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24/03/1983 | CJUE | N°170/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 24 mars 1983., Office national de commercialisation des produits viti-vinicoles contre Société à responsabilité limitée Les Fils d'Henri Ramel., 24/03/1983, 170/82


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 24 MARS 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans cette affaire, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse vous pose deux questions principales et deux questions subsidiaires. Pour bien comprendre les faits, nous nous proposons de consacrer la première partie de nos conclusions aux réglementations légales applicables.

1. Les réglementations légales applicables

L'organisation commune du marché vitivinicole a fait l'ob

jet du règlement no 816/70 du Conseil QO L 99, 1970, p. 1). En ce qui concerne l'importation de vins e...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 24 MARS 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans cette affaire, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse vous pose deux questions principales et deux questions subsidiaires. Pour bien comprendre les faits, nous nous proposons de consacrer la première partie de nos conclusions aux réglementations légales applicables.

1. Les réglementations légales applicables

L'organisation commune du marché vitivinicole a fait l'objet du règlement no 816/70 du Conseil QO L 99, 1970, p. 1). En ce qui concerne l'importation de vins en provenance d'un pays extérieur à la Communauté, le principe est que la seule application des positions tarifaires pertinentes du tarif douanier commun offre une protection adéquate du marché vitivinicole communautaire. Cela résulte du troisième considérant du règlement précité. Pour éviter que des perturbations ne se produisent néanmoins à
la suite de prix anormalement bas, un prix d'offre franco-frontière est établi sur la base de toutes les données disponibles (article 9, paragraphe 2). Si ce prix, majoré des droits de douane, est inférieur au prix de référence, on perçoit une taxe compensatoire (article 9, paragraphe 3).

En 1976, la Communauté et la République algérienne démocratique et populaire ont signé un accord intérimaire, qui a précédé l'accord de coopération postérieur. Cet accord intérimaire, qui prévoit des préférences dans les échanges commerciaux, a été approuvé et mis en vigueur par le règlement no 1287/76 du Conseil 28 mai 1976 (JO L 141, 1976, p. 1). L'article 13 de cet accord prévoit une réduction des droits de douane pour les vins de raisins frais (position 22.05) de 80 %, à condition que le prix
d'importation, majoré des droits de douane perçus, ne soit pas inférieur au prix de référence communautaire.

Ce type de préférences accroît naturellement, pour la Communauté, le risque de perturbations du marché par des importations de vins. C'est pourquoi le règlement no 2506/75 du Conseil du 29 septembre 1975 (JO L 256, 1975, p. 2) a introduit un système de notification. Les États membres doivent informer la Commission, de tous les cas d'importation de vins à un prix qui est inférieur au prix de référence communautaire, diminué des droits de douane (prix de référence franco-frontière). Dans ce cas, la
préférence ne s'applique pas (article 3, paragraphe 1). Pour prouver le respect du prix de référence, le pays exportateur doit produire un certificat.

Le point central du système de protection du marché que nous venons de décrire est donc que le prix de référence franco-frontière doit être comparé avec le prix d'offre franco-frontière. La manière dont ce dernier doit être calculé est prescrite à l'article 1 du règlement no 1393/76 de la Commission du 17 juin 1976 (JO L 157, 1976, p. 20). Les documents douaniers doivent mentionner les deux prix (article 2), de manière à permettre une comparaison des deux grandeurs. Le prix d'offre franco-frontière
se compose du prix fob et des frais de transport et d'assurance (article 1, paragraphe 1).

L'existence de montants compensatoires monétaires crée aussi des complications dans ce domaine. Si la monnaie de l'État importateur est dépréciée, le prix d'offre franco-frontière doit être diminué du montant compensatoire monétaire correspondant, conformément aux prescriptions de l'article 1 du règlement no 1577/76 de la Commission du 30 juin 1976 (JO L 172, 1976, p. 57).

2. Les faits

La défenderesse dans l'instance au principal, la société Les Fils d'Henri Ramel, importe en France du vin provenant d'Algérie, qu'elle achète auprès du demandeur au principal, l'organisme de droit public algérien dénommé Office national de commercialisation des produits vitivinicoles (ONCV). Les contrats conclus entre les deux parties contenaient une clause libellée comme suit: «Il est convenu que toute somme provenant d'un montant compensatoire qui sera accordé par l'ONIVIT sera virée directement
par l'acheteur au compte du vendeur sur la base des factures complémentaires établies à cet effet». Jusqu'en 1978, Ramel a toujours versé, en application de cette clause, les montants compensatoires reçus. Puis, en mai 1978, Ramel a refusé de payer les factures complémentaires envoyées par l'ONCV en vue du virement de respectivement 623698,91 et 72670,35 FF à titre de montants compensatoires monétaires. Comme argument Ramel a fait valoir que cette pratique était contraire aux dispositions
communautaires en la matière et que la clause contractuelle ckée était illégale et, partant, nulle. L'ONCV a alors assigné Ramel devant le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse en vue d'obtenir le paiement des montants précités. Par demande reconventionnelle, Ramel a demandé le paiement d'une somme de 1877509,16 FF. Cette demande a son origine dans la nationalisation du commerce du vin par l'Algérie, à la suite de quoi Ramel a perdu sa filiale dans ce pays. Bien que cette demande reconventionnelle
éclaire sans doute mieux le refus de Ramel de verser les montants compensatoires monétaires à l'ONCV, cette question ne joue pas de rôle dans les questions préjudicielles que le tribunal de commerce vous a déférées. Ces questions se lisent comme suit:

1. L'organisme vendeur d'un pays tiers du Maghreb est-il en droit d'exporter dans un État membre de la Communauté des vins au prix d'importation inférieur au prix de référence, sans que ces mêmes vins ne fassent l'objet de la perception de droits de douane réduits ou entiers?

Dans la négative: peut-il, pour éviter l'application de cette règle, convenir contractuellement avec son contractant importateur d'un pays de la CEE, le remboursement à son profit des montants compensatoires monétaires perçus à l'importation, afin de pouvoir justifier, a posteriori, à l'égard de la Communauté que le prix auquel il a facturé satisfait au prix de référence?

2. Les montants compensatoires monétaires perçus par l'importateur d'un pays de la CEE peuvent-ils être compris dans ce prix de référence?

Dans la négative: quelle valeur convient-il d'attribuer à une convention entre l'organisme vendeur d'un pays tiers du Maghreb et un importateur français engageant ce dernier à lui répercuter les montants compensatoires pour justifier du respect du prix de référence?

Comme nous l'expliquerons encore plus tard, il nous paraît sensé de joindre, dans l'examen qui suit, d'une part, les deux questions principales (sur le régime d'importation) et, d'autre part, les deux questions complémentaires (sur le régime contractuel).

3. La réponse à donner aux questions

Les questions posées par le tribunal de commerce doivent être vues sur l'arrière-plan d'une infraction éventuelle au régime communautaire d'importation dans le secteur vitivinicole, constituée par le fait que les prix de référence franco-frontière pour le vin importé pourraient ne pas toujours avoir été respectés. Cette infraction serait due à des manipulations sur le montant compensatoire monétaire à recevoir par l'importateur lors de l'importation de vin. Cet arrière-plan résulte clairement du
jugement du juge de renvoi, tandis que Ramel s'est efforcée de justifier le non-versement des montants compensatoires monétaires à l'ONCV, dans son mémoire comme aussi à l'audience, en prétendant qu'il serait mis fin ainsi à une infraction de l'ONCV aux règles communautaires. Cette tentative louable de contribuer à l'application du droit communautaire n'a toutefois pas résisté aux questions posées par votre Cour à l'audience.

Pour répondre aux questions préjudicielles, une distinction doit être faite entre la perturbation éventuelle du régime communautaire d'importation causée par des actes frauduleux et une perturbation éventuelle causée par des clauses contractuelles relatives au montant compensatoire monétaire. Sur le premier aspect, Ramel s'est prononcée en détail dans son mémoire, ainsi que sur ses conséquences éventuelles en rapport avec une infraction à la législation douanière française. Les questions du tribunal
de commerce concernent uniquement le dernier aspect cité.

Pour ce qui est de la réponse à donner à la première question principale, il est utile de rappeler le système de la réglementation que nous avons exposé tout à l'heure. L'optique du régime communautaire d'importation est d'éviter toute importation de vin à des prix inférieurs au prix de référence franco-frontière. Lorsqu'une telle importation se produit néanmoins, la préférence en ce qui concerne les droits de douane disparaît et des montants compensatoires peuvent même être perçus. Le régime
d'importation est donc conçu de manière à contrecarrer toute possibilité d'importer à des prix inférieurs aux prix de référence franco-frontière.

A cela il faut encore ajouter, pour une bonne compréhension, que ce système, considéré en lui-même, ne peut pas être perturbé par l'existence de montants compensatoires monétaires. Comme nous l'avons déjà signalé, l'élément essentiel du système est que le prix d'offre franco-frontière ne peut pas être inférieur au prix de référence franco-frontière. Ce niveau de prix doit être constaté par la douane lors de l'importation, sur la base de documents produits. Le mode de calcul du prix d'offre
franco-frontière est prescrit, la règle étant qu'un montant compensatoire monétaire accordé doit être déduit de ce prix. Un montant compensatoire monétaire positif ne peut donc pas perturber le système d'importation par suite d'un éventuel effet favorisant les importations. Cette situation doit également être considérée comme conforme aux aspects monétaires du système du règlement no 974/71. En ce qui concerne la deuxième question principale, il faut dès lors répondre que les montants compensatoires
monétaires sont compris dans le prix d'offre franco-frontière, et non dans le prix de référence (franco-frontière). Cette dernière possibilité est du reste exclue en raison même de sa nature, puisque les prix de référence sont exprimés en unités de compte européennes.

Des deux alinéas précédents découlent également la réponse à la première question principale et celle à la première question subsidiaire. La réponse à la première question principale est la suivante: «L'exportation de vin par l'organisme vendeur d'un pays du Maghreb à des prix d'importation qui, les droits de douane réduits inclus, sont inférieurs aux prix de référence franco-frontière, est contraire au droit communautaire». Comme, en cas d'application correcte du régime d'importation, l'effet d'un
montant compensatoire monétaire est neutre, la réponse à la première question subsidiaire est affirmative. Une telle réponse est confirmée pleinement par l'arrêt dans l'affaire 74/79 (OCE/Samavins, Recueil 1980, p. 239). Cette affaire avait pour objet une problématique comparable, concernant l'exportation de vin du Maroc. Comme la Commission l'a alors soutenu pertinemment, il n'importe pas de savoir qui reçoit le montant compensatoire monétaire, tant que les prix de référence sont respectés (c'est
nous qui soulignons car cette condition a précisément une importance particulière dans l'affaire actuelle). Les dispositions légales du système des montants compensatoires monétaires ne comportent du reste aucune règle à cet égard. Celui qui effectue les formalités d'importation ou d'exportation reçoit ou paie le montant. Nous ajouterons à cela que dans plusieurs arrêts, en particulier dans l'affaire 74/74 (CNTA/Commission, Recueil 1975, p. 533), votre Cour a jugé qu'un montant compensatoire
monétaire n'a pas pour fonction de donner une garantie au négociant individuel, mais sert à protéger l'organisation du marché en cause contre des perturbations de nature monétaire. A partir de cet objectif des montants compensatoires monétaires, il peut également être conclu que des conditions de droit privé en ce qui concerne la destination des montants compensatoires monétaires n'ont pas d'importance, comme telles, du point de vue du droit communautaire. Ce qui importe finalement est la
détermination du prix d'offre, et non la manière dont celui-ci se compose.

Ces considérations permettent simultanément de répondre à la deuxième question subsidiaire, en ce sens qu'une convention relative à la destination de montants compensatoires monétaires doit être appréciée selon le droit national des contrats, et pas selon le droit communautaire. Cette règle a été formulée sans équivoque par votre Cour au point 7 des motifs de l'arrêt dans l'affaire précitée 74/79.

La réponse aux questions préjudicielles qui est proposée ci-dessus n'est pas différente dans le cas où les prix de référence franco-frontière ne sont pas respectés par suite d'acte frauduleux. Si l'exportateur se contente d'un prix qui, les montants compensatoires monétaires inclus, est égal au prix de référence franco-frontière, l'importateur est en mesure d'importer du vin à un prix inférieur à ce prix de référence franco-frontière, s'il ne verse pas le montant compensatoire monétaire à recevoir à
l'exportateur (comme la Commission l'a déclaré elle aussi en réponse à une question posée par nous). Dans un tel cas, le système communautaire d'importation est effectivement perturbé, non pas par l'effet du montant compensatoire monétaire ou de la destination qui lui est donnée par contrat, mais par les actes frauduleux des parties concernées. En l'espèce, contrairement à ce que prétend la société Ramel, c'est précisément le non-respect de la clause contractuelle relative au versement du montant
compensatoire monétaire qui pourrait impliquer un pareil acte frauduleux.

Notre exposé a montré que la réponse aux questions qui vous sont posées est simplifiée si, d'une part, les deux questions principales (sur le régime d'importation communautaire) et, d'autre part, les deux questions complémentaires (sur la destination contractuelle des montants compensatoires monétaires) sont jointes. Lors de la détermination du prix d'offre, qui doit être vérifié au regard du prix de référence, le montant compensatoire monétaire à verser par les autorités françaises s'avère en effet
pouvoir jouer également un rôle. C'est pourquoi la réponse à la première question principale peut difficilement être séparée de celle à donner à la deuxième question principale. De plus, il est apparu que cette dernière n'a pas été formulée d'une manière tout à fait appropriée. Finalement, les deux questions complémentaires vont en fait dans la même direction, ce qui permet d'y répondre conjointement. Elles tendent à faire déterminer l'importance, au regard du droit communautaire, de clauses
contractuelles relatives à la destination de montants compensatoires monétaires reçus.

C'est pourquoi nous proposons de donner aux questions du tribunal de commerce, après les avoir jointes comme indiqué ci-dessus, la réponse suivante :

1) En cas d'importation de vins à partir d'un pays du Maghreb, le prix d'offre franco-frontière de ces produits, corrigé par le montant compensatoire monétaire applicable, ne doit pas être inférieur au prix de référence franco-frontière.

2) Sans préjudice de l'appréciation du prix d'offre, qui en résulte, au regard de la condition citée sous 1), la question de la validité d'une clause contractuelle entre un importateur et un exportateur concernant la perception d'un montant compensatoire monétaire relève, comme telle, du domaine du droit des contrats et non de celui du droit communautaire.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 170/82
Date de la décision : 24/03/1983
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse - France.

Agriculture - Montants compensatoires monétaires - Réglementation communautaire - Champ d'application - Rapports entre l'opérateur économique et son cocontractant - Incidence des MCM sur la notion de prix franco-frontière de référence.

Agriculture et Pêche

Vin

Mesures monétaires en agriculture


Parties
Demandeurs : Office national de commercialisation des produits viti-vinicoles
Défendeurs : Société à responsabilité limitée Les Fils d'Henri Ramel.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:97

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