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18/05/1983 | CJUE | N°171/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 18 mai 1983., Biagio Valentini contre ASSEDIC de Lyon., 18/05/1983, 171/82


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI,

PRÉSENTÉES LE 18 MAI 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Dans la présente affaire préjudicielle, vous êtes appelés à interpréter certaines dispositions du règlement du Conseil no 1408 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, 1971, p. 2) à la lumière de l'article 51 du traité CEE et en tenant compte d'une pres

tation sociale française, dite «garantie de ressources démission». Vous devrez en particulier établir si...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI,

PRÉSENTÉES LE 18 MAI 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Dans la présente affaire préjudicielle, vous êtes appelés à interpréter certaines dispositions du règlement du Conseil no 1408 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, 1971, p. 2) à la lumière de l'article 51 du traité CEE et en tenant compte d'une prestation sociale française, dite «garantie de ressources démission». Vous devrez en particulier établir si un
travailleur migrant peut cumuler ce bénéfice, entièrement ou partiellement, avec la pension de vieillesse qu'il perçoit dans un autre État membre.

2.  Nous résumerons d'abord les faits. M. Biagio Valentini, demandeur au principal, est un citoyen italien qui réside en France. Il a travaillé en Italie jusqu'en 1957 et il perçoit depuis l'âge de 60 ans une pension contributive de vieillesse égale à 15 FF par jour qui lui sont versés par l'«Istituto nazionale previdenza sociale». À partir du 1er avril 1963 il a travaillé en France dans une menuiserie. Le 23 septembre 1977, à l'âge de 63 ans, il a quitté volontairement son emploi pour demander la
«garantie de ressources démission» à l'«Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce» (ci-après l'ASSEDIC) de Lyon. Cette prestation — prévue par l'avenant à un accord interprofessionnel intervenu le 13 juin 1977 et annexé au règlement qui régit les allocations spéciales pour les salariés sans emploi de plus de 60 ans — peut être accordée jusqu'à l'âge de départ à la retraite (qui en France est en règle générale fixé à 65 ans) et consiste dans le versement d'une allocation égale à
70 % du salaire perçu au cours des trois derniers mois d'activité. L'ASSEDIC de Lyon a versé à M. Valentini la prestation demandée en la diminuant toutefois du montant correspondant à la pension italienne de vieillesse.

Par recours du 14 mai 1980, M. Valentini a traduit l'ASSEDIC devant le tribunal de grande instance de Lyon pour faire constater le caractère injustifié de la diminution en question et pour faire condamner l'organisme à lui payer les sommes indûment retenues. A son avis en effet, le traité CEE et le droit communautaire dérivé n'ont pas remplacé les différents régimes nationaux de sécurité sociale qui garantissent aux citoyens des États membres des prestations distinctes pour des périodes
différentes. L'ASSEDIC, par contre, considère comme pleinement conformes au droit communautaire les dispositions de l'accord précité, et notamment celle qui permet de diminuer la «garantie de ressources démission» d'un montant égal à la pension de vieillesse perçue par le travailleur.

Par jugement du 2 juin 1982, la première chambre du tribunal de grande instance de Lyon a sursis à statuer et a demandé à la Cour de justice de dire si, en application de l'article 46 du règlement no 1408 du 14 juin 1971 et de l'article 51 du traité de Rome, «un salarié ressortissant italien demeurant en France titulaire d'une pension de vieillesse servie en Italie depuis l'âge de 60 ans et bénéficiaire en France de la garantie de ressources de 70 % de son salaire journalier, telle que prévue à
l'avenant du 13 juin 1977 à l'annexe au règlement du régime d'allocation des salariés sans emploi, peut prétendre cumuler sa pension italienne avec l'allocation française de 70 % de son salaire journalier, ou si, au contraire, l'organisme français dit ASSEDIC qui lui sert cette allocation est en droit de déduire du montant de cette allocation les sommes versées par l'organisme italien».

3.  Nous décrirons tout d'abord la réglementation applicable en France.

Ainsi que nous l'avons déjà rappelé, la «garantie de ressources démission» pour les salariés qui mettent volontairement fin à leur activité entre l'âge de 60 et celui de 65 ans est prévue à l'avenant de l'accord intervenu le 13 juin 1977 entre les confédérations de travailleurs et les syndicats d'employeurs. Ces instruments ont modifié et complété l'accord interprofessionnel du 27 mars 1972 qui avait prévu la même prestation pour les travailleurs licenciés («garantie de ressources licenciement»)
et leur champ d'application a été étendu erga omnes par décret du 9 juillet 1977 (Journal officiel de la République française 1977, p. 3666). Il y a lieu de rappeler que le régime de la «garantie de ressources démission», qui aurait dû être transitoire et applicable jusqu'au 31 mars 1979, a déjà été prorogé deux fois en attendant une refonte de la totalité du régime français des pensions de vieillesse.

Pour bénéficier de cet avantage, les travailleurs doivent satisfaire aux conditions suivantes:

a) avoir donné leur démission au cours de la période d'application de l'accord;

b) avoir dépassé l'âge de 60 ans à la date de leur démission;

c) justifier de 10 ans de cotisations (dont au moins un an de cotisations continues ou deux de cotisations interrompues au cours des cinq années qui précèdent la démission) dans un ou plusieurs régimes de sécurité sociale parmi ceux que prévoit la convention collective du 31 décembre 1958 relative à l'assurance complémentaire contre le chômage;

d) avoir demandé l'indemnité de chômage accordée par l'État;

e) ne pas avoir droit à une pension de vieillesse à taux plein qui est accordée à certaines catégories de personnes à partir de l'âge de 60 ans et ne pas avoir obtenu, après l'entrée en vigueur de l'accord, la liquidation d'une pension de vieillesse de montant réduit que est accordée dans certains cas aux travailleurs n'ayant pas atteint l'âge de 65 ans.

En outre: les bénéficiaires de la «garantie de ressources démission» sont inscrits à l'«Agence nationale pour l'emploi» mais sont dispensés du contrôle périodique et, bien entendu, ils ne sont pas pris en compte dans les statistiques des personnes à la recherche d'un emploi. Ils perdent le bénéfice de la prestation dans trois cas: quand ils atteignent l'âge de soixante-cinq ans et trois mois (délai supplémentaire prévu afin que l'organisme de sécurité sociale dispose du temps nécessaire à la
liquidation de la pension), quand ils demandent la liquidation des droits acquis pour la pension de vieillesse à charge de la sécurité sociale et quand ils reprennent une activité rémunérée.

Enfin, voici la disposition dont l'application par l'ASSEDIC est à l'origine du litige au principal: aux termes de l'article 2, paragraphe 2, de l'accord repris par l'article 38 de l'avenant, les travailleurs qui, avant leur démission, ont fait procéder à la liquidation d'une pension de vieillesse, perçoivent malgré tout la «garantie de ressources démission», mais sous déduction d'un montant égal à celui de l'autre prestation.

4.  Pour répondre à la question posée par le tribunal de grande instance de Lyon, il faut avant tout déterminer si, eu égard à son origine contractuelle, une prestation comme la «garantie de ressources démission» est couverte par le règlement no 1408/71. Devant le juge national, l'ASSEDIC l'a nié, au moins dans un premier temps: il nous paraît que son exception était entièrement dépourvue de fondement.

En effet, selon l'article 1, lettre j), du règlement, les «législations» de sécurité sociale que le régime communautaire vise à coordonner n'incluent pas les «dispositions conventionnelles, existantes ou futures, qu'elles aient fait ou non l'objet d'une décision des pouvoirs publics» les rendant obligatoires ou étendant leur champ d'application, à moins que cette exclusion ne soit levée «par une déclaration faite par l'État membre intéressé mentionnant les régimes de cette nature auxquels le...
règlement est applicable». Or, par lettre du 23 mars 1973, le gouvernement français a notifié au président du Conseil de ministres des Communautés que ce règlement s'appliquerait «... au régime française d'assurance chômage institué par une convention collective nationale signée le 31 décembre 1958 par le Conseil national du patronat français et les confédérations nationales de salariés agréée en application de l'ordonnance no 59-129 du 7 janvier 1959 relative à l'action en faveur des
travailleurs sans emploi et étendue par l'ordonnance no 67-580 du 13 juillet 1967 relative aux garanties de ressources des travailleurs privés d'emploi (JO L 90, 1973, p. 1).

On objectera que les accords instituant les «garanties licenciement et démission» sont postérieurs à cette notification. Cependant nous ne croyons pas que les termes du problème s'en trouvent modifiés. En effet, mis à part le caractère spécifique de la prestation qu'ils instituent, les accords de 1972 et de 1977 se rattachent au régime d'assurance contre le chômage instauré par la convention de 1958 ou en constituent tout au plus un développement. Il était dès lors inutile de faire à leur propos
une déclaration spécifique et formelle; d'ailleurs — et c'est là le point décisif — le gouvernement français a explicitement affirmé au cours de la procédure orale qu'à son point de vue les deux «garanties» rentrent dans le champ d'application du règlement.

5.  La classification de la «garantie démission» prend à ce stade une importance décisive car c'est d'elle que dépend le choix des normes qui régissent le cumul de prestations versées à un travailleur migrant par les organismes de sécurité sociale de deux ou plusieurs États membres.

Nous rappellerons avant tout que pour fixer son propre champ d'application, l'article 4 du règlement no 1408/71 énumère les neuf secteurs classiques visés par la convention de l'OIT «concernant la norme minimale de la sécurité sociale» (no 102 du 28 juin 1952) mais qu'à peu d'exceptions près (prestations familiales, allocations de décès, etc.), il ne définit pas les diverses prestations. Toutefois, comme nous le verrons par la suite, le texte de cette disposition et les interprétations que la
Cour en a données fournissent des critères utiles pour situer la prestation litigieuse.

D'origine récente et pourtant accordé par les systèmes de sécurité sociale de presque tous les États membres, ce bénéfice — il convient de le dire dès maintenant — se caractérise par une nature décidément hybride; en effet, il contient, étroitement mêlés, des éléments typiques de l'indemnité de chômage et des attributs spécifiques à la pension de vieillesse. L'indemnité et la pension sont mentionnées à l'article 4 du règlement, respectivement aux lettres c) et g) du paragraphe 1 ; quant à savoir
lequel de ces aspects prend le pas sur l'autre, c'est une question qui a divisé la défenderesse au principal, deux États membres et la Commission. Ceux qui voient dans la «garantie démission» une indemnité pure et simple, quoique spécifique (ASSEDIC, gouvernement français), et ceux qui, bien que lui reconnaissant un caractère hybride, tendent à l'assimiler à une telle indemnité (Commission) invoquent des arguments de type institutionnel et mettent l'accent sur certaines caractéristiques de la
prestation qui nous intéresse.

Ainsi, les premiers accordent une importance toute spéciale au fait que celle-ci est intégrée au régime d'assurance contr? le chômage, que son financement est à charge de ce dernier, que sa gestion est confiée aux organismes qui versent les indemnités de chômage et au fait qu'elle est rendue obligatoire par le «Code du travail» plutôt que par le «Code de la sécurité sociale». Parmi les seconds, l'accent est mis sur l'identité des principes qui justifient ou régissent son versement et celui de
l'indemnité de chômage. En effet, les deux prestations ont été instituées en raison d'une conjoncture économique particulière; elles sont calculées de la même manière (tandis que le montant de la «garantie» est en règle générale supérieur à celui de la pension de vieillesse); elles ont un caractère temporaire et sont suspendues quand le titulaire recommence à travailler ou atteint l'âge de la retraite.

Or, il est hors de doute que la «garantie démission» est liée au régime d'assurance contre le chômage. Nous dirons même qu'il était à la fois opportun et inévitable qu'elle s'y rattache. Opportun parce que ce rapprochement allait permettre d'utiliser des structures et des fonds déjà existants en ne recourant qu'à une faible augmentation des charges pesant sur les travailleurs et sur les entreprises. Inévitable pour des raisons de caractère à la fois historique et organisationnel. Étant destinée
à améliorer la situation des plus âgés parmi les travailleurs licenciés et partant, de ceux qui sont défavorisés dans la recherche d'un nouvel emploi, la «garantie licenciement» devait par force s'identifier à la prestation de chômage. Or, comme nous l'avons déjà dit, la «garantie démission» est née de cette prestation et elle en constitue une extension aux travailleurs démissionnaires; seul celui qui ignore les voies (ou les sentiers) par lesquelles les régimes de sécurité sociale se
développent peut imaginer que cette prestation puisse ne pas suivre le sort administratif de la prestation mère.

Cela dit, les arguments que nous avons rappelés ne résistent pas à un examen plus attentif de la «garantie démission» et, surtout ils ne nous paraissent pas déterminants aux fins de sa classification. Pour cet examen, il convient de partir du principe que vous avez à plusieurs reprises sanctionné lorsqu'il s'agissait d'apprécier les prestations de sécurité sociale instituées par différents États membres. Les thèses qui font référence aux droits internes et les définitions nationales — avez-vous
dit — n'ont pas à être prises en compte. La prestation doit être analysée à la lumière du droit communautaire et sur la base de ses éléments constitutifs, notamment ses finalités et ses conditions d'octroi (arrêt du 6. 7. 1978 dans l'affaire 9/78, p. 1661, et, très récemment, arrêt du 5. 5. 1983, dans l'affaire 139/82, Piscitello, point 10 des motifs). En effet, ce n'est qu'ainsi que l'on peut déterminer de manière uniforme le champ d'application des règlements du Conseil.

Par rapport à ce critère, les motifs de politique économique ou sociale qui ont conduit à l'institution de la «garantie démission», sa place sur le plan administratif, son financement, le fait qu'elle est régie par un code plutôt que par un autre apparaissent tout d'un coup comme des données d'importance faible ou discutable. Il s'agit en effet de circonstances habituellement liées à des contingences et à des conditions spécifiquement françaises ou qui n'existent pour le moins pas toujours dans
les régimes des autres États: par conséquent, si nous voulons, comme il est nécessaire, procéder à une appréciation uniforme, il n'est pas possible d'en faire des facteurs décisifs pour la qualification de la prestation. D'autres facteurs devront être considérés: en particulier, les caractéristiques de fond, celles qui sont par conséquent communes aux régimes des divers États et qui marquent les deux prestations — pension de vieillesse et indemnité de chômage — entre lesquelles se situe la
nature de la «garantie démission».

6.  Examinons donc ces caractéristiques. Ainsi que tout le monde le sait, la pension a pour objet d'alléger l'état de besoin que l'âge provoque chez l'assuré en réduisant sa capacité de travail; par contre le risque couvert par l'indemnité est celui d'une absence de travail. En somme, le chômeur n'est pas frappé d'une incapacité de travail; il en est exclu par force et, à la différence du retraité, il est disposé à le reprendre. Cette double condition — caractère involontaire d'une part et
disponibilité d'autre part — est le trait qui distingue avec le plus de force et de clarté les deux «états» et par conséquent les particularités des régimes respectifs. Le retraité peut rester à la maison alors que le chômeur doit s'inscrire sur les listes de demandeurs d'emploi, se soumettre à des contrôles périodiques et accepter d'éventuelles offres d'emploi. Ces obligations figurent dans tous les systèmes nationaux ainsi qu'à l'article 69 du règlement no 1408/71. Vous-mêmes avez jugé que le
respect de ces obligations était nécessaire pour l'acquisition et la conservation du droit à l'indemnité (arrêt du 9. 7. 1975 dans l'affaire20/75, D'Amico, Recueil 1975, p. 891, et arrêt du 27. 5. 1982 dans l'affaire 227/81, Aubin, Recueil 1982, p. 1991).

Examinons maintenant la «garantie démission» (ou, pour respecter l'étiquette en vigueur dans les affaires préjudicielles, une prestation qui a les caractéristiques de la «garantie démission»). Ce qui frappe avant tout l'observateur, c'est la fonction assumée par l'âge dans le régime applicable à cette prestation; nous préciserons que cet âge n'est inférieur que d'un lustre à celui de la retraite à proprement parler. Une fois atteint l'âge de 60 ans et après avoir rempli quelques conditions
relatives à l'assurance, l'obligation constitutionnelle de travailler disparait pour laisser la place au droit au repos. Il est difficile d'imaginer quelque chose qui soit plus étranger à la situation du chômeur et plus proche du statut de retraité. Mais ce que est encore plus éloquent et, ainsi que nous l'avons dit plus haut, décisif c'est l'incidence diverse que le facteur «caractère involontaire — disponibilité» peut avoir sur les deux situations. En droit, les termes «chômeur» et
«démissionnaire» sont antonymes: on ne peut être les deux â la fois. La «garantie» par contre ne s'obtient qu'après la démission: on ne peut en bénéficier si on n'a pas également démissionné.

Par conséquent, ainsi que le gouvernement italien l'a observé nous nous trouvons en face d'un «renversement de la logique inhérente à la sécurité sociale»: plutôt que d'indemniser la privation forcée de travail, on récompense la renonciation volontaire au travail. Ce renversement caractérise également les rapports — que nous avons d'ailleurs qualifiés de filiation — entre la «garantie démission» et la «garantie licenciement». L'âge joue aussi un rôle déterminant en ce qui concerne la
prestation-mère mais tel n'est pas le cas de la renonciation volontaire à l'emploi, et cela suffit à ramener cette prestation au schéma de l'indemnité de chômage. Nous avons dit ci-dessus que la doctrine et la jurisprudence nationales ne comptent pas; cependant, nous céderons à la tentation de citer à ce propos un illustre spécialiste français. Selon Jean-Jacques Dupeyroux, l'extension du champ d'application aux démissionnaires «a changé profondément la signification de cette garantie dans la
mesure où la vocation à en bénéficier est reconnue à des personnes qui ne sont pas involontairement privées d'emploi et ne sont pas à la recherche d'un emploi: qui, en clair, ne sont donc pas des chômeurs... Ainsi, sous l'étiquette ‘assurance-chômage’, c'est bien le droit de prendre, dès 60 ans, une retraite... qui a été reconnu aux salariés» (Droit de la sécurité sociale, 8e édition, Paris, 1980, p. 1158).

Cependant, l'élément évoqué par Dupeyroux n'est pas le seul à faire admettre qu'il s'agit bien d'un «droit à une retraite». Cette prestation possède d'autres caractéristiques en ce sens: ainsi, les conditions quant aux périodes d'assurance sont bien plus sévères — 10 ans contre 3 mois de travail — que celles prévues pour l'indemnité de chômage; de même, le fait qu'après la loi du 28 décembre 1979, le montant de la cotisation et les prestations d'assurance maladie soient identiques pour les
démissionnaires «garantis» et pour les retraités au sens strict du terme; enfin, nous pouvons mentionner en ce sens l'assujettissement de la «garantie démission» à l'impôt sur le revenu, qui est un trait typique de la pension et qui est totalement étranger à l'indemnité de chômage.

Certes, cet ensemble de données ne saurait effacer les arguments de l'ASSEDIC, du gouvernement français et de la Commission ou tout autre argument qui pourrait encore être invoqué dans le même sens (par exemple, l'analogie entre la situation du démissionnaire bénéficiant de la garantie et celle du chômeur dans la mesure où tous deux ont la possibilité d'améliorer leur situation d'assurance aux fins de la pension de vieillesse). Ainsi que nous l'avons dit au départ, la «garantie démission» est
une institution hybride et elle en a toutes les ambivalences. Cependant, avant de se résigner à parler de tertium genus, le juriste confronté à des phénomènes de ce genre a le devoir de soupeser leurs caractéristiques contradictoires. Compte tenu de votre jurisprudence, nous n'hésiterons pas en l'espèce à nous déclarer en faveur de la thèse qui assimile la «garantie démission» à une pension de vieillesse.

7.  Arrivés à ce point, il nous reste à établir quelle va être l'incidence sur la norme nationale anticumul de la classification de notre prestation à l'article 4, paragraphe 1, lettre c), du règlement no 1408/71; en d'autres termes, nous devons nous demander si un travailleur qui se trouve dans la situation de M. Valentini a droit à la totalité de la «garantie démission» ou n'a droit qu'à un montant diminué de la pension de vieillesse qui lui est accordée en Italie.

Vous vous êtes déjà prononcés sur le cumul de prestations de nature identique. En effet, vous avez statué que «tant que le travailleur reçoit une pension en vertu de la seule législation nationale, les dispositions du règlement no 1408/71 ne font pas obstacle à ce que la législation nationale lui soit appliquée intégralement, y compris les règles anticumul..., étant entendu que si l'application de cette législation se révèle moins favorable que celle du régime de l'article 46 du règlement no
1408/71, les dispositions de cet article doivent être appliquées» (arrêts du 14. 3. 1978 dans l'affaire 98/77, Schaap et dans l'affaire 105/77, Boerboom-Kersjes, Recueil 1978, p. 707 et 717). L'intéressé a en somme le droit de recevoir la prestation la plus élevée, calculée sur la base de l'article 46 et des dispositions qui le complètent: c'est-à-dire, en ce qui concerne les normes anticumul, celles de l'article 12, paragraphe 2. Les dispositions de ce dernier sont bien connues: ces normes sont
opposables au bénéficiaire à moins qu'il ne s'agisse de «prestations de même nature..., de vieillesse..., liquidées par les institutions de deux ou plusieurs États membres».

Or, tel est précisément le cas: par conséquent, la clause de réduction contenue à l'article 38 de l'avenant du 13 juin 1977 ne saurait être applicable à un travailleur comme M. Valentini. Ce résultat ne peut être modifié du fait de l'article 46, paragraphe 3, du règlement no 1408/71. En effect, ce dernier contient lui aussi une norme anticumul, mais de nature communautaire en l'occurrence, vous l'ayez toutefois considérée comme incompatible avec l'article 51 du traité CEE dans la mesure où elle
implique la limitation des droits que les intéressés tiennent déjà de l'application pure et simple de la législation nationale (arrêt du 21. 10. 1975 dans l'affaire 24/75, Petroni, Recueil 1975, p. 1149).

Nous considérons que cette interprétation est tout à fait conforme aux objectifs du règlement et qu'elle découle même implicitement de ses motifs (voir les septième et huitième considérants du préambule). Il en est en revanche qui la contestent en faisant observer qu'elle «opère une discrimination à rebours»: autrement dit, elle favoriserait les travailleurs qui, pour avoir été occupés dans divers Etats membres, finissent par percevoir des prestations globalement supérieures à celles dont
bénéficient les travailleurs occupés depuis toujours dans le mêmes pays. Mais — vous l'avez vous-même relevé — il n'y a pas de discrimination quand on traite de manière inégale des situations différentes, comme le sont en règle générale celle des migrants et celle des personnes restées au pays (arrêt du 13. 10. 1977, affaire 22/77, Mura, Recueil 1977, p. 1699). En tout état de cause c'est un fait que l'avantage dont bénéficient éventuellement les premiers n'est pas imputable à la Cour de
justice; s'il y a une responsabilité à cet égard, elle appartient à qui n'a pas encore institué de régime commun de sécurité sociale ou n'a pas encore pourvu à l'harmonisation des régimes nationaux existants.

8.  Pour toutes les considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question posée par la première chambre du tribunal de grande instance de Lyon par jugement du 2 juin 1982 rendu dans le cadre de la procédure opposant M. Biagio Valentini à l'Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce de Lyon:

«a) Il y a lieu de considérer comme ‘prestation de vieillesse’ une prestation pécuniaire accordée à un travailleur démissionnaire à partir d'un certain âge jusqu'à son admission au bénéfice de la retraite et qui n'est pas subordonnée à la condition que le travailleur se tienne à disposition des services de l'emploi de l'État compétent. Cette prestation relève par conséquent des dispositions de l'article 4, paragraphe 1, lettre c), du règlement no 1408/71, et il y a donc lieu de lui appliquer les
dispositions contenues au chapitre 3 dudit règlement.

b) Lorsqu'un travailleur perçoit une pension en vertu de la seule législation nationale, les dispositions du règlement no 1408/71 ne font pas obstacle à ce que la législation nationale lui soit appliquée intégralement, y compris les éventuelles règles anticumul, étant entendu que si l'application de cette législation se révèle moins favorable au travailleur que celle du régime de l'article 46 du règlement no 1408/71, il conviendra d'appliquer ce dernier et les normes qui s'y rattachent.
Conformément à l'article 12, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, les clauses de réduction, de suspension ou de suppression éventuellement contenues dans la législation nationale ne sont pas opposables au travailleur qui bénéficie de prestations de vieillesse de la part de deux ou plusieurs États membres.»

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 171/82
Date de la décision : 18/05/1983
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Lyon - France.

Sécurité sociale - Travailleurs migrants - Cumul de prestations de vieillesse et de préretraite.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Biagio Valentini
Défendeurs : ASSEDIC de Lyon.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: Bahlmann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:140

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