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13/12/1984 | CJUE | N°228/83

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 13 décembre 1984., F. contre Commission des Communautés européennes., 13/12/1984, 228/83


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 13 décembre 1984 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Nous croyons que jamais comme dans la présente affaire le terme « litige » n'a été employé devant vous dans toute la valeur de ses deux acceptions : celle, caractéristique du lexique juridique, de controverse et celle, propre à l'usage commun, de rixe ou de bagarre. En effet, vous êtes appelés à apprécier la légalité d'une décision administrative adoptée le 7 avril 1983 par M. Richa

rd Burke, membre de la Commission chargé des questions du personnel, par laquelle M. F., administrate...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 13 décembre 1984 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Nous croyons que jamais comme dans la présente affaire le terme « litige » n'a été employé devant vous dans toute la valeur de ses deux acceptions : celle, caractéristique du lexique juridique, de controverse et celle, propre à l'usage commun, de rixe ou de bagarre. En effet, vous êtes appelés à apprécier la légalité d'une décision administrative adoptée le 7 avril 1983 par M. Richard Burke, membre de la Commission chargé des questions du personnel, par laquelle M. F., administrateur principal
de la Commission et requérant dans cette affaire, a été révoqué pour avoir — nous citons le texte de l'acte — « commis... une agression violente contre le directeur général du personnel et de l'administration en lui causant des blessures ».

Il n'est pas douteux que, du point de vue disciplinaire, le litige « rixe » constitue un comportement illicite d'une gravité extrême. Quant au litige « controverse », il prend dans notre affaire l'envergure d'un dossier démesuré dans lequel les parties ont introduit toute sorte de documents et de considérations, soit pour confirmer leur version de l'incident soit pour corroborer leurs arguments juridiques. Toutefois, nous devons constater que cette profusion de documents n'a pas rendu les « eaux
» du procès plus limpides. Elle les a même troublées davantage: cela est d'autant plus déplorable que la matière est disciplinaire, c'est-à-dire plus que toute autre caractérisée par l'importance des faits et des circonstances.

Pour des raisons de clarté et également pour nous en tenir à l'essentiel, nous ne retiendrons donc que les seuls faits et les seuls arguments qui nous ont paru indispensables pour apprécier correctement la légalité de l'acte soumis à votre examen.

2.  Au service de la Commission depuis 1975, d'abord en qualité d'agent temporaire, puis comme fonctionnaire titulaire, M. F. fut détaché à partir du 1er juillet 1982 et pour une durée de deux ans auprès du ministère français de la Coopération et du Développement. Cette décision entrait dans le cadre d'une politique d'échanges de fonctionnaires entre la Commission et les administrations des États membres que l'institution communautaire avait mise en œuvre depuis 1976.

Avant de décider le détachement, le président Thorn avait signalé au ministre français la volonté de la Commission d'éviter que le programme d'échanges, conçu essentiellement dans un but de formation, de développement de carrière et d'information des fonctionnaires, pût être dénaturé par des « considérations politiques ». Le ministre donna d'amples garanties quant à l'affectation de M. F. et plus rien ne s'opposa au détachement de ce dernier.

Toutefois, quelques jours après avoir pris ses fonctions en France, le requérant demanda et obtint du ministère un congé électoral (du 1er au 10 août) pour participer en tant que candidat aux élections pour l'assemblée de Corse. Il n'avait pas informé la Commission de sa candidature. Élu, M. F. n'avait pas non plus annoncé cet événement à la Commission. En revanche, un mois après son élection, précisément le 8 septembre 1982, il sollicita par une lettre envoyée au directeur général de
l'administration, M. Morel, l'autorisation, conformément à l'article 12, alinéa 3, du statut, d'exercer le mandat que les électeurs corses lui avaient confié.

Les semaines passèrent sans qu'une réponse ne parvînt du directeur du personnel. Toutefois, les services de la Commission n'avaient pas oublié M. F. et, dès le 8 septembre, ils avaient été chargés par le directeur, qui évidemment avait eu connaissance de son élection, d'étudier les mesures à prendre à son égard. Face au silence de l'administration et prévenu peut-être que les initiatives en cours ne correspondaient pas à ses prétentions, le requérant a alors décidé de se rendre personnellement à
Bruxelles. Le 6 octobre, il a demandé au directeur du personnel une entrevue qui eut lieu l'après-midi du même jour dans le bureau de ce dernier.

A partir d'ici, les versions des parties divergent et, dans leur récit de ce qui s'est produit pendant l'entretien, les rancunes et les procès d'intention brouillent ou dénaturent les faits. Nous ne connaîtrons peut-être jamais la vérité de leurs gestes ni celle de leurs propos. Nous préférons donc nous en tenir à la « vérité » fournie par le conseil de discipline dans son avis motivé émis à la suite de la procédure disciplinaire que le commissaire Burke avait engagée à l'encontre de M. F. Voici
le passage clé:

« Bien que l'argumentation (dont les mesures administratives consécutives à l'élection de M. F. constituaient bien évidemment l'objet) eût été pour partie très controversée, l'entretien a été largement conduit sur un ton serein, en toute objectivité. La situation ne s'est envenimée qu'à la fin, lorsqu'il est apparu qu'aucun rapprochement des points de vue n'était possible et après la réponse de M. Morel à M. F. à propos de l'intention que celui-ci avait manifestée de saisir la Cour de justice de
son cas.

M. F. a agressé M. Morel d'une manière soudaine et violente. Il lui a donné des coups de poing au visage et l'a empoigné par le devant de sa chemise qui s'est déchirée. La violence du choc a fait tomber M. Morel du fauteuil où il était assis. Il s'est blessé à la main en essayant de se retenir au bord de la table basse en verre autour de laquelle les trois participants à l'entretien étaient assis... »

La rixe n'a pas pris fin ici ; mais même une inspection dans le bureau du directeur n'a pas permis au conseil de discipline d'établir avec certitude les faits qui suivirent. Malgré cela, il a conclu en affirmant : « Il est établi en tout cas que M. F a commis une agression violente contre M. Morel... » Tel est le seul fait que la Commission reproche au requérant. Tel est également le seul fait sur lequel les deux parties s'accordent sans réserve.

En vérité, dans le dossier, le requérant et la défenderesse s'attardent encore sur toute une série d'événements et sur les mille conséquences, surtout d'ordre psychologique, qui en auraient découlé. Toutefois, ces événements ne contribuent en aucune manière à la connaissance effective du problème soulevé par le présent recours et n'ont aucune incidence sur sa solution. Il s'agit, en particulier, d'une lettre de. réponse — ou plutôt d'un projet de lettre — qui aurait dû être envoyée à M. F. et
dont le contenu, soumis à l'examen des services internes de la Commission (qui par la suite en ont référé au directeur du personnel), concernait en substance la situation statutaire de M. F. après son élection à l'assemblée corse. Il est constant qu'elle n'a jamais été expédiée et partant son contenu n'a pas pu avoir d'influence sur le comportement du requérant.

Les événements qui ont fait suite à l'épisode du 6 octobre ont été essentiellement d'ordre administratif. M. F. ayant été suspendu le 20 octobre, l'autorité compétente a ouvert aussitôt une procédure disciplinaire à l'égard de celui-ci conformément aux règles établies dans l'annexe IX au statut. Après une instruction soignée et minutieuse, le conseil de discipline a émis à son tour, le 8 mars 1983, un avis motivé recommandant à l'autorité investie du pouvoir de nomination d'appliquer à M. F. la
sanction visée à l'article 86, paragraphe 2, lettre e), du statut, c'est-à-dire la rétrogradation du grade A/5, quatrième échelon au grade A/6, huitième échelon. Le 7 avril 1983, le commissaire Burke, s'écartant de cette recommandation, a infligé au fonctionnaire la sanction de la révocation, sans supprimer ou réduire son droit à la pension d'ancienneté. D'où une réclamation administrative et, après son rejet explicite par la Commission, le recours sur lequel vous êtes appelés à statuer.

3.  Ainsi résumée, l'affaire semblerait linéaire et sa solution facile. Malheureusement, il n'en est pas ainsi. L'article 1er, alinéa 1, annexe IX du statut dispose que « le conseil de discipline est saisi par un rapport émanant de l'autorité investie du pouvoir de nomination qui doit indiquer clairement les faits reprochés et, s'il y a lieu, les circonstances dans lesquelles ils ont été commis ». Faits et circonstances par conséquent. Si nous avons déjà mentionné les premiers, nous n'avons pas
encore parlé des secondes qui, en revanche, constituent le véritable nœud de la question de légalité de l'acte litigieux.

Sur les circonstances en tant qu'élément accessoire de l'infraction disciplinaire dans le droit de la fonction publique communautaire et en particulier sur leur but et leurs effets, nous connaissons scientifiquement très peu de chose, ne fût-ce que parce que la Cour a eu rarement l'occasion de s'en occuper. Sans vouloir pourtant combler cette lacune, nous nous bornerons à faire deux remarques de caractère général qui nous concernent de près et qui ne devraient pas soulever trop de doutes:

a) le législateur n'a pas précisé le contenu et la portée des circonstances et cela évidemment dans le but d'assurer à l'administration une marge de manœuvre la plus large possible;

b) si, conformément à l'article 1er, l'autorité investie du pouvoir de nomination entend attacher également de l'importance aux « circonstances dans lesquelles les faits ont été commis », elles doivent pour cette raison être clairement spécifiées.

Revenons alors à notre litige pour constater que c'est précisément à propos des circonstances dans lesquelles l'agression contre M. Morel a été commise que régnent la confusion et le désaccord; et cela non seulement entre les parties en cause, mais entre les organes mêmes chargés de la procédure disciplinaire. En effet:

a) dans le rapport adressé au conseil de discipline, le commissaire Burke, se détachant du texte de l'annexe IX qui parle de circonstances dans lesquelles les faits reprochés ont été commis, préfère spécifier les circonstances dans lesquelles les faits reprochés « se sont produits ». Il va de soi que la différence entre les deux formules n'est pas seulement de style : tant il est vrai que parmi les circonstances prises en considération à la page 6 du rapport figurent des données et des aspects
tout à fait étrangers aux circonstances dans lesquelles l'agression a eu lieu. Ainsi, on mentionne l'élection de M. F. en tant que fait nouveau par rapport à sa position administrative ; on disserte longuement sur la liberté des fonctionnaires d'avoir une opinion politique ; on fait allusion à certaines règles de bonne conduite. Tous éléments significatifs, nous ne le nions pas, et certainement en jeu lorsque les faits se sont produits; mais néanmoins inutiles si on veut comprendre comment et
pourquoi cette violente agression a été commise ;

b) dans l'avis motivé du conseil de discipline, en revanche, on ignore tout à fait les « circonstances » indiquées par le commissaire Burke tandis que l'on s'occupe — et nous ajoutons à juste titre — des circonstances subjectives et objectives qui se rapportent à l'acte illicite. Ainsi sont clairement spécifiées tant « les circonstances dans lesquelles l'entretien a été organisé» [p. 4, no 2, sous a)], que « les circonstances dans lesquelles l'agression est intervenue » [p. 5, sous c)].
Certaines de ces circonstances sont ensuite qualifiées d'atténuantes (p. 7, alinéa 3); et il en est tenu compte pour réduire la gravité de la sanction infligée à l'inculpé dont le comportement — c'est le conseil lui-même qui l'affirme — mériterait par lui-même la plus sévère des peines (voir ci-dessous, point 7);

c) dans la décision disciplinaire, enfin, le commissaire Burke ne fait plus référence aux circonstances sur lesquelles son rapport avait insisté. Il mentionne par contre celles qui ont été retenues dans l'avis du conseil sans toutefois les considérer comme atténuantes.

De leur côté, les parties au litige expriment des opinions antithétiques, mais pour le moins — et ce n'est pas un mérite sans importance — se rapportant au même objet: c'est-à-dire l'existence ou l'inexistence des « circonstances atténuantes » reconnues par le conseil de discipline.

Cela dit, établir laquelle de toutes les versions reproduites dans notre affaire spécifie d'une manière claire et surtout véridique le contenu des circonstances dans lesquelles l'agression a été accomplie est probablement impossible et de toute façon superflu. Il suffit, croyons-nous, de constater un fait: dans tous les actes qui revêtent de l'importance aux fins de ce procès — c'est-à-dire en dehors de l'avis du conseil de discipline, la décision du commissaire Burke et les conclusions des
parties —, chacun des sujets qui en est l'auteur finit par s'accorder sur le contenu des circonstances considérées par le conseil comme atténuantes, tout en les appréciant différemment du point de vue juridique. Voyons donc ce que dit le conseil. A la page 7 de l'avis motivé, nous lisons que lesdites circonstances découlent:

« — d'une part, du caractère névrotique de M. F. caractérisé par un seuil de tolérance diminué aux frustrations ;

— d'autre part, du sentiment d'insécurité et d'angoisse correspondant à un niveau élevé de frustrations qui a été créé chez M. F. par la gravité des conséquences éventuelles des décisions susceptibles d'intervenir à son égard, par les circonstances dans lesquelles l'entretien a été organisé et par son déroulement ;

— enfin, de l'absence manifeste de préméditation ».

Comme il est évident, le conseil met l'accent tant sur les conditions ou les qualités psychophysiques du coupable que sur les rapports entre ce dernier et la partie offensée au moment de l'agression. Le conseil a été mis sur cette voie dans une large mesure par un rapport médical délivré le 27 octobre 1982 par le docteur J. De Geyter et par le professeur E. Dumont qui ont visité M. F. le 13 du même mois à l'institut Fond Roy où le requérant avait été transporté par quelques collègues tout de
suite après l'incident. Il vaut la peine d'observer que, tout en constituant du point de vue de la procédure un acte de la partie défenderesse, ce rapport n'a jamais été contesté ni pendant la procédure disciplinaire ni au cours de notre affaire. En outre, il est un des éléments essentiels sur lesquels se fonde la décision du 7 avril. Il peut donc être considéré comme une sorte d'expertise technique pro veritate. Il affirme en substance ce qui suit:

« Dans le sens de la loi, M. F. doit être considéré comme responsable au moment des faits qui lui sont reprochés et actuellement. Toutefois, il y a lieu de tenir compte de sa personnalité névrotique caractérisée, notamment, par une diminution du seuil de tolérance aux frustrations. »

4.  Dans le présent recours, M. F. demande à titre principal que la décision de la Commission du 11 juillet 1983 qui a rejeté sa réclamation visant à obtenir l'annulation de la décision du 7 avril 1983 (révocation) soit annulée ; il demande en outre, si besoin est, l'annulation de l'avis motivé du conseil de discipline. A titre subsidiaire, il demande l'allocation de dommages-intérêts évalués à trois années de traitement et toute autre forme d'indemnisation permettant de réparer le préjudice qu'il a
subi en sa qualité de fonctionnaire.

La Commission, de son côté, demande que le recours soit déclaré irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre l'avis du conseil de discipline ; et pour le reste, qu'il soit déclaré non fondé.

5.  A l'appui de son exception d'irrecevabilité, la Commission affirme que, bien que la Cour se soit implicitement prononcée en sens contraire (arrêt du 11 juillet 1968, affaire 35/67, Van Eick/Commission, Recueil 1968, p. 432), l'avis du conseil de discipline est uniquement un acte préparatoire dépourvu de caractère contraignant. Il est donc impossible qu'il fasse l'objet d'un recours en annulation. Cela n'implique pas que, si le conseil l'a émis en violant les règles statutaires, le fonctionnaire
intéressé soit privé de protection. En effet, rien n'empêche qu'il attaque la décision proprement dite en faisant valoir, dans le cadre de ce recours, les irrégularités éventuelles qui affectent tant l'avis que la procédure disciplinaire.

Le requérant soutient la thèse contraire. Après avoir observé que l'avis constitue l'aboutissement d'une « procédure spéciale distincte » et que sa fonction consiste à permettre à l'autorité investie du pouvoir de nomination de prendre une décision disciplinaire, il soutient qu'il peut être attaqué de manière autonome. A son avis, votre récent arrêt du 11 novembre 1981, affaire 60/81, IBM/Commission, Recueil 1981, p. 2639, constitue un précédent en ce sens.

Nous ne croyons pas que cette thèse soit fondée. Comme chacun le sait, selon l'article 91, paragraphes 1 et 2, du statut, la Cour est compétente pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses fonctionnaires portant sur la légalité d'un acte « faisant grief ». En outre, le recours n'est recevable que si une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, a été adressée à l'autorité investie du pouvoir de nomination dans le délai y prévu. Or, il est constant qu'en l'espèce, le
requérant a introduit cette réclamation uniquement contre la décision du commissaire Burke. De plus : M. F. y soutient que cette décision était illégale puisqu'elle a nié, contrairement à l'avis du conseil de discipline, l'existence de circonstances atténuantes. Par conséquent, loin de critiquer comme il le fait aujourd'hui l'avis en question, le requérant l'invoquait ; mieux, il en faisait une arme pour attaquer la décision du commissaire.

Cette observation est-elle suffisante pour conclure à l'irrecevabilité du recours? A notre avis, elle l'est. Admettons, cependant, que la Cour n'en tienne pas compte; c'est-à-dire qu'elle estime que la réclamation relative à l'avis est implicitement contenue dans celle dirigée contre la décision disciplinaire. Le requérant devra néanmoins démontrer que l'avis est une décision, c'est-à-dire un acte produisant des effets susceptibles d'avoir une incidence sur la sphère juridique de celui qui
l'attaque.

L'arrêt IBM — qui concerne la nature de certains actes préparatoires dans le cadre d'une procédure antitrust — est invoqué précisément à cette fin. Les passages qui revêtent pour nous de l'importance figurent dans les attendus 10 et 11. En principe — avez-vous affirmé — « lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, notamment au terme d'une procédure interne, ne constituent un acte attaquable que les mesures qui fixent définitivement la position de
la Commission ou du Conseil au terme de cette procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale. Il n'en serait autrement... que si des actes ou décisions pris au cours de la procédure préparatoire, constituaient eux-mêmes le terme ultime d'une procédure spéciale distincte de celle qui doit permettre à la Commission ou au Conseil de statuer sur le fond ».

Comme il est évident, la thèse du requérant se fonde sur ce dernier obiter dictum. Mais même en concédant — et c'est une concession sur laquelle nous avons plus d'un doute — que la procédure antitrust et la procédure disciplinaire soient comparables et que les règles de l'une valent également pour l'autre, nous estimons pouvoir exclure avec certitude que l'avis du conseil de discipline :

a) constitue le terme ultime d'une « procédure spéciale et distincte »,

b) soit une mesure définitive, ou même provisoire. Nous nous expliquons, statut en main et à la lumière des principes de droit administratif.

Sur le point a). L'article 87, alinéa 2, établit que la rétrogradation et la révocation « sont infligées par l'autorité investie du pouvoir de nomination après accomplissement de la procédure disciplinaire ». Nous observons que la disposition subordonne l'adoption des sanctions les plus graves non pas à l'avis du conseil de discipline — c'est-à-dire à l'adoption d'un acte —, mais au déroulement d'une procédure entière et complexe, laquelle est régie par un ensemble de règles qui se trouvent dans
le statut et dans une annexe spéciale. Voyons alors les aspects de ces règles qui apparaissent comme les plus importantes pour la solution de notre problème. En particulier, quel est l'organe qui engage et qui clôt la procédure ? Et par quels actes ?

L'ouverture a lieu à « l'initiative de l'autorité investie du pouvoir de nomination », affirme le même article 87, en nous faisant ainsi comprendre qu'il s'agit d'un pouvoir attribué uniquement à ce dernier organe (mais ce pouvoir s'accompagne d'une obligation : le fonctionnaire intéressé doit être entendu). L'article 1er de l'annexe IX nous explique ensuite que la procédure débute par un rapport émanant de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Cette disposition joué donc le rôle de
charnière entre les règles du statut et celles de l'annexe et par cela même nous incite à apprécier les unes et les autres dans un contexte unique. Enfin, l'article 7, dernier alinéa, de cette même annexe nous dit comment et par qui la procédure est close. Il établit que l'autorité investie du pouvoir de nomination « prend sa décision dans le délai d'un mois (à compter de l'adoption de l'avis) ». Encore une fois, cependant, l'autorité investie du pouvoir de nomination est tenue d'entendre le
fonctionnaire.

Cela dit, le tableau est complet et — nous semble-t-il — ne comporte pas d'ombre. La procédure disciplinaire est ouverte et close par le même organe, au moyen du même acte et à la même condition : l'autorité investie du pouvoir de nomination, par une décision, après avoir entendu l'intéressé. Il n'est donc pas vrai que la procédure se fragmente en séquences « spéciales » et assorties de « termes ultimes ». Elle est articulée, mais unitaire, et l'autorité investie du pouvoir de nomination est la
seule autorité qui la gouverne du début à la fin.

Sur le point h). D'évidentes raisons d'ordre substantiel s'opposent à ce que l'avis soit considéré comme une décision, du moins au sens technique d'acte produisant des effets juridiques obligatoires. Certes, il s'agit d'un acte administratif, mais caractérisé néanmoins par des aspects très particuliers. Ainsi, loin d'exprimer la volonté de l'administration, il est une manifestation d'un jugement (porté sur « la sanction que lui paraissent devoir entraîner les faits reprochés » : article 7,
alinéa 1, annexe IX) et éventuellement une manifestation de la connaissance de faits et circonstances (dans la mesure où il rend compte de l'enquête effectuée : article 6 de la même annexe).

De ce point de vue, nous le définirions comme un acte typique de fonction consultative, c'est-à-dire un acte par lequel l'organe saisi est appelé à apprécier sur le plan technique un fait soumis à son examen par l'organe doté du pouvoir de décision. En effet, l'appréciation administrative ne relève que de ce dernier : tant il est vrai que, bien qu'il soit obligatoire pour l'adoption des sanctions les plus graves, l'avis ne lie pas et que l'autorité investie du pouvoir de nomination peut se
prononcer de manière différente, à condition qu'elle motive son dissentiment. En définitive, l'avis est un acte interne de nature préparatoire. Il n'est pas possible de l'attaquer et le recours par lequel on en demande directement l'annulation est inadmissible.

Parvenus à ce résultat, nous estimons utile de souligner ce que nous avons déjà dit en résumant la thèse de l'institution défenderesse : les vices ou les irrégularités qui peuvent entacher l'avis motivé ne sont pas soustraits au contrôle juridictionnel. L'avis, nous venons de le voir, est un acte interne : mais cela n'empêche pas qu'il revête une importance externe si et lorsque la procédure dans laquelle il est inséré aboutit à une décision. En ce cas, ses vices (comme, de manière plus
générale, tous les vices de la procédure) peuvent avoir une influence sur la légalité et sur la validité de l'acte final et donc être censurés à l'occasion d'un recours contre cet acte. Naturellement, il ne s'agira pas d'une possibilité illimitée. En effet, l'influence à laquelle nous faisons allusion doit être concrète; les vices de l'avis doivent avoir eu une incidence effective sur la forme ou sur le fond dela décision.

Ce concept est encore mieux expliqué par un exemple tiré précisément de notre affaire. Un des moyens par lequel le requérant attaque la décision est la violation des formes substantielles et, parmi les nombreux griefs soulevés à ce titre, le dernier consiste en ce que le délai trimestriel que l'article 7, paragraphe 1, annexe IX, impose au conseil de discipline pour la rédaction de son avis n'a pas été respecté. Or, ce délai se rapporte à une procédure interne qui, bien qu'elle doive assurer
certaines garanties, n'a ni caractère juridictionnel ni nature d'ordre public. On en déduit que son but est uniquement d'organiser dans le temps le déroulement de l'action disciplinaire, et, par conséquent, que son manque de respect peut tout au plus entraîner la responsabilité de l'administration (voir arrêt du 4 février 1970, affaire 16/69, Van Eick/Commission, Recueil 1970, p. 3), mais ne peut certainement pas donner lieu à la nullité de la mesure finale ; de tout cela, notre cas fournit une
preuve évidente. Le fait que l'avis ait été émis après trois mois n'a en aucune manière influé sur la décision du commissaire : laquelle, du point de vue formel, a été régulière et adoptée dans le délai.

Voici donc les conclusions auxquelles nous sommes parvenus au cours du présent paragraphe :

a) l'avis motivé du conseil de discipline et les actes de la procédure disciplinaire qui ne constituent pas de véritables décisions sont des actes qui, par eux-mêmes, ne sont pas susceptibles de recours au sens des articles 90 et 91 du statut ;

b) les vices ou irrégularités éventuels qui entachent la procédure disciplinaire ou l'avis peuvent être invoqués dans le recours dirigé contre la décision définitive dans la mesure où ils ont une influence concrète sur la légalité ou sur la validité de cet acte, en ce qui concerne tant le respect de la forme que l'appréciation juridique du fait.

C'est en respectant les limites ainsi déterminées que nous aborderons l'examen des griefs formulés par le requérant contre la procédure disciplinaire et l'avis motivé.

6.  Dans la demande introductive, le requérant soulève cinq moyens de recours, à savoir :

1) violation des formes substantielles;

2) violation des droits de la défense;

3) erreurs manifestes dans l'appréciation des faits;

4) erreur de droit;

5) motivation erronée, incomplète et insuffisante.

Disons tout de suite que, à notre avis, les deux premiers moyens sont dénués de fondement, le troisième et le quatrième ne contiennent pas d'éléments qui permettent à la Cour d'apprécier la manière dont l'administration a exercé son pouvoir discrétionnaire, le dernier est partiellement fondé. Voici, dans l'ordre, les arguments de la thèse que nous vous soumettons.

Par le premier moyen — violation des formes substantielles —, le requérant reproche cinq vices à la décision attaquée :

a) le principe du contradictoire sur lequel se fonde la procédure disciplinaire n'aurait pas été respecté;

b) les procès-verbaux des auditions des témoins auraient été rédigés avec retard, c'est-à-dire lorsque l'avis motivé avait été déjà émis;

c) ces mêmes procès-verbaux n'auraient pas été signés par les témoins;

d) les procès-verbaux des réunions du conseil de discipline ne lui auraient pas été communiqués;

e) le conseil n'aurait pas observé le délai (trois mois) qui lui est imposé pour la formulation de l'avis.

Nous avons déjà démontré que ce dernier grief n'est pas fondé (no 5, in fine) ; et, quant au troisième, nous constatons que le requérant l'a abandonné en reconnaissant son manque de fondement après le mémoire en défense de la Commission. Restent le second, le quatrième et le premier ; mais en réalité, seul ce dernier revêt de l'importance puisque les autres ne font qu'en spécifier deux aspects particuliers et, somme toute, marginaux.

Le contradictoire, donc. Avant même que le statut actuel des fonctionnaires n'entrât en vigueur, vous avez reconnu (voir encore arrêt du 11 juillet 1968 dans l'affaire Van Eick/Commission) que, bien qu'il soit un organe consultatif a la disposition de l'autorité investie du pouvoir de nomination, le conseil de discipline est tenu de respecter cette règle. Or, est-il permis de soutenir qu'il l'a violée en l'espèce ? Nous le nions. Il faut dire que c'est en premier lieu le requérant qui a répandu
des doutes sur ses propres prétentions. En effet, F. ne conteste pas que lui-même — qui se plaint du retard avec lequel il a reçu les procès-verbaux de certaines audiences — a refusé d'être présent à ces audiences (dont il a de toute façon entendu les enregistrements) ; mais, ce qui est plus important, il se répand en éloges presque lyriques sur la manière minutieuse et irrépréhensible dont le conseil a mené son enquête (l'avis — lisons-nous à la page 23 de son mémoire en réplique — est « fort
complet et soigneusement motivé... émis après une procédure étayée par de nombreux témoignages, de nombreuses dépositions et les plaidoiries de plusieurs avocats »!).

Ce n'est cependant pas là notre argument le plus important. Demandons-nous quel contenu il faut attribuer au principe du contradictoire dans la procédure disciplinaire communautaire. A défaut de décisions de votre part, il nous semble évident que la raison et l'expérience nous dictent la réponse : or, l'une et l'autre nous disent que, lorsque l'on cherche la vérité sur des faits susceptibles de quelque manière d'être poursuivis, le moyen le plus efficace et le plus clair de discerner le réel et
l'illusoire, l'essentiel et le superflu, le volontaire et le non-voulu est la confrontation directe entre les parties. Sans vouloir invoquer l'exemple le plus illustre de cette méthode qui est la cross examination du procès pénal britannique, les juges d'instruction de tradition continentale savent bien eux aussi qu'un témoignage rendu en l'absence de l'accusé a moins de valeur qu'une déposition faite devant lui.

Nous déduisons de ces remarques que la règle du contradictoire est respectée lorsque les faits et circonstances mis à la charge ou à la décharge du fonctionnaire sont recueillis par l'organe disciplinaire en présence de ce dernier. Or, M. F. demande beaucoup plus que cela. Ainsi, lorsqu'il exige que le conseil remette à ses avocats les procès-verbaux des auditions de témoins auxquelles il a assisté, il ne lui demande pas de s'en tenir au principe du contradictoire, mais tente de convertir une
procédure substantiellement orale et en plus supplémentaire au regard du rapport de l'autorité investie du pouvoir de nomination, en un procès fondé sur des morceaux de papier. Ainsi, lorsqu'il invoque à chaque instant l'article 9, annexe IX — selon lequel les réunions du conseil et les auditions de témoins doivent faire l'objet d'un procèsverbal —, il élève une simple exigence de documentation au rang d'une règle de procédure qui n'a pas de raison d'être dans notre cas.

Comme il est évident, tout cela vaut également pour le droit de défense qui est du reste la base sur laquelle se fonde le principe du contradictoire. M. F. se plaint de n'avoir pas pu se défendre de manière adéquate pendant le dernier entretien qu'il a eu avec l'autorité investie du pouvoir de nomination parce qu'il n'était pas en possession des comptes rendus écrits de certaines dépositions et des procès-verbaux relatifs aux réunions du conseil. Mais, puisqu'il est prouvé, non contesté et même
reconnu par le requérant que lui et ses avocats ont été en mesure :

a) de développer leurs moyens de défense tant en présentant des observations écrites et orales qu'en citant de nombreux témoins (comme le prévoit l'article 4, alinéa 2, annexe IX);

b) d'assister aux auditions de tous les témoins ainsi que de connaître en temps opportun leurs déclarations écrites et orales (comme l'exige l'article 6, alinéa 1, de la même annexe), il nous semble évident. que le deuxième moyen de recours doit lui aussi être considéré comme dénué de fondement.

7.  Par le troisième et le quatrième moyens, M. F. attaque la décision émise à son égard pour erreur manifeste dans l'appréciation de nombreux éléments et pour erreur de droit. En effet, selon lui, l'autorité investie du pouvoir de nomination aurait omis de prendre en considération beaucoup de circonstances que le conseil de discipline a décrites dans son avis ; et, en ne leur attribuant pas le caractère atténuant reconnu par l'organe consultatif, il lui aurait infligé une sanction disproportionnée
par rapport à la gravité des faits qui lui sont reprochés.

Sur le premier point, il y a peu de choses à dire. Comme nous l'avons précisé sous le no 3, dans le rapport du 20 octobre, le commissaire Burke a effectivement examiné des circonstances qui n'avaient rien à voir avec l'agression accomplie par F. ; toutefois, il n'est pas douteux que, au moins pour contester leur nature atténuante, il se soit référé, lors de la décision, aux seules circonstances dont le conseil s'est occupé. Nous ajoutons que, en formulant la décision finale, l'autorité investie
du pouvoir de nomination n'est pas du tout tenue d'énumérer à nouveau tous les aspects de l'affaire soumise à son appréciation. En d'autres termes, elle peut les exposer et les apprécier per relationem, c'est-à-dire en se référant au texte de l'avis motivé. Si cela est vrai, rien de ce qu'affirme le requérant ne permet d'exclure que l'autorité investie du pouvoir de nomination a pleinement examiné et correctement apprécié chaque fait et chaque circonstance relatifs à l'épisode du 6 octobre. Le
grief d'erreur manifeste doit donc être rejeté.

Le deuxième problème est plus complexe parce qu'il concerne l'appréciation juridique du fait par rapport à la règle qui le régit quant au type de sanction à prononcer. Nous entrons ici dans le champ du « pouvoir d'appréciation discrétionnaire » de l'administration reconnu à l'autorité disciplinaire ; et donc sur un terrain sur lequel le contrôle de légalité de la Cour est à juste titre très restreint. Voir en ce sens les arrêts du 4 février 1970, affaire 13/69, Van Eick/Commission, cités, et du
30 mai 1973, affaire 46/72, De Greef/Commission, Recueil 1973, p. 543. Les faits étant prouvés — avez-vous affirmé — « l'évaluation de la gravité des manquements ainsi constatés par le [conseil] de discipline et le choix de la sanction... qui apparaît comme étant la plus appropriée relèvent du pouvoir d'appréciation de l'autorité investie du pouvoir de nomination ». La Cour — avez-vous ajouté — « ne saurait substituer son appréciation à celle de cette autorité, sauf en cas d'excès manifeste ou
de détournement de pouvoir ».

Or, il nous semble que ni l'un ni l'autre de ces vices n'entache la décision attaquée. Commençons par l'agression en soi, c'est-à-dire considérée abtraction faite des circonstances qui l'ont accompagnée. A cet égard, le fait que le conseil de discipline et l'autorité investie du pouvoir de nomination — c'est-à-dire l'organe d'appréciation technique et l'organe d'appréciation administrative — soient parvenus à la même conclusion est décisif. Celle de l'autorité investie du pouvoir de nomination
est connue ; quant aux termes employés par le conseil, ils ne sont pas moins explicites. L'expertise médicale — lit-on dans l'avis motivé — montre que l'acte commis par M. F. a été pleinement volontaire ; il s'ensuit qu'il mérite « un jugement [particulièrement] sévère d'autant plus qu'il a été le fait d'un fonctionnaire du rang d'administrateur principal ». Et encore : « Un fonctionnaire qui manifeste le comportement décrit devrait... subir la sanction la plus sévère.»

Devant cette concordance de jugements, invoquer la violation du principe de proportionnalité entre fait reproché et sanction prononcée est évidemment impossible. Nous devons alors nous demander si, en repoussant le caractère atténuant des circonstances dans lesquelles l'agression a eu lieu, le commissaire Burke a commis une erreur tellement manifeste qu'elle compromet la légalité de son acte. Mais cette hypothèse elle aussi doit être exclue.

Nous rappelons en effet que, selon l'article 86 du statut, le pouvoir d'appliquer la peine se fonde sur la constatation de deux données : l'une objective, l'accomplissement d'un acte illicite et son importance, l'autre, subjective, la volonté coupable du fonctionnaire. Après avoir vérifié la responsabilité de l'auteur et apprécié la gravité de son comportement, l'autorité investie du pouvoir de nomination n'a donc qu'à infliger la sanction ; au cours du processus logique qui l'amène à déterminer
cette dernière, elle n'est pas obligée de tenir compte de facteurs tels que l'intensité du dol ou de la faute reprochés au fonctionnaire ni l'existence de circonstances atténuantes ou aggravantes (telles que, par exemple, la récidivité). Si l'autorité investie du pouvoir de nomination estime devoir attacher de l'importance à ces éléments, le caractère discrétionnaire qui lui est reconnu est soumis à la seule — et nous dirions, naturelle — limite du raisonnable. En d'autres termes, leur
appréciation ne peut pas être arbitraire.

Les termes du problème étant ainsi clarifiés, la décision du 7 avril apparaît exempte d'erreurs manifestes. Après avoir affirmé que le requérant est responsable et que les circonstances qu'il invoque n'ont pas une nature atténuante par rapport à la gravité de son infraction, l'autorité investie du pouvoir de nomination conclut que « dans ces conditions, la sanction recommandée par le conseil de discipline est inappropriée par rapport au manquement commis ». Cette manière de procéder n'a rien
d'irrationnel ou d'arbitraire. Au contraire, elle est cohérente et conforme à des critères de bonne administration disciplinaire. Le quatrième moyen doit donc être rejeté.

8.  Des trois vices que le requérant dénonce dans le dernier moyen, à savoir la motivation erronée, incomplète et insuffisante, nous ne traiterons que du dernier. Il est en effet fondé.

Nous n'entendons pas soumettre au crible de la critique les arguments développés par les parties sur ce point. M. F. soutient que, lorsqu'elle s'écarte de la recommandation du conseil pour infliger une sanction plus grave, l'autorité investie du pouvoir de nomination doit fournir une motivation plus « précise » et plus « exhaustive » ; l'institution défenderesse reconnaît cette exigence mais elle nie que, pour la satisfaire, la motivation doit également être « abondante ». L'une et l'autre
thèses sont du reste apodictiques et de toute façon dépourvues de base légale. Les raisons qui nous amènent à considérer comme insuffisante la motivation de la décision prise par le commissaire Burke se trouvent ailleurs et concernent uniquement le dissentiment de l'autorité investie du pouvoir de nomination quant au caractère atténuant des circonstances dans lesquelles l'agression a été commise.

Nous avons déjà parlé sous le no 3 des circonstances en question : le caractère névrotique du requérant, son état d'insécurité et d'angoisse au moment de l'entretien avec le directeur, l'absence manifeste de préméditation. Or, la nature atténuante de ces éléments ou d'autres semblables constitue un point acquis dans notre patrimoine juridique, en ce sens que toutes les législations pénales et les codes disciplinaires internes aux systèmes administratifs de nos pays la reconnaissent sans réserve.
Nous croyons donc que, lorsqu'il a écrit « à la lumière de ce qui précède... les circonstances avancées par le conseil de discipline n'ont pas le caractère atténuant que celui-ci leur confère et ne sont pas de nature à diminuer la gravité du comportement de M. F. ni à atténuer sa responsabilité » ; nous croyons — répétons-le — qu'en rédigeant cette phrase (voir dernier considérant de la décision), le commissaire Burke n'a pas voulu nier en principe cette nature, mais seulement affirmer qu'en
l'espèce les circonstances reconnues par le conseil n'étaient pas suffisantes pour avoir une incidence sur l'importance de la sanction.

Or, peut-on dire que, ainsi reformulée, la décision du 7 avril explique pourquoi elles n'ont pas été suffisantes ? Voilà le point en question ; en effet, à notre avis, toujours mais surtout lorsqu'il s'agit de motiver un dissentiment par rapport à l'avis d'un organe consultatif, le fait de rendre compte de tous les choix — et de le faire avec diligence — est indispensable. Dans un récent arrêt du 21 juin 1984, affaire 69/83, Lux/Cour des comptes, vous avez décidé que l'obligation de motiver doit
être rapportée tant à la « marge de pouvoir discrétionnaire dont l'autorité investie du pouvoir de nomination jouit dans la matière » qu'« au caractère... que peut présenter ce genre de mesure pour le fonctionnaire intéressé ». Or, il est difficile de ne pas admettre que pour M. F. l'assentiment ou le dissentiment de l'autorité investie du pouvoir de nomination quant à l'existence des circonstances atténuantes ait été de la plus grande importance. Que l'on ne dise pas que toute décision, y
compris la plus défavorable pour l'intéressé, peut être justifiée par une motivation succincte. Il est certain qu'elle peut l'être ; mais uniquement — comme vous l'avez affirmé dans l'affaire Picciolo/Parlement (30 mai 1984, affaire 111/83) — si « les précisions apportées par [l'administration]... ont permis à la Cour d'exercer son contrôle de légalité et de vérifier l'exactitude de la motivation ».

« Précisions », voilà le mot clé. Est-ce que l'acte qui a infligé la sanction nous en apporte ? A cet égard, la Commission ellemême doit avoir quelques doutes. Elle tient, en effet, à souligner que l'expression précitée « à la lumière de ce qui précède » doit s'entendre non pas comme «ce qui précède immédiatement », mais comme «tout ce qui précède » (p. 26 du mémoire en défense). Admettons que cette interprétation soit la bonne et cherchons dans l'ensemble de l'acte une phrase qui explique
pourquoi M. Burke n'a pas été d'accord. La seule que l'on puisse considérer comme destinée à cette fin se trouve à la page 2 et dit: « Quelles que puissent avoir été les impressions de M. F. lors de [l'] entretien avec le directeur général..., et le sentiment de frustration subjective qu'il aurait pu ressentir, il n'en est pas moins vrai qu'un fonctionnaire peut rencontrer au cours de sa carrière des changements de position administrative et qu'en tout cas le statut et la réglementation
administrative prévoient de larges possibilités de recours à différents niveaux. »

Ce sont, nous le pensons, des considérations exactes, même si elles sont peut-être un peu trop ressassées. En tout cas, nous doutons qu'elles servent au but recherché par l'institution défenderesse. En effet, il est possible de les retrouver mot à mot dans l'avis du conseil de discipline; et on en rencontre même de plus dures, comme les suivantes: « Il y a lieu d'attendre des fonctionnaires européens qui bénéficient d'avantages et de privilèges liés à leur mission et à leurs fonctions un degré
élevé de discipline, même dans des situations où ils s'estiment frustrés. Sinon, une administration composée de fonctionnaires de nombreuses nationalités et de tempéraments différenciés ne serait plus en mesure de fonctionner convenablement. »Or, après avoir tiré de l'affaire cette morale sévère, le conseil a estimé que les circonstances atténuantes en question justifiaient une réduction de la peine.

Naturellement, rien n'empêchait le commissaire Burke de considérer cette conclusion comme erronée. En ce sens, par exemple, on aurait pu observer qu'elle est au moins partiale parce que, à côté des circonstances atténuantes, elle ne considère pas celles qui sont aggravantes; et pourtant, il en existe s'il est vrai — et nous ne donnons qu'un seul exemple — que M. F. a agi en sachant qu'il n'avait pas respecté, avant et après l'élection corse, les obligations que lui imposait l'article 15 du
statut. Mais il est de fait:

a) que la décision du 7 avril ne révèle pas de tels aspects (tout comme, à l'opposé, elle ne mentionne pas l'absence de la prémédition qui est un concept bien différent de celui de volition de l'acte) ;

b) que les lacunes respectives n'ont certainement pas été comblées par la défense de la Commission au cours de la procédure orale.

En somme, ce qui est soumis à votre appréciation, c'est la décision telle qu'elle a été écrite ; et, dans ce cas, il n'est pas douteux que, ne fût-ce que par rapport à un point seulement — la non-influence des circonstances atténuantes — elle est illégale pour défaut de motivation.

S'il n'en était pas ainsi, si vous estimiez que la mesure du commissaire Burke est irrépréhensible même de ce point de vue, il ne resterait au juriste qu'à se demander dans quel but les auteurs du statut ont obligé l'autorité investie du pouvoir de nomination à recueillir l'avis d'un organe spécial dont la tâche consiste à proposer à l'autorité chargée de la décision « la sanction que lui paraissent (en italien: “a suo giudizio”; en allemand: “seiner Auffassung nach”) devoir entraîner les faits
reprochés ». Il s'agirait — nous le craignons — d'une question destinée à demeurer sans réponse.

9.  Enfin, nous estimons manifestement non fondée la demande de dommages-intérêts introduite par le requérant à titre subsidiaire. En effet, la responsabilité disciplinaire de M. F. est pleinement prouvée et reconnue par lui-même ; et le vice que nous avons aperçu dans la décision contre laquelle il a introduit le recours ne rend pas cette dernière moins adéquate ou plus exactement — nous osons le dire — moins juste. Il nous semble donc évident que ce vice n'entraîne aucune responsabilité de
l'administration. « Le droit — selon les termes mêmes de l'avocat général Trabucchi dans l'affaire 46/72 citée — ne doit pas être seulement un moyen de corriger les formes sans atteindre la substance d'une justice retributive.»

La demande doit donc être rejetée.

10.  Pour toutes les considérations développées jusqu'ici, nous proposons qu'en accueillant partiellement le recours introduit le 6 octobre 1983 par M. F. contre la Commission, la Cour annule la décision du 7 avril 1983 en raison du fait que, pour déterminer la sanction, elle ne motive pas le dissentiment de l'autorité investie du pouvoir de nomination quant au caractère atténuant des circonstances précisées dans l'avis motivé du conseil de discipline. Toute autre demande du requérant doit être
rejetée.

Quant aux dépens, nous proposons qu'ils soient compensés entre les parties, conformément à l'article 70 du règlement de procédure.

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( *1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 228/83
Date de la décision : 13/12/1984
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé, Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Régime disciplinaire.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : F.
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:396

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