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05/03/1985 | CJUE | N°117/84

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'Avocat général Darmon présentées le 5 mars 1985., Office nationale des pensions pour travailleurs salariés (ONPTS) contre Francesco Romano., 05/03/1985, 117/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 5 mars 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Vous êtes saisis à titre préjudiciel par les cours du travail de Liège et de Mons, à l'occasion de deux litiges opposant l'Office national des pensions pour travailleurs salariés (ci-après ONPTS) respectivement à MM. Romano (affaire 58/84) et Ruzzu (affaire 117/84).


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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 5 mars 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Vous êtes saisis à titre préjudiciel par les cours du travail de Liège et de Mons, à l'occasion de deux litiges opposant l'Office national des pensions pour travailleurs salariés (ci-après ONPTS) respectivement à MM. Romano (affaire 58/84) et Ruzzu (affaire 117/84).

La presque identité en fait et en droit de la situation des intéressés permet de présenter

Romano

— 31.3.1927 — 31.12.1940: salarié en Italie

— 17.5.1941 — 13.5.1943: mineur de fond en Allemagne

— 1.1.1944 — 30.6.1947: mineur de fond en Italie

Droit à deux pensions partielles dans chacun de ces deux pays

— 13.10.1947 — 28.2.1959: mineur de fond en Belgique

— 1.3.1959 — 31.12.1972: mineur de fond invalide avec pension du Fond belge des maladies professionnelles, période assimilée à une période d'occupation effective

— Retraité à compter du 1.1.1973

Total de carrière reconnu en Belgique: 25 ans

— Pension octroyée le 26.10.1979 par l'ONPTS à compter du 1.4.1985: 25/30 du droit total à pension belge plus pensions partielles proratisées allemande et italienne des conclusions communes pour les deux affaires.

Tous deux d'origine italienne, MM. Romano et Ruzzu ont quitté leur pays pour exercer en Belgique la profession de mineur de fond, après avoir, le premier en Italie puis en Allemagne, le second uniquement en Italie, occupé des emplois pendant une période plus ou moins longue.

Le tableau comparatif ci-après fait ressortir la similitude des deux cas:

Ruzzu

— Entre 1937 et 1952, ouvrier agricole sur une période d'un peu plus de cinq ans en Italie

Droit à une pension partielle italienne

— 3.11.1952 — 3.2.1969: mineur de fond en Belgique

— 1.5.1969 — 31.10.1977: idem

— Retraité à compter du 1.11.1977

Total de carrière reconnu en Belgique: 26 ans

— Pension octroyée le 6.2.1981 par l'ONPTS à compter du 1.11.1977: 26/30 du droit total à pension belge plus pension partielle proratisée italienne

La législation belge applicable pour l'ouverture et la constitution des droits de MM. Romano et Ruzzu lors de leur départ à la retraite était l'article 10, paragraphe 2, de l'arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 ( 1 ), selon lequel l'ouvrier mineur qui

« ne totalise pas trente années civiles d'occupation habituelle et en ordre principal en qualité d'ouvrier mineur au fond des mines de houille, mais en compte vingt-cinq au moins ... est censé faire preuve d'une occupation habituelle et en ordre principal en cette qualité pendant un nombre d'années civiles supplémentaires égal à la différence entre trente et le nombre d'années civiles d'occupation habituelle et en ordre principal prouvées en cette qualité. Chacune de ces années supplémentaires
est prise en considération comme une année d'occupation au fond des mines de houille, se situant avant 1955».

La loi du 10 février 1981, avec effet rétroactif au 1er janvier 1981, a inséré dans l'article 10, paragraphe 2, 1o, de l'arrêté royal n° 50 précité, un nouvel alinéa dont le texte est le suivant:

« Ce nombre d'années supplémentaires est toutefois diminué du nombre d'années pour lesquelles le travailleur peut prétendre à une pension de retraite ou à un avantage en tenant lieu en vertu d'un autre régime belge, à l'exclusion de celui des travailleurs indépendants, en vertu d'un régime d'un pays étranger ou en vertu d'un régime applicable au personnel d'une institution de droit international public » ( 2 ).

Avant 1981, la loi belge gratifiait donc les ouvriers mineurs de fond ayant exercé effectivement en Belgique leur profession depuis au moins vingt-cinq ans d'une sorte de prime constituée par l'octroi d'un maximum de cinq années supplémentaires d'occupation fictive, compensation d'un travail affectant la santé de façon prématurée. Elle attribuait aux mineurs après vingt-cinq ans d'activité une pension de 30/30, correspondant normalement à trente années d'exercice effectif de leur profession.

Cependant, dès avant la réforme législative de 1981, l'ONPTS n'a accordé à M. Romano que 25/30 du droit total à pension au motif qu'existait un droit à pension partielle acquis dans d'autres États membres, et à M. Ruzzu que 26/30 d'une carrière complète au motif qu'existait un droit à pension partielle acquis en Italie. Ces décisions résultaient d'une pratique administrative déjà soumise à votre appréciation dans l'affaire Celestre et autres ( 3 ).

M. Romano comme M. Ruzzu ont contesté ces décisions devant la juridiction compétente. Les jugements ainsi rendus ont été frappés d'appel par l'ONPTS.

2.  Tirant les conséquences de votre arrêt précité, les cours du travail de Liège pour M. Romano et de Mons pour M. Ruzzu ont jugé que, pour la période antérieure au 1er janvier 1981, la pension belge d'ouvrier mineur ne pouvait faire l'objet d'aucune réduction.

En revanche, la modification intervenue en 1981 leur a paru de nature à soulever une difficulté d'interprétation dont elles vous ont saisis par les questions préjudicielles suivantes:

Cour de Liège

« 1) Compte tenu de l'insertion de textes nouveaux:

a) dans l'article 10, paragraphe 2, 1°, de l'arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, par la loi du 10 février 1981, article 11;

b) dans l'arrêté royal du 21 décembre 1967, par l'ajout de l'article 32, 5°, par l'arrêté royal du 30 mars 1981, article 3,

l'article 10, paragraphe 2, 1o, ainsi complété, constitue-t-il une règle anticumul au sens de l'article 12 du règlement (CEE) n° 1408/71?

2) En cas de réponse positive au premièrement, la règle ainsi constituée par ledit article 10, paragraphe 2, 1o, nouveau, est-elle compatible avec le traité de Rome et avec les règlements communautaires concernés, notamment les règlements n° 1408/71 et n° 574/72?

3) Y a-t-il lieu de faire application de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71, en fonction de l'article 46, paragraphe 1, et selon quelles dispositions ou modalités dans le cas concret de l'intimé, à la suite des normes nouvelles résultant de la loi du 10 février 1981 et de l'arrêté royal du 30 mars 1981, et de l'interprétation donnée à l'arrêt ONPTS/Celestre du 2 juillet 1981 par l'appelant qui réaffirme que les clauses anticumul ne s'appliquent ... que si la pension est calculée
et reconnue en vertu de l'article 46, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 1408/71?»

Cour de Mons

« L'article 51 du traité de Rome et les règlements européens n° 1408/71 — notamment les articles 12 et 46 — et n° 574/72 doivent-ils être interprétés de sorte qu'est conforme aux objectifs du traité et aux normes des règlements la clause d'une législation d'un État membre qui comporte la diminution des périodes d'assurance supplémentaires, retenues par cette législation sur base de son application exclusive et en dehors du recours à la proratisation (législation type A), du nombre d'années
(celles-ci ne se superposent pas aux précédentes) pour lesquelles le travailleur peut prétendre dans un autre Etat membre à une prestation de pension d'invalidité établie selon les règles communautaires (législation type B), cette diminution entraînant la réduction de la prestation de retraite due en vertu de la seule législation nationale (législation type A) par suite du bénéfice de la prestation d'invalidité proratisée dans un autre État membre (législation type B)? Il importe de préciser que
ces deux prestations sont à considérer comme de même nature (affaire Celestre) et la réduction que la clause entraîne est celle de la prestation de retraite acquise en l'absence de l'application du droit communautaire (voir affaire Jerzak).

Une réponse affirmative n'aurait-elle pas pour effet de faire perdre au travailleur migrant le bénéfice d'une période d'assurance supplémentaire dans l'État membre à législation de type A et n'impliquerait-elle pas que l'application, au titre de l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 d'une clause de non-cumul se justifierait aussi si la prestation à réduire a été acquise par la seule législation nationale (type A) ? »

3.  Comme le relève à juste titre la Commission, les trois questions posées par la cour de Liège, telles qu'elle les a formulées, soulèvent une difficulté tenant à la répartition des compétences entre les juridictions nationales et la Cour de justice.

Soucieuse de respecter les limites tracées par l'article 177 CEE, votre Cour se refuse, en effet, à se prononcer sur l'interprétation de la législation nationale, sur la compatibilité de cette législation avec le droit communautaire et sur l'application des dispositions communautaires à un cas d'espèce.

En pareille hypothèse, vous vous efforcez de donner au juge a quo, au besoin en reformulant sa question, les éléments d'interprétation pour lui permettre de trancher le litige dont il est saisi.

Ainsi avez-vous jugé que:

« Si la Cour, dans le cadre de l'application de l'article 177 du traité, n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une disposition nationale avec le droit communautaire, elle peut toutefois dégager du libellé des questions formulées par le juge national, eu égard aux données exposées par celui-ci, les éléments relevant de l'interprétation du droit communautaire en vue de permettre à ce juge de résoudre le problème juridique dont il se trouve saisi » ( 4 ).

Faisant mienne pour l'essentiel la proposition émise à cet égard par la Commission, je vous suggère de reformuler ainsi qu'il suit les questions posées par la cour de Liège:

1) L'article 12, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n° 1408/71 doit-il être interprété de telle sorte que tombe dans son domaine d'application une disposition nationale d'un État membre qui, en vue du calcul d'une pension de retraite, exclut de la prise en compte de périodes fictives d'occupation un nombre d'années égal à celui pour lequel le travailleur peut prétendre à une pension de retraite ou à un avantage en tenant lieu en vertu d'un régime d'un autre État membre?

2) En cas de réponse affirmative, les dispositions applicables des règlements nos 1408/71 et 574/72 doivent-elles être interprétées de telle sorte qu'elles s'opposent en principe à la mise en œuvre d'une disposition nationale telle que décrite ci-dessus?

3) Plus spécialement, de quelle manière et à quel stade de l'application de l'article 46 du règlement n° 1408/71 une telle disposition nationale doit-elle éventuellement être prise en compte?

Les questions posées par la cour de Mons correspondent en substance aux deuxième et troisième questions telles que ci-dessus reformulées.

4.  L'ONPTS estime que votre Cour doit se déclarer incompétente au motif que les carrières en Belgique de MM. Romano et Ruzzu suffisent à leur ouvrir un droit à pension en vertu de la seule législation belge. L'article 51 et les règlements pris pour son application ne viseraient que les cas dans lesquels une législation nationale ne suffit pas à ouvrir un droit à pension ou n'ouvre qu'un droit réduit.

Ce moyen ne saurait être retenu.

S'il est vrai, comme vous l'avez affirmé dans votre arrêt Petroni ( 5 ), que:

« L'article 51 du traité vise essentiellement ( 6 ) le cas où la législation d'un État membre n'ouvrirait pas à elle seule à l'intéressé un droit à prestations, en raison du nombre insuffisant des périodes accomplies sous cette législation »,

vous n'avez jamais fait de cette disposition l'interprétation restrictive que vous suggère l'ONPTS et qui serait contraire tant à la lettre qu'à l'esprit du texte considéré.

En effet, l'article 51 prescrit l'institution d'un système permettant d'assurer aux travailleurs migrants

« la totalisation, pour l'ouverture et le maintien du droit à prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci ( 7 ), de toute période prise en considération par les différentes législations nationales ».

Sa portée, dès lors, est plus générale que celle que lui assigne l'ONPTS. Vous en avez, d'ailleurs, constamment souligné l'étendue. Ainsi, avez-vous rappelé, dans votre arrêt Nonnenmacher ( 8 )

« que [les articles 48 à 51 du traité] ... tendent à établir une liberté aussi complète que possible de la circulation des travailleurs; que ce but comporte l'élimination d'entraves législatives susceptibles de désavantager les travailleurs migrants; que, dans le doute, les articles précités et les mesures prises en leur exécution doivent donc être interprétés en ce sens qu'ils visent à éviter que la situation juridique des travailleurs migrants, notamment en matière de sécurité sociale, ne soit
défavorisée ».

L'article 51 peut donc être invoqué dès lors qu'un travailleur ressortissant d'un État membre justifie de périodes d'activité effectuées dans plusieurs États de la Communauté. L'exception d'incompétence soulevée par l'ONPTS doit en conséquence être rejetée.

5.  N'était l'intervention de la loi belge du 10 février 1981, modifiant l'article 10, paragraphe 2, 1°, de l'arrêté royal n° 50 du 21 décembre 1967, la situation de MM. Romano et Ruzzu est identique à celle dont vous avez eu à connaître dans votre arrêt Celestre précité ( 9 ).

Antérieurement à cet arrêt, vous aviez, interprétant systématiquement les dispositions du règlement n° 1408/71 à la lumière des articles 48 à 51 du traité, établi les règles suivantes :

— lorsqu'un droit à prestation est acquis dans un État membre, par application pure et simple de la législation de celui-ci, les règlements communautaires, et notamment le paragraphe 3 de l'article 46, ne peuvent avoir pour effet de diminuer ce droit ( 10 );

— cependant, un travailleur migrant peut toujours prétendre au bénéfice de l'application du régime communautaire institué par l'article 46 du règlement n° 1408/71 ( 11 );

— par régime de l'article 46 du règlement n° 1408/71, il faut entendre l'application intégrale des dispositions de cet article, y compris son paragraphe 3 ( 12 ).

Par votre arrêt Celestre, vous avez rappelé ou dégagé les règles suivantes:

1) Lorsqu'un travailleur reçoit une pension en vertu d'une seule législation nationale, les règles communautaires ne font pas obstacle à ce que celle-ci lui soit intégralement appliquée, y compris dans ses dispositions anticumul; toutefois, le régime qui en résulte ne peut être moins favorable que le régime communautaire défini à l'article 46 du règlement n° 1408/71 ( 13 ).

2) Les prestations de vieillesse et d'invalidité sont à considérer comme étant de même nature. Les dispositions des articles 44 à 51 du règlement n° 1408/71 sont applicables à la détermination des droits des travailleurs. En vertu de l'article 12, paragraphe 2, du règlement, l'application des règles anticumul nationales est exclue. Il s'ensuit que le montant visé au paragraphe 1 de l'article 46 est celui auquel le travailleur aurait droit selon la législation nationale comme s'il ne bénéficiait
pas d'une pension en vertu de la législation d'un autre État membre ( 14 ).

3) L'article 15, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 574/72 dispose que, lorsqu'elles ne peuvent être déterminées de façon précise, les périodes d'assurance accomplies sous la législation d'un État membre sont présumées ne pas se superposer à celles effectuées sous la législation d'un autre État membre: il doit, dès lors, en être tenu compte ( 15 ).

Complétant ainsi le dispositif d'application du règlement n° 1408/71, vous avez plus spécialement dégagé la portée du paragraphe 1 de l'article 46.

Le montant de la prestation visée à ce paragraphe est acquis non pas strictement en vertu de la législation nationale, mais application étant faite également du droit communautaire en tant qu'il neutralise les effets de la clause anticumul nationale.

Situant cette règle dans le cadre de ce dispositif global, il y a lieu, les dispositions de l'article 46 étant solidaires, de comparer le montant de la prestation ainsi calculée avec celui résultant des règles posées par les paragraphes 2 et 3, avec, en conséquence, application éventuelle de la réduction prévue à ce dernier paragraphe.

Contrairement donc à ce que soutient l'ONPTS, votre jurisprudence ne comporte pas de « revirement » entre l'arrêt Petroni et les arrêts Mura et Greco; elle ne crée pas davantage un « troisième volet » dans la méthode de liquidation des prestations. La seule distinction à faire est à opérer entre le régime national pris isolément et ce même régime modulé pour satisfaire à la coordination communautaire, la solution la plus avantageuse devant être retenue.

6.  Revenons aux cas dont vous êtes saisis.

La problématique centrale de ces affaires est l'application combinée des articles 46, paragraphe 1, et 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71. Tel était déjà le cas dans l'affaire Celestre. La question qui se pose est, dès lors, de savoir s'il existe en l'espèce des éléments nouveaux.

Ainsi que je l'ai rappelé, la seule différence à prendre en considération est que dans le cas Celestre n'existait pas — les juridictions belges l'ont jugé — de norme législative anticumul opposable, alors qu'en ce qui concerne MM. Romano et Ruzzu une telle norme existe.

Peu importe, en fait, le support de la règle nationale anticumul: pratique administrative ou texte législatif ou réglementaire. Vous avez, en effet, posé pour principe que si une disposition anticumul nationale existe — ce qu'il appartient aux juridictions nationales de déterminer —, elle est sans effet à l'égard d'une prestation acquise en vertu du droit communautaire. Ce faisant, vous avez visé la substance de la règle et non sa forme.

A cela, l'ONPTS et le gouvernement belge objectent que l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 est relatif au cumul ou au non-cumul de prestations et qu'une disposition nationale qui ne vise que les périodes d'assurance à prendre en considération n'entre pas dans son champ d'application. Cette thèse serait justifiée par les termes de l'article 1er, sous r), du règlement précité, qui dispose que:

« Le terme ‘périodes d'assurance’ désigne les périodes de cotisation, d'emploi ou d'activité non salariée telles qu'elles sont définies ou admises comme périodes d'assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies ou sont considérées comme accomplies, ainsi que toutes périodes assimilées dans la mesure où elles sont reconnues par cette législation comme équivalant aux périodes d'assurance. »

Ce texte ne pourrait contribuer à conforter la thèse ainsi soutenue que si l'on pouvait, en vue de justifier une exception à la règle précitée de l'article 12, dissocier les notions de prestations et de périodes d'assurance.

Une telle dissociation ne paraît pas pouvoir être opérée. En effet, le droit aux prestations dépend nécessairement et directement des périodes d'assurance réelles ou fictives prises en compte pour sa détermination.

En toute hypothèse, l'article 1er, sous r), ne semble pas pouvoir être interprété comme comportant une exception à la règle contenue à l'article 12, paragraphe 2, dernière phrase, du même règlement.

Aussi bien avez-vous jugé par, votre arrêt Kaufmann ( 16 ), que:

«L'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 3 [devenu l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71] vise toutes les clauses de réduction ou de suspension prévues par des législations nationales et destinées à prévenir certains cumuls de prestations, sans distinguer selon que ces clauses concernent le droit à la prestation ou le service de celle-ci. »

Il convient donc, à mon avis, de répondre affirmativement à la première question, telle que reformulée, posée par la cour du travail de Liège.

7.  Partant du principe que la prestation visée à l'article 46, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 est liquidée, application étant faite du droit communautaire, on peut en conclure que la règle spéciale de l'article 12, paragraphe 2, dernière phrase, du même règlement, qui sanctionne au plan communautaire l'inefficacité des normes anticumul dans le cas de prestations de même nature, s'applique à celle-ci.

Le montant de la prestation devra être déterminé selon la législation nationale applicable, indépendamment du droit à prestations pouvant résulter de la législation de tout autre État membre. Le droit communautaire vise à donner son plein effet à chaque période d'assurance dans chaque État membre, ce qu'exprime le huitième considérant (première partie) du règlement n° 1408/71, selon lequel:

« Dans ce but, en matière de prestations d'invalidité, de vieillesse et de décès (pensions), les intéressés doivent pouvoir bénéficier de l'ensemble des prestations acquises dans les différents États membres... » ( 17 ).

Un droit à prestations de vieillesse est acquis dans nos cas d'espèce en vertu de la seule législation nationale belge. Il ne serait pas totalement pris en considération s'il était réduit par l'effet d'un droit à prestations de même nature né dans un autre État membre. Ce droit n'est cependant pas absolu. La prise en considération du droit complet, sans réduction possible par une règle anti-cumul nationale, s'exerce en effet

« ... dans la limite — nécessaire pour éviter les cumuls injustifiés, résultant notamment de la superposition de périodes d'assurance et de périodes assimilées — du plus élevé des montants de prestations qui serait dû par l'un de ces États si le travailleur y avait accompli toute sa carrière » (deuxième partie du même considérant).

Cette limite est celle édictée au paragraphe 3 de l'article 46 du règlement, étant observé qu'il convient de rappeler à cet égard,comme vous l'avez fait dans votre arrêt Celestre, les dispositions de l'article 15, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 574/72 ( 18 ).

Il est sans conséquence à cet égard qu'il puisse en résulter une différence de situations entre le travailleur migrant et le travailleur sédentaire. Cette différence, se concrétisant ici en ce qui concerne les droits à pension, ne fait que refléter celle qui distinguait les intéressés pendant leurs périodes d'activité. Rappelons, au surplus, que l'objectif du règlement n° 1408/71 n'est pas d'harmoniser, mais seulement de coordonner différents régimes de sécurité sociale présentant «
d'importantes différences » ( 19 ) et que la simplification qui en résulte peut donc ne jouer que « dans une certaine mesure » ( 20 ).

Pris pour l'application des articles 48 à 51 du traité, ce règlement doit toujours être considéré au regard du principe de la liberté de circulation des travailleurs sur le territoire de la Communauté. Les avantages qui en résulteraient pour les travailleurs migrants s'inscrivent dans le cadre de ce principe, et vous avez déjà jugé que:

« Le reproche selon lequel les travailleurs migrants seraient avantagés par rapport aux travailleurs n'ayant jamais quitté leur pays ne peut être retenu, une discrimination ne pouvant être relevée dans le cas de situations légales qui ne sont pas comparables » ( 21 ).

8.  Je vous propose donc de répondre:

— àia cour du travail de Liège :

que l'article 12, paragraphe 2, dernière phrase, du règlement n° 1408/71 doit être interprété de telle sorte que tombe dans son domaine d'application une disposition nationale d'un État membre qui, en vue du calcul d'une pension de retraite, exclut de la prise en compte de périodes fictives d'occupation un nombre d'années au titre desquelles un travailleur peut prétendre à une pension de retraite ou à un avantage en tenant lieu en vertu d'un régime d'un autre État membre;

— à la cour de Liège et à la cour de Mons :

— que, tant que le travailleur reçoit une pension en vertu de la seule législation nationale, les dispositions du règlement n° 1408/71 ne font pas obstacle à ce que la seule législation nationale lui soit appliquée intégralement, y compris des règles anticumul nationales, étant entendu que si l'application de cette législation se révèle moins favorable au travailleur que celle du régime de l'article 46 du règlement n° 1408/71 considéré comme un tout, les dispositions de cet article doivent
être appliquées;

— que le calcul de la prestation communautaire fondé sur l'article 46 du règlement n° 1408/71 implique qu'à toutes les phases d'application de cet article, y compris son paragraphe 1, soient également appliquées les dispositions de l'article 12, paragraphe 2, dernière phrase, en vertu desquelles les clauses de réduction, de suspension ou de suppression ne peuvent trouver application.

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( 1 ) Moniteur helge du 27 octobre 1967; arrêté modifié par la loi du 26 juin 1972 (Moniteur belge du 30.6.1972. p. 7738) et par la loi du 28 mars 1975 (Moniteur belge du 8.4.1975, p 4108).

( 2 ) Article 11 (Moniteur belge du 14.2.1981, p.1699).

( 3 ) Affaires jointes 116, 117, 119, 120 et 121/80, arrêt du 2 juillet 1981 (Rec 1981, p. 1737)

( 4 ) Affaire 82/71, Sad/Ministére public italien, arrêt du 21 mars 1972, point 3 (Rcc. 1972, p. 119, 136)

( 5 ) Affaire 24/75, arrêt du 21 octobre 1975 (Rec p 1149 et plus particulièrement point 14, p. 1160).

( 6 ) Souligne par nous

( 7 ) Souligné par nous.

( 8 ) Affaire 92/63, arrêt du 9 juin 1964 (Rec. p. 559 et plus particulièrement p. 573).

( 9 ) Affaires jointes 116, 117, 119, 120 et 121/80, arrêt du 2 juillet 1981 (Rec. 1981, p. 1737).

( 10 ) Affaire 24/75, Petroni/ONFTS, arrêt du 21 octobre 1975 (Rec. p. 1149); affaire 807/79, Gravina/Landesversicherungsanstalt Schwaben, arrêt du 9 juillet 1980 (Rec. p. 2205).

( 11 ) Affaire 22/77, FNROM/Mura I, arrêt du 13 octobre 1977 (Rec. p. 1699); affaire 37/77, Greco/FNROM, arrêt du 13 octobre 1977 (Rec. p. 1711); affaire 98/77, Schaap/Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Bank- en Verzekeringswezen, arrêt du 14 mars 1978 (Rec. p. 707); affaire 105/77, Bestuur van de sociale Verzekeringsbank/Boerboom-Kersjes, arrêt du 14 mars 1978 (Rec. p. 717).

( 12 ) Affaire 236/78, FNROM/Mura II, arrêt du 16 mai 1979 (Rec. p. 1819).

( 13 ) Point a) du dispositif et référence à l'affaire 98/77, Schaap, arrèt du 14 mars 1978 (Rec. p. 707)

( 14 ) Points 11 et 12 des motifs et b) et c) du dispositif, et reference a l'affaire D'Amico/ONPTS, arrèt du 15 octobre 1980 (Rec. p. 2951).

( 15 ) Points 13 et 14 des motifs et d) du dispositif

( 16 ) Affaire 184/73, Bestuur van de Nieuwe Algemene Bedrijfs-vereniging/Kaufmann, arrêt du 15 mai 1974 (Rec. p. 517 et plus particulièrement p. 524).

( 17 ) Souligne par nous

( 18 ) Point H de l'arrêt Celestre

( 19 ) Consideram 4

( 20 ) Considérant 3

( 21 ) Affaire 22/77, Mura/FNROM, arret du 13 octobre 1977, point 9 (Rec. p 1707)


Synthèse
Numéro d'arrêt : 117/84
Date de la décision : 05/03/1985
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Liège - Belgique.

Affaire 58/84.

Office national des pensions pour travailleurs salariés (ONPTS) contre Salvatore Ruzzu.

Demande de décision préjudicielle: Cour du travail de Mons - Belgique.

Sécurité sociale - Cumul des pensions.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Office nationale des pensions pour travailleurs salariés (ONPTS)
Défendeurs : Francesco Romano.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Joliet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:94

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