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05/10/1983 | CJUE | N°227/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 5 octobre 1983., Procédure pénale contre Leendert van Bennekom., 05/10/1983, 227/82


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉS LE 5 OCTOBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

En application de l'article 177, alinéas 1 et 2, du traité CEE, vous êtes saisis par le tribunal d'arrondissement (Arrondissementsrechtbank) d'Amsterdam de diverses questions préjudicielles relatives à l'interprétation, d'une part, de la directive du Conseil du 26 juin 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (65/65/CEE)

et, d'autre part, des articles 30 et 36 du traité.

Ces questions sont posées par l...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉS LE 5 OCTOBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

En application de l'article 177, alinéas 1 et 2, du traité CEE, vous êtes saisis par le tribunal d'arrondissement (Arrondissementsrechtbank) d'Amsterdam de diverses questions préjudicielles relatives à l'interprétation, d'une part, de la directive du Conseil du 26 juin 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (65/65/CEE) et, d'autre part, des articles 30 et 36 du traité.

Ces questions sont posées par le tribunal statuant en matière pénale sur l'appel interjeté contre un jugement rendu par le juge cantonal (Kantonrechter) d'Amsterdam à l'encontre de Leendert van Bennekom, en qualité de propriétaire d'un commerce de gros de vitamines et de produits diététiques et minéraux.

I —

Les faits de la cause sont les suivants:

Leendert van Bennekom est poursuivi pour avoir détenu en stock en vue de la livraison un certain nombre de produits, dont une grande quantité de préparations vitaminées ou polyvitaminées se présentant sous une forme pharmaceutique, qui font seules l'objet de la présente procédure préjudicielle. Aucun de ces produits n'était pourvu d'une mention ou d'une recommandation les qualifiant de «médicaments». Ils n'avaient pas davantage fait l'objet de l'enregistrement exigé, avant leur commercialisation,
pour tous les produits pharmaceutiques. Cet enregistrement est destiné à garantir l'intervention préalable d'une analyse adéquate pour, notamment, éliminer dans toute la mesure du possible les médicaments inefficaces ou nocifs. De ce fait, ils n'étaient pas conformes aux exigences de la loi néerlandaise sur l'approvisionnement en médicaments («Wet op de geneesmiddelenvoorziening»).

1. En première instance, Leendert van Bennekom a reconnu avoir détenu les préparations vitaminées litigieuses en vue de les vendre, mais a critiqué leur qualification comme médicaments. Il estimait dès lors ne pas être tenu de respecter les obligations dont l'inobservation lui était reprochée.

Dans son réquisitoire, le représentant du Ministère public, se fondant sur des conclusions d'experts, a soutenu au contraire qu'il s'agissait de médicaments, en raison de leur composition, de leur degré de concentration ainsi que des indications figurant sur le conditionnement. Un autre élément du réquisitoire mérite d'être relevé. Il se rapporte à l'arrière-plan de l'affaire. Il apparaîtrait que les substances saisies dans l'entreprise de Leendert van Bennekom sont prescrites par des partisans
de la médecine empirique (homéopathie, médecine par les plantes, ...), ainsi désignée par opposition à la médecine conventionnelle. Il est incontestable qu'elles proviennent en grand nombre des États-Unis d'Amérique, où cette médecine connaît un certain succès. Aux Pays-Bas la demande de remèdes de ce type serait croissante.

Le juge cantonal a considéré, dans son jugement du 21 septembre 1981, que les préparations vitaminées constituent des médicaments au sens de la loi sur l'approvisionnement en médicaments. Il a retenu que, les vitamines n'étant nécessaires au maintien en bonne santé qu'en petites quantités, les préparations vitaminées à dosage élevé ont pour but de combattre ou de prévenir une carence vitaminaire chez l'utilisateur. Il a également relevé qu'elles sont utilisées dans le traitement de diverses
maladies, parmi lesquelles le cancer, sous le nom de «thérapie alimentaire». Il a également jugé que la forme pharmaceutique de leur utilisation impliquait leur destination pour guérir ou prévenir une déficience — causée ou pouvant être causée par une carence vitaminaire — chez l'homme. Aussi, a-t-il condamné Leendert van Bennekom à une amende de 750 florins et au retrait de la vente des produits litigieux qui, d'ailleurs, avaient déjà été saisis par la police.

2. Devant le tribunal d'arrondissement statuant en degré d'appel, Leenden van Bennekom a ajouté à sa défense principale qu'au cas où il faudrait considérer les préparations vitaminées comme des médicaments au sens de la loi néerlandaise, celle-ci se trouverait en contradiction avec la définition du terme «médicament» donné par la directive 65/65/CEE. Or, en raison de la primauté du droit communautaire, la loi devrait céder devant la directive en cas de disparité. Pour Leendert van Bennekom, les
préparations litigieuses ne sont des médicaments ni au sens de la première, ni au sens de la seconde des deux définitions de la directive. Il déduit également de la comparaison des textes communautaire et national que la loi néerlandaise est fondamentalement différente de la directive.

Le tribunal de renvoi estime également qu'il existe des différences considérables, quant à la formulation des définitions en question, entre la directive 65/65/CEE et la loi sur l'approvisionnement en médicaments, d'où la possibilité d'une transposition incorrecte de la directive par la loi néerlandaise. Mais, à son avis, la réponse dépend de l'interprétation de la définition du terme «médicament» dans la directive communautaire. Il se demande en outre si la réglementation néerlandaise applicable
aux vitamines est compatible avec les articles 30 et suivants du traité, dans la mesure où cette réglementation est plus restrictive que celle d'autres États membres. C'est en vue d'être éclairé sur ces points que, par jugement interlocutoire du 12 mai 1982, il vous a déféré cinq questions à titre préjudiciel, les trois premières concernant l'interprétation de la directive et les deux autres celle des articles 30 et suivants du traité.

II —

Les questions du tribunal d'arrondissement d'Amsterdam relatives à la directive ayant été formulées en partant de l'hypothèse qu'éventuellement la loi néerlandaise pouvait être incompatible avec le texte communautaire, il apparaît utile, pour en vérifier le bien-fondé d'examiner successivement le sens exact des définitions communautaire et néerlandaise du terme «médicament».

A —

1. La définition communautaire étant contenue dans une directive, nous présenterons celle-ci, succinctement, en premier lieu.

La directive du Conseil du 26 janvier 1965 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (65/65/CEE) a pour but d'éliminer une partie des entraves aux échanges intracommunautaires de produits pharmaceutiques résultant de la disparité des réglementations nationales, dans le respect des exigences de la santé publique. Cette directive ne constitue que la première étape de l'harmonisation des législations
nationales, car il s'agit d'un domaine complexe et sensible touchant aux problèmes de santé. D'une part, elle ne vise pas tous les médicaments, mais seulement les spécialités pharmaceutiques, c'est-à-dire les médicaments préparés à l'avance et mis sur le marché sous une dénomination spéciale et sous un conditionnement particulier ( 1 ). D'autre gart, elle laisse un certain pouvoir aux Etats membres en raison du caractère général de la plupart de ses dispositions ( 2 ). Ces dernières prévoient
notamment qu'« aucune spécialité pharmaceutique ne peut être mise sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation n'ait été préalablement délivrée par l'autorité compétente de cet État membre» ( 3 ) et que cette autorisation ne peut être accordée que sur demande. A cette demande doivent être joints de nombreux renseignements et documents, parmi lesquels nous mentionnerons les indications thérapeutiques, contre-indications et effets secondaires et les résultats d'essais de diverses natures
(physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques, pharmacologiques et toxicologiques, cliniques) ( 4 ).

Le souci de la sauvegarde de la santé publique est également présent dans la définition que donne du «médicament» l'article 1, point 2, de la directive.

Comme nous l'avons déjà dit, cette définition est, en fait, double.

2. Son premier alinéa définit comme médicament:

«toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales».

L'expression essentielle de ce texte, dont le sens est le plus controversé, est «présentée comme». Pour l'interpréter, il nous paraît de bonne méthode de nous référer au but de la définition, à la «ratio legis».

Comme l'ont expliqué la Commission et le gouvernement allemand, il s'agit d'empêcher la commercialisation, sous le nom de médicament, des produits auxquels leur fabricant ou vendeur attribue ou feint d'attribuer des propriétés curatives ou préventives, alors qu'ils en sont dépourvus. Il tend donc à lutter contre le charlatanisme.

Un produit qui répond réellement à ces caractères est considéré comme un médicament et, dès lors, ne peut être commercialisé qu'après autorisation préalable. Celle-ci est refusée lorsqu'il apparaît après vérification que «l'effet thérapeutique de la spécialité fait défaut» ( 5 ).

On peut en conclure que les termes «présentée comme» ne se réfèrent pas à la forme du produit, mais plutôt à l'intention de celui qui le commercialise. Dès lors que se manifeste une volonté de mettre le produit dans le commerce en le dotant de propriétés curatives ou préventives, on est en présence d'un médicament au sens du premier alinéa de la définition. Ceci est vrai même si ce produit ne possède pas en fait les propriétés qu'on lui prête. Il en découle que la volonté du fabricant ou du
vendeur constitue le critère de classification d'un produit comme médicament au sens de la première définition de la directive.

Il est plus difficile de résoudre le problème de la preuve de l'existence d'une telle volonté. Il suffit, à notre sens, que celle-ci soit exprimée de manière non équivoque. Concrètement, elle pourra l'être par les indications contenues sur le produit lui-même ou sur la notice qui y est jointe, ou encore résulter de la publicité faite pour ce produit, ou même des explications orales du vendeur.

La forme sous laquelle se présente le produit (par exemple, tablettes, pilules, cachets) ne constitue qu'une présomption, l'indice que son vendeur lui attribue des propriétés curatives ou préventives. Mais, à elle seule, la forme est insuffisante pour arriver à cette conclusion, faute de quoi, comme l'ont relevé tant Leendert van Bennekom que le gouvernement néerlandais, de simples pastilles à la menthe présentées sous forme de tablettes, par exemple, pourraient être considérées comme des
médicaments.

3. La définition du «médicament» dans le second alinéa répond à un autre but. Elle est ainsi conçue: «toute substance ou composition pouvant être administrée à l'homme ou à l'animal en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques chez l'homme ou l'animal est également considérée comme médicament».

Cette définition a été insérée dans la directive pour tenir compte du fait que, généralement, les médicaments actifs sont également toxiques. Comme la Commission l'a exposé de manière convaincante, si le vendeur d'un produit présente celui-ci comme médicament — ce qui est le plus souvent le cas — c'est le premier alinéa de la définition qui est applicable, si bien que la plupart des produits présentant des dangers sont couverts à ce titre. Mais il arrive qu'un produit potentiellement dangereux
pour la santé ne soit pas présenté comme médicament; en pareil cas, il est nécessaire qu'il soit inclus dans le champ d'application de la directive pour être soumis au régime instauré par celle-ci. Il relèvera alors du second alinéa de la définition.

Pour répondre à ce but, les termes du texte ont été choisis de manière extrêmement large. Pris à la lettre, ils peuvent s'appliquer aussi bien aux aliments qu'aux médicaments, les aliments pouvant en effet être administrés en vue de modifier des fonctions organiques chez l'homme. Or, ainsi qu'il résulte du troisième considérant de la directive, les denrées alimentaires et les aliments destinés aux animaux sont exclus du champ d'application de celle-ci. Il se pose donc, comme pour la première
définition, un problème de délimitation entre les produits qui doivent être considérés comme des médicaments au sens du deuxième alinéa et les autres.

Le critère de délimitation n'est plus ici subjectif; il ne consiste plus dans l'intention du vendeur ou du fabricant. La définition du médicament dans cet alinéa, au contraire, un caractère objectif ou, du moins, aussi objectif que possible. Comme l'a noté le gouvernement italien, une substance doit être considérée comme un médicament au titre de cet alinéa si elle a ou si elle peut avoir les effets qui y sont mentionnés. Pour déterminer si cette dernière condition est remplie, en d'autre termes
si la substance ou composition peut être administrée en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques ( 6 ) il n'existe toutefois pas de critère strict et absolu, en raison de l'état évolutif des connaissances scientifiques. C'est pourquoi, nous avons dit que la définition du second alinéa a un caractère aussi objectif que possible.

A notre sens, pour établir si une substance est effectivement susceptible de produire les effets mentionnés dans la définition, on ne peut se référer, comme l'a suggéré le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne, qu'à l'opinion généralement acceptée par les consommateurs.

4. La difficulté que nous venons d'énoncer ne doit toutefois pas être surestimée. Répétons-le: les médicaments sont le plus souvent «présentés comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies»; ils entrent alors dans le champ de la première définition. La seconde définition ne présente dès lors plus qu'un caractère subsidiaire; pour reprendre l'image utilisée par la Commission, elle vise en quelque sorte à tendre une espèce de filet de sauvetage (réponse à la deuxième
question de la Cour).

Ce caractère subsidiaire ne signifie cependant pas qu'un produit ne pourra être classé que dans l'une ou l'autre des définitions, et non dans les deux à la fois.

En fait, la plupart des médicaments étant présentés comme tels et pouvant également être administrés en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques répondent en même temps aux conditions fixées par les deux définitions. Toutefois, les substances présentées comme possédant des propriétés curatives ou préventives mais qui en sont en fait dépourvues ne sont des médicaments qu'au sens du premier alinéa. Inversement, il existe des substances, comme l'aspirine, connue comme
médicament par les consommateurs, sans qu'il soit nécessaire de la présenter ainsi. Un tel produit non présenté comme médicament mais possédant les effets mentionnés au deuxième alinéa est inclus dans la définition donnée par celui-ci.

B —

Nous en venons à la transposition de cette définition par le législateur néerlandais.

S'agissant d'une loi nationale, nous nous garderons, dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, d'en donner une interprétation qui nous soit propre. Nous nous contenterons de faire état des motifs pour lesquels Leenden van Bennekom estime que la définition néerlandaise s'écarte considérablement de celle de la directive et de rappeler les explications du gouvernement néerlandais sur la façon dont il estime avoir transposé la directive dans la loi sur l'approvisionnement en médicaments.

Le terme «médicament» est défini en droit néerlandais par l'article 1, paragraphe 1, sous e), de la loi sur l'approvisionnement en médicaments. Ce texte porte:

«médicament: toute substance ou composition qui est destinée à être utilisée ou qui est décrite ou recommandée d'une quelconque manière comme étant propre à:

1. guérir, soigner ou prévenir une infection, une maladie, un symptôme, une douleur, une blessure ou une infirmité chez l'homme;

2. restaurer, corriger ou modifier le fonctionnement d'organes chez l'homme;

3. établir un diagnostic médical par l'administration ou l'utilisation chez l'homme».

Pour Leendert van Bennekom, cette définition est incompatible avec la définition communautaire parce qu'elle englobe dans la notion de «médicaments» des substances qui ne sont pas qualifiées de la sorte par la directive. Celle-ci exigerait en effet non seulement que la substance possède «des propriétés curatives ou préventives», mais encore qu'elle soit présentée comme les possédant. L'expression «présentée comme» constituerait une exigence supplémentaire par rapport à l'expression de la loi
néerlandaise «destinée à être utilisée».

Cette argumentation ne résiste pas à une simple lecture des textes. La première remarque oublie la deuxième partie de la définition communautaire qui, on l'a vu, n'exige pas de présentation. La deuxième observation fait abstraction de ce que l'équivalent de «présentée comme», dans le sens où nous avons interprété ces mots, se retrouve dans la loi néerlandaise avec les termes «décrite ou recommandée d'une quelconque manière comme étant propre à».

En fait, comme le gouvernement des Pays-Bas l'a expliqué, la définition néerlandaise du mot «médicament» ne reprend pas mot à mot les deux éléments de la définition figurant dans la directive («présentée» et «pouvant être administrée») mais elle les réunit, puis elle les divise entre les notions «destinée à être utilisée», «décrite et recommandée».

Dès lors, il nous semble pouvoir conclure, sans empiéter sur les compétences du juge national, que la définition néerlandaise est très proche de la définition communautaire. Il en découle que les questions posées reposent sur une prémisse erronée, en ce qu'elles partent de l'idée qu'il existe des différences considérables entre ces deux définitions.

III —

Dans ces conditions, nous nous permettrons de répondre relativement rapidement aux quatre premières questions de l'Arrondissementsrechtbank d'Amsterdam, qui se rapportent à l'interprétation de la directive 65/65/CEE.

1. Par sa première question, le tribunal demande si des substances ou des compositions, telles que des préparations vitaminées présentant les concentrations, les doses et la forme (tablettes, pilules, cachets) de celles dont il s'agit dans le présent litige, qui ne sont pas décrites ou recommandées comme étant propres à guérir, soigner ou prévenir une affection, une maladie ou un symptôme, une douleur, une blessure ou une infirmité chez l'homme peuvent être des substances ou des compositions
«présentées comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales».

Vous aurez noté que la première partie de la question reprend une des définitions des médicaments dans la loi néerlandaise et que la deuxième partie répète les termes de la définition correspondante de la directive.

Cette question aboutit donc à demander si la directive — dans sa définition en cause — a un sens plus large que la loi néerlandaise — dans la définition correspondante.

Tel serait le cas si les termes «présentées comme», contenus dans la directive, avaient une portée plus étendue que les termes «décrites ou recommandées comme», retenus dans la loi. En pareille hypothèse, la directive aurait sur ce plan un champ d'application plus étendu que la loi néerlandaise et donc, inversement, la loi néerlandaise un champ d'application plus restreint que la directive. Il en découlerait que, comme l'a relevé pertinemment la Commission, la loi néerlandaise ne serait pas
conforme à la directive.

Il nous semble difficile de parvenir à cette constatation. Déjà à la première lecture on voit que les termes de la loi néerlandaise coïncident avec ceux de la directive. De même, si, à l'analyse, on considère que les mots «présentées comme» se réfèrent à l'expression de la volonté du fabricant ou du vendeur, on peut maintenir cette conclusion, car il est tout aussi possible d'interpréter une description ou une recommandation émanant du fabricant ou du vendeur comme se référant à l'expression de
leur volonté. Il n'y a donc pas à notre sens mauvaise transposition de la directive par les autorités néerlandaises sur ce plan.

2. Dans sa deuxième question, le juge néerlandais demande si une substance ou une composition, telle qu'une préparation vitaminée ou polyvitaminée comme celle dont il s'agit dans le présent litige, qui a peut-être des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, mais qui n'est pas présentée comme telle et qui ne peut pas être administrée à l'homme ou à l'animal en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques
chez l'homme ou l'animal, peut être un «médicament» au sens de la directive. Comme vous l'aurez constaté, étant donné les termes employés, cette question revient à demander si une substance qui n'est un médicament ni au sens de la première, ni au sens de la seconde des définitions du médicament dans la directive peut néanmoins être un médicament au sens de cette dernière.

Prise à la lettre, la question ne peut évidemment recevoir qu'une réponse négative.

Mais il nous semble que, pour donner une réponse utile au juge de renvoi, il faille aller un peu plus loin dans les explications. Nous sommes en effet convaincu, comme la Commission, que la situation évoquée ne peut se produire en fait. Une substance que possède des propriétés curatives ou préventives, mais n'est pas présentée comme telle, relève de la deuxième définition communautaire ( 7 ). Certes, «posséder des propriétés curatives ou préventives» n'a pas le même sens que «pouvoir être
administré en vue ... de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques». Il existe en effet des substances qui peuvent en particulier modifier des fonctions organiques sans posséder de propriétés curatives ou preventives. Leendert van Bennekom a cité avec pertinence à cet égard la pilule contraceptive, qui est un médicament au sens de la deuxième définition, alors qu'elle ne possède pas de propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies. Mais la réciproque, qui est seule
envisagée dans la question posée, n'est pas vraie. Toute substance qui possède des propriétés curatives ou préventives a nécessairement pour effet de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques.

3. La troisième question du juge de renvoi est inspirée par la notion de concentration. Le juge part de la supposition que des vitamines sont destinées, à certaines faibles concentrations, à être utilisées comme aliment et non comme médicament, même si elles sont mises sur le marché sous une forme habituelle aux médicaments. Il se demande si une concentration plus forte de ces mêmes vitamines, se présentant ou non sous la même forme, peut suffire pour faire de la substance un médicament au sens de
la directive. En cas de réponse affirmative, il voudrait connaître les critères sur la base desquels cette constatation pourrait être faite.

Cette question ayant davantage un caractère scientifique que juridique, nous y répondrons avec la prudence qui s'impose.

Par ailleurs, dans le cadre d'une procédure préjudicielle, nous ne pouvons que suggérer une réponse de caractère abstrait, en laissant au juge national le soin de l'appliquer aux préparations litigieuses.

De manière générale, il apparaît justifié, comme l'ont relevé la Commission et le gouvernement danois, de considérer les préparations vitaminées à faible concentration comme des denrées alimentaires et non comme des médicaments. Inversement, il est possible de classer les préparations vitaminées en concentration élevée ou très élevée parmi les médicaments.

En revanche, il semble impossible, en l'état actuel de la science, d'indiquer avec précision quelle limite conduit à une modification de la qualification. Certains intervenants ont proposé la dose quotidienne recommandée de la substance, c'est-à-dire la quantité correspondant aux besoins quotidiens d'un homme normal. Nous pensons toutefois qu'il vaut mieux ne répondre à cette question que cas par cas, sur la base de rapports d'expertise.

4. Comme sa première question, la quatrième question du juge de renvoi concerne les champs d'application respectifs de la loi néerlandaise et de la directive.

Le tribunal d'arrondissement d'Amsterdam voudrait savoir si la loi néerlandaise peut interdire — ou bien être appliquée sous peine d'une sanction pénale à — la vente ou la détention en stock, en vue de la livraison, de vitamines et de préparations vitaminées, en prévoyant une définition du terme «médicament» à ce point large que ces préparations entrent dans le champ d'application de la loi sur l'approvisionnement en médicaments lorsque, en tant que substance ou compositions, elles ne sont pas un
médicament au sens de la directive.

Cette question part donc de la supposition que la définition de la notion de «médicament» est plus large dans la loi que dans la directive.

Dans la mesure où tel serait le cas, nous pensons, comme la Commission, que ce texte, en tant que première étape de l'harmonisation des législations, n'interdit pas de soumettre d'autres produits que les médicaments à la procédure qu'elle impose pour ceux-ci et notamment à l'obligation d'autorisation. Toutefois, pareille extension n'est licite au regard du droit communautaire que si elle ne contrevient pas aux articles 30 et suivants du traité et aux dispositions de droit dérivé éventuellement
pertinentes, comme la directive du Conseil du 21 décembre 1976 concernant des denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière ( 8 ).

Une autre constatation contenue dans cette question nous paraît également douteuse. S'il nous semble possible que des préparations vitaminées ne soient pas des médicaments au sens de la directive, nous pensons toutefois que, dans la grande majorité des cas, elles devront être ainsi analysées, notamment parce qu'elles sont présentées comme possédant des propriétés curatives ou préventives. Mais, à défaut de présentation adéquate, il s'avèrera la plus souvent qu'elles peuvent être administrées en
vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques. Le hiatus entre les définitions communautaire et néerlandaise dénoncé dans la question n'existe donc pas.

IV —

Examinons maintenant les questions relatives à l'interprétation des articles 30 et suivants du traité.

1. La cinquième question part de l'hypothèse que les préparations vitaminées ou polyvitaminées devraient être considérées comme des médicaments par la directive mais ne seraient pas considérées comme tels par les réglementations de certains États membres prises en application de la directive. En pareil cas, s'interroge le tribunal d'Amsterdam, la loi néerlandaise peut-elle interdire la vente de préparations importées d'un État membre plus libéral ou cela est-il contraire à l'interdiction de
restreindre les échanges entre les États membres?

A la lecture de cette question, on pourrait a priori se demander comment une préparation définie comme médicament par la directive pourrait être définie autrement dans certains législations nationales prises pour son application. Mais il ne faut pas oublier que la directive laisse une certaine marge d'appréciation aux autorités nationales. Il est donc possible qu'un même produit ne soit pas considéré comme un médicament dans un État membre et le soit dans un autre, sans qu'aucune des législations
en cause ne puisse être considérée de ce fait comme incompatible avec la directive.

C'est également parce que celle-ci ne forme pas une réglementation exhaustive des médicaments que la compatibilité de la législation néerlandaise par rapport au droit communautaire ne peut pas être appréciée uniquement par rapport à elle mais doit l'être aussi par rapport aux articles 30 et 36 du traité ( 9 ).

A notre avis, il n'est guère contestable que l'application de la législation néerlandaise, plus restrictive que celle d'autres États membres, constitue un obstacle aux importations de préparations vitaminées qui ont été légalement commercialisées dans ces États membres.

Mais en l'état actuel de l'harmonisation des législations, ces obstacles nous semblent pouvoir être justifiés par la protection de la santé publique au sens de l'article 36 du traité.

La présente affaire paraît proche en particulier de l'affaire Kaasfabriek Eyssen en ce que, dans l'un et l'autre cas, existent des incertitudes quant au seuil critique pour la santé de la consommation des produits en cause ( 10 ). C'est pourquoi nous vous proprosons de juger qu'une réglementation soumettant les vitamines aux mesures de contrôle établies pour les médicaments «s'inscrit parmi les mesures que l'article 36 du traité permet aux États membres d'adopter pour des raisons de protection de
la santé humaine et échappe, de ce fait, à l'interdiction découlant des articles 30 et 34 du traité» ( 11 ).

Toutefois, cette licéité de principe doit être tempérée à notre sens par deux considérations. La première est que l'article 36 ne saurait être invoqué à l'égard de préparations vitaminées dont il serait incontestable qu'elles sont sans danger pour la santé publique. La seconde est que, même si la réglementation nationale plus restrictive apparaît justifiée par la protection de la santé publique, elle doit encore ne constituer «ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée
dans le commerce entre les États membres» ( 12 ).

2. La dernière question du tribunal de renvoi est ainsi libellée:

«Si la réponse aux questions précédentes mène à la conclusion que la définition du terme «médicament» donnée dans la loi néerlandaise vise, contrairement à celle qui figure dans la directive CEE, les préparations vitaminées dont il s'agit en l'espèce, avec pour conséquence que, tout comme les spécialités et préparations pharmaceutiques, elles sont soumises à une obligation d'enregistrement (...), la réglementation néerlandaise doit-elle alors être considérée sous ce rapport comme une mesure
d'effet équivalant à une restriction quantitative aux échanges au sens des articles 30 et suivants du traité CEE, compte tenu du fait que la directive contient seulement une réglemantation relative aux spécialités pharmaceutiques?».

Il nous paraît que cette question repose aussi sur une base erronée. En effet, dans l'hypothèse décrite, la compatibilité de la législation néerlandaise ne se pose plus par rapport à la directive mais par rapport aux règles du traité, parce que les substances en cause seraient définies comme médicaments au sens de la loi néerlandaise mais non au sens de la directive ( 13 ).

Cependant, comme on peut l'inférer de l'observation finale contenue dans la question, la prise en compte de la directive pourrait encore être écartée du fait que celle-ci ne concerne pas tous les types de médicaments, mais seulement les spécialités pharmaceutiques.

Toutefois, le plus souvent, les préparations vitaminées sont couvertes par la directive en tant que spécialités pharmaceutiques. Très souvent, elles seront considérées comme des médicaments, mais en outre elles sont, en grande majorité, préparées à l'avance et mises sur le marché sous une dénomination spéciale et un conditionnement particulier. Seul le tribunal d'arrondissement d'Amsterdam a une connaissance directe des faits litigieux; il lui appartient donc de vérifier si tel est le cas en
l'espèce.

Dans la mesure toutefois ou des préparations vitaminées ou polyvitaminées seraient soit des médicaments autres que des spécialités pharmaceutiques, soit des aliments et non des médicaments, il nous semble que la réponse donnée à la question précédente s'applique. Les autorités nationales des États membres ont le droit, en vertu des articles 30 et 36 du traité, de les soumettre à contrôle et enregistrement, comme la loi néerlandaise le prévoit pour les médicaments. Ce droit nous paraît cependant
limité dans les conditions indiquées.

Par l'ensemble de ces motifs, nous concluons à ce que vous répondiez de la façon suivante aux questions posées par le tribunal de grande instance d'Amsterdam:

1. Des substances ou des compositions qui ne sont pas décrites ou recommandées comme étant propres à guérir, soigner ou prévenir une affection, une maladie ou un symptôme, une douleur, une blessure ou une infirmité chez l'homme ne peuvent pas être présentées comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales au sens de l'article 1, point 2, premier alinéa, de la directive 65/65/CEE du Conseil du 26 janvier 1965.

2. Une substance ou composition possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, mais qui n'est pas présentée comme telle, relève de la définition contenue dans le deuxième alinéa, du point 2, de l'article 1 de la directive, car elle peut être administrée en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques chez l'homme ou l'animal.

3. Si une préparation vitaminée n'est pas présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies, le fait qu'elle contienne une forte concentration de vitamines peut suffire à la qualifier comme médicament au sens de la définition contenue dans le deuxième alinéa, du point 2, de l'article 1 de la directive. C'est cas par cas qu'il faut déterminer si elle peut être administrée en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques.

4. La législation d'un État membre peut subordonner la vente ou la détention en stock en vue de la livraison de préparations vitaminées à certaines mesures restrictives à condition de ne pas enfreindre d'autres dispositions du droit communautaire et notamment les articles 30 et suivants du traité CEE.

5. L'application d'un regime restrictif à des produits importés d'autres États membres où ils sont légalement commercialisés constitue une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation au sens de l'article 30 du traité. Ces restrictions peuvent toutefois être justifiées par la protection de la santé publique au titre de l'article 36 du traité. L'application de cette norme dérogatoire est toutefois exclue s'agissant de préparations notoirement inoffensives pour la santé.
Elle l'est également si ces mesures constituent un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.

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( 1 ) Article 1, point 1, et article 2.

( 2 ) Elle a d'ailleurs été complétée par une deuxième directive du Conseil portant le même titre (75/319/CEE du 20. 5. 1975), et par une directive relative au rapprochement des législations des États membres en matière d'essais de spécialités pharmaceutiques (75/318/CEE, également du 20. 5. 1975).

( 3 ) Article 3.

( 4 ) Article 4, points 5 et 8.

( 5 ) Article 5, alinéa 1.

( 6 ) L'établissement d'un diagnostic médical ne doit pas être pris en considération dans le cadre d'une affaire relative à des vitamines, qui ne peuvent certainement pas être administrées dans ce but.

( 7 ) Alinéa 2 du point 2 de l'article 1er de la directive.

( 8 ) Directive 77/94/CEE.

( 9 ) Voir nos conclusions du 10. 2. 1983 dans l'affaire 172/82 dite des huiles usagées, p. 7 et 8 du texte ronéotypé.

( 10 ) Dans l'affaire Kaasfabriek Eyssen, il s'agissait d'un conservateur de denrées alimentaires, la nisine.

( 11 ) Arrêt du 5. 2. 1981, Kaasfabriek Eyssen, affaire 58/80, motif 16, Recueil p. 423.

( 12 ) Article 36, deuxième phrase.

( 13 ) Or, si nous ne pouvons évidemment pas nous prononcer sur les préparations vitaminées de L. van Bennekom, nous avons en revanche pu déterminer que de manière générale des préparations de ce genre sont des médicaments au sens de la directive.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 227/82
Date de la décision : 05/10/1983
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank Amsterdam - Pays-Bas.

Notion de 'médicaments' - 'Préparations pharmaceutiques'.

Mesures d'effet équivalent

Rapprochement des législations

Restrictions quantitatives

Protection des consommateurs

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Leendert van Bennekom.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:263

Source

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