BU.

15 Alors que celle‑ci est restée joignable par téléphone et s’est tenue prête à travailler, elle n’a, en fait, effectué aucune prestation de travail pour Markt24. BU ne disposait pas du numéro de téléphone de l’employé de Markt24 avec lequel elle avait été en contact pour la conclusion du contrat en cause, celui-ci mentionnant le numéro de téléphone autrichien de Markt24 et une adresse allemande de cette société. BU a été enregistrée jusqu’au 15 décembre 2017 auprès de l’organisme de sécurité
sociale autrichien en tant que salariée. Markt24 a, par la suite, procédé au licenciement de BU.

16 Le 27 avril 2018, BU a assigné Markt24 devant le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg, Autriche), la juridiction de renvoi, aux fins du paiement de la somme totale de 2962,80 euros bruts au titre d’arriérés de salaire, de gratifications dues prorata temporis ainsi que d’une indemnité compensatrice de congés payés pour la période allant du 6 septembre au 15 décembre 2017. BU a produit trois bulletins de salaire pour les mois de septembre à novembre 2017, sur lesquels Markt24 a
été identifiée comme étant l’employeur.

17 L’assignation de BU n’ayant pu être signifiée à Markt24, malgré plusieurs tentatives à diverses adresses par la poste et par l’intermédiaire de l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich, Allemagne), et les représentants de cette société n’ayant pas de résidence connue, un mandataire a été désigné, par une ordonnance du 26 décembre 2018, pour représenter cette société dans le cadre de la procédure, conformément aux dispositions autrichiennes. Par acte du 7 janvier 2019, le mandataire
ainsi désigné a contesté à la fois la compétence des juridictions autrichiennes en général et celle de la juridiction de renvoi en particulier.

18 Dans ce contexte, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si l’article 21 du règlement no 1215/2012 est applicable à un rapport de travail dans le cadre duquel un travailleur, bien qu’ayant conclu un contrat de travail en Autriche, n’a effectué aucun travail tout en s’étant pourtant tenu prêt à travailler.

19 Pour la juridiction de renvoi, la durée et la stabilité du rapport de travail, au cours de la période allant du 6 septembre au 15 décembre 2017, sont avérées. Cette juridiction ajoute que tant la phase précontractuelle précédant la conclusion du contrat en cause que cette conclusion même ont eu lieu en Autriche, BU ayant été en outre enregistrée auprès de l’organisme de sécurité sociale autrichien.

20 La juridiction de renvoi fait, en outre, valoir que les travailleurs, comme les consommateurs, constituent une catégorie de personnes qui doit être protégée et que les dispositions du droit de l’Union auxquelles ils sont soumis ne devraient pas leur être moins favorables que les règles du droit national. Il conviendrait, en particulier, selon elle, de prendre en considération la situation financière du travailleur, laquelle, en cas de faible rémunération, rend plus difficile la saisine des
juridictions d’un autre État membre.

21 Dans ces conditions, le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 21 du règlement no 1215/2012 s’applique-t-il à un rapport de travail dans le cadre duquel le travailleur, bien qu’ayant conclu un contrat de travail en Autriche en vue de travailler en Allemagne, n’a cependant effectué aucun travail, alors qu’il s’est tenu prêt à travailler pendant plusieurs mois en Autriche ?

En cas de réponse affirmative à la première question :

2) L’article 21 du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que peut trouver à s’appliquer une disposition de droit national permettant au travailleur de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où il réside pendant la durée du rapport de travail ou résidait lors de la cessation de celui-ci, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de [l’ASGG] ?

3) L’article 21 du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que peut trouver à s’appliquer une disposition de droit national permettant au travailleur de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où la rémunération est due ou était due lors de la cessation du rapport de travail, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous d), de l’ASGG ?

En cas de réponse négative aux deuxième et troisième questions :

4) L’article 21 du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que, dans le cas d’un rapport de travail dans le cadre duquel le travailleur n’a effectué aucun travail, l’action doit être introduite devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur s’est tenu prêt à travailler ?

L’article 21 du règlement no 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que, dans le cas d’un rapport de travail dans le cadre de laquelle le travailleur n’a effectué aucun travail, l’action doit être introduite devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel s’est déroulée la phase précontractuelle et a été conclu le contrat de travail, même si ce dernier prévoit ou envisage que le travailleur travaille dans un autre État membre ?

En cas de réponse négative à la première question :

5) L’article 7, point 1, du règlement no 1215/2012 s’applique-t-il à un rapport de travail dans le cadre duquel le travailleur, bien qu’ayant conclu un contrat de travail en Autriche en vue d’accomplir un travail en Allemagne, n’a cependant effectué aucun travail, alors qu’il s’est tenu prêt à travailler pendant plusieurs mois en Autriche, lorsque peut trouver à s’appliquer une disposition de droit national lui permettant de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où il réside pendant
la durée du rapport de travail ou résidait lors de la cessation de celle-ci, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’ASGG, ou une disposition de droit national lui permettant de saisir (plus facilement) les juridictions du lieu où la rémunération est due ou était due lors de la cessation du rapport de travail, telle que l’article 4, paragraphe 1, sous d), de l’ASGG) ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulée « Compétence en matière de contrats individuels de travail », doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent à un recours juridictionnel d’un employé ayant son domicile dans un État membre contre l’employeur ayant son domicile dans un autre État membre dans le cas où le contrat de travail a été négocié et conclu dans
l’État membre du domicile de l’employé et prévoyait que le lieu d’exécution du travail se situait dans l’État membre de l’employeur, alors même que ce travail n’a pas été accompli pour une raison imputable à cet employeur.

23 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 20 du règlement no 1215/2012, en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la section 5 du chapitre II de ce règlement, intitulée « Compétence en matière de contrats individuels de travail », qui comprend les articles 20 à 23 de ce dernier, sans préjudice de l’article 6, de l’article 7, point 5, du règlement no 1215/2012 et, dans le cas d’une action intentée à l’encontre d’un employeur, de
l’article 8, point 1, de ce règlement.

24 La notion de « contrat individuel de travail », visée à l’article 20 du règlement no 1215/2012, doit recevoir une interprétation autonome afin de garantir l’application uniforme des règles de compétence établies par ce règlement dans tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a., C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, points 47 et 48 ainsi que jurisprudence citée).

25 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, cette notion suppose un lien de subordination du travailleur à l’égard de l’employeur, la caractéristique essentielle du rapport de travail étant la circonstance qu’une personne est obligée d’accomplir, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle‑ci, des prestations en contrepartie desquelles elle a le droit de percevoir une rémunération (voir, par analogie, arrêts du 10 septembre 2015, Holterman Ferho
Exploitatie e.a., C‑47/14, EU:C:2015:574, points 40 et 41, ainsi que du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley, C‑603/17, EU:C:2019:310, points 25 et 26).

26 Dans un tel cas, il convient de considérer que les parties sont liées par un « contrat de travail », au sens de l’article 20 du règlement no 1215/2012, indépendamment du point de savoir si le travail qui fait l’objet de ce contrat a été ou non exécuté.

27 Partant, dans la mesure où il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, le contrat en cause a établi un lien de subordination entre un employeur et un travailleur et a fait naître les droits et les obligations de chacune des parties dans le cadre d’un rapport de travail, un litige portant sur ce contrat relève des dispositions de la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012, nonobstant la circonstance que ce contrat n’a pas été exécuté.

28 Par conséquent, il convient de répondre à la première question que les dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulée « Compétence en matière de contrats individuels de travail », doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent à un recours juridictionnel d’un employé ayant son domicile dans un État membre contre l’employeur ayant son domicile dans un autre État membre dans le cas où le contrat de travail a été négocié et conclu dans l’État
membre du domicile de l’employé et prévoyait que le lieu d’exécution du travail se situait dans l’État membre de l’employeur, alors même que ce travail n’a pas été accompli pour une raison imputable à cet employeur.

Sur les deuxième et troisième questions

29 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’application des règles nationales de compétence à l’égard d’un recours tel que celui visé au point 28 du présent arrêt, dans l’hypothèse où ces règles s’avéreraient plus avantageuses pour le travailleur.

30 Il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, tant la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, que le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en
matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), et le règlement no 1215/2012, qui ont succédé à ladite convention ont pour objectif la création de règles uniformes de compétence judiciaire internationale (arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa, C‑269/95, EU:C:1997:337, point 25 ; du 17 novembre 2011, Hypoteční banka, C‑327/10, EU:C:2011:745, points 33 et 45, ainsi que du 7 juillet 2016, Hőszig, C‑222/15, EU:C:2016:525, point 31).

31 Conformément, d’une part, à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, « les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». D’autre part, aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, « [l]es personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7
du [chapitre II dudit règlement] ».

32 Il s’ensuit que, ainsi que l’a fait valoir M. l’avocat général aux points 41 et 42 de ses conclusions, dès lors qu’un litige présentant un élément d’extranéité entre dans le champ d’application matériel du règlement et que le défendeur a son domicile sur le territoire d’un État membre, les règles uniformes de compétence prévues par le règlement no 1215/2012 doivent prévaloir sur les règles nationales de compétence (voir, en ce sens, arrêts du 17 novembre 2011, Hypoteční banka, C‑327/10,
EU:C:2011:745, points 33 et 45, ainsi que du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 22).

33 Cette exclusion de principe des règles de compétence nationales vaut également s’agissant des dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012 dont la Cour a précisé que celles‑ci présentent un caractère non seulement spécial, mais encore exhaustif (voir, par analogie, arrêt du 21 juin 2018, Petronas Lubricants Italy, C‑1/17, EU:C:2018:478, point 25 et jurisprudence citée).

34 Partant, il ne saurait être fait application, dans le cadre d’une action en justice relevant du champ d’application des dispositions figurant à la section 5 du chapitre II de ce règlement, de règles nationales de détermination de la compétence en matière de contrats individuels de travail qui diffèrent de celles prévues à ces dispositions, indépendamment du point de savoir si lesdites règles nationales sont plus avantageuses pour le travailleur.

35 Il convient donc de répondre aux deuxième et troisième questions que les dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’application des règles nationales de compétence à l’égard d’un recours tel que celui visé au point 28 du présent arrêt, indépendamment du point de savoir si ces règles s’avèrent être plus avantageuses pour le travailleur.

Sur la quatrième question

36 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 21 du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à un recours tel que celui visé au point 28 du présent arrêt. Le cas échéant, la juridiction de renvoi demande également de préciser le for compétent en vertu de cet article.

37 À cet égard, il importe de rappeler qu’un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait soit, aux termes de l’article 21, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile, soit, aux termes de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i) et ii), dudit règlement, devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli
habituellement son travail, ou, lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur.

38 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les juridictions saisies par l’employé ne sont pas celles de l’État membre où l’employeur a son domicile, comme le permet l’article 21, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1215/2012. Il ne ressort pas non plus des circonstances de l’affaire au principal que le recours de l’employé relèverait de l’article 21, paragraphe 1, sous b), ii), de ce règlement.

39 Il importe, dès lors, de déterminer si, alors même qu’aucun travail n’a été effectué, un recours tel que celui au principal relève de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), dudit règlement, qui prévoit qu’un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait dans un autre État membre, devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail.

40 À cet égard, la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail », consacrée à l’article 19, point 2, sous a), du règlement no 44/2001, qui correspond à l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012, doit être interprétée comme visant le lieu où, ou à partir duquel, le travailleur s’acquitte de fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a., C‑168/16 et C‑169/16,
EU:C:2017:688, point 59).

41 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 61 et 63 de ses conclusions, lorsque le contrat de travail n’a pas été exécuté, l’intention exprimée par les parties au contrat en ce qui concerne le lieu de cette exécution est, en principe, le seul élément permettant d’établir un lieu de travail habituel aux fins de l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012. En effet, cette interprétation permet d’assurer au mieux un haut degré de prévisibilité des règles de
compétence, le lieu de travail envisagé par les parties dans le contrat de travail étant, en principe, facile à identifier.

42 Partant, l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’un recours portant sur un rapport de travail, tel que celui visé au point 28 du présent arrêt, peut être porté devant une juridiction de l’État membre où le travailleur devait, conformément au contrat de travail, s’acquitter de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.

43 Or, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi dans la présente affaire, le lieu où le travailleur devait, conformément au contrat en cause, s’acquitter de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur était situé à Munich.

44 Il convient d’ajouter que, aux termes de l’article 20, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, la compétence est déterminée à la section 5 du chapitre II de ce règlement « sans préjudice de l’article 6, de l’article 7, point 5, et, dans le cas d’une action intentée à l’encontre d’un employeur, de l’article 8, point 1, » dudit règlement.

45 Conformément audit article 7, point 5, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre « s’il s’agit d’une contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, devant la juridiction du lieu de leur situation ».

46 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si ladite disposition peut également trouver à s’appliquer dans la présente affaire dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, d’une part, Markt24 disposait, au début du rapport de travail établi par le contrat en cause, d’un bureau à Salzbourg et, d’autre part, le travailleur devait, conformément au contrat en cause, s’acquitter de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur à Munich.

47 Il importe de rappeler que les notions de « succursale », d’« agence » et de « tout autre établissement », visées à l’article 7, point 5, du règlement no 1215/2012, doivent être interprétées de manière autonome comme supposant l’existence d’un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. Ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés
de s’adresser directement à la maison mère (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2019, Ryanair, C‑464/18, EU:C:2019:311, point 33 et jurisprudence citée).

48 Il importe d’ajouter que cette disposition ne s’applique que si le litige concerne soit des actes relatifs à l’exploitation de ces entités, soit des engagements pris par celles-ci au nom de la maison mère, lorsque ces derniers doivent être exécutés dans l’État où elles sont situées (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2019, Ryanair, C-464/18, EU :C :2019 :311, point 33 et jurisprudence citée).

49 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’un recours tel que celui visé au point 28 du présent arrêt peut être porté devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur devait, conformément au contrat de travail, s’acquitter de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur, sans préjudice de
l’article 7, point 5, de ce règlement.

Sur la cinquième question

50 La cinquième question n’étant posée que dans l’hypothèse d’une réponse négative à la première question, il n’y a pas lieu d’y répondre compte tenu de la réponse affirmative apportée à cette première question.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  1) Les dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, intitulée « Compétence en matière de contrats individuels de travail », doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent à un recours juridictionnel d’un employé ayant son domicile dans un État membre contre l’employeur ayant
son domicile dans un autre État membre dans le cas où le contrat de travail a été négocié et conclu dans l’État membre du domicile de l’employé et prévoyait que le lieu d’exécution du travail se situait dans l’État membre de l’employeur, alors même que ce travail n’a pas été accompli pour une raison imputable à cet employeur.

  2) Les dispositions figurant à la section 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’application des règles nationales de compétence à un recours tel que celui visé au point 1 du dispositif du présent arrêt, indépendamment du point de savoir si ces règles s’avèrent être plus avantageuses pour le travailleur.

  3) L’article 21, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’un recours tel que celui visé au point 1 du dispositif du présent arrêt peut être porté devant la juridiction du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur devait, conformément au contrat de travail, s’acquitter de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur, sans préjudice de l’article 7, point 5, de ce règlement.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-804/19
Date de la décision : 25/02/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landesgericht Salzburg.

Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence en matière de contrats individuels de travail – Dispositions de la section 5 du chapitre II – Applicabilité – Contrat conclu dans un État membre pour un emploi auprès d’une société établie dans un autre État membre – Absence de prestation de travail pendant toute la durée du contrat – Exclusion de l’application de règles nationales de compétence – Article 21, paragraphe 1, sous b), i) – Notion de “lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail” – Contrat de travail – Lieu d’exécution du contrat – Obligations du travailleur à l’égard de son employeur.

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Parties
Demandeurs : BU
Défendeurs : Markt24 GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Saugmandsgaard Øe
Rapporteur ?: Safjan

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:134

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