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07/06/1983 | CJUE | N°165/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 7 juin 1983., Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord., 07/06/1983, 165/82


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 7 JUIN 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans l'affaire 165/82, engagée contre le Royaume-Uni, l'application incorrecte de la directive 76/207 résiderait, d'après la Commission, dans les quatre points suivants :

1) Contrairement aux obligations prescrites par la directive, la législation britannique ne permettrait pas que les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement qui figurent dans les conventions collectives

, d'une part, et les règlements intérieurs des entreprises ou les statuts des professions...

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 7 JUIN 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans l'affaire 165/82, engagée contre le Royaume-Uni, l'application incorrecte de la directive 76/207 résiderait, d'après la Commission, dans les quatre points suivants :

1) Contrairement aux obligations prescrites par la directive, la législation britannique ne permettrait pas que les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement qui figurent dans les conventions collectives, d'une part, et les règlements intérieurs des entreprises ou les statuts des professions indépendantes, d'autre part, soient nulles (en droit) ou puissent être déclarées nulles ou amendées (par le juge).

2) et 3) En raison d'une interprétation erronée de la disposition dérogatoire de l'article 2, paragraphe 2, de la directive, la section 6 (3) du «Sex Discrimination Act» (ci-après: SDA) exclut du champ d'application de cette loi les emplois domestiques ainsi que les cas où cinq personnes au moins sont employées.

4) En n'ouvrant que de manière fort restreinte l'accès à la formation de sage-femme et l'exercice de cette profession aux personnes de sexe masculin, le Royaume-Uni comprendrait également de façon trop restrictive l'article 2, paragraphe 2, de la directive.

Examinons chacun de ces griefs.

I —

1. Aux termes des articles 3 (paragraphe 2 b), 4 (b) et 5 (paragraphe 2 b) de la directive, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d'obtenir la nullité ou la modification de toutes les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement en matière d'accès aux emplois (article 3), d'accès aux diverses formes de formation professionnelle (article 4) et de conditions de travail (article 5). Peu importe que ces dispositions figurent dans les contrats individuels de
travail, les conventions collectives, les règlements intérieurs des entreprises ou les statuts des professions indépendantes.

Suivant la Commission, la législation en vigueur au Royaume-Uni n'est conforme à ces exigences qu'en ce qui concerne les contrats individuels de travail. L'article 77 (1) du S DA dispose:

qu'«une clause contractuelle est nulle lorsque:

a) son inclusion rend le contrat illégal en vertu de (la) présente loi,

b) ou lorsquelle est incluse en exécution d'une action devenue illégale en vertu de (la) présente loi,

c) lorsqu'elle prévoit l'exécution d'une action qui serait illégale en vertu de (la) présente loi».

En revanche, il n'existe aucun texte du même type pour les conventions collectives, les règlements intérieurs des entreprises et les statuts des professions indépendantes. Dès lors, pour la Commission, l'obligation claire et nette que les articles cités de la directive font peser sur les États membres n'est pas satisfaite.

2. Le Royaume-Uni n'est pas de cet avis. Il estime qu'il n'est pas nécessaire d'adopter, pour les conventions collectives, les règlements intérieurs des entreprises et les statuts des professions indépendantes, de règle similaire à l'article 77 (1) du SDA; il considère que cette adoption serait inutile pour garantir que soit atteint l'objectif des articles 3, 4 et 5 de la directive, à savoir la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement dans les domaines qu'ils visent.

a) Commençons par les conventions collectives.

Pour le Royaume-Uni, la réglementation actuelle des conventions collectives assure donc à suffisance l'exécution de la directive.

Le gouvernement britannique indique d'abord que, depuis l'entrée en vigueur du «Trade Union and Labour Relations Act» de 1974, les conventions collectives n'ont pas habituellement de force contraignante au Royaume-Uni et qu'à sa connaissance il n'y a actuellement aucune convention collective juridiquement contraignante en vigueur au Royaume-Uni.

Il remarque ensuite qu'aux termes de l'article 3 de l'«Equal Pay Act» de 1970, les conventions collectives peuvent être soumises au «Central Arbitration Committee» (commission centrale d'arbitrage) chargé d'indiquer les modifications qu'il juge requises pour éliminer toute discrimination entre Hommes et femmes dans les termes et conditions d'emploi. Les déclarations rendues par le «Committee» sur cette base ont pour effet, en pratique, que, chaque fois que la stipulation discriminatoire est
insérée dans un contrat de travail, individuel, celui-ci est amendé en conséquence.

Maintenant une position constante, le Royaume-Uni soutient que la directive n'exige pas que soient annulés ou que puissent être annulés ou amendés des textes qui, comme les conventions collectives, sont privés d'effet juridique. Une telle exigence reviendrait en quelque sorte à donner «des coups d'épée dans l'eau».

Il souligne enfin et surtout que, si une convention collective était juridiquement contraignante — éventualité fort peu probable — et si une de ses dispositions était contraire au principe de l'égalité de traitement, cette disposition serait nulle en vertu de l'article 77 du SDA. Il en serait de même de stipulations d'une convention collective contraires au principe de l'égalité de traitement qui seraient insérées dans des contrats individuels de travail.

b) Pour les dispositions des règlements intérieurs et des statuts des professions indépendantes, la défense du gouvernement britannique est sensiblement la même que pour les conventions. collectives. En application de l'article 77 (1), les dispositions discriminatoires contenues dans ces textes sont nulles lorsque ces derniers ont force contraignante ou lorsqu'ils sont repris dans des contrats de travail individuels. Le gouvernement défendeur fait toutefois également référence à d'autres articles
du SDA qui aideraient à combattre les discriminations. Dans l'hypothèse où une discrimination en matière d'emploi tirerait son origine de l'insertion d'une disposition discriminatoire dans le règlement intérieur d'une entreprise ou le statut d'un organisme professionnel, cette discrimination tomberait sous le coup de l'article 6 de la même loi. En outre, à supposer qu'une entreprise ayant pour objet social le placement de travailleurs ne propose des emplois, en vertu de son règlement
intérieur, qu'à des personnes de l'un des deux sexes, l'article 15 du SDA le lui interdirait. De surcroît, au cas où la disposition contraire au principe de l'égalité de traitement aurait trait à l'autorisation ou à la qualification pour une profession ou un commerce particulier, elle serait prohibée par l'article 13, paragraphe 1, du SDA.

En conséquence, là encore, selon le Royaume-Uni, il n'est pas nécessaire de prendre d'autres mesures législatives pour appliquer le principe de l'égalité de traitement aux entreprises et aux professions indépendantes, car sa législation actuelle, qui intervient au moment où la personne discriminée subit le préjudice, assurerait déjà le respect de ce principe.

3. La Commission ne se satisfait pas de ces arguments. Elle rappelle les termes clairs des dispositions pertinentes de la directive en vertu desquels les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement qui figurent dans les conventions collectives, les règlements intérieurs des entreprises ainsi que dans les statuts des professions indépendantes soient nulles, puissent être déclarées nulles ou être amendées. Or, aucune règle
du droit applicable au Royaume-Uni ne permet d'assurer le respect de cette obligation. De l'avis de la Commission, il existe une différence fondamentale entre une situation juridique créée par l'annulation ou la modification d'une disposition discriminatoire ayant pour effet que cette disposition cesse d'exister et la situation en cause, où une disposition continue à exister, même si elle n'est pas exécutoire en droit. La Commission rappelle également qu'avant 1974 les conventions collectives
avaient, par elles-mêmes, force contraignante et que rien ne permet de penser qu'il ne puisse plus en être de même à l'avenir.

4. A notre avis, dans ce débat à caractère purement juridique, la position de la Commission nous paraît être la plus solide, notamment en raison des exigences de clarté et de sécurité juridiques sur lesquelles insiste votre jurisprudence en matière de manquements d'État. Certes, cette jurisprudence s'est développée jusqu'à présent à l'égard des pratiques administratives, dont vous avez estimé qu'elles «ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable de l'obligation qui incombe
aux États membres destinataires d'une directive en vertu de l'article 189 du traité», car ces pratiques sont «par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate» ( 1 ). Mais il nous semble qu'en raison de la généralité de ses termes la phrase suivante, extraite de votre arrêt du 1er mars dernier dans l'affaire 300/81, s'applique également à la situation litigieuse: «Il importe ... que chaque État membre donne à la directive en question une exécution qui
corresponde pleinement aux exigences de clarté et de certitude des situations juridiques voulues par la directive dans l'intérêt», en l'espèce, des femmes et des hommes en matière d'accès à l'emploi, de formation et de promotion professionnelles et de conditions de travail ( 2 ). Les termes des articles 3, 4 et 5 de la directive en cause dans la présente affaire ne semblent pas laisser aux États membres plus de marge d'appréciation pour leur exécution que ceux de la directive sur les
établissements de crédit en cause dans l'affaire 300/81.

En outre, une situation où demeurent des stipulations, éventuellement discriminatoires, contenues dans des textes comme les conventions collectives, les règlements intérieurs des entreprises et les statuts des professions indépendantes, est tout aussi ambiguë — surtout pour des travailleurs qui n'ont pas, le plus souvent, de formation juridique — que celle que crée l'exécution d'une directive par de simples pratiques administratives. Observons au surplus que les conventions collectives, les
règlements intérieurs des. entreprises et les statuts des professions indépendantes sont plus aisément accessibles aux travailleurs que la directive 76/207 ou les lois britanniques déniant à ces textes, de manière générale, valeur juridique contraignante. De ce fait, les travailleurs peuvent croire que, parce qu'ils reprennent d'éventuelles stipulations discriminatoires des types de textes cités, leurs contrats sont légaux et inattaquables en droit et ainsi être privés des avantages d'une
directive pourtant adoptée pour qu'ils en bénéficient. Pour éviter de tels risques de confusion, le mieux est de permettre de retirer de ces textes ces stipulations discriminatoires, comme l'impose la directive.

Cette possibilité doit être d'autant plus facile à mettre en œuvre qu'elle existe déjà en ce qui concerne l'un des domaines couverts par la directive, celui des conditions de travail. Comme nous l'avons vu, l'article 3 de 1'EPA charge le «Central Arbitration Committee» d'indiquer les modifications nécessaires pour éliminer toute discrimination à ce sujet lorsqu'une convention collective (ou une grille des salaires patronale) contient des dispositions applicables de manière spécifique aux seuls
travailleurs masculins ou aux seuls travailleurs féminins. Ce qui est possible pour les conditions de travail doit l'être aussi pour les autres matières visées par la directive.

Quant aux dispositions spécifiques du SDA, qui permettent l'annulation de certaines clauses discriminatoires qui pourraient être contenues dans le règlement intérieur d'une entreprise ou le statut d'une profession indépendante, il suffit d'observer que, quelle que soit leur portée réelle, elles ne couvrent pas l'ensemble du domaine couvert par le texte communautaire.

Dans ces conditions, le premier grief de la Commission nous paraît fondé.

II —

1. La Commission estime, en second lieu, que les dispositions de la section 6 (3) du SDA sont contraires aux termes de la directive, spécialement à ses articles 3, 4 et 5. Il s'agit là de ses deuxième et troisième griefs.

La section 6 (3) du SDA excepte de l'interdiction de discrimination à l'égard des demandeurs d'emploi et des salariés, prévue par les sections 6 (1) et 6 (2):

a) les «emplois domestiques» («employment for the purpose of a private household»),

b) les cas «où le nombre des personnes employées par l'employeur, augmenté du nombre de personnes employées par d'éventuels employeurs associés avec lui, n'est pas supérieur à cinq (abstraction faite d'éventuels employés domestiques)».

Toutefois, comme le Royaume-Uni l'a souligné au cours de la procédure orale, cette exception n'est pas totale; même dans les cas visés par la section 6 (3), il est interdit, en application de la section 4 du SDA aux employeurs de léser («victimize») leurs salariés qui essaient de faire valoir les droits que leur reconnaît la loi en matière d'égalité de traitement ou qui aident d'autres personnes à les faire valoir.

Pour le gouvernement britannique, les emplois couverts par cette disposition dérogatoire entrent dans le champ d'application de l'article 2, paragraphe 2, de la directive, en liaison avec l'article 9, paragraphe 2, de celle-ci.

Aux termes de son article 2, paragraphe 2, la directive «ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les États membres d'exclure de son champ d'application les activités professionnelles et, le cas échéant, les formations y conduisant, pour lesquelles, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante». L'article 9, paragraphe 2, dispose, quant à lui, que «les Etats membres procèdent périodiquement à un examen des activités professionnelles
visées à l'article 2, paragraphe 2, afin d'apprécier, compte tenu de l'évolution sociale, s'il est justifié de maintenir les exclusions en question. Ils communiquent à la Commission le résultat de cet examen».

2. Le gouvernement britannique estime que les «emplois domestiques» et les emplois dans les très petites entreprises peuvent être exclus du champ d'application de la directive parce qu'ils impliquent des relations personnelles étroites entre les salariés et les employeurs, si bien qu'on ne saurait légalement empêcher ceux-ci de s'assurer les services de personnes d'un sexe déterminé.

Le gouvernement britannique se fonde donc sur la partie de l'article 2, paragraphe 2, en vertu de laquelle des discriminations sont licites à l'égard des activités professionnelles pour lesquelles, en raison des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante.

S'agissant des emplois domestiques, il expose que ce type d'emplois implique fréquemment des relations personnelles très étroites entre l'employeur et l'employé, ce dernier, comme dans le cas de personnes de compagnie ou de servantes attachées au service personnel de quelqu'un, vivant souvent äu sein de la maison. Il fait valoir également que, contrairement à ce que soutient la Commission, la notion d'«emplois domestiques» est claire. Ainsi, si un chauffeur n'est pas réellement employé dans le
ménage de son employeur mais dans son entreprise, l'exception ne s'appliquera pas ( 3 ). Au contraire, un cuisinier attaché au service d'une famille ou un jardinier, par exemple, relèvera normalement de cette exception.

Pour l'emploi dans les très petites entreprises, le Royaume-Uni insiste d'abord sur le caractère strictement limité de l'exception. Si, dans le chiffre de cinq salariés, ne doivent pas être décomptés ceux qui occupent un emploi domestique, en revanche, l'exception n'inclut pas les cas dans lesquels des associés gèrent un certain nombre de petits établissements dont chacun emploie au maximum cinq personnes, mais qui, dans leur ensemble, en emploient plus. Le gouvernement défendeur justifie
également cette exception en raison des relations personnelles étroites qui existent souvent dans de petites entreprises. Il cite, à titre d'exemple, le cas des gérants et propriétaires de sexe féminin de petits magasins, spécialement ceux d'un certain âge, qui souhaitent employer des aides du même sexe que le leur.

Il estime donc qu'à l'heure actuelle au Royaume-Uni, il est justifié, compte tenu de l'évolution sociale, de ne pas appliquer la directive 76/207 aux emplois visés par la section 6 (3) du SDA.

3. A notre avis, cette argumentation a pertinemment été réfutée par la Commission.

a) Comme celle-ci, nous estimons, sur un plan général, que l'article 2, paragraphe 2, de la directive doit, en tant que disposition d'exception, être interprété de manière restrictive. Nous estimons aussi que, pour la même raison, c'est aux États membres que revient la charge de prouver qu'une activité professionnelle déterminée peut être exclue du champ d'application de la directive parce que le sexe en constitue, en raison de sa nature ou des conditions de son exercice, une condition
déterminante.

Concernant plus précisément les deux exceptions visées par la section 6 (2) du SDA, la Commission remarque, tout d'abord, en s'appuyant sur son rapport au Conseil sur la mise en oeuvre de la directive, qu'il n'en existe de semblables dans aucun autre État membre que le Royaume-Uni. Sans qu'il faille en tirer des conclusions sur le plan juridique, on peut toutefois, à notre sens, déduire de cette situation qu'il serait bien étonnant que ce soit au Royaume-Uni seulement que le stade actuel de
l'évolution sociale empêche d'appliquer la directive aux emplois domestiques et aux emplois dans les très petites entreprises.

b) La Commission fait aussi valoir que la notion d'«emploi domestique» («for the purposes of a private household») a un contenu dont les contours peuvent difficilement être dessinés avec précision. Elle souligne notamment qu'aucune indication n'est fournie quant à ce qu'est un «ménage» («household») ni quant aux critères qui permettent de le considérer comme «domestique» («private»). Elle se demande en particulier si l'expression doit être prise au sens étroit ou au sens large et quelles
catégories de travailleurs doivent y être inclus. Nous ne sommes pas entièrement convaincu par cet argument. Il se peut en effet, comme le gouvernement britannique l'a indiqué, que le contenu de cette notion puisse être progressivement défini par la jurisprudence, ce qui constitue un moyen usuel de définir le contenu d'un concept ayant des implications juridiques.

De même, nous n'adoptons pas la critique adressée par la Commission au chiffre de cinq salariés retenu dans la deuxième exception de la section 6 (3) du SDA. Si l'on admet, de manière préalable, qu'une exception est justifiée pour les très petites entreprises, il faut aussi admettre ce chiffre, qui ne paraît pas manifestement mal choisi, eu égard au fait que tout choix implique nécessairement un seuil qui n'échappe pas totalement à l'arbitraire.

c) D'autres motifs nous permettront de suivre la Commission sur le point précis des emplois visés par la section 6 (3) du SDA. En premier lieu, le gouvernement britannique n'a pas fourni la preuve que, dans tous les cas qui constituent la dérogation litigieuse, les conditions d'exercice de ces emplois nécessitaient de permettre aux employeurs d'opérer une discrimination. Il n'est pas vrai que toutes les activités professionnelles, qui peuvent être couvertes par cette disposition dérogatoire,
entraînent les relations personnelles étroites qui en constituent la justification.

Comme le remarque la Commission à juste titre, le gouvernement défendeur l'admet lui-même par les formules qu'il utilise: les emplois domestiques impliquent fréquemment (donc, pas toujours) ces relations personnelles très étroites; des relations personnelles étroites existent souvent (donc, là aussi, pas toujours) dans les petites entreprises.

Ensuite, nous estimons que les termes de la section 6 (3) ne répondent pas à la condition exigée par l'article 2, paragraphe 2, suivant laquelle l'exclusion doit concerner des «activités professionnelles». Sans doute n'est-il pas nécessaire, comme le gouvernement britannique le souligne à juste titre, que l'exclusion des activités professionnelles au titre de l'article 2, paragraphe 2, soit effectuée en les énumérant activité par activité; ainsi, il nous semble parfaitement loisible à un État
membre de mettre en œuvre la directive en votant des lois qui interdisent une discrimination en reprenant les termes mêmes de cet article et en laissant, pour le surplus, aux juridictions nationales le soin de déterminer cas par cas, sous votre contrôle par le biais de l'article 177 du traité, quelles activités professionnelles sont exclues de l'interdiction générale. Mais on ne saurait considérer, sans forcer le sens des termes, que les notions d'emplois domestiques (et non, par exemple, ceux
d'employé de maison) et d'emplois dans des entreprises ayant cinq salariés au plus correspondent à des activités professionnelles.

Pour ces motifs, les deuxième et troisième griefs de la Commission nous paraissent également fondés.

III —

Le dernier grief adressé par la Commission au Royaume-Uni au sujet de l'exécution par celui-ci des obligations qui lui incombent en vertu de la directive 76/207 met également en jeu l'interprétation qu'il faut donner de l'article 2, paragraphe 2, de ce texte. Il concerne l'exclusion des sages-femmes du champ d'application de la loi.

1. La section 20 du SDA prévoit en effet que les sages-femmes sont exclues des dispositions des sous-sections 6 (1) et 6 (2) (a) et que la section 14 concernant les organismes de formation professionnelle ne s'applique pas à la formation de sage-femme. Il convient cependant d'ajouter que cette disposition a également modifié la législation relative aux sages-femmes (pour l'Angleterre et le pays de Galles, le «Midwives Act» de 1951) de manière à permettre l'accès et l'exercice de cette profession aux
personnes de sexe masculin. Toutefois, à titre transitoire, cet accès est limité, car les hommes n'ont le droit de suivre les cours de formation de sage-femme que dans les centres agréés par le ministre compétent ( 4 ). A l'heure actuelle, deux centres ont été agréés, l'un à Londres, l'autre dans le centre de l'Écosse. De même, en vertu du paragraphe 2 de l'article 3 de l'annexe 4 du SDA, l'exercice par un homme de la profession de sage-femme n'est possible que dans les lieux désignés par le
ministre, soit dans quatre hôpitaux de Londres et d'Édimbourg.

Ajoutons que, comme le gouvernement britannique l'a indiqué en réponse à une question que vous lui avez posée, ces restrictions devraient être rapidement levées. Ces changements, qui devraient être opérés par des décrets en voie d'élaboration, devraient entrer en vigueur à la fin août prochain. Il va de soi cependant que cette évolution législative n'a pas d'influence sur l'appréciation à apporter, du point de vue juridique, à la réglementation britannique: c'est l'état de celle-ci, au moment de
l'introduction de la présente procédure contentieuse, qui seul compte à cet égard ( 5 ).

2. Pour le gouvernement britannique, les dispositions discriminatoires en vigueur sont justifiées au titre de l'article 2, paragraphe 2, de la directive en raison de la nature spécifique de la profession de sage-femme et des conditions dans lesquelles cette profession s'exerce. Le gouvernement britannique ajoute que ces dispositions ont été périodiquement réexaminées à la lumière de l'évolution sociale, en application de l'article 9, paragraphe 2, de la directive. C'est précisément à la suite d'une
large consultation avec les autorités du domaine de la santé, les groupements professionnels concernés et d'autres organisations sur le rapport relatif à deux études sur les sages-femmes de sexe masculin, effectuées à Londres et dans le centre de l'Ecosse, que le gouvernement britannique est arrivé dernièrement à la conclusion que les restrictions actuelles à la formation professionnelle et à l'emploi d'hommes en tant que sages-femmes devraient maintenant être supprimées. Il faut toutefois noter
qu'il a assorti cette suppression du maintien de deux conditions: que les femmes aient toujours la possibilité d'être soignées par une sage-femme de sexe féminin si elles en font le choix et que, au cas où une sage-femme de sexe masculin est mise à leur disposition, une surveillance appropriée soit assurée.

a) Le gouvernement défendeur justifie sa position en premier lieu en raison des caractéristiques spécifiques de l'exercice des fonctions de sage-femme sur son territoire. Il insiste sur le rôle unique que jouent les sages-femmes pendant les périodes pré- et surtout post-natales en matière de soins touchant à l'intimité personnelle de la femme. Il fait observer au surplus que les sages-femmes restent avec les patientes pendant des périodes assez longues et de manière répétée et qu'elles peuvent
être amenées à exercer seules, particulièrement la nuit, dans la maternité d'un hôpital et, surtout, au domicile des patientes. Sans compter une minorité de femmes qui accouchent chez elles avec la seule aide d'une sage-femme (8156 accouchements en 1980), il faut en effet prendre en considération le cas, de très loin plus fréquent, de femmes qui ont accouché en clinique, mais ont été soignées par des sages-femmes à domicile au cours des dix jours après la naissances (586359 en 1980; la même
année il y a eu 615708 naissances pour lesquelles les mères sont restées à l'hôpital dans les dix jours suivant l'accouchement).

En cela, le travail de la sage-femme se distingue, d'après le gouvernement britannique, de celui du gynécologue (ou obstétricien) et du généraliste qui fait un travail d'obstétrique. Le gouvernement britannique admet qu'au moment même de la naissance la différence est réduite entre le rôle de la sage-femme, de l'obstétricien et du généraliste. De plus, note-t-il encore, les nécessités urgentes du moment peuvent faire que les femmes et leurs maris se sentent moins affectés par des gestes
touchant à l'intimité («intimate procedures») effectués par un homme.

Mais, pour le reste, il constate que les médecins spécialistes ou généralistes sont rarement seuls avec les patientes en raison de la présence, presque invariablement, d'une assistante féminine. Il relève encore que les soins donnés par eux sont habituellement intermittents et de courte durée.

Cette distinction ne nous paraît pas convaincante à l'époque contemporaine où la polyvalence dans la distribution des soins s'installe de plus en plus fréquemment et ne soulève plus les mêmes problèmes.

b) Le gouvernement britannique a insisté sur les caractères spécifiques de la profession de sage-femme craignant que certaines femmes (ou leurs époux) puissent refuser les services de sages-femmes de sexe masculin. Il redoute que, si elles ne sont pas en mesure de choisir une sage-femme de sexe féminin, ces femmes peuvent faire courir un risque, tant pour elles-mêmes que pour leur nouveau-né, en refusant tout soin. Il estime qu'en particulier des membres d'un certain nombre de minorités ethniques
vivant au Royaume-Uni peuvent avoir cette réaction. Dès lors, une certaine prudence s'imposerait: l'ouverture immédiate et sans restriction de la profession de sage-femme aux hommes aurait fait courir le risque de voir se lever une opposition importante parmi ces minorités ethniques, voire parmi d'autres groupes. En d'autres termes, l'introduction graduelle du concept de sage-femme de sexe masculin et du principe de l'égalité de traitement dans la profession de sage-femme serait nécessaire, de
l'avis du gouvernement britannique, pour tenir compte, spécialement, des sensibilités et des croyances des résidents au Royaume-Uni marqués par un contexte culturel différent du contexte proprement britannique.

3. La Commission, sans contester la véracité de ces observations, réplique que, dans la pratique, les réactions appréhendées par le gouvernement britannique ne devraient pas susciter de difficultés dans la mesure où, d'une part, il sera tenu compte des préférences des femmes en couche et où, d'autre part, à tout le moins pendant encore un certain temps, les sages-femmes de sexe masculin demeureront sans doute plutôt l'exception que la règle. Cet argument est considéré par le gouvernement britannique
comme tendant à admettre une discrimination «en pratique» mais non en droit.

Nous n'estimons pas que la spécificité alléguée des conditions d'exercice de la profession de sage-femme au Royaume-Uni, au sens de l'article 2, paragraphe 2, de la directive est telle qu'elle justifierait les règles discriminatoires frappant les hommes. Nous pensons que la garantie du libre choix des patientes, maintenue dans la réglementation britannique proposée, est une condition nécessaire et suffisante pour , apaiser les craintes' exprimées par le gouvernement du Royaume-Uni.

Pour l'ensemble de ces motifs, nous concluons à ce que vous déclariez et arrêtiez :

1) Le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité en n'adoptant pas dans le délai prescrit toutes les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive du Conseil 76/207 du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail.

2) Le Royaume-Uni est condamné aux dépens.

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( 1 ) En dernier lieu: arrêt du 15 mars 1983, Commission / République italienne, affaire 145/82, motif 10, Recueil 1983, p. 718.

( 2 ) Arrêt du 1er mars 1983, Commission / République italienne, affaire 300/81, motif 10, Recueil 1983, p. 456.

( 3 ) Heron Corporation Limited/Commis — ICR 1980, p. 713, à propos des dispositions analogues contenues dans le Race Relations Act de 1976.

( 4 ) Article 3, paragraphe 1, de l'annexe 4 (dispositions transitoires) du SDA.

( 5 ) En ce sens, conclusions de M. l'avocat général VerLoren van Themaat du 10 mai 1983 dans l'affaire 170/78 et les références qui y sont citées, p. 1 et 2, Recueil 1983, p. 2300.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 165/82
Date de la décision : 07/06/1983
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'État - Égalité de traitement entre hommes et femmes.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:161

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