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13/02/1985 | CJUE | N°2/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 13 février 1985., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 13/02/1985, 2/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 13 février 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par le présent recours, la Commission vous demande de constater que l'Italie a manqué aux obligations à elle imposées par la directive 75/130 du Conseil du 17 février 1975 relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés rail/route de marchandises entre États membres ( 1 ).

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 13 février 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Par le présent recours, la Commission vous demande de constater que l'Italie a manqué aux obligations à elle imposées par la directive 75/130 du Conseil du 17 février 1975 relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés rail/route de marchandises entre États membres ( 1 ).

Par ce texte, pris dans le cadre de la politique commune des transports, le législateur communautaire a accordé un traitement préférentiel à un type de transport mixte de marchandises, s'effectuant par la route et le rail. L'objectif poursuivi par la directive 75/130 est de réduire au minimum le parcours routier et de privilégier le parcours ferroviaire en raison du triple avantage escompté: économie d'énergie, allégement de la circulation routière et renforcement de sa sécurité, protection de
l'environnement (deuxième considérant).

A cette fin, alors que le transport de marchandises par route est encore assujetti à un système d'autorisation et à un contingent communautaire, la directive 75/130 prévoit que:

« Chacun des États membres doit libérer de tout régime de contingentement et d'autorisation, au plus tard avant le 1er octobre 1975, les transports combinés visés à l'article 1er» (article 2).

Cependant, cette libéralisation ne concerne que les transports combinés rail/route, c'est-à-dire:

« Les transports routiers de marchandises entre États membres pour lesquels [les véhicules] ... sont acheminés par chemin de fer depuis la gare d'embarquement appropriée la plus proche du point de chargement de la marchandise jusqu'à la gare de débarquement appropriée la plus proche du point de son déchargement » (article 1er, paragraphe 1, premier tiret).

Afin de prévenir les abus, le respect de ces prescriptions est garanti par des mesures de contrôle. L'article 3 prévoit, en effet, l'obligation pour le transporteur de compléter le document de transport:

« par l'indication des gares d'embarquement et de débarquement relatives au parcours ferroviaire ».

Il est en outre précisé:

« Ces mentions sont apposées avant l'exécution du transport et confirmées par l'apposition d'un cachet des administrations ferroviaires dans les gares en question lorsque la partie du transport qui est effectuée par chemin de fer est terminée. »

2.  Ces dispositions sont au centre d'une divergence d'interprétation qui porte sur la notion de « gare de débarquement appropriée la plus proche » du point du déchargement de la marchandise.

En effet, les autorités italiennes continuent d'assujettir à une autorisation de transport l'entrée en Italie de tous les véhicules acheminés par rail depuis la République fédérale d'Allemagne et débarqués à Lugano, au motif que la directive ne saurait s'appliquer à un transport combiné rail/route dès lors que la gare de débarquement n'est pas située sur le territoire de la Communauté mais dans un État tiers, en l'occurrence la Suisse. Pour la Commission, au contraire, la gare de débarquement
peut être située dans un État tiers dès lors que le lieu de livraison de la marchandise se situe dans un État membre. Relevons au passage qu'il n'est pas contesté qu'en fait Lugano constitue la gare de débarquement la plus proche des localités italiennes situées dans l'extrême nord de cet État, dès lors qu'elle est plus proche de ces localités que celles-ci ne le sont de Milan.

Ainsi le litige se circonscrit à l'examen de la conformité à la directive 75/130 du maintien par l'Italie d'un système d'autorisation de transport préalable à l'entrée des véhicules transitant par une gare de débarquement située dans un État tiers avant de rejoindre par la route le point de déchargement situé dans un État membre.

Examinons à présent l'argumentation respective des parties.

3.  Faisant valoir que la directive n'exclut nullement que la gare de débarquement puisse être située sur le territoire d'un État tiers, la Commission reproche à l'Italie d'avoir introduit, pour l'application de ce texte, une restriction que celui-ci n'avait pas prévue et qui, développe-t-elle à l'audience, est contraire aux objectifs poursuivis par le législateur communautaire.

L'Italie réfute cette argumentation.

Elle déclare en premier lieu que, si la directive avait voulu inclure dans son champ d'application les gares situées sur le territoire d'un État tiers, elle l'aurait indiqué expressément. Elle considère en second lieu que cette thèse serait confirmée tant par' l'article 3 de la directive que par les orientations de négociation adressées à la Commission par le Conseil pour la mise en oeuvre de la décision du 26 mars 1981«relative à l'ouverture de négociations entre la Communauté économique
européenne et des pays tiers concernant l'établissement de règles communes applicables à certains transports combinés rail/route de marchandises ».

Selon elle, en effet, l'article 3 mettrait à la charge des administrations ferroviaires l'obligation d'apposer un cachet sur le document de transport. Or, la directive ne pouvant disposer que pour la Communauté, une telle obligation ne saurait lier l'administration d'un État tiers.

Elle estime que son interprétation est renforcée par les orientations de négociations précitées qui incluraient expressément le cas d'espèce. Elle en déduit, a contrario, que l'hypothèse dont s'agit — gare de débarquement située dans un État tiers — n'entre pas dans le champ d'application de la directive 75/130.

4.  On peut certes, à première vue, être tenté de suivre la Commission. Nul ne conteste, en effet, que son interprétation s'inscrit dans le cadre de la politique poursuivie en ce domaine par le Conseil. Ce dernier, en privilégiant les transports combinés intracommunautaires, a entendu inciter à l'utilisation du rail et réduire au minimum la longueur du transport routier. On comprend dès lors que la Commission ait inclus le cas d'espèce dans cette logique. Mais il faut nous demander si elle est, en
droit, fondée à le faire.

Pour emporter votre conviction, la Commission réplique aux moyens soulevés par l'Italie que l'obligation contenue à l'article 3 pèserait à titre principal sur le transporteur qui, pour bénéficier de la directive, devrait produire une preuve matérialisée par l'apposition d'un cachet. Peu importerait dès lors que cette opération, s'imposant aux administrations des États membres, soit le fait de l'administration d'un État tiers dès lors que cette dernière, bien que n'y étant tenue, accepterait d'y
procéder.

En ce qui concerne les instructions données en vue des négociations avec les États tiers, la Commission affirme qu'elles seraient sans incidence sur le champ d'application et l'interprétation de la directive 75/130.

5.  Contrairement à la Commission, nous estimons que l'article 3 doit s'interpréter comme comportant entre autres une obligation mise à la charge de l'administration ferroviaire. Les termes employés — « ces mentions sont ... confirmées par l'apposition d'un cachet des administrations ferroviaires dans les gares en question... » ( 2 ) — attestent, par leur caractère impératif, qu'il s'agit là d'une obligation qui, en tant que telle, ne peut s'imposer qu'aux administrations ferroviaires des États
membres.

Cette interprétation se trouve confortée par les directives de négociation. En effet, celles-ci incluent dans les relations de trafic sur lesquelles les négociations doivent porter

« Les transports combinés rail/route effectués:

...

— entre deux États membres et en transit sur le territoire d'un pays tiers (dans la mesure où le transport routier comporte le franchissement d'une frontière entre un État membre et un pays tiers) » ,

étant observé que, pour mieux cerner la mission ainsi conférée à la Commission, le Conseil a précisé que:

« Les transports entre deux États membres comportant un transit entièrement ferroviaire sur le territoire d'un pays tiers sont déjà compris dans le champ d'application de la directive» (75/130).

L'interprétation développée par la Commission au soutien de son recours reflète certainement la démarche du législateur communautaire, mais elle anticipe, à notre avis, sur l'état du droit à intervenir, dont la directive 75/130 ne constitue qu'une étape. Le dispositif mis en place par ce dernier texte demande à être complété. Si tel est, sans nul doute, l'objet de la décision prise le 26 mars 1981 par le Conseil, il apparaît difficile d'y parvenir immédiatement par une interprétation extensive
du champ d'application de la directive 75/130 qui conduirait à faire condamner un État membre pour avoir manqué à une obligation qui n'a pas clairement été mise à sa charge.

6.  Nous concluons donc au rejet du recours en manquement introduit par la Commission contre l'Italie pour violation des obligations imposées par la directive 75/130 du Conseil en date du 17 février 1975 et à ce que les dépens soient mis à la charge de la requérante.

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( 1 ) JO L 48, p. 31.

( 2 ) C'est nous qui soulignons.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2/84
Date de la décision : 13/02/1985
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Transport combiné rail / route - Gare de débarquement dans un pays tiers.

Transports


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:70

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