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30/06/1983 | CJUE | N°152,

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 30 juin 1983., W. Ferrario et autres contre Commission des Communautés européennes., 30/06/1983, 152,


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 30 JUIN 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une série de recours introduits le 15 juin 1981 contre la Commission par des fonctionnaires et agents temporaires, relatifs aux conditions d'octroi de l'allocation scolaire à plafond double en cas de fréquentation d'un établissement d'enseignement supérieur par leurs enfants.

Les affaires sur lesquelles nous nous prononçons aujourd'hui ne constituent qu'une partie de celles qui ont été engagÃ

©es. En sont exclues celles que vous avez disjointes par votre ordonnance du 25 mai 1982, en ...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 30 JUIN 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une série de recours introduits le 15 juin 1981 contre la Commission par des fonctionnaires et agents temporaires, relatifs aux conditions d'octroi de l'allocation scolaire à plafond double en cas de fréquentation d'un établissement d'enseignement supérieur par leurs enfants.

Les affaires sur lesquelles nous nous prononçons aujourd'hui ne constituent qu'une partie de celles qui ont été engagées. En sont exclues celles que vous avez disjointes par votre ordonnance du 25 mai 1982, en raison de l'exception d'irrecevabilité pour tardiveté de présentation de la réclamation précontentieuse, avancée par la Commission. Dans ces affaires, la procédure a été suspendue sine die par décision de votre président du 7 juin 1982.

Les présents recours ont pour objet essentiel :

— de dire inapplicable le texte de l'article 3, 3e alinéa, 2e tiret, de l'annexe VII du statut, en ce qu'il limite le droit au double plafond, au cas où le fonctionnaire est bénéficiaire de l'indemnité de dépaysement,

et

— par suite, d'enjoindre à la Commission de redresser les comptes des requérants en y ajoutant les montants correspondant aux allocations scolaires doubles dont ils auraient été illégalement privés.

I —

Les faits, dans ces litiges où le problème posé est de pur droit, sont extrêmement simples.

1) Les requérants, qui sont tous en fonction à l'établissement d'ISPRA du Centre commun de recherche, remplissent toutes les conditions pour bénéficier du double plafond, sauf une: ils ne sont pas titulaires de l'indemnité de dépaysement prévue et réglementée par l'article 69 du statut et la section 2 de son annexe VII. De ce fait, ils estiment subir une discrimination par rapport à leurs collègues percevant cette indemnité et dont les enfants fréquentent, comme les leurs, un établissement
d'enseignement supérieur situé en Italie, à plus de cinquante kilomètres de leur lieu d'affectation. En pratique, il s'agit le plus souvent de l'université de Milan, laquelle se trouve à soixante-douze kilomètres d'Ispra.

A la fin de 1980, ils ont présenté des demandes au sens de l'article 90, paragraphe 1, tendant à obtenir le bénéfice du double plafond. L'autorité investie du pouvoir de nomination les a repoussées en rappelant le texte clair de l'article 3 de l'annexe VII.

2) Les requérants ont alors introduit des réclamations en application de l'article 90, paragraphe 2, du statut. Mais celles-ci ont toutes été rejetées, d'abord de manière implicite (absence de réponse dans le délai de quatre mois), puis postérieurement à l'introduction du recours par décisions de rejet explicites, le 15 juillet ou le 9 décembre 1981.

II —

L'appréciation correcte de la question litigieuse ne peut se faire, à notre avis, sans rappeler au préalable l'évolution, considérable, des conditions d'octroi de l'allocation scolaire depuis l'entrée en vigueur des statuts des fonctionnaires et des règlements applicables aux autres agents de la CEE et de la CEEA, le 1 janvier 1962 ( 1 ).

1) Dans les règlements no 31 (CEE) et no 11 (CEEA) du Conseil du 18 décembre 1961, l'allocation était accordée à tout fonctionnaire, qu'il bénéficie ou non de l'indemnité de dépaysement, quel que soit l'établissement fréquenté par son enfant.

En revanche, l'allocation scolaire ne couvrait pas le cycle complet des études supérieures puisqu'elle prenait fin au moment où l'enfant atteignait l'âge de 21 ans. Elle ne prévoyait pas non plus de plafond double.

2) Celui-ci fut introduit en 1965 ( 2 ). Il était alors octroyé aux fonctionnaires dont les enfants fréquentaient un établissement d'enseignement en l'absence d'école européenne à moins de cinquante kilomètres de leur lieu d'affectation, mais à condition qu'ils bénéficient de l'indemnité de dépaysement. C'est ce régime, qui fut intégré, en 1968, dans le statut unique pour tous les fonctionnaires de la Communauté, qui remplaça les statuts CECA, CEE et CEEA ( 3 )

3) En 1972 ( 4 ), le bénéfice de l'allocation scolaire à plafond double fut étendu aux fonctionnaires dont les enfants poursuivent des études supérieures. Ce nouveau droit était subordonné à la réunion des trois conditions suivantes:

— perception par le fonctionnaire de l'indemnité de dépaysement,

— absence d'un institut d'enseignement de niveau universitaire du pays d'origine du fonctionnaire dans un rayon de cinquante kilomètres autour de son lieu d'affectation,

— fréquentation effective d'un institut d'enseignement de niveau universitaire distant d'au moins cinquante kilomètres du lieu d'affectation.

Il résulte du rapprochement des deux dernières conditions que l'institut fréquenté ne devait pas être nécessairement situé dans le pays d'origine du fonctionnaire.

4) En 1974, la Commission a soumis au Conseil une proposition tendant à élargir encore les conditions d'octroi de l'allocation scolaire double. Elle visait notamment à supprimer la condition relative au bénéfice de l'indemnité de dépaysement. En adoptant le règlement no 711/75 ( 5 ), le Conseil n'a que très partiellement suivi la proposition de la Commission pour l'enseignement supérieur. Alors qu'il a accepté de la supprimer pour les enseignements primaire et secondaire, il a maintenu pour
l'enseignement supérieur la condition tenant à l'octroi de l'indemnité de dépaysement.

Il a seulement ajouté, in fine, qu'elle «n'est pas requise s'il n'y a pas un tel établissement dans le pays de la nationalité du fonctionnaire» ( 6 )

5) Le texte aujourd'hui en vigueur se lit donc comme suit:

«Le plafond mentionné, premier alinéa, est doublé pour:

...

— le fonctionnaire dont le lieu d'affectation est distant d'au moins cinquante kilomètres d'un établissement d'enseignement supérieur du pays de sa nationalité et de sa langue, à condition que l'enfant fréquente effectivement un établissement d'enseignement supérieur distant d'au moins cinquante kilomètres du lieu d'affectation et que le fonctionnaire soit bénéficiaire de l'indemnité de dépaysement; cette dernière condition n'est pas requise s'il n'y a pas un tel établissement dans le pays de la
nationalité du fonctionnaire».

Ce libellé n'élargit que sur des points mineurs la formulation antérieure ( 7 ). Il maintient les trois conditions requises par le texte précédent.

Il convient de signaler en outre que, conformément à l'article 5, paragraphe 1, des «dispositions générales d'exécution relatives à l'octroi de l'allocation scolaire» ( 8 ), le montant de l'allocation scolaire versée en cas de fréquentation d'un établissement d'enseignement supérieur revêt un caractère forfaitaire, en ce sens qu'il est égal au plafond visé à l'article 3, premier alinéa, de l'annexe VII du statut, indépendamment des frais réels de scolarité engagés comme du montant de la
rémunération du fonctionnaire bénéficiaire. Pour l'année académique 198I-1982, ce montant s'élevait à 4105 BFR par enfant et par mois ( 9 ).

De même, en vertu du paragraphe 2 du même article 5, tout fonctionnaire réunissant les conditions d'octroi de l'allocation double et dont l'enfant fréquente un établissement d'enseignement supérieur perçoit automatiquement un montant égal au plafond double. Pour la même année, il recevait donc la somme mensuelle de 8210 BFR par enfant.

III —

1) Le moyen, unique, des requérants est pris de la violation du principe de non-discrimination, principe général de droit reconnu par votre jurisprudence. Celui-ci est violé lorsque, sans justification objective, sont traités de manière différente des situations similaires ou de manière identique des situations différentes ( 10 ).

Les requérants estiment que l'exigence de l'indemnité de dépaysement pour l'octroi du double plafond de l'allocation scolaire revient à traiter de manière différente des fonctionnaires se trouvant dans des situations comparables en l'absence de toute justification.

Ils exposent que tous les fonctionnaires dont les enfants suivent des études supérieures dans un établissement distant d'au moins cinquante kilomètres de leur lieu d'affectation supportent les mêmes frais découlant de la poursuite de ces études. Ils seraient donc dans des situations identiques. Cependant, les fonctionnaires recevant l'indemnité de dépaysement perçoivent le double plafond, qui n'est pas accordé à ceux n'en bénéficiant pas. En cela résiderait la discrimination.

2) De plus, cette différence de traitement est dépourvue de justification objective. Ce dernier point nous paraît constituer le problème central des présentes affaires.

La subordination de l'octroi de l'allocation scolaire double à celui de l'indemnité de dépaysement établit-elle «une différence de traitement arbitraire entre fonctionnaires» ( 11 ) ou, en d'autres termes et dans certains cas, «une situation discriminatoire... causée par l'application d'une règle générale génératrice d'une atteinte au principe d'égalité entre fonctionnaires placés dans des situations comparables» ( 12 )? Ou bien crée-t-elle une catégorisation fondée sur des critères objectifs et
en rapport direct avec le but de la réglementation, qui s'applique de la même manière à l'ensemble des fonctionnaires se trouvant dans la situation envisagée par le statut, mais qui, dans des cas marginaux, aboutit à des inconvénients ( 13 )

Sans résulter expressément des termes adoptés, il est constant que le but poursuivi par le Conseil en maintenant la condition de l'indemnité de dépaysement est de permettre aux fonctionnaires n'ayant pas la nationalité de l'État de leur lieu d'affectation de supporter les frais plus élevés exposés par leurs enfants qui poursuivent des études dans leur pays d'origine.

A ce sujet, on peut être d'accord avec le Conseil et la Commission pour admettre que des études dans un pays autre que le pays d'affectation du père ou de la mère de l'étudiant entraînent en moyenne des frais plus importants, notamment de déplacement, que des études dans ce pays.

On constate également que, dans la plupart des cas, les fonctionnaires titulaires de l'indemnité de dépaysement sont d'une nationalité autre que celle du pays de leur lieu d'affectation (par exemple, 97,4 % des fonctionnaires et agents temporaires en poste à Ispra ayant droit à l'indemnité de dépaysement ne sont pas italiens) et que, le plus souvent, leurs enfants retournent dans leur pays d'origine accomplir leurs études supérieures (par exemple, à Ispra, pour l'année académique 1981-1982, 147
enfants étaient dans ce cas, alors que 36 étudiaient en Italie).

3) Il convient toutefois de prendre en compte l'analyse des requérants qui, loin d'être convaincus par la motivation du Conseil, contestent que le coût supposé plus élevé des études dans le pays d'origine soit la véritable justification de l'exigence de la condition tenant à l'indemnité de dépaysement. Ils font valoir trois arguments en ce sens, dont le dernier nous est apparu comme le plus solide.

a) A leur avis, si lexphcation donnée était exacte, on comprendrait mal pourquoi cette condition a été supprimée en 1975 pour l'octroi du double plafond en matière d'enseignement primaire et secondaire.

Cette comparaison avec ces types d'enseignement ne nous paraît toutefois pas pertinente. En maintenant la condition de l'indemnité de dépaysement pour l'enseignement supérieur, le Conseil a fait un choix de politique du personnel, dont l'appréciation échappe à la compétence d'un organe juridictionnel, et en a tiré les conséquences logiques. Il a entendu conserver à l'octroi du double plafond un caractère exceptionnel, notamment pour des raisons d'ordre budgétaire. Or, la suppression de la
condition tenant à l'indemnité de dépaysement pour les enseignements primaire et secondaire n'élargissait pas notablement le nombre de fonctionnaires en bénéficiant car, dans les lieux d'affectation de la très grande majorité d'entre eux, fonctionne au moins une école européenne apte à dispenser à leurs enfants un enseignement primaire et secondaire approprié. En revanche, il n'existe pas pour l'enseignement postscolaire d'équivalent des écoles européennes, de sorte que le même élargissement
aurait considérablement augmenté le nombre de bénéficiaires du double plafond.

Les requérants soutiennent aussi que les frais supplémentaires résultant des études dans son pays de l'enfant d'un fonctionnaire affecté à l'étranger sont couverts de manière forfaitaire par l'indemnité de dépaysement. Mais la Commission répond avec raison que l'indemnité de dépaysement est personnelle aux fonctionnaires, tandis que l'allocation scolaire est précisément destinée à couvrir les charges liées aux études de leurs enfants.

b) Les requérants ont insisté, tout au long de la procédure, sur «l'absurdité» du système qui conduit à accorder le double plafond aux fonctionnaires titulaires de l'indemnité de dépaysement et à le refuser à leurs collègues n'en bénéficiant pas, alors, que leurs enfants fréquentent la même université et supportent dès lors les mêmes frais.

Il est incontestable que cet argument a une certaine force. Il ne nous conduit cependant pas à voir dans cette situation une discrimination arbitraire. Il découle en effet de votre jurisprudence que, pour interpréter une disposition au libellé perfectible, il convient de se référer à son but et à son économie ( 14 ). Or, l'octroi du double plafond aux fonctionnaires bénéficiaires de l'indemnité de dépaysement — donc, dans l'immense majorité des cas, étrangers dans leur pays d'affectation — n'a
pas été voulu par le législateur; il résulte seulement du caractère imparfait, reconnu par la Commission, du texte en vigueur. Dès lors, les requérants devraient plutôt comparer leur cas avec celui des seuls fonctionnaires auxquels le Conseil a voulu réserver le bénéfice de l'allocation scolaire double, les titulaires de l'indemnité de dépaysement qui envoient leurs enfants dans leur pays d'origine.

De plus, même si les cas choisis par les requérants comme deuxième terme de leur comparaison ne sont pas marginaux ( 15 ), il ressort néanmoins des chiffres cités que l'hypothèse la plus fréquente est de loin celle envisagée par le Conseil comme fondement du texte critiqué. On peut donc dire que ce dernier constitue l'expression d'une réalité sociologique incontestable.

Si, dans la grande majorité des cas, les enfants des fonctionnaires des Communautés font leurs études dans leur pays d'origine ( 16 ) c'est en effet qu'ils y sont poussés par de puissantes raisons. L'accès à de nombreuses carrières, notamment dans la fonction publique et dans certaines professions libérales, est assez souvent subordonné à la possession de diplômes nationaux, dans l'état présent de la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes par les différents États membres. Des considérations
linguistiques peuvent également intervenir. Enfin, il est clair que l'intégration dans le monde du travail du pays d'origine est facilitée, notamment du point de vue psychologique, lorsque les études qui y mènent sont accomplies dans ce pays.

IV —

1) A ce stade, il apparaît donc que la condition de l'octroi de l'indemnité de dépaysement, maintenue par le Conseil en 1975, d'une part est en rapport direct avec le but de la réglementation de l'allocation scolaire à plafond double, et d'autre part a un caractère objectif et uniforme, c'est-à-dire s'applique à toutes les personnes se trouvant dans la même situation sans appréciation discrétionnaire de leur situation individuelle.

Toutefois, il nous semble pouvoir déduire de votre jurisprudence que cette condition deviendrait illégale si son application devait conduire à élargir exagérément le cercle des fonctionnaires ne bénéficiant pas du double plafond qui, logiquement, devraient le recevoir. Déjà en l'absence de la condition de l'indemnité de dépaysement, par le seul fait de «l'intervention d'une réglementation générale et abstraite», il se trouvera des «situations marginales» ( 17 ) où des fonctionnaires seront
privés, a priori injustement, du plafond double.

Mais ce risque est accru et les personnes injustement exclues peuvent devenir trop nombreuses pour que leurs cas puissent encore être qualifiés de marginaux lorsqu'aux autres critères est ajouté celui tenant à l'indemnité de dépaysement. Il est incontestable en effet que l'application de l'article 4, paragraphe 1, de l'annexe VII du statut, qui définit les conditions d'octroi de l'indemnité de dépaysement, peut également aboutir à des injustices, même si celles-ci ne présentent pas le caractère
d'une différenciation arbitraire ( 18 ).

En d'autres termes, la superposition de deux critères imparfaits peut conduire à rendre la réglementation qui les contient discriminatoire et donc illégale.

2) Il nous appartient maintenant de vérifier concrètement si tel est le cas en l'espèce.

Il faut, à notre sens, distinguer quatre types de situation que l'on pourrait qualifier d'anormales.

a) Il s'agit en premier lieu des fonctionnaires ayant la nationalité du lieu d'affectation et percevant l'indemnité de dépaysement (cas exceptionnel), comme les Italiens à Ispra. Les statistiques annexées à la duplique montrent que, pour l'année universitaire 1981-1982, il n'y avait à Ispra que 9 enfants de fonctionnaires dans ce cas sur 374 poursuivant des études supérieures. En l'absence d'un établissement d'enseignement supérieur du pays de leur nationalité et de leur langue à cinquante
kilomètres de leur lieu d'affectation, ces fonctionnaires bénéficieront toujours du double plafond, que l'établissement choisi soit situé dans le pays qui est à la fois celui de leur affectation et de leur nationalité ou dans un autre pays. On peut estimer que ces fonctionnaires se trouvent ainsi dans une situation privilégiée par rapport à leurs compatriotes ne percevant pas l'indemnité de dépaysement (cas normal) et donc ne recevant pas le double plafond.

b) Il nous paraît normal que ces derniers ne perçoivent pas le double plafond quand ils envoient leurs enfants poursuivre des études à l'étranger, sauf hypothèses tout à fait exceptionnelles. On ne saurait parler de discrimination quand cet avantage est accordé par exemple au fonctionnaire allemand affecté à Ispra qui envoie son enfant dans une université allemande et refusé au fonctionnaire d'Ispra de nationalité italienne dont l'enfant suit les mêmes cours en Allemagne que celui de son
collègue. Les situations de ces deux fonctionnaires sont en effet objectivement différentes en ce sens que l'option prise est souvent imposée au premier, mais presque toujours délibérée pour le second. Certes, le choix d'une université étrangère est conforme au principe de liberté de choix de l'établissement d'enseignement supérieur que les institutions de la Communauté ne peuvent, ni n'entendent discuter. Mais le principe de non-discrimination ne peut être utilement invoqué pour contraindre
le Conseil à accorder dans de tels cas l'allocation scolaire à plafond double auquel ce dernier veut conserver un caractère exceptionnel.

Il nous paraîtrait souhaitable qu'un fonctionnaire bénéficiant de l'indemnité de dépaysement dans un lieu d'affectation et perdant ce bénéfice à la suite de sa mutation dans son pays d'origine puisse continuer à recevoir le double plafond pour son enfant qui poursuit ses études dans le premier pays et ne désire pas les interrompre ( 19 ). Toutefois, le nombre sans doute extrêmement limité des fonctionnaires se trouvant dans cette situation empêche de considérer celle-ci autrement que comme une
situation certes malheureuse, mais marginale. On ne saurait donc la qualifier de discriminatoire au sens de votre jurisprudence. Il appartiendrait plutôt au législateur communautaire de trouver une solution appropriée pour y mettre fin.

c) Une autre situation anormale est dénoncée par les requérants: il s'agit des fonctionnaires n'ayant pas la nationalité de leur lieu d'affectation et percevant l'indemnité de dépaysement (cas normal), mais dont les enfants poursuivent leurs études dans ce pays d'affectation et non, selon les prévisions du Conseil, dans leur pays d'origine. C'est le cas des enfants des fonctionnaires non italiens d'Ispra qui font leurs études en Italie, spécialement à Milan. On peut penser aussi à des enfants de
fonctionnaires français faisant leurs études en Belgique dans une université francophone ou à des Belges néerlandophones en poste à l'établissement de Petten du Centre commun de recherche dont les enfants étudieraient aux Pays-Bas. Il est probable qu'un certain nombre de ces enfants sont issus d'un mariage mixte ou nés dans le pays d'affectation de leur ayant-droit après l'entrée en fonctions de celui-ci au service des Communautés, de sorte qu'ils se sentent plus intégrés dans ce pays que dans
celui dont ils ont la nationalité. Leur désir d'y poursuivre leurs études supérieures apparaît donc tout à fait compréhensible.

Il est également vrai que le système actuel permet à ces fonctionnaires de recevoir le double plafond de l'allocation scolaire non seulement s'ils envoient leurs enfants dans leur pays d'origine, mais également s'ils les envoient dans tout autre pays. Ces conséquences, dont on sait qu'elles n'ont pas été voulues par le Conseil mais résultent de la rédaction imparfaite du texte, ne sont pas critiquables en soi, notamment dans un esprit européen, si l'enfant étudie dans un pays de la Communauté
autre que le lieu d'affectation de son ayant-droit et que le pays de la nationalité de celui-ci. Mais elles deviennent choquantes lorsqu'on prend en considération les cas opposés des fonctionnaires visés par le texte. Toutefois, le nombre tout de même limité des bénéficiaires, si l'on se réfère aux chiffres relatifs à Ispra, empêche de considérer qu'il y ait là une discrimination au détriment de ceux qui n'en bénéficient pas. De plus, alors que les bénéficiaires n'ont pas intérêt à se plaindre
de la situation présente, il ne faut pas oublier qu'un des moyens de mettre fin à l'inégalité de traitement actuelle serait de supprimer cet avantage.

d) Parmi les cas regrettables figurent ceux des fonctionnaires ne possédant pas la nationalité du pays d'affectation et ne bénéficiant cependant pas de l'indemnité de dépaysement (cas exceptionnel) ( 20 ), mais dont les enfants accomplissent leurs études supérieures en dehors du pays d'affectation, par exemple dans leur pays d'origine. On ne relevait aucun cas de ce genre à Ispra en 1981-1982. Les informations complémentaires fournies par la Commission concernant son personnel affecté à Bruxelles
et Luxembourg nous permettent de dire qu'il s'agit d'une situation extrêmement rare puisqu'elle ne concernait que 2 des 32 enfants ouvrant droit à l'allocation scolaire au titre de leurs études supérieures de fonctionnaires et agents temporaires pour l'année 1982-1983.

En conclusion, le relevé des situations anormales montre qu'elles n'ont pas une ampleur suffisante pour comprendre le texte attaqué dans ceux créant une discrimination arbitraire. Toutefois, on ne peut s'empêcher de penser que le libellé choisi, du fait de la pluralité de ses critères et du recours à celui de l'indemnité de dépaysement, est peut-être inutilement compliqué. Certes un système parfaitement juste, où personne ne serait ni lésé ni indûment avantagé, est utopique, compte tenu de
l'extrême variété des situations individuelles due au nombre considérable de facteurs entrant en jeu. Mais on peut penser qu'une réglementation différente permettrait éventuellement de se rapprocher davantage de cet objectif d'équité.

Toutefois, nous vous inviterons, pour les motifs que nous avons énoncés, à rejeter les recours. En conséquence, chacune des parties devrait supporter ses propres dépens en application de l'article 70 du règlement de procédure.

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( 1 ) Le statut CECA de 1962 était rédigé sur ce point de manière identique.

( 2 ) Par les règlements noi 30 (CEE) et 4 (CEEA) du 16. 3.1965; le statut CECA fut modifié de manière identique

( 3 ) Par le règlement (CEE, Euratom, CECA) 259/68 du 29. 2. 1968.

( 4 ) Par l'article 52 du règlement no 1473/72 du 30. 6.1972.

( 5 ) Du 18. 3. 1975.

( 6 ) Cette exception vise les fonctionnaires luxembourgeois qui ne disposent pas dans leur pays d'un cycle d'études universitaires complet.

( 7 ) Outre la mention finale déjà signalée, il s'agit: — du remplacement des mots «institut d'enseignement de niveau universitaire» par «établissement d'enseignement supérieur» — et de celui de «pays d'origine» par «pays de la nationalité et de la langue».

( 8 ) Publiées aux «Informations administratives» no 153 du 2. 5. 1977, p. 25 à 28.

( 9 ) Règlement no 372/82 du Conseil du 15. 2. 1982 — article 1, point b), dernier tiret.

( 10 ) Par exemple: 25. 10. 1978, Koninklijke Scholten-Honig, affaire 125/77, attendu 27, Recueil p. 2004; première chambre, 15. 12. 1982, Maizena, affaire 5/82, motifs 16 et 17, Recueil p. 4614; première chambre, 23. 2. 1983, Wagner, affaire 8/82, motifs 18 et 19, Recueil p. 387.

( 11 ) Comme dans l'affaire 20/71, Luisa Bertoni, épouse

Sabbatini/Parlement; arrêt de la deuxième chambre du 7. 6. 1972, attendu 13, Recueil p. 352.

( 12 ) Comme dans l'affaire 156/78, Newth/Commission; arrêt de la deuxième chambre du 31. 5. 1979, motif 13 Recueil p. 1952 et 1953.

( 13 ) Comme dans les affaires 147/79, Hochstrass/Cour de justice (arrêt de la deuxième chambre du 16. 10. 1980, motifs 13 et 14, Recueil p. 3020 et 3021) et 1322/79, Vutera/Commission (arrêt de la deuxième chambre du 15. 1. 1981, motif 9, Recueil p. 138).

( 14 ) Première chambre, 27. 11. 1980, Sorasio et autres/ Commission, affaires jointes 81, 82 et 146/79, motif 15, Recueil p. 3571 et 3572.

( 15 ) Rappelons-le, à Ispra, en 1981-1982, 36 enfants de fonctionnaires bénéficiant de l'indemnité de dépaysement étudiaient en Italie contre 147 qui étaient rentrés dans leur pays d'origine, soit tout de même approximativement 1 sur 4 (4,08333 pour être tout à fait précis).

( 16 ) Aux chiffres déjà indiqués, on peut ajouter que seuls 4 enfants des 1050 fonctionnaires et agents italiens en poste á Ispra étudiaient dans l'enseignement supérieur en dehors d'Italie.

( 17 ) Arrêt Hochstrass précité, motif 14, Recueil 1980, p. 3021.

( 18 ) Arrêt Vutera précité, motif 9, Recueil 1981, p. 138.

( 19 ) Ainsi, M. Carraro (affaire 305/81), de nationalité italienne, bénéficiait de l'indemnité de dépaysement et percevait l'allocation scolaire double pour sa fille inscrite à l'université belge de Louvain-la-Neuve tant qu'il était affecté à l'établissement de Geel du Centre commun de recherche. A compter de sa mutation à Ispra, début décembre 1980, il n'a plus bénéficié ni de l'indemnité de dépaysement ni, partant, de l'allocation scolaire double, alors que sa fille continuait ses études en
Belgique.

( 20 ) Par exemple, parce qu'ils ont travaillé pour une entreprise privée dans ce pays, même s'ils n'y habitaient pas, pendant la période de cinq années expirant six mois avant leur entrée en fonctions — article 4, paragraphe 1, point a), deuxième tiret, de l'annexe VII.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 152,
Date de la décision : 30/06/1983
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Allocations scolaires - Double plafond.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : W. Ferrario et autres
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:178

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