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04/10/1983 | CJUE | N°322/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 4 octobre 1983., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 04/10/1983, 322/82


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 4 OCTOBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'un recours dirigé, le 17 décembre 1982, par la Commission des Communautés européennes contre la République italienne, tendant à constater que cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de règlements portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes et dispositions complémentaires.

I —

L'une des conditions nécessaires au

bon fonctionnement de l'organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes réside dan...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 4 OCTOBRE 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'un recours dirigé, le 17 décembre 1982, par la Commission des Communautés européennes contre la République italienne, tendant à constater que cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de règlements portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes et dispositions complémentaires.

I —

L'une des conditions nécessaires au bon fonctionnement de l'organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes réside dans le respect et dans l'application uniforme des normes de qualité qui ont été édictées par la réglementation communautaire pour la commercialisation de ces produits dans la Communauté et pour leur exportation vers les pays tiers.

Il est constant que l'objet de ces normes est d'abord de protéger les consommateurs.

Mais leur observation est également déterminante pour la mise en œuvre des mesures de soutien des marchés prévues par l'organisation commune. Lorsque les prix s'effondrent par suite de l'abondance de l'offre de produits réputés conformes à ces normes, des mesures de retrait entrent en jeu.

Si le contrôle de ces normes est inexistant ou s'il n'est appliqué que de façon insuffisante, des produits d'une qualité douteuse risquent d'envahir le marché. La baisse des cours entraîne alors les mesures de retrait à la charge du budget communautaire pour des produits n'ayant pas droit au bénéfice des mesures de soutien.

Le lien existant entre le contrôle des normes de qualité et les mesures de retrait est évident, d'autant que la réglementation communautaire admet un système de retrait préventif qui peut intervenir alors même que les cours seraient supérieurs au prix communautaire de retrait, dès lors que les produits ne répondent pas aux règles de commercialisation adoptées par les organisations de producteurs.

La façon dont le contrôle est effectué a donc des incidences, moins au plan des échanges entre États membres qu'au plan des dépenses à la charge du budget communautaire.

Il semble que les mesures de retrait intervenues en Italie aient entraîné des effets financiers importants.

Après une correspondance qui a débuté par l'envoi d'une lettre au ministre italien de l'agriculture le 15 janvier 1980, la Commission a adressé, le 24 mars 1982, un avis motivé à la République italienne en l'invitant à prendre, dans un délai de deux mois, les mesures requises pour se conformer à cet avis.

Tel n'ayant pas été le cas, la Commission vous a saisis pour vous faire constater que:

— en n'opérant pas les contrôles de qualité pour les fruits et légumes commercialisés à l'intérieur du territoire italien, les autorités italiennes auraient manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de l'article 8, paragraphe 1, du règlement no 1035/72 du Conseil du 18 mai 1972 ( 1 );

— en n'effectuant pas les communications mensuelles relatives aux contrôles réalisés au cours du mois précédent, ces autorités auraient manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de l'article 5, paragraphe 1, du règlement no 2638/69 de la Commission du 24 décembre 1969 ( 2 ), modifié par règlement no 2150/80 du 18 juillet 1980 ( 3 ).

Ces omissions auraient été confirmées par des plaintes émanant des milieux professionnels ainsi que par les informations recueillies par la Commission auprès de ces derniers.

II —

Les difficultés dont le gouvernement italien fait état pour se justifier sont d'ordres différents. Des précisions utiles figurent à ce sujet dans le rapport spécial concernant diverses mesures touchant à la gestion du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) pour l'exercice 1978, publié par la Cour des comptes ( 4 ). Émanant de cet organisme, ces indications présentent un intérêt tout particulier.

La Cour des comptes observe que la réglementation communautaire en matière de retrait s'inspire de mécanismes existant aux Pays-Bas, pays où le marché est relativement petit, homogène et, partant, assez transparent, et où les associations professionnelles jouent depuis longtemps un rôle important dans la régulation de la production et de la commercialisation.

Le présent litige démontre que les conditions qui étaient à l'origine réunies aux Pays-Bas ne le sont pas, même à ce jour, en Italie. Dans cet État membre subsistent des éléments qui cloisonnent le marché de telle sorte que la demande peut ne pas être satisfaite en certaines régions, alors même que des retraits ont lieu en d'autres en raison de difficultés de transport, du caractère fermé des circuits de commercialisation ou des liens existant entre certains groupements de producteurs et tel ou tel
distributeur.

Par ailleurs, les organisations italiennes de producteurs ne satisfont pas toujours aux conditions posées par le titre II du règlement no 1035/72, notamment au regard de la commercialisation de l'ensemble de la production des adhérents et des règles d'apport exclusif.

La cause principale de cet état de chose réside dans le caractère très décentralisé de l'organisation du marché des fruits et légumes en Italie; les réponses fournies aux questions que vous avez posées le confirment.

III —

Selon l'article 5 du règlement no 158/66 du Conseil ( 5 ), repris presque tel quel à l'article 8 du règlement no 1035/72, un contrôle de conformité des produits en cause doit être effectué par sondage, à tous les stades de commercialisation ainsi qu'au cours du transport, par les organismes désignés par chaque État membre. De préférence, il doit se situer avant le départ des zones de production, lors du conditionnement ou du chargement de la marchandise. Enfin, les États membres doivent communiquer
aux autres États membres et à la Commission les organismes responsables du contrôle qu'ils ont désignés.

Si la responsabilité du contrôle de conformité ainsi prescrit a bien été confiée à l'AIMA ( 6 ) et à l'ICE ( 7 ), la mise en œuvre de ce contrôle posait, pour le marché intérieur, des problèmes beaucoup plus sérieux que pour le marché extérieur.

La consommation intérieure dépasse de beaucoup les quantités destinées à l'exportation. En outre, et cette constatation figure aux considérants du règlement no 1360/78 du Conseil du 19 juin 1978 concernant les groupements de producteurs et leurs unions ( 8 ), l'offre des produits en Italie provient d'un nombre très élevé d'exploitations de petite dimension et insuffisamment organisées; seule une faible partie de la production est commercialisée par des organisations de producteurs. Cette situation
structurelle a nécessairement des incidences sur l'organisation du contrôle.

Conformément au paragraphe 2 de l'article 5 du règlement no 158/66 ( 9 ), la Commission, par règlement no 2638/69, a arrêté des dispositions complémentaires sur le contrôle de qualité des fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de la Communauté.

Toutefois, ce règlement ne comportait pas encore de disposition de nature à imposer aux contrôles de qualité d'être effectués indépendamment de la destination de la marchandise, donc également sur le marché intérieur de tous les États membres, ni que la Commission devrait être régulièrement informée par les États membres des contrôles effectués.

Ce n'est qu'à la suite de l'adoption par la Commission du règlement no 2150/80 du 18 juillet 1980, pris sur la base de l'article 8, paragraphe 2, du règlement no 1035/72, que cet objectif était susceptible d'être atteint.

Aux termes de l'article 1, paragraphe 3, de ce règlement, l'article 5, paragraphe 1, du règlement no 2638/69 était remplacé par le texte suivant, dont il est indispensable de vous donner lecture; il dispose:

«Chaque État membre communique chaque mois à la Commission un état récapitulatif du nombre de contrôles effectués le mois précédent et comportant des indications sur:

— l'origine de la marchandise contrôlée,

— la destination de cette marchandise,

— le stade de la commercialisation au cours duquel le contrôle a été effectué, en précisant le nombre de lots sur lesquels ce dernier a porté,

— le nombre de cas constatés de non-conformité aux prescriptions en vigueur.»

C'est donc cette disposition qui, pour la première fois, a permis de mettre en oeuvre sur le marché intérieur des États membres le contrôle des normes de qualité, également prévu à ce stade de commercialisation par l'article 8, paragraphe 1, du règlement no 1035/72.

IV —

Nous relèverons tout d'abord l'existence d'une certaine contradiction dans les termes mêmes de la lettre de mise en demeure adressée le 20 juillet 1981 par le commissaire Andriessen au ministre italien des affaires étrangères. En effet, dans cette lettre, la Commission estimait notamment que l'absence de réponse des autorités italiennes à une lettre antérieure du commissaire Gundelach du 15 janvier 1980 ( 10 ) à ces mêmes autorités, ainsi qu'à des rappels du directeur général de l'agriculture du 28
mai et du 28 juillet 1980, confirmait que le gouvernement italien avait, entre autres, manqué aux obligations lui incombant en vertu de l'article 5, paragraphe 1, du règlement no 2638/69 de la Commission, modifié par l'article 1, paragraphe 3, de son règlement no 2150/80 du 18 juillet 1980. Une lettre analogue aurait été adressée aux autorités compétentes de tous les États membres qui, selon la Commission, auraient fourni les informations demandées.

Or, les dispositions du règlement no 2150/80 ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 1981 ( 11 ); il était par conséquent impossible, aux dates du 15 janvier, du 28 mai et du 28 juillet 1980, de faire reproche aux autorités italiennes de ne pas les appliquer. Ce n'est donc que la lettre du commissaire Andriessen du 20 juillet 1981 qui, pour la première fois, indique clairement le manquement reproché.

Il ne nous paraît pas de bonne administration d'ouvrir le dialogue avec un État membre à propos d'un manquement lorsque les dispositions spécifiques dont l'inobservation lui est reprochée ne sont pas entrées en vigueur, n'ont pas été publiées ou même n'ont pas encore été adoptées.

V —

Nous avons dit que la réglementation communautaire en matière de contrôle des normes de qualité sur le marché italien conduisait à une «atomisa-tion» des opérations physiques de contrôle.

Alors que les Pays-Bas — comme c'est également le cas de la Belgique, du Luxembourg, du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni — n'ont qu'une zone d'expédition recouvrant l'ensemble du territoire national, l'italie est divisée en cinq circonscriptions (la Grèce en sept).

La Commission ne dispose pas elle-même d'agents opérant auprès de chaque organisation de producteurs.

En Italie, les deux organismes qui sont chargés des contrôles — dont l'un ne s'occupe manifestement que des exportations — doivent donc, à moins de s'en charger eux-mêmes, faire effectuer par des professionnels les vérifications indispensables, mais coûteuses.

Si l'on sait qu'à la fin de l'année 1981 le contrôle de l'application des normes de qualité pour la commercialisation et les opérations de retrait était confié pour l'ensemble de la Communauté au total à 1300 agents nationaux environ, l'insuffisance de cet effectif est notoire.

Pour améliorer la rapidité et l'étendue des communications prescrites par la réglementation communautaire, il faudrait d'abord permettre la collecte des éléments qui en font l'objet et donc s'attaquer, notamment, au problème des groupements ou organisations de producteurs afin que ceux-ci puissent être mis à même de fournir les éléments que l'on attend d'eux, à condition d'admettre que ces éléments ne peuvent être recueillis et transmis que par leur canal. La responsabilisation de ces organisations
présupposejen définitive, sauf autofinancement, l'octroi d'aides financées soit par les États membres, soit par la Communauté.

Il ne saurait être question de supprimer purement et simplement tout découpage du territoire italien, mais, pour permettre un contrôle sérieux, il paraît indispensable de procéder à un réaménagement, selon des modalités à convenir entre les instances communautaires et les autorités et milieux professionnels concernés.

VI —

La Commission relève que la modification apportée par son règlement no 2150/80 à l'article 5 de son règlement no 2638/69 était conforme à l'avis du comité de gestion des fruits et légumes. La légalité de ce règlement n'a pas non plus été directement mise en cause par la République italienne, et nous doutons qu'il soit possible pour un État membre d'exciper en quelque sorte de l'illégalité des dispositions communautaires dont l'inobservation lui est reprochée.

Mais, même en faisant abstraction de la contradiction relevée, il serait, à notre avis, quelque peu inutile de constater un manquement à la charge d'un État membre, alors que les conditions nécessaires à la normalisation de la situation — qui dépendent en partie des autorités communautaires — ne sont pas remplies. Par ailleurs, nous savons que des discussions sont actuellement en cours sur le type d'organisation à prévoir afin d'assurer le bon fonctionnement du marché non seulement en Italie, mais
dans les autres États producteurs et que des modifications fondamentales sont envisagées dans la perspective de l'adhésion d'autres États méditerranéens.

Enfin, compte tenu de la complexité du problème, il nous paraît qu'il était irréaliste d'impartir, le 24 mars 1982, au gouvernement italien un délai de deux mois pour se mettre en règle.

Une constatation de manquement dans ces conditions risquerait de se révéler dépourvue d'effet utile. A cet égard, les affaires du cadastre viticole italien ( 12 ) ou des centrales laitières italiennes ( 13 ) constituent des précédents instructifs.

Nous concluons au rejet du recours et à ce que les dépens soient mis à la charge de la Commission.

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( 1 ) Règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, JO L 118, p. 1, du 29 mai 1972.

( 2 ) Règlement portant dispositions complémentaires sur le contrôle de qualité des fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de la Communauté, JO L 327, p. 33, du 30 décembre 1969.

( 3 ) Règlement portant modification du règlement no 2638/69 portant dispositions complémentaires sur le contrôle de qualité des fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de la Communauté; JO L 210, p. 5, du 13 août 1980.

( 4 ) JO C 258, p. 10 à 12, du 6. 10. 1980.

( 5 ) Règlement du 25 octobre 1966, concernant l'application des normes de qualité aux fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de la Communauté, JO 192, p. 3282, du 27. 10. 1966.

( 6 ) Azienda di Stato per gli interventi nel mercato agri-colo.

( 7 ) Istituto nazionale per il commercio estero.

( 8 ) JO L 166, p. 1, du 23. 6. 1978.

( 9 ) Disposition reprise au paragraphe 2 de l'article 8 du règlement no 1035/72.

( 10 ) Erronément citée comme datant du 15 décembre 1980.

( 11 ) Article 2 du règlement no 2150/80.

( 12 ) Arrêt du 4. 3. 1970, affaire 33/69, Commission/République italienne, Recueil p. 93.

( 13 ) Arrêt du 21. 3. 1972, affaire 82/71, SAIL, Recueilp. 119 et suiv.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 322/82
Date de la décision : 04/10/1983
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes - Contrôle de qualité.

Fruits et légumes

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Pescatore

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:261

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