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24/03/1983 | CJUE | N°143/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 24 mars 1983., David Lipman contre Commission des Communautés européennes., 24/03/1983, 143/82


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 24 MARS 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

1. M. Lipman, fonctionnaire de grade B 3 à la Commission, a formé un recours contre la décision du 25 février 1982 refusant d'admettre sa candidature au concours général COM/A/325 (JO C 233 du 12.9. 1981, p. 21).

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 24 MARS 1983 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

1. M. Lipman, fonctionnaire de grade B 3 à la Commission, a formé un recours contre la décision du 25 février 1982 refusant d'admettre sa candidature au concours général COM/A/325 (JO C 233 du 12.9. 1981, p. 21).

Il demande l'annulation de cette décision négative et conclut en outre à ce que la Commission soit condamnée à lui permettre de participer encore à ce concours général.

Arrière-plan

2. M. Lipman est entré au service de la Commission en 1973, comme fonctionnaire de grade B 4. En 1978, il a été promu au grade B 3. Il a toujours été affecté à la direction générale «Relations extérieures». D'après ses supérieurs hiérarchiques, ainsi qu'il résulte de l'annexe jointe à la requête, il accomplit, depuis fin 1976, des tâches qui se situent au niveau A 7/6. Cela est également confirmé par la Commission. Bien que celle-ci nuance cette constatation en disant qu'il s'est seulement agi, au
cours de la période 1977—1979, d'un certain nombre de tâches, elle admet que l'intéressé exerce principalement, à l'heure actuelle, des tâches ressortissant à ce niveau.

En dehors de ses activités professionnelles, le requérant a suivi, depuis 1977, une formation juridique et a obtenu, en août 1981, le diplôme de «bachelor of laws» de l'université de Londres.

Le concours général en question avait pour but de constituer une réserve d'administrateurs portant sur les grades A 7/6, en vue de pourvoir à un certain nombre d'emplois qui comprenaient des emplois dans le domaine des relations extérieures. En raison de ses activités actuelles, M. Lipman était intéressé par un emploi dans ce secteur.

La décision de ne pas l'admettre au concours général a été basée sur le fait que M. Lipman ne remplissait pas la condition exigeant qu'il justifie d'une expérience professionnelle complémentaire, d'une durée de deux ans, acquise après l'obtention du diplôme universitaire. Il n'a en effet obtenu son diplôme qu'en août 1981 et ne pouvait donc pas, à la date d'inscription au concours général, satisfaire à cette deuxième condition.

Sur le fond

3. A l'encontre de cette décision de rejet, le requérant a fait valoir trois moyens, qu'il a regroupés comme suit dans la requête:

violation et/ou méconnaissance:

— du statut des fonctionnaires, notamment de son article 5, paragraphe 3, et des articles 1, lettre d), et 5 de l'annexe III au statut;

— de 1 avis de concours général COM/A/325, particulièrement de son article III, B, 2;

— d'un certain nombre de principes généraux de droit, notamment du principe d'égalité.

Le requérant part de la prémisse que le texte relatif à la condition litigieuse est clair et non ambigu. U estime toutefois que celle-ci a en l'espèce pour conséquence non souhaitée et même absurde que lui-même, alors qu'il a une expérience de six années dans le domaine en question, acquise par des activités du niveau A 7/6, n'a pas été admis à participer au concours général en vue de la constitution d'une réserve d'administrateurs A 7/6, pour le secteur où il exerce ses activités, uniquement et
exclusivement parce qu'il a seulement obtenu son diplôme universitaire en août 1981 et ne saurait donc satisfaire à la condition exigeant une expérience professionnelle de deux ans acquise après l'obtention du diplôme. A son avis, une telle conséquence ne devrait pas être admise. C'est pourquoi il propose que la condition soit interprétée d'une manière extensive, de façon à ce que son expérience réponde aux termes de la condition.

Pour le bon ordre, répétons ici le passage litigieux de l'avis de concours général:

«B.l. (...)

B.2. Titres ou diplômes requis et pratique professionnelle.

A la date limite fixée pour le dépôt des candidatures, les candidats doivent:

a) justifier avoir accompli des études universitaires complètes sanctionnées par un diplôme en rapport avec le domaine repris au titre I du présent avis (...);

b) posséder une expérience complémentaire, d'une durée de deux ans, acquise postérieurement à l'obtention du diplôme universitaire (...).»

D'après le raisonnement du requérant, il faudrait vérifier quel est le but de l'expérience requise. Selon lui, il s'agit en l'occurrence d'exiger de jeunes universitaires qu'ils aient acquis une certaine expérience. Cela ne vaudrait toutefois pas pour le requérant, dès lors qu'il a déjà une expérience de six ans.

Cette conception est étayée, à son avis, par les dispositions de l'annexe III, article 1, lettre d), du statut, qui déclare que l'avis de concours spécifie «les diplômes et autres titres ou le niveau d'expérience requis pour les emplois à pourvoir». Il apparaîtrait de cette phrase que l'expérience est mise en rapport direct avec l'emploi et qu'il n'est absolument pas permis d'établir un lien avec le diplôme.

Une telle interprétation extensive des conditions requises serait d'autant plus justifiée que la condition est qualifiée de «complémentaire» dans l'avis de concours. En outre, le requérant renvoie encore à l'arrêt Newth, (affaire 156/78, Recueil 1979, p. 1941), où votre Cour a également appliqué, à son avis, une interprétation extensive afin d'éviter une situation injuste.

En deuxième lieu, le requérant prétend qu'on se trouve en présence d'une violation du principe d'égalité, tel qu'il est énoncé, entre autres, à l'article 5, paragraphe 3, du statut. A l'appui de cette assertion, il avance un certain nombre d'arguments. U observe qu'au cours de la même période a été publié un avis de concours interne COM/A/481 qui, pour des emplois de grade A 7/6, n'exigeait pas de diplôme universitaire et ne pouvait donc pas non plus prévoir comme condition une expérience
professionnelle acquise après l'obtention du diplôme. Pour une bonne compréhension, nous remarquerons à ce sujet que ce concours avait un but autre que le concours général dont il s'agit ici et que les conditions étaient également différentes, de sorte qu'il ne constituait pas pour le requérant une alternative utilisable, comme cela s'est confirmé au cours de la procédure orale.

Puis le requérant prétend encore qu'au concours général litigieux ont été admis des candidats dont on n'a pas vérifié si leur expérience professionnelle avait bien été acquise en rapport avec les options choisies, comme l'avis le précisait.

Enfin, il estime que, puisque d'autres candidats ayant moins d'expérience que lui dans le domaine d'activité en question ont été admis au concours, il y a eu traitement inégal.

Appréciation de l'affaire

4. Pour ce qui est de l'appréciation de cette affaire, nous dirons immédiatement que le résultat de la procédure suivie par la Commission nous paraît, de fait, manifestement injuste pour l'intéressé. Ce qui importe toutefois pour la Cour, c'est de déterminer si le recours peut également conduire en droit à l'annulation de la décision de rejet.

La fixation de conditions pour l'admission à un concours général fait partie des pouvoirs discrétionnaires de l'administration, évidemment dans le cadre du statut et dans le respect des principes généraux de droit applicables.

Le texte litigieux concernant l'expérience pratique de deux ans après l'obtention du diplôme est clair et non ambigu. A cela s'ajoute encore le fait que dans le «Guide à l'intention des candidats», qui est imprimé avant l'avis de concours, le point 5 («Principales sources d'erreurs») stipule explicitement que l'expérience professionnelle est comptée à partir du premier emploi exercé après l'obtention du diplôme requis.

En ce qui concerne l'argument relatif à la violation de l'article 1, lettre d), de l'annexe III au statut, il y a lieu de remarquer qu'il est comparable à l'argumentation qui a été à l'ordre du jour dans deux arrêts de votre Cour sur l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, du statut. Il s'agit en l'occurrence des affaires 117/78, (Orlandi, Recueil 1979, p. 1619) et 178/78, (Szemerey, Recueil 1979, p. 2861). Dans ces affaires également, il s'agissait de déterminer, entre autres, si, dans le
cadre du concours, il était possible d'exiger, en plus du diplôme, cumulativement, une expérience professionnelle ou s'il s'agit en l'occurrence d'une condition qui peut seulement être posée à titre alternatif, compte tenu dudit article 5, paragraphe 1.

Dans les deux arrêts, votre Cour a jugé expressément que la disposition du statut représente seulement une condition minimale et que le statut n'exclut pas la possibilité de poser des conditions plus sévères, si la nature des emplois à pourvoir l'exige. C'est ce que déclarent explicitement les attendus 15 et 16 de l'arrêt Orlandi. Le troisième attendu de l'arrêt cité en deuxième lieu renvoie, ^ sans nouvelle motivation sur ce point, à l'arrêt Orlandi. En accord avec l'avocat général Capotorti
(Recueil 1979, p. 2866, fin de la première colonne), nous sommes d'avis que le principe général qui doit guider l'institution concernée est celui de l'intérêt du service.

Compte tenu de votre jurisprudence précitée, nous pensons dès lors que les dispositions de l'article 1, lettre d), de l'annexe III ne permettent pas d'en tirer davantage que la conclusion que l'avis de concours peut exiger une expérience professionnelle, mais qu'elles n'autorisent pas l'interprétation beaucoup plus large du requérant, à savoir que cet article s'oppose à ce que soient exigés cumulativement certains diplômes et une expérience professionnelle ou, du moins, que dans certains cas
particuliers, comme le sien, il faut également tenir compte d'une expérience professionnelle acquise avant l'obtention du diplôme requis.

Il peut certes être admis que le requérant a fait la preuve qu'il satisfait au but des deux conditions, à savoir d'être capable de mettre des connaissances universitaires en pratique, puisque des tâches du niveau A 7/6 lui sont confiées depuis assez longtemps et puisque, d'après ce qui a été dit à l'audience, il a également exercé ces tâches durant quatre ans en combinaison avec l'acquisition simultanée de connaissances universitaires. Selon notre expérience personnelle en matière d'enseignement
et d'après les conceptions qui sont à la base de l'idée moderne de l'«éducation permanente», il s'agit même souvent d'une manière idéale de combiner l'acquisition de connaissances universitaires et d'une expérience pratique. A notre avis, à la lumière de votre jurisprudence antérieure, cela n'est toutefois pas suffisant pour interpréter autrement le texte explicite de la condition posée.

Les conditions prévues dans les avis de concours généraux visent par nature les situations normales et ne peuvent pas partir d'hypothèses exceptionnelles. Dans ses conclusions déjà citées dans l'affaire Szemerey, l'avocat général Capotorti l'a souligné également (p. 2867, premier alinéa complet). Finalement, au présent concours se sont inscrits 2267 candidats, dont 1250 ont été admis. Dans ces circonstances, les conditions peuvent naturellement être fixées en fonction d'exigences qui, pour la
grande majorité de ces candidats, sont des conditions raisonnables compte tenu des intérêts du service en vue.

5. En ce qui concerne l'invocation de l'affaire Newth (affaire 156/78, Recueil 1979, p. 1941), nous pensons que la Cour est arrivée à l'interprétation qui a été la sienne en raison du fait qu'il s'agissait d'une «situation discriminatoire par rapport à des fonctionnaires se trouvant dans une situation comparable» (attendu 13).

C'est pourquoi nous nous proposons d'examiner maintenant jusqu'à quel point les arguments avancés par le requérant à l'appui du moyen selon lequel il y a eu discrimination peuvent aboutir. Il a fait valoir que le concours interne COM/A/481 n'exigeait pas de diplôme universitaire et ne pouvait donc pas non plus exiger une expérience professionnelle postuniversitaire. Nous sommes d'accord avec la Commission lorsqu'elle déclare que chaque concours est indépendant et ne peut pas être comparé à
d'autres, ayant d'autres buts et prévoyant d'autres conditions, compte tenu également du texte large, sous ce rapport, de l'article 1 de l'annexe III. Le concours interne visé avait pour but de permettre à des fonctionnaires qui avaient suivi un cours de gestion administrative et financière, organisé par les services de la Commission, d'accéder à la catégorie A. Les autres conditions étaient adaptées à ce but différent.

En ce qui concerne l'assertion selon laquelle, lors de l'examen de l'admission au concours général litigieux, on n'a pas toujours veillé au respect de la condition exigeant une expérience professionnelle en rapport avec l'option choisie, nous ne voyons pas comment ce moyen pourrait aboutir, à supposer même que sa justesse ait été établie au cours de la procédure. Un pareil manquement ne peut pas être interprété à l'avantage du requérant et ne peut pas non plus avoir été constitutif d'une
discrimination à son égard.

Quant à l'argument selon lequel des candidats ayant une expérience professionnelle moins longue, correspondant à la durée minimale de deux ans, ont été admis au concours, alors que le requérant, qui peut se prévaloir d'un nombre d'années plus élevé, à savoir de six ans comme il le prétend, n'a pas été admis, ce qui constituerait une violation du principe d'égalité, nous observerons ce qui suit.

En premier lieu, la question est de savoir si la situation du requérant et celle d'autres candidats sont comparables. Le requérant a en effet acquis son expérience professionnelle avant l'examen universitaire, tandis que les autres l'ont acquise après celui-ci, comme l'avis de concours l'exigeait expressément. Selon nous et comme nous l'avons déjà dit, les autorités ont le pouvoir de fixer cette condition de la manière qui leur paraît bonne dans l'intérêt du service. Elles n'ont apparemment pas
voulu assimiler une expérience professionnelle à une formation universitaire. C'est pourquoi, contrairement à l'affaire Newth, il ne peut pas être parlé, à notre avis, d'une discrimination en ce sens que des situations égales ou équivalentes auraient été traitées de manière inégale, ou des situations inégales traitées de manière égale, sans motifs objectifs.

Dans l'affaire Newth, votre Cour est arrivée à la conclusion que l'application d'une règle générale aboutissait, dans le cas particulier, à une violation d'une règle supérieure de droit, en l'occurrence du principe de l'égalité de traitement. Pour éviter cette conséquence, a dit la Cour, la disposition litigieuse ne devait pas être prise en considération dans le cas concret, pour ce qui était du point décisif, en l'espèce, du domicile. Ce n'est donc pas la légalité de cette disposition comme
telle qui a été mise en cause alors. Peut-être le requérant aurait-il eu une plus grande chance de succès avec son recours s'il avait centré de manière analogue son invocation du principe de l'égalité de traitement sur son cas concret, en acceptant expressément les conditions posées et l'interprétation qui leur a été donnée par la Commission. Or, toute son argumentation au cours de la procédure écrite comme orale a précisément été centrée sur la contestation de ces conditions et de
l'interprétation qui leur a été donnée.

Au caractère inéquitable de la situation créée pour le requérant, la Commission peut du reste mettre fin en organisant un concours interne conformément à l'article 29 du statut, avant de pourvoir à une vacance dans le service en cause. Il n'est donc encore nullement certain que la procédure suivie cause effectivement au requérant un préjudice injuste pour ce qui est de sa carrière. Naturellement, il n'est pas possible de se prononcer, dans le cadre de cette procédure, sur la question de savoir si
la Commission a également l'obligation d'organiser le cas échéant un pareil concours interne.

6. En conclusion, nous arrivons au résultat que le recours doit etre rejeté. Compte tenu des circonstances de la cause, nous estimons que, sur la base de l'article 70 du règlement de procédure, les deux parties devraient supporter leurs propres dépens.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 143/82
Date de la décision : 24/03/1983
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonction publique - Refus d'admission à concourir - Appréciation de la condition relative à l'expérience professionnelle.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : David Lipman
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Galmot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1983:95

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