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07/06/1983 | CJUE | N°163/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 7 juin 1983., Commission des Communautés européennes contre République italienne., 07/06/1983, 163/82


CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 7 JUIN 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis par la Commision des Communautés européennes, en vertu de l'article 169 du traité, de trois recours en manquement, contre la République italienne (affaire 163/82), le royaume de Belgique (affaire 164/82) et le Royaume-Uni (affaire 165/82), qui ont en commun de concerner l'application faite par ces trois États membres de la directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en Å

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CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 7 JUIN 1983

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis par la Commision des Communautés européennes, en vertu de l'article 169 du traité, de trois recours en manquement, contre la République italienne (affaire 163/82), le royaume de Belgique (affaire 164/82) et le Royaume-Uni (affaire 165/82), qui ont en commun de concerner l'application faite par ces trois États membres de la directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne
l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. Nous avons préféré toutefois vous présenter trois conclusions séparées, car les manquements allégués, et donc les problèmes juridiques posés, diffèrent dans chaque cas.

Nous commencerons dans l'ordre des numéros par l'affaire dirigée contre l'Italie (163/82).

I —

La Commission fait valoir trois griefs.

Le premier concerne la violation de l'article 5 de la directive, qui réglemente l'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail. La Commission reproche au gouvernement italien de n'avoir mis ce principe en œuvre que de manière partielle. La loi italienne no 903, du 9 décembre 1977, qui a pour objet de transcrire la directive dans l'ordre juridique national, ne prévoirait en effet cette application que pour certaines conditions de travail et non pour
toutes.

L'article 5 de la directive est ainsi libellé:

«1. L'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.

2. A cet effet, les États membres prennent les mesures nécessaires, afin que:

a) soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement;

b) soient nulles, puissent être déclarées nulles ou puissent être amendées les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement, qui figurent dans les conventions collectives ou dans les contrats individuels de travail, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes;

c) soient révisées celles des dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement, lorsque le souci de protection qui les a inspirées à l'origine n'est plus fondé; que, pour les dispositions conventionnelles de même nature, les partenaires sociaux soient invités à procéder aux révisions souhaitables.»

1. Il est constant que la notion de «conditions de travail», inscrite dans cet article, doit être entendue dans son acception la plus large.

La Commission note d'ailleurs que le caractère intentionnellement ample et global de l'interdiction des discriminations en ce qui concerne les conditions de travail se retrouve également pour les interdictions en matière d'accès à l'emploi et de formation et promotion professionnelles (articles 3 et 4 de la directive). Or, si la loi no 903 suit l'approche globale de la directive dans ces deux derniers domaines (article 1 de cette loi), elle adopte une technique énumérative pour les conditions de
travail. Certes, le choix de cette technique n'apparaît pas en lui-même critiquable à la Commission. Mais celle-ci constate que, contrairement à l'énumération faite par l'article 128 de la loi belge du 4 août 1978 ( 1 ), celle de la loi italienne couvre seulement quelquesunes des conditions de travail: les rémunérations (article 2 de la loi), la retraite (article 4), le droit de s'absenter du travail en cas d'adoption d'un enfant (article 6).

2. Pour sa défense, le gouvernement italien met d'abord en doute la recevabilité de ce grief. Il reproche à la Commission de situer son argumentation sur un plan abstrait, sans indiquer les situations discriminatoires susceptibles d'être rencontrées au sein d'une entreprise ou dans un autre lieu de travail, qui seraient incompatibles avec la directive 76/207 et échapperaient aux interdictions formulées par la loi no 903. La Commission aurait eu le devoir de fournir davantage de détails et de
circonstances pour lui permettre de déterminer effectivement sous quels aspects spécifiques il n'avait pas respecté l'article 5 de la directive.

Il est vrai qu'en vertu de votre jurisprudence, c'est à la Commission qu'il incombe d'établir l'existence du manquement allégué. C'est elle qui doit vous apporter les éléments nécessaires pour que vous puissiez vérifier l'existence de ce manquement ( 2 ). Toutefois, vous avez pris soin de souligner que les États membres, qui sont tenus par l'article 5 du traité de faciliter à la Commission l'accomplissement de sa mission, doivent lui indiquer sans ambiguïté quelles sont les mesures par lesquelles
ils considèrent avoir rempli les différentes obligations que leur impose une directive ( 3 ).

Dans le cas présent, il apparaît des diverses pièces de la procédure précontentieuse que la Commission et le gouvernement italien ont tous deux respecté ces obligations. Dans sa lettre de mise en demeure du 30 juillet 1980, la Commission indiquait déjà que la loi italienne ne mettait en œuvre la directive que pour certaines conditions de travail qu'elle énumérait. De même, dans sa réponse du 6 juillet 1981 à l'avis motivé de la Commission, le gouvernement italien précisait les aspects de la
relation de travail relevant des conditions de travail dans sa législation et citait, en outre, une disposition de portée générale également susceptible d'assurer l'exécution de l'article 5 de la directive (point 5).

Ainsi, la question de recevabilité ne se posant pas, il convient d'apprécier le fond.

3. a) Sur ce terrain, le gouvernement italien fait valoir qu'en ne spécifiant pas les conditions de travail pour lesquelles l'égalité de traitement doit être réalisée, la directive a laissé implicitement aux États membres la faculté de les déterminer sur la base de leurs droits du travail respectifs.

En droit italien, les éléments suivants relèvent de la notion de conditions de travail:

— la rémunération,

— la classification professionnelle,

— les qualifications,

— les fonctions,

— les transferts,

— le déroulement de la carrière,

— la mise à la retraite,

— les licenciements individuels.

Or, les questions de rémunération et de classification professionnelle sont visées par l'article 2 de la loi no 903. L'attribution des qualifications et des tâches et le déroulement de la carrière font l'objet de son article 3; la mise à la retraite, de son article 4. Les mutations, les licenciements et les mesures disciplinaires sont couvertes par l'article 15 de la loi no 300 du 20 mai 1970, dans la version modifiée par l'article 13 de la loi no 903. De surcroît, l'article 19 de celle-ci
abroge toute disposition législative contraire à ses dispositions et prévoit la nullité des dispositions contraires contenues dans les contrats de travail, les règlements intérieurs des entreprises et les statuts professionnels. En se reportant au texte de la loi de mise en œuvre de la directive, il est donc facile de vérifier que les éléments de la notion de conditions de travail qui se retrouvent en droit italien sont beaucoup plus nombreux que l'affirme la Commission.

b) Toutefois, pour que la directive puisse être considérée comme valablement exécutée, il faut encore que tous les éléments de la notion de conditions de travail soient intégrés dans l'ordre juridique italien. Or, à l'audience, la Commission a précisé que certaines conditions de travail n'avaient pas été prévues par la loi, malgré leur importance: notamment celles se rapportant à la sécurité et à l'hygiène du travail ou à la procédure de choix des représentants du personnel.

Nous pensons cependant que la législation italienne permet de lutter de manière efficace contre les discriminations fondées sur le sexe dans les conditions de travail. En effet, comme nous l'avons dit, cette législation comporte une disposition qui, en raison de ses termes très généraux, constitue un instrument adéquat pour lutter contre toutes les formes de discrimination qui ne sont pas visées par un texte spécifique. Il s'agit de l'article 13 de la loi no 903 modifiant l'article 15 de la loi
no 300, qui dispose:

«(Actes discriminatoires) — est nulle toute convention ou acte visant à:

b) licencier un travailleur, ... ou à lui porter autrement préjudice en raison de son affiliation ou de son activité syndicale ou de sa participation à une grève ( 4 ).

Les dispositions de l'alinéa précédent s'appliquent également aux conventions ou actes visant à exercer une discrimination ... de sexe».

Pour le gouvernement italien, le recours à une formulation générale est indispensable pour couvrir toutes les formes possibles de discrimination, car une liste d'interdictions risque de ne pas être exhaustive. Il attire également l'attention sur le choix des termes retenus dans l'article 13: «convention» et «acte», qui permettent d'incriminer non seulement les discriminations en droit, mais également les discriminations de fait. Ce faisant, il réfute efficacement, nous semble-t-il, l'objection de
la Commission, suivant laquelle ce texte n'assure pas la sauvegarde du droit des travailleurs ou des travailleuses à la non-discrimination de fait. Le gouvernement italien a indiqué sans être contredit que la jurisprudence démontrait que cet article était parfaitement efficace; nous estimons qu'en définitive l'article 5 de la directive 76/207, relatif à l'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, a été correctement mis en œuvre en Italie.

II —

Le deuxième moyen de la Commission concerne, d'après le recours contentieux, l'application seulement partielle de l'article 6 de la directive, relatif aux possibilités de recours juridictionnel par «toute personne qui s'estime lésée par la non-application à son égard du principe d'égalité de traitement, au sens des articles 3, 4 et 5». Cet article n'aurait pas été intégralement transposé dans l'ordre juridique italien, dans la mesure où le système de recours prévu à l'article 15 de la loi no 903
concerne uniquement les comportements tendant à violer les dispositions visées aux articles 1 (accès à l'emploi) et 5 (interdiction du travail des femmes à certaines heures dans les entreprises manufacturières).

1. De graves objections pouvant être soulevées à cet égard, il convient tout d'abord d'examiner la recevabilité de ce moyen.

En vertu de votre jurisprudence, «dans le cadre d'un recours en manquement ouvert à la Commission par l'article 169 du traité, la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l'État membre, puis l'avis motivé émis par la Commission, délimitent l'objet du litige et celui-ci ne peut plus, dès lors, être étendu. En effet, la possibilité pour l'État concerné de présenter ses observations constitue, même s'il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité,
et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d'un État membre» ( 5 ).

Or, la lettre de mise en demeure du 30 juillet 1980 ne comporte que deux points sur lesquels, d'après la Commission, le gouvernement italien n'aurait pas exécuté correctement la directive: l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail (point 1) et, plus particulièrement, les congés pour adoption (point 2). Le droit de recours par voie juridictionnelle, prévu par l'article 6 de la directive, ne figure que de manière incidente, et de plus de façon erronée, parmi les
obligations qu'impose son article 5, paragraphe 1, relatif aux conditions de travail.

Dans l'avis motivé du 4 mai 1981, si l'article 6 est bien reproduit in extenso, il n'en est tiré aucune conséquence du point de vue juridique. En particulier, contrairement aux griefs concernant les conditions de travail et les congés d'adoption, le droit de recours juridictionnel n'est pas mentionné au point 4 de cet avis, le seul où la Commission développe son propre point de vue en s'efforçant de réfuter les arguments présentés auparavant par l'Italie.

Il s'ensuit que, même si — en faisant preuve de beaucoup de bonne volonté — on accepte de considérer que le grief concernant ce point est contenu — même de manière elliptique — dans la lettre de mise en demeure, la lecture très minutieuse de l'avis motivé ne permet pas de le relever.

Ces motifs expliquent que le gouvernement italien n'a évoqué le droit de recours en justice ni dans sa réponse à la mise en demeure, ni dans sa réponse à l'avis motivé du 6 juillet 1981, ni même dans les annexes de celle-ci ( 6 ).

Dès lors, nous estimons que les conditions exigées par votre jurisprudence pour déclarer un moyen irrecevable sont remplies. Le gouvernement italien n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations sur ce qui devait devenir une allégation autonome de manquement seulement au stade de la procédure juridictionnelle. En effet, même si on fait abstraction des objections soulevées, on ne peut voir au maximum dans l'unique référence dans la phase précontentieuse à la violation de l'article 6
qu'une référence incidente, cette violation étant vue comme la conséquence de celle de l'article 5. Dès lors, en l'érigeant en motif de manquement autonome dans sa requête introductive d'instance, la Commission a en tout cas modifié la définition et le fondement du manquement allégué, ce que votre jurisprudence condamne justement ( 7 ).

2. Nous n'examinerons donc ce moyen au fond que de manière subsidaire: il ne nous parait pas fondé.

L'article 6 de la directive prescrit aux États membres d'introduire «dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s'estime lésée par la non-application à son égard du principe de l'égalité de traitement au sens des articles 3, 4 et 5, de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d'autres instances compétentes». Il n'indique pas sous quelle forme cette obligation doit être assurée. Or, la Commission se
plaint de ce que l'article 15 de la loi no 903 ne prévoit une procédure spéciale que pour sanctionner les violations des articles 1 et 5 de cette loi, relatifs, comme vous le savez, à l'accès à l'emploi et à l'interdiction pour les femmes du travail de nuit. Cette procédure est une procédure d'urgence, par laquelle «le Pretore du lieu où a pris place le comportement dénoncé, ..., s'il retient la matérialité de la violation visée dans la requête, ordonne par ordonnance motivée et immédiatement
exécutoire à l'auteur du comportement dénoncé, de mettre fin à son comportement illégal et que ce dernier soit dénué de tout effet». La Commission reproche au gouvernement italien de ne pas avoir étendu cette procédure à l'ensemble des questions visées par les articles 3 à 5 de la directive.

Mais, il nous semble que les exigences de la directive ne vont pas aussi loin. Comme le gouvernement italien l'a remarqué à juste titre, ľarticel 6 laisse aux États membres le choix des moyens pour assurer sa mise en œuvre. Une procédure spéciale n'est certainement pas la seule façon de permettre celle-ci; il faut aussi prendre en considération les voies juridictionnelles de droit commun mises à la disposition des travailleurs qui se prétendent victimes de discrimination fondée sur le sexe.

Or, nous avons appris à l'audience que l'article 700 du Code de procédure civil italien, qui est une norme à portée absolument générale, permet d'obtenir d'urgence, avant un jugement au fond, les mesures nécessaires pour éviter un préjudice irréversible. Cette disposition peut donc être invoquée dans tous les domaines d'application de la directive qui ne sont pas visés par l'article 15 de la loi no 903.

En ce qui concerne les procédures non urgentes, le gouvernement italien renvoie à l'ensemble des voies juridictionnelles normales qui, étant donné l'objet de la directive, relèvent du droit du travail ( 8 ) ou de la procédure administrative ( 9 ). Pour le cas, enfin, où subsisterait une lacune dans les voies de recours disponibles, il se réfère à l'article 24 de la Constitution, aux termes duquel «toute personne peut agir en justice pour la sauvegarde de ses droits et intérêts légitimes». Le
gouvernement italien expose que ce principe constitutionnel est d'application directe, constante et bien établie, en ce sens qu'une fois constatée l'existence d'une règle de fond protégeant un intérêt individuel, aucun acte législatif spécial n'est nécessaire pour assurer la protection de cet intérêt, celle-ci dérivant, d'une manière générale et absolue, de l'article 24. Comme les prescriptions de la loi no 903 protègent les intérêts individuels des travailleurs discriminés, ceux-ci peuvent
s'appuyer sur l'article 24 pour exiger le respect de ces prescriptions par le biais d'une action en justice.

Au vu de cet état du droit italien, dont la Commission n'a pas contesté la véracité, nous estimons qu'à le supposer recevable, quod non, le deuxième grief avancé contre le gouvernement italien n'est de toute manière pas fondé.

III —

Le troisième point pour lequel, d'après la Commission, le gouvernement italien n'a pas correctement mis en œuvre la directive 76/207, peut être considéré comme un aspect particulier du premier grief. Il concerne en effet également l'article 5 de cette directive, que la Commission prétend violé au motif que les travailleurs masculins seraient victimes en Italie d'une discrimination en matière de congé en cas d'adoption.

1. L'article 6 de la loi no 903 réserve aux travailleuses qui ont adopté des enfants ou qui ont obtenu la garde de ceux-ci avant leur adoption, le droit de se prévaloir, «pour autant qu'en tout état de cause l'enfant ne soit pas âgé de plus de 6 ans au moment de l'adoption ou de la mise en garde, du congé obligatoire visé à l'article 4, c), de la loi no 1204 du 30 décembre 1971 et du traitement financier correspondant durant les trois premiers mois à compter de l'entrée effective de l'enfant dans la
famille adoptive ou dans la famille qui en a reçu la garde». Le congé visé à l'article 4, c), de la loi no 1204 est celui accordé à la mère naturelle pour les trois mois suivant l'accouchement. L'article 6 réalise donc une extension au cas de l'adoption de droits reconnus en cas de maternité.

Ce fait constitue un des arguments soulevés par le gouvernement italien en soutien de sa thèse, suivant laquelle les congés pour adoption ne rentrent pas dans la notion de conditions de travail, au sens de l'article 5 de la directive, mais appartiennent «aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité», visées par son article 2, paragraphe 3. Or, en vertu de ce dernier, la directive ne fait pas obstacle aux dispositions de ce type.
Il nous appartient donc de déterminer en premier lieu si la disposition litigieuse entre bien dans le champ d'application de la directive.

2. Comme nous le savons, la notion de conditions de travail doit être entendue de manière large. Peut-elle inclure les congés accordés à la suite de l'intégration d'un enfant dans une famille adoptive?

Pour la Commission, cette question doit recevoir une réponse affirmative, car l'article 2, paragraphe 3, en tant que disposition d'exception, doit être interprété de manière stricte et ne viser que les seules mesures relatives à la grossesse et à la maternité. Dès lors, il faut en exclure celles qui, comme l'article 6, paragraphe 1, de la loi no 903, reconnaissent le droit à un congé ou à d'autres avantages accordés en vue d'élever des enfants. Ces avantages sont à considérer, à son sens, au même
titre que, par exemple, le droit au congé annuel, comme des éléments des conditions de travail. Ils doivent donc pouvoir être accordés, suivant les cas, au père ou à la mère.

A l'appui de la thèse inverse, suivant laquelle le congé d'accueil est une mesure de protection des travailleuses en tant que mères de famille, le gouvernement italien fait valoir que l'article 6 ne prévoit aucune possibilité de dérogation. Ce trait serait caractéristique des mesures de protection de la maternité, car les mesures protectrices des femmes en général laissent la porte ouverte à des exceptions, comme le prouve l'article 5 de la loi sur l'interdiction de principe du travail de nuit
pour les femmes. De plus, comme il résulte de ses termes et comme la Commission elle-même l'a noté, cette disposition ne fait qu'étendre aux mères adoptives le congé accordé en 1971 à la mère naturelle pour les trois mois suivant l'accouchement. Or, ce congé n'est pas accordé aux pères naturels et la Commission ne prétend pas qu'il y ait là une discrimination.

Nous pensons que la position de la Commission n'est pas contradictoire. Bien que l'un soit le prolongement de l'autre, l'article 4, c), de la loi no 1204 et l'article 6 de la loi no 903 ne paraissent pas avoir la même nature. Nous pensons que le congé après la naissance, qui permet à la mère de se reposer, peut être considéré à juste titre comme une disposition relative à la protection de la femme en ce qui concerne la maternité. Nous estimons en revanche que le congé après l'adoption bénéficie
surtout à l'enfant, dans la mesure où il a pour but de créer un lien affectif nécessaire à sa bonne intégration dans sa famille adoptive. Du reste, il est bien établi que les dispositions de droit italien relatives à l'adoption ici en cause, l'adoption spéciale régie par les articles 314/2 à 314/28 du Code civil, ont été conçues et doivent être interprétées dans l'intérêt prédominant de l'enfant. Nous considérons dès lors que le congé visé à l'article 6, alinéa 1, de la loi no 903 fait partie des
conditions de travail au sens de l'article 5 de la directive. C'est pourquoi nous estimons que les pères adoptifs doivent pouvoir en bénéficier au même titre que leurs épouses qui travaillent, de même qu'ils ont déjà le droit notamment de s'absenter du travail pendant un an à compter de l'entrée effective de l'enfant dans la famille, pour autant que l'enfant n'ait pas atteint l'âge de trois ans ( 10 ).

3. La disposition ici incriminée étant de toute évidence une disposition spéciale par rapport à l'interdiction générale de porter préjudice à un travailleur en raison de son sexe, contenue dans l'article 15 de la loi no 300 de 1970, elle n'est pas couverte par cette dernière, en application de l'adage «specialia generalibus derogant». Cette disposition ne peut en effet être invoquée avec succès par un travailleur qu'à défaut de toute disposition spécifique. Elle est inopérante face à une norme de
même valeur qui y déroge sur un point précis. Nous considérons donc qu'en n'étendant pas son bénéfice aux travailleurs le gouvernement italien a manqué aux obligations que lui impose l'article 5 de la directive.

IV —

Quant aux dépens, nous estimons, en considération de nos appréciations sur les trois griefs allégués par la Commission à l'encontre du gouvernement italien, que ceux-ci doivent être partagés, à raison de deux tiers à supporter par la Commission et d'un tiers par le gouvernement défendeur.

En conclusion, nous vous suggérons:

— de déclarer et d'arrêter qu'en n'étendant pas aux travailleurs le droit au congé d'adoption prévu par l'article 6, alinéa 1, de la loi no 903 du 9 décembre 1977, la République italienne a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu de la directive 76/207 du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail,

— de rejeter le recours pour le surplus,

— de condamner la Commission aux deux tiers des dépens et la République italienne au tiers restant.

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( 1 ) Loi de réorientation économique, dont le titre V a pour objet de transposer en droit belge la directive 76/207.

( 2 ) Arrêt du 25. 5. 1982, affaire 96/81, Commission/ Pays-Bas; motif 6, Recueil p. 1803.

( 3 ) Motifs 7 et 8, loc. cit.

( 4 ) C'est nous qui soulignons

( 5 ) Arrêt du 8. 2. 1983, affaire 124/81, Commission/Royaume-Uni, motif 6, 2e phrase, Recueil p. 203; dans le même sens: arrêt du 17. 2. 1970, affaire 31/69, Commission/Italie, attendus 12 et 14, Recueil p. 34.

( 6 ) Voir sa réponse a votre troisième question.

( 7 ) Spécialement 15 décembre 1982, affaire 211/81, Commission/Danemark, motifs 14 à 16, Recueil p. 4547

( 8 ) Loi no 533 du 11 août 1973.

( 9 ) Loi no 1034 du 6 décembre 1971, pour les agents des services publics.

( 10 ) Article 7, alinéa I, de la loi no 903, en liaison avec son article 6, alinéa 2, et l'article 7, alinéa 1, de la loi no 1204.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 163/82
Date de la décision : 07/06/1983
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Manquement d'État - Égalité de traitement entre hommes et femmes.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rozès
Rapporteur ?: O'Keeffe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:160

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