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19/11/2020 | CJUE | N°C-93/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Service européen pour l'action extérieure (SEAE) contre Chantal Hebberecht., 19/11/2020, C-93/19


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 novembre 2020 ( *1 )

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Service européen pour l’action extérieure (SEAE) – Politique de rotation des fonctionnaires – Poste de chef de la délégation de l’Union européenne en Éthiopie – Décision refusant de prolonger l’affectation à ce poste – Intérêt du service – Principe d’égalité de traitement – Discrimination positive en faveur du sexe sous-représenté – Article 1er quinquies du statut des fonctionnaires de l’Union européen

ne »

Dans l’affaire C‑93/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 novembre 2020 ( *1 )

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Service européen pour l’action extérieure (SEAE) – Politique de rotation des fonctionnaires – Poste de chef de la délégation de l’Union européenne en Éthiopie – Décision refusant de prolonger l’affectation à ce poste – Intérêt du service – Principe d’égalité de traitement – Discrimination positive en faveur du sexe sous-représenté – Article 1er quinquies du statut des fonctionnaires de l’Union européenne »

Dans l’affaire C‑93/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 6 février 2019,

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et R. Spac, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Chantal Hebberecht, demeurant à Luxembourg (Luxembourg),

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), S. Rodin, D. Šváby et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 23 avril 2020,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, le SEAE demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, du 27 novembre 2018, Hebberecht/SEAE (T‑315/17, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:842), par lequel celui-ci a fait droit au recours de Mme Chantal Hebberecht visant, notamment, à l’annulation de la décision du SEAE, du 30 juin 2016, portant rejet de sa demande de prolonger son affectation au poste de chef de la délégation de l’Union européenne en Éthiopie (ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

2 Aux termes de l’article 5, paragraphe 3, de la décision 2010/427/UE du Conseil, du 26 juillet 2010, fixant l’organisation et le fonctionnement du service européen pour l’action extérieure (JO 2010, L 201, p. 30), « le chef de délégation reçoit ses instructions du haut représentant [de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] et du SEAE et est responsable de leur exécution. »

3 L’article 6, paragraphes 2 et 10, de cette décision dispose :

« 2.   Le SEAE est composé de fonctionnaires et d’autres agents de l’Union [...], y compris des membres du personnel des services diplomatiques des États membres nommés en tant qu’agents temporaires.

Le statut [des fonctionnaires de l’Union européenne] et le [régime applicable aux autres agents de l’Union européenne] s’appliquent au personnel du SEAE.

[...]

10.   Le haut représentant [de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] établit les règles relatives à la mobilité, de telle sorte que le personnel du SEAE est soumis à un degré de mobilité élevé. [...] En principe, l’ensemble du personnel du SEAE exerce périodiquement ses fonctions dans les délégations de l’Union. Le haut représentant [de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] établit des règles à cet effet. »

4 L’article 1er quinquies du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») dispose :

« 1.   Dans l’application du présent statut est interdite toute discrimination, telle qu’une discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

[...]

2.   Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, ce qui constitue un élément essentiel à prendre en considération dans la mise en œuvre de tous les aspects du présent statut, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas les institutions de l’Union [...] de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous–représenté ou à prévenir ou
compenser des désavantages dans la carrière professionnelle.

3.   Les autorités investies du pouvoir de nomination des institutions définissent, d’un commun accord, après avis du comité du statut, les mesures et les actions destinées à promouvoir l’égalité des chances entre hommes et femmes dans les domaines couverts par le présent statut, et prennent les dispositions appropriées, notamment en vue de remédier aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans les domaines couverts par le statut.

[...]

6.   Dans le respect du principe de non-discrimination et du principe de proportionnalité, toute limitation de ces principes doit être objectivement et raisonnablement justifiée et doit répondre à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel. [...] »

5 L’article 7, paragraphe 1, du statut prévoit :

« L’autorité investie du pouvoir de nomination affecte, par voie de nomination ou de mutation, dans le seul intérêt du service et sans considération de nationalité, chaque fonctionnaire à un emploi de son groupe de fonctions correspondant à son grade.

Le fonctionnaire peut demander à être muté à l’intérieur de son institution. »

6 L’article 95, paragraphe 1, du statut dispose :

« Les pouvoirs conférés par le présent statut à l’autorité investie du pouvoir de nomination sont exercés par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après dénommé « haut représentant ») à l’égard du personnel du SEAE. Le haut représentant peut déterminer les autorités qui exerceront ces pouvoirs au sein du SEAE. [...] »

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

7 Le 1er septembre 2013, Mme Hebberecht, fonctionnaire du SEAE, a été nommée cheffe de la délégation de l’Union en Éthiopie, pour une durée de quatre années.

8 Dans le cadre de l’exercice de rotation pour les années 2017 et 2018, les fonctionnaires en poste dans les délégations de l’Union ont été informés, par note du SEAE du 22 mars 2016, de la possibilité de présenter une demande de rotation anticipée ou de prolongation de leur affectation. Il était précisé dans cette note qu’une suite favorable à de telles demandes ne serait réservée qu’aux cas exceptionnels dûment motivés au regard de l’intérêt du service.

9 Le 15 avril 2016, Mme Hebberecht a demandé une prolongation de son affectation pour une cinquième année. Le 30 juin 2016, l’autorité investie du pouvoir de nomination du SEAE a, par la décision litigieuse, rejeté cette demande en indiquant, notamment, que, « dans l’intérêt d’assurer une rotation régulière des chefs de délégation, une politique claire de mobilité après un maximum de quatre ans dans le poste a généralement été mise en œuvre ».

10 Mme Hebberecht a introduit une réclamation, enregistrée le 30 septembre 2016, contre cette décision, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut, en arguant que celle-ci était contraire à l’intérêt et à la continuité du service, à la transparence, à l’égalité de traitement, ainsi qu’au respect des mesures de discrimination positive prises à l’égard des femmes.

11 Par décision du 1er février 2017, l’autorité investie du pouvoir de nomination du SEAE a rejeté cette réclamation en faisant valoir que l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux nécessités liées à l’intérêt du service et à la politique de mobilité du personnel. Elle a également mis en exergue l’absence d’obligation de tenir compte de la qualité de femme de Mme Hebberecht lors de l’examen de sa demande de prolongation de son affectation.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2017, Mme Hebberecht a introduit un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse et, d’autre part, à la réparation d’un préjudice moral prétendument subi.

13 À l’appui de ces conclusions en annulation, elle a soulevé trois moyens tirés de la violation, respectivement, de l’intérêt et de la continuité du service, de l’obligation de transparence et du principe de l’égalité de traitement.

14 Le Tribunal a rejeté les deux premiers moyens comme étant non fondés. Il a également rejeté les deux premières branches du troisième moyen, tirées, d’une part, de l’existence d’une discrimination à caractère racial et, d’autre part, de l’octroi d’une prolongation à d’autres chefs de délégation. Il a cependant accueilli la troisième branche du troisième moyen, relative aux mesures à prendre à l’égard des femmes.

15 À cet égard, le Tribunal a, tout d’abord, relevé, aux points 89 à 91 de l’arrêt attaqué, que, si l’article 1er quinquies, paragraphes 2 et 3, du statut témoigne de la volonté du législateur de l’Union de conférer à l’égalité entre hommes et femmes une place « essentielle » dans les décisions mettant en œuvre « tous » les aspects du statut, une telle volonté ne trouvait toutefois pas d’écho dans les positions adoptées par le SEAE, lequel a, au contraire, indiqué ne pas être tenu de compenser la
sous‑représentation des femmes dans certaines fonctions, faute de dispositions mettant en œuvre ces dispositions du statut.

16 Le Tribunal a ensuite rappelé, au point 93 de l’arrêt attaqué, que, à l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut, le législateur de l’Union ne se contente pas de prévoir l’adoption de mesures par les institutions de l’Union, mais déclare, sans autre condition, que l’égalité entre hommes et femmes constitue une dimension « essentielle » à prendre en compte dans « tous » les aspects mettant en œuvre le statut. Il en a déduit, au point 94 de cet arrêt, que, en écartant l’égalité entre hommes
et femmes des considérations sous-jacentes à l’adoption de la décision litigieuse, le SEAE a méconnu l’article 1er quinquies, paragraphes 2 et 3, du statut, avant de préciser, au point 95 dudit arrêt, qu’une telle erreur présentait un caractère évident.

17 Enfin, après avoir rappelé au point 96 de l’arrêt attaqué que, selon une jurisprudence constante, « l’annulation d’une décision administrative en raison d’une erreur n’est pas justifiée lorsque cette erreur n’a pas influencé de manière déterminante le contenu de cette décision », le Tribunal a constaté, au point 97 du même arrêt, que le dispositif de la décision litigieuse aurait pu être différent si l’égalité entre hommes et femmes n’avait pas été exclue d’emblée, par principe, de l’appréciation
effectuée par le SEAE.

18 En conséquence, le Tribunal a annulé la décision litigieuse. Il a également rejeté la demande indemnitaire comme étant irrecevable.

Les conclusions des parties devant la Cour

19 Par son pourvoi, le SEAE demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de rejeter le recours en première instance comme étant non fondé, et

– de condamner Mme Hebberecht aux dépens.

20 Mme Hebberecht n’a pas présenté de mémoire en réponse.

Sur le pourvoi

Argumentation du SEAE

21 À l’appui de son pourvoi, le SEAE invoque un moyen unique, tiré de l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal dès lors que ce dernier aurait, d’une part, interprété l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut en ce sens que cette disposition « contient un principe directement applicable aux décisions individuelles prises par l’institution en application du statut [et] confère un droit individuel au fonctionnaire concerné » et, d’autre part, méconnu, dans ce contexte, « la manière
dont le SEAE applique la politique d’égalité des genres dans le cadre de la politique de mobilité et de rotation entre le siège du SEAE et les délégations de l’Union [...] ».

22 S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation prétendument erronée du paragraphe l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut, le SEAE fait valoir que cette disposition énonce uniquement un objectif général, qui n’est pas d’application directe dans le cadre de décisions individuelles telles que la décision litigieuse. Ce paragraphe devrait être lu en combinaison avec le paragraphe 3 de cet article, qui impose aux institutions de l’Union de définir les mesures à mettre en place pour
atteindre cet objectif.

23 Le SEAE souligne, à cet égard, l’utilisation, dans le libellé de l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut, de l’expression « prendre en considération », qui laisserait une large marge d’appréciation à l’administration. Cette interprétation ne serait pas remise en cause par les expressions « tous les aspects du présent statut » ou « élément essentiel » mises en exergue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Selon le SEAE, « prendre en considération » l’égalité entre hommes et femmes n’est
pas synonyme de « mettre en œuvre l’égalité des chances ».

24 L’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut n’imposerait donc aucune obligation directe aux institutions de l’Union. Il leur permettrait uniquement d’adopter des mesures de discrimination positive par dérogation au principe d’égalité de traitement énoncé au paragraphe 1 de cet article. Dans ce cadre, le paragraphe 3 dudit article enjoindrait à ces institutions d’adopter une politique générale en matière d’égalité entre hommes et femmes avec l’objectif spécifique de remédier aux inégalités
affectant les femmes. Cette politique devrait, par la suite, être « prise en compte » dans des situations concrètes.

25 Il en résulterait que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 92 et 93 de l’arrêt attaqué, la première partie du paragraphe 2 de l’article 1er quinquies du statut est subordonnée à l’adoption de mesures d’exécution par les institutions de l’Union et ne peut donc être appliquée de manière directe et isolée, sous peine de mener à des décisions arbitraires ou contradictoires. Quant à la seconde partie de ce paragraphe, située après l’énoncé de l’objectif général à poursuivre, elle
permettrait aux institutions de l’Union d’adopter des mesures de discrimination positive en faveur du sexe sous-représenté ou de prévenir des désavantages.

26 Une telle interprétation de l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut serait confirmée par la genèse de cette disposition. L’intention du législateur de l’Union aurait été non pas d’y formuler des droits et des obligations applicables directement, mais d’inciter les institutions de l’Union à adopter une politique et des mesures d’exécution en matière d’égalité entre hommes et femmes.

27 S’agissant, en second lieu, de l’appréciation prétendument erronée, par le Tribunal, des politiques menées par le SEAE en matière de rotation de ses fonctionnaires, ce dernier soutient, en substance, que, à supposer même que le principe d’égalité entre hommes et femmes, garanti par l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut, soit directement applicable, il ne s’appliquerait pas à une décision de refus d’une prolongation du mandat d’un chef de délégation de l’Union, une telle décision ne
présupposant pas un choix entre plusieurs personnes.

28 Le SEAE reproche, tout d’abord, au Tribunal d’avoir déformé, au point 90 de l’arrêt attaqué, son argumentation. En effet, il n’aurait jamais affirmé de manière générale que les considérations relatives au genre sont extérieures à l’intérêt du service. Il aurait fait valoir qu’une décision relative aux demandes de prolongation des mandats des chefs de délégation de l’Union est par nature individuelle et neutre en ce qui concerne le genre de la personne, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une décision
concernant le pourvoi d’un poste vacant pour laquelle l’administration doit faire un choix entre plusieurs candidats. Il précise à cet égard qu’il applique une politique en matière d’égalité des chances dans le cadre des rotations entre le siège du SEAE et les délégations.

29 Le SEAE rappelle ensuite qu’il ressort de l’article 6, paragraphe 10, de la décision 2010/427 que l’ensemble du personnel du SEAE est soumis à un « degré de mobilité élevé », ce qui se traduit par une rotation régulière de ce personnel dans les délégations de l’Union. Ces éléments, qui définiraient l’intérêt du service, seraient reflétés dans la politique de rotation du SEAE.

30 Le SEAE indique tenir compte, en pratique, de la nécessité de promouvoir l’égalité des chances entre hommes et femmes dans le cadre de sa politique générale de rotation, à savoir lors de la sélection de candidats à des postes vacants dans les délégations de l’Union. Il serait ainsi nécessaire de distinguer entre, d’une part, une situation de concurrence entre différents candidats et, d’autre part, une demande individuelle de prolongation de l’affectation à un poste, telle que celle en cause en
l’espèce, qui serait exceptionnelle et devrait, « en premier lieu [être] traitée en fonction de l’intérêt du service et de l’objectif général d’assurer une rotation régulière entre le siège et les délégations et inversement ».

31 Même à supposer que l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut oblige à tenir compte du principe de l’égalité entre hommes et femmes lors de l’adoption d’une décision individuelle, telle que celle en cause en l’espèce, l’appréciation de l’opportunité de la prolongation de l’affectation à un poste devrait être effectuée avant tout au regard de l’intérêt du service.

32 Il en résulterait que la politique d’égalité des chances entre hommes et femmes doit s’appliquer au moment de la rotation annuelle du personnel entre le siège du SEAE et les délégations de l’Union ou entre les délégations de l’Union, lors de la publication des avis de vacance pour les postes concernés. En revanche, une telle politique pourrait « difficilement s’appliquer à des décisions de prolongation de mandat, par nature individuelles et [pour lesquelles] une situation de concurrence entre
plusieurs candidats n’existe pas ». En effet, le SEAE serait alors contraint de comparer des demandes de prolongation émanant de femmes et d’hommes et de favoriser celles émanant de femmes, indépendamment de la question de savoir si cela répond à l’intérêt du service qui est pourtant, comme indiqué au point 77 de l’arrêt attaqué, un élément déterminant dans la prise de décision.

33 Dans ce cadre, le SEAE conteste l’affirmation du Tribunal, au point 97 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le dispositif de la décision litigieuse aurait pu être différent si l’égalité entre hommes et femmes n’avait pas été exclue d’emblée de l’appréciation effectuée. Il fait valoir qu’il pratique une politique positive visant à favoriser les candidatures déposées par le sexe sous-représenté à des postes à responsabilité lorsque les candidates en question ont des mérites égaux aux candidats de
sexe masculin, ce qui suppose que les candidats soient placés dans une situation comparable. Une telle pratique serait illustrée par les documents fournis au Tribunal, à sa demande, mais dont il n’aurait pas tenu compte.

34 Selon le SEAE, la prolongation de Mme Hebberecht au poste auquel elle était affectée, du seul fait de son appartenance à un genre, aurait été non pas une mesure prise en application du principe d’égalité de traitement mais plutôt une mesure de discrimination positive à l’égard des femmes.

35 Le SEAE souligne enfin qu’il serait contradictoire de suggérer que Mme Hebberecht aurait dû être prolongée dans ce poste en raison de sa condition de femme après avoir écarté, comme l’a fait le Tribunal au point 44 de l’arrêt attaqué, le moyen tiré de la violation, par la décision litigieuse, de l’intérêt et de la continuité du service. Cela reviendrait à considérer qu’il découle de l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut un droit subjectif, pour le fonctionnaire appartenant au sexe
sous-représenté, à la prolongation de son mandat, ce que le SEAE conteste fermement.

Appréciation de la Cour

36 Par son moyen unique, le SEAE reproche, en substance, au Tribunal, d’avoir commis une erreur de droit en ce que, d’une part, il aurait interprété de manière erronée l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut en considérant que cette disposition crée une obligation directement applicable, dans le chef des institutions, en l’absence même de mesures d’exécution et, d’autre part, il aurait jugé que ladite disposition est applicable dans le cadre de la décision litigieuse, à savoir une décision
individuelle de prolongation de mandat à un poste qui ne présuppose pas un choix entre plusieurs personnes.

37 S’agissant, en premier lieu, de l’argument du SEAE selon lequel l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut ne serait pas applicable en l’absence de mesures d’exécution adoptées par les institutions, il importe de souligner d’emblée que, comme le Tribunal l’a indiqué, en substance, au point 84 de l’arrêt attaqué, cette disposition comprend deux parties. La première rappelle que le principe d’égalité entre hommes et femmes est un élément essentiel dans « tous » les aspects de la mise en œuvre
du statut et la seconde que ce principe n’empêche pas les institutions de l’Union de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté.

38 Or, si le principe d’égalité entre hommes et femmes, en tant que droit subjectif, n’exige, aux fins de son application, aucune mesure d’exécution (voir, par analogie, en ce qui concerne l’article 157, paragraphe 1, TFUE, arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, 43/75, EU:C:1976:56, point 24), tel n’est cependant pas le cas des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté, visés à l’article 1er quinquies, paragraphe 2, seconde partie, du
statut.

39 En effet, la seconde partie de cette disposition a pour but précis et limité d’autoriser les mesures qui, tout en étant discriminatoires selon l’appartenance à un sexe, visent effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2000, Badeck e.a., C‑158/97, EU:C:2000:163, point 19).

40 Une action qui vise à promouvoir prioritairement les candidats féminins dans les secteurs de la fonction publique européenne où les femmes sont sous-représentées doit ainsi être considérée comme compatible avec l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut, d’une part, lorsqu’elle n’accorde pas de manière automatique et inconditionnelle la priorité aux candidates féminines ayant une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins et, d’autre part, lorsque les candidatures font
l’objet d’une appréciation objective qui tient compte des situations particulières d’ordre personnel de tous les candidats (voir, par analogie, arrêts du 28 mars 2000, Badeck e.a., C‑158/97, EU:C:2000:163, point 23, et du 30 septembre 2004, Briheche, C‑319/03, EU:C:2004:574, point 23).

41 Ces conditions s’inspirent du fait que, en déterminant la portée de toute dérogation à un droit individuel, tel que l’égalité de traitement entre hommes et femmes, il y a lieu de respecter le principe de proportionnalité qui exige que les dérogations ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché et que soient conciliés, dans toute la mesure du possible, le principe d’égalité de traitement et les exigences du but ainsi poursuivi (voir, par
analogie, arrêt du 30 septembre 2004, Briheche, C‑319/03, EU:C:2004:574, point 24).

42 L’article 1er quinquies, paragraphe 6, du statut prévoit, pour sa part, que, dans le respect du principe de non-discrimination et du principe de proportionnalité, toute limitation de ces principes doit être objectivement et raisonnablement justifiée et doit répondre à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel.

43 En outre, l’application de critères, qui visent manifestement à assurer une égalité substantielle et non formelle doit s’opérer de manière transparente et pouvoir être contrôlée afin d’exclure toute appréciation arbitraire de la qualification des candidats (voir, par analogie, arrêt du 6 juillet 2000, Abrahamsson et Anderson, C‑407/98, EU:C:2000:367, point 49).

44 Il en résulte que des décisions individuelles octroyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ne peuvent être adoptées en l’absence de mesures générales d’exécution de l’article 1er quinquies, paragraphe 2, seconde partie, du statut permettant de satisfaire aux exigences mentionnées aux points 40 et 41 du présent arrêt.

45 Partant, c’est à juste titre que le SEAE fait valoir que la seconde partie du paragraphe 2 de l’article 1er quinquies du statut, selon laquelle le principe d’égalité de traitement n’empêche pas les institutions de l’Union de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté, lue en combinaison avec le paragraphe 3 de cet article, constitue une norme d’habilitation qui ne saurait être
appliquée directement en l’absence de mesures d’exécution.

46 Cependant, il ne saurait être déduit des considérations qui précèdent que, en l’absence de mesures d’exécution de l’article 1er quinquies, paragraphe 2, seconde partie, du statut, une institution est dispensée de l’obligation de tenir compte du principe d’égalité entre hommes et femmes lors de l’adoption d’une décision individuelle, telle que la décision litigieuse.

47 En effet, comme le Tribunal l’a rappelé, au point 93 de l’arrêt attaqué, le législateur de l’Union déclare, à l’article 1er quinquies, paragraphe 2, première partie, du statut, que l’égalité entre hommes et femmes constitue une dimension « essentielle » à prendre en compte dans « tous » les aspects mettant en œuvre le statut, sans assortir cette déclaration d’un quelconque délai ou d’une quelconque condition, et sans qu’elle soit subordonnée à l’adoption de mesures.

48 Le Tribunal en a déduit, à juste titre, aux points 94 et 97 de l’arrêt attaqué, que, en écartant l’égalité entre hommes et femmes des considérations ayant entouré l’adoption de la décision litigieuse, alors qu’elle constitue une dimension « essentielle » aux yeux du législateur de l’Union, le SEAE a méconnu l’article 1er quinquies, paragraphes 2 et 3, du statut, ce qui constituait une erreur de droit justifiant l’annulation de la décision litigieuse.

49 Concernant, en second lieu, l’argument du SEAE selon lequel, en tout état de cause, l’article 1er quinquies, paragraphe 2, du statut ne s’applique pas à une décision de refus d’une prolongation du mandat d’un chef de délégation dès lors que cette décision ne présuppose pas un choix entre plusieurs personnes, il convient de rappeler, ainsi qu’il est mentionné au point 38 du présent arrêt, que le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes est un principe directement applicable.

50 Ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale aux points 43 et 45 de ses conclusions, le libellé de l’article 1er quinquies, paragraphe 2, première partie, du statut ne soumet l’application de ce principe à aucune condition.

51 Partant, le seul fait qu’une décision, comme la décision litigieuse, qui porte sur la prolongation de l’affectation d’un fonctionnaire à un poste de direction ne présuppose pas un choix entre plusieurs candidats n’exclut pas que des considérations relatives à l’égalité entre hommes et femmes doivent être prises en compte lors de son adoption.

52 Ainsi, de telles considérations pourraient plaider en faveur de la prolongation de l’affectation d’un fonctionnaire en poste, s’il apparaissait, dans le cadre de la procédure de rotation instaurée par le SEAE, que le sexe auquel appartient ce dernier est sous-représenté dans des postes équivalents et que, faute de fonctionnaires du même sexe susceptibles d’être affectés à ce poste, en cas de rejet de sa demande de prolongation, un fonctionnaire de l’autre sexe serait affecté au poste vacant.

53 De même, le fait qu’une politique d’égalité des chances entre hommes et femmes soit appliquée dans le cadre de la politique générale de sélection de candidats à des postes vacants dans les délégations de l’Union ne permet pas d’exclure l’application du principe d’égalité entre hommes et femmes lors de l’adoption d’une décision individuelle de prolongation d’un mandat de chef de délégation. En effet, ce principe, qui exclut toute discrimination fondée sur le sexe, ne se limite pas aux situations
de concurrence entre candidats, mais suppose également de vérifier si le traitement accordé, en l’occurrence à une femme, aurait été accordé, de la même manière, à un homme placé dans une situation comparable.

54 Le SEAE soutient cependant que, s’agissant de l’adoption de la décision litigieuse, la prise en compte de l’intérêt du service exclut la prise en considération du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes. Celui-ci souligne notamment qu’il est contradictoire d’annuler la décision litigieuse au motif qu’il aurait dû faire droit à la demande de prolongation de Mme Hebberecht en raison de sa condition de femme après avoir écarté, au point 44 de l’arrêt attaqué, la première branche du
premier moyen, tirée de ce que l’intérêt du service requérait qu’il soit fait droit à cette même demande.

55 À cet égard, il importe de rappeler que les institutions de l’Union disposent certes d’un large pouvoir d’appréciation lors de l’adoption de décisions concernant l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l’affectation du personnel à condition que celle-ci se fasse dans l’intérêt du service et respecte l’équivalence des emplois (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 1988, Hecq/Commission, 19/87, EU:C:1988:165, point 6). Toutefois, il incombe à ces
institutions, lors de l’adoption de décisions relatives à l’organisation de leurs services, de procéder à une mise en balance entre les divers intérêts en jeu en prenant, notamment, en considération tant le respect du principe d’égalité de traitement que l’intérêt du service.

56 Dès lors, il n’est pas contradictoire de juger, comme l’a, en substance, fait le Tribunal dans l’arrêt attaqué, d’une part, que le SEAE n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’intérêt du service en rejetant la demande de prolongation de Mme Hebberecht et, d’autre part, qu’il ne saurait être exclu que des considérations liées à l’égalité entre hommes et femmes puissent plaider en faveur de l’acceptation de cette demande, de telle sorte que le SEAE devait tenir compte, en
tant qu’élément d’appréciation parmi d’autres, de la nécessité d’assurer l’égalité entre hommes et femmes.

57 C’est donc à tort que le SEAE soutient qu’il ne peut être tenu compte du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes lors de l’adoption d’une décision individuelle, telle que la décision litigieuse, qui ne présuppose pas un choix entre plusieurs personnes.

58 Il s’ensuit que le moyen unique doit être rejeté comme étant non fondé, de même que le pourvoi.

Sur les dépens

59 En vertu de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance.

60 Mme Hebberecht n’ayant pas présenté de mémoire devant la Cour, et partant, n’ayant pas exposé de dépens, il convient de décider que le SEAE supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) Le SEAE supporte ses propres dépens.

Vilaras

Piçarra

Šváby

Rodin

Jürimäe
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 novembre 2020.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la IVème chambre

M. Vilaras

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-93/19
Date de la décision : 19/11/2020
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires, Recours en responsabilité

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Service européen pour l’action extérieure (SEAE) – Politique de rotation des fonctionnaires – Poste de chef de la délégation de l’Union européenne en Éthiopie – Décision refusant de prolonger l’affectation à ce poste – Intérêt du service – Principe d’égalité de traitement – Discrimination positive en faveur du sexe sous-représenté – Article 1er quinquies du statut des fonctionnaires de l’Union européenne.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Service européen pour l'action extérieure (SEAE)
Défendeurs : Chantal Hebberecht.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Piçarra

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:946

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