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11/06/2018 | BELGIQUE | N°S.17.0061.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 juin 2018, S.17.0061.F


N° S.17.0061.F
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, place Saint-Jacques, 13,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

F. B.,
défendeur en cassation.


I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 avril 2017 par la cour du travail de Liège.
Le 8 mai 2018, l'avoca

t général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storc...

N° S.17.0061.F
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, place Saint-Jacques, 13,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

F. B.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 avril 2017 par la cour du travail de Liège.
Le 8 mai 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;
- article 1138, 4°, du Code judiciaire ;
- articles 2, 3, 4, 6, 10 et 11 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale, dans leur version en vigueur tant le 1er mars 2017 qu'au jour de la prononciation de l'arrêt, après l'entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2016 modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt ordonne la réouverture des débats à l'audience du 10 octobre 2017 « afin que les parties informent la cour [du travail] de la conclusion et du suivi d'un projet individualisé d'intégration sociale à conclure entre elles, relatif à l'acquisition par [le défendeur], grâce notamment à une formation, d'une véritable qualification professionnelle, la cour [du travail] réservant à statuer, en regard de cet élément, en ce qui concerne l'octroi d'un revenu d'intégration sociale [au défendeur] à partir du 1er mars 2017 », et réserve en outre à statuer sur le surplus, notamment sur les dépens, aux motifs suivants :
« Le droit à l'intégration sociale est octroyé lorsque sont remplies toutes et chacune des conditions visées à l'article 3 de la loi du 26 mai 2002 ;
[Le défendeur] remplit manifestement la condition d'octroi visée à l'article 3, 2°, puisqu'il est âgé de dix-neuf ans lors de sa demande d'aide du 29 avril 2015 ; il remplit également la condition dite de nationalité visée à l'article 3, 3°, puisqu'il est belge ;
[Le demandeur] met en doute la résidence effective [du défendeur], ce qui impliquerait, si celle-ci n'était pas vérifiée, que la condition visée à l'article 3, 1°, qui est d'avoir une résidence effective en Belgique, entendue comme étant un séjour habituel et permanent sur le territoire du royaume, ne serait pas remplie ;
[...] S'il est étonnant que le propriétaire [du défendeur] ne formule aucune réclamation à l'égard de celui-ci qui, depuis juin 2014, ne lui aurait payé aucun loyer, encore les pièces produites ne permettent-elles pas de conclure à une absence de résidence effective [du défendeur] à Liège ; l'attitude du propriétaire s'explique peut-être par la relation au demeurant mal définie qu'il entretient avec son ou ses locataires ;
L'article 3, 4°, de la loi du 26 mai 2002 détermine une des conditions qui doit être remplie pour obtenir le droit à l'intégration sociale, qui est de ‘ne pas disposer de ressources suffisantes, ni pouvoir y prétendre ou être en mesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit par d'autres moyens', et dispose que ‘le centre [public d'action sociale] calcule les ressources de la personne conformément aux dispositions du titre II, chapitre II' ;
[...] En l'état, il est insuffisamment prouvé que [le défendeur] soit privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d'en obtenir ;
L'article 3, 5°, conditionne l'octroi du revenu d'intégration sociale au fait que la personne démontre sa disposition à travailler, sauf si des motifs d'équité ou médicaux l'en dispensent ;
[...] Force est de considérer que, tant qu'à présent, [le défendeur] ne justifie pas effectivement de sa disposition au travail ;
La loi du 26 mai 2002 distingue très clairement l'octroi du droit à l'intégration sociale selon que le bénéficiaire a moins ou plus de vingt-cinq ans ; pour les bénéficiaires de moins de vingt-cinq ans, l'article 6 de la loi envisage exclusivement l'intégration sociale par l'emploi adapté à la situation personnelle de l'intéressé ;
L'intégration sociale par l'emploi peut se réaliser, selon l'article 6, § 2, de la loi, soit par la conclusion d'un contrat de travail, soit par la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale menant, dans une période déterminée, à un contrat de travail, soit encore, selon l'article 9, § 1er, par une intervention financière dans les frais liés à l'insertion professionnelle ;
L'article 10 de la loi du 26 mai 2002 dispose que, ‘dans l'attente d'un emploi lié à un contrat de travail ou dans le cadre d'un projet individualisé d'intégration sociale, ou encore si la personne ne peut travailler pour des raisons de santé ou d'équité, elle a droit, aux conditions fixées par la présente loi, à un revenu d'intégration' ;
Il résulte des dispositions de l'article 10 que, pour pouvoir bénéficier d'un revenu d'intégration, la personne de moins de vingt-cinq ans doit, non seulement remplir les conditions visées aux articles 3 et 4 de la loi du 26 mai 2002 qui sont relatives à l'octroi de l'intégration sociale pour tout bénéficiaire, mais en outre se trouver dans l'une des trois hypothèses suivantes : être dans l'attente d'un emploi lié à un contrat de travail ; avoir déterminé un projet individualisé d'intégration sociale ; ne pouvoir travailler pour des raisons de santé ou d'équité ;
Ces dispositions relatives au bénéficiaire de moins de vingt-cinq ans déterminent le caractère dynamique qui s'attache à la loi du 26 mai 2002, qui est entièrement orientée, pour les bénéficiaires de cette tranche d'âge, vers une intégration par l'emploi, c'est à dire vers une situation où la personne se trouvera dans un état d'autonomie financière. L'esprit du texte légal ne s'accorde pas avec un désir d'autonomie s'appuyant sur l'intervention financière de la collectivité mais vers une autonomie responsable, comme évoqué ci-dessus ;
[Le défendeur] ne justifie actuellement d'aucune recherche effective ou perspective d'emploi, d'aucun projet individualisé d'intégration ni d'aucune condition de santé ou d'équité l'empêchant de travailler, de sorte qu'il ne remplit pas jusqu'à présent la condition d'octroi du revenu d'intégration pour les moins de vingt-cinq ans visée à l'article 10 de la loi ;
La cour [du travail] considère à ce sujet la situation [du défendeur], qui a arrêté l'enseignement secondaire en 2012, étant alors en section mécanique, et n'a pas achevé la formation au CEFA suivie en 2012-2013 ; le curriculum vitae [du défendeur] mentionne qu'il a travaillé comme ouvrier monteur de pneus en Allemagne en 2011-2012 et 2013-2014 et également comme caissier-réassortisseur en 2012-2013 ; on observe encore que, outre le français et le kosovar, qui sont des langues maternelles, [le défendeur] déclare parler couramment l'allemand et l'italien ;
[Le défendeur] évoque un intérêt pour la profession de chauffeur et il est également question d'emploi dans la vente ;
En regard de la situation personnelle [du défendeur] et de la dynamique particulière attachée aux dispositions de la loi du 26 mai 2002 pour les personnes de moins de vingt-cinq ans, la cour [du travail] estime qu'il est fondamental que [le défendeur], qui a de réelles potentialités, soit assisté dans une démarche de formation orientée vers l'acquisition d'une véritable qualification professionnelle, afin de [lui] permettre d'accéder à l'emploi d'une façon durable et d'échapper à une situation de personne assistée ;
La cour [du travail] invite en conséquence [le défendeur] et [le demandeur] à se rencontrer et à convenir d'un projet individualisé d'intégration sociale orienté vers l'acquisition d'une qualification professionnelle et réserve à apprécier le droit [du défendeur] à l'octroi d'un revenu d'intégration sociale à partir du 1er mars 2017 en fonction de la conclusion et du suivi de ce projet individualisé d'intégration sociale, ce qui justifie d'ordonner à cette fin la réouverture des débats, étant entendu que [le demandeur] peut, dès la conclusion du projet individualisé d'intégration sociale et en fonction du suivi de celui-ci, prendre sans attendre une nouvelle décision d'octroi du revenu d'intégration sociale s'il y a lieu ».

Griefs

Aux termes de l'article 2 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale : « toute personne a droit à l'intégration sociale. Ce droit peut, dans les conditions fixées par la présente loi, prendre la forme d'un emploi ou d'un revenu d'intégration, assortis ou non d'un projet individualisé d'intégration sociale ».
L'article 3 de cette loi dispose que, pour pouvoir bénéficier du droit à l'intégration sociale, le demandeur du droit doit simultanément et sans préjudice des conditions spécifiques prévues par la loi :
« 1° avoir sa résidence effective en Belgique [...] ;
2° être majeur ou assimilé à une personne majeure [...] ;
3° appartenir à une des catégories de personnes suivantes :
- soit posséder la nationalité belge ;
- soit bénéficier, en tant que citoyen de l'Union européenne ou que membre de sa famille qui l'accompagne ou le rejoint, d'un droit de séjour de plus de trois mois conformément à la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. Cette catégorie de personnes ne bénéficie du droit à l'intégration sociale qu'après les trois premiers mois de ce séjour ;
- soit être inscrit comme étranger au registre de la population ;
- soit être un apatride et tomber sous l'application de la Convention relative au statut des apatrides, signée à New York le 28 septembre 1954 et approuvée par la loi du 12 mai 1960 ;
- soit être un réfugié au sens de l'article 49 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ;
- soit bénéficier de la protection subsidiaire au sens de l'article 49/2 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ;
4° ne pas disposer de ressources suffisantes, ni pouvoir y prétendre, ni être en mesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit par d'autres moyens [...] ;
5° être disposé à travailler, à moins que des raisons de santé ou d'équité l'en empêchent ;
6° faire valoir ses droits aux prestations dont il peut bénéficier en vertu de la législation sociale belge et étrangère ».
L'article 11, § 2, alinéa 2, de la loi précitée dispose encore que « toute personne a droit à un projet individualisé d'intégration sociale adapté à sa situation personnelle et à ses capacités dans les trois mois de la décision du centre selon laquelle la personne remplit les conditions prévues aux articles 3 et 4 ».
L'article 4 dispose qu'il peut être imposé à l'intéressé de faire valoir ses droits à l'égard des personnes qui lui doivent des aliments.
L'article 6 précise que les personnes âgées de moins de vingt-cinq ans (catégorie à laquelle appartient le défendeur, selon les constatations de l'arrêt) ont droit à l'intégration par l'emploi aux conditions prévues aux articles 3 et 4 de la loi, ce droit à l'intégration par l'emploi pouvant faire l'objet, soit d'un contrat de travail, soit d'un projet individualisé d'intégration sociale.
L'article 10, quant à lui, fixe les conditions dans lesquelles le demandeur du droit à l'intégration sociale de moins de vingt-cinq ans peut bénéficier d'un revenu d'intégration. Il doit ainsi, soit être dans l'attente d'un emploi dans le cadre d'un contrat de travail ou dans le cadre d'un projet individualisé d'intégration sociale, soit avoir des revenus résultant d'une mise à l'emploi inférieurs au montant du revenu d'intégration, soit ne pouvoir travailler ou participer à un projet individualisé d'intégration sociale en raison de motifs de santé ou d'équité.
L'article 11, enfin, précise les hypothèses dans lesquelles la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale est soit obligatoire, soit facultative, ainsi que le contenu et les modalités de la conclusion d'un tel projet.
Aucune de ces dispositions ne déroge aux conditions fixées aux articles 3 et 4 de la loi. Il en découle que la conclusion d'un « projet individualisé d'intégration sociale » entre le centre public d'action sociale et le demandeur du droit implique la reconnaissance préalable du droit de ce dernier à l'intégration sociale au sens de l'article 2 et aux conditions prévues aux articles 3 et 4 de la loi du 26 mai 2002.
À propos des conditions visées à l'article 3 de la loi du 26 mai 2002, l'arrêt constate que, si le défendeur réunit les conditions de nationalité, d'âge et de résidence, les autres conditions, par contre, ne sont pas remplies. L'arrêt décide, en effet, en rapport avec la condition prévue à l'article 3, 4°, qu'il est « insuffisamment prouvé que [le défendeur] soit privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d'en obtenir », et, en rapport avec la condition prévue à l'article 3, 5°, que le défendeur « ne justifie pas effectivement de sa disposition au travail », alors qu'il « n'invoque aucun motif de santé ou d'équité qui le dispenserait de prouver sa disposition à travailler ».

Première branche

L'arrêt, qui, d'une part, « invite [...] [le défendeur] et [le demandeur] à se rencontrer et à convenir d'un projet individualisé d'intégration sociale » et, en conséquence, « ordonne la réouverture des débats afin que les parties informent la cour [du travail] de la conclusion et du suivi d'un projet individualisé d'intégration sociale à conclure entre elles, relatif à l'acquisition par [le défendeur], grâce notamment à une formation, d'une véritable qualification professionnelle », et qui réserve à statuer en regard de la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale en ce qui concerne l'octroi d'un revenu d'intégration sociale au défendeur à partir du 1er mars 2017, alors que, d'autre part, il constate que le défendeur ne remplit pas toutes et chacune des conditions fixées à l'article 3 de la loi du 26 mai 2002, et notamment celle qui est fixée à l'article 3, 4°, à savoir « être privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d'en obtenir », ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 3 de la loi du 26 mai 2002 et viole dès lors cette disposition telle qu'elle est visée en tête du moyen.

Deuxième branche

L'arrêt, qui, d'une part, décide qu'« il résulte des dispositions de l'article 10 que, pour pouvoir bénéficier d'un revenu d'intégration, la personne de moins de vingt-cinq ans doit, non seulement remplir les conditions visées aux articles 3 et 4 de la loi du 26 mai 2002 qui sont relatives à l'octroi de l'intégration sociale pour tout bénéficiaire, mais en outre se trouver dans l'une des trois hypothèses » qu'il mentionne, à savoir 1. être dans l'attente d'un emploi lié à un contrat de travail ; 2. avoir déterminé un projet individualisé d'intégration sociale, ou 3. ne pouvoir travailler pour des raisons de santé ou d'équité, et, en conséquence, « invite [...] [le défendeur] et [le demandeur] à se rencontrer et à convenir d'un projet individualisé d'intégration sociale », ce qui suppose la réunion des conditions fixées aux articles 3 et 4 de la loi, alors que, d'autre part, il constate déjà que le défendeur ne remplit pas toutes et chacune des conditions fixées à l'article 3 de la loi du 26 mai 2002, et notamment celle qui est fixée à l'article 3, 4°, à savoir « être privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d'en obtenir », viole ces articles 3 et 10 de la loi du 26 mai 2002 (violation desdits articles et, en tant que de besoin, de toutes les dispositions de la loi du 26 mai 2002 visées en tête du moyen).

Troisième branche (subsidiaire)

Viole l'article 149 de la Constitution, la décision de justice dont les motifs sont entachés de contradiction entre eux ou dont le dispositif est en contradiction avec les motifs qui sont censés le fonder.
Viole l'article 1138, 4°, du Code judiciaire, la décision dont le dispositif contient des dispositions contradictoires.
Si l'arrêt doit être interprété en ce sens que, par le dispositif qui réserve à statuer en regard de la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale en ce qui concerne l'octroi d'un revenu d'intégration sociale au défendeur à partir du 1er mars 2017, il rouvre les débats sur l'ensemble des conditions fixées par la loi pour l'octroi d'un revenu d'intégration, soit non seulement la conclusion d'un projet d'intégration personnalisé, en vertu de l'article 10 de la loi, mais également les conditions prévues aux articles 3 et 4 de la loi du 25 mai 2002, pour la période courant à partir du 1er mars 2017, alors il contient des motifs en contradiction avec son dispositif, dès lors que, d'une part, il « invite [...] [le défendeur] et [le demandeur] à se rencontrer et à convenir d'un projet individualisé d'intégration sociale » et précise « que [le demandeur] peut, dès la conclusion du projet individualisé d'intégration sociale et en fonction du suivi de celui-ci, prendre sans attendre une nouvelle décision d'octroi du revenu d'intégration sociale s'il y a lieu », ce qui suppose au préalable la réunion des conditions prévues aux articles 3 et 4 de la loi du 25 mai 2002, alors qu'il admet, d'autre part, ne pas avoir encore statué sur ces mêmes conditions. Dans cette interprétation, l'arrêt viole l'article 149 de la Constitution.
Dans cette même interprétation, l'arrêt contient des dispositifs contradictoires entre eux, puisque, d'une part, il « ordonne la réouverture des débats afin que les parties informent la cour [du travail] de la conclusion et du suivi d'un projet individualisé d'intégration sociale à conclure entre elles, relatif à l'acquisition par [le défendeur], grâce notamment à une formation, d'une véritable qualification professionnelle », et, d'autre part, il réserve à statuer sur les conditions au droit à l'intégration sociale, dont fait partie la conclusion d'un projet individualisé d'intégration sociale, pour la même période. L'arrêt viole dès lors l'article 1138, 4°, du Code judiciaire.

III. La décision de la Cour

Quant à la deuxième branche :

En vertu de l'article 2, alinéa 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale, toute personne a droit à l'intégration sociale et ce droit, peut, dans les conditions fixées par cette loi, prendre la forme d'un emploi ou d'un revenu d'intégration, assortis ou non d'un projet individualisé d'intégration sociale.
L'article 3 de cette loi, qui énonce les conditions auxquelles la personne doit, simultanément et sans préjudice des conditions spécifiques prévues par la loi, satisfaire pour pouvoir bénéficier du droit à l'intégration sociale, prévoit sous 4° que cette personne ne peut ni disposer de ressources suffisantes, ni pouvoir y prétendre ou être en mesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit par d'autres moyens.
Aux termes de l'article 6, § 1er, de la même loi, toute personne majeure âgée de moins de vingt-cinq ans a droit à l'intégration sociale par l'emploi adapté à sa situation personnelle et à ses capacités dans les trois mois de la décision du centre public d'action sociale selon laquelle elle remplit les conditions prévues aux articles 3 et 4 ; ce droit peut, suivant le paragraphe 2 dudit article 6, faire l'objet, soit d'un contrat de travail, soit d'un projet individualisé d'intégration sociale menant, dans une période déterminée, à un contrat de travail.
S'agissant d'une personne de cette catégorie d'âge, l'article 10 de la loi dispose, en son alinéa 1er, que, dans l'attente d'un emploi dans le cadre d'un contrat de travail ou dans le cadre d'un projet individualisé d'intégration sociale, elle a droit, aux conditions fixées par cette loi, à un revenu d'intégration ; en son alinéa 2, que, lorsque les revenus résultant d'une mise à l'emploi sont inférieurs au montant du revenu d'intégration auquel l'intéressé peut prétendre, le droit au revenu d'intégration est maintenu dans les conditions fixées par cette loi ; en son alinéa 3, que, si le centre public d'action sociale établit par une décision motivée que la personne ne peut travailler pour des raisons de santé ou d'équité, elle a droit, aux conditions fixées par cette loi, à un revenu d'intégration, assorti ou non d'un projet individualisé d'intégration sociale, et, en son alinéa 4, que, si le centre établit par une décision motivée que la personne ne peut participer à un projet individualisé d'intégration sociale pour des raisons de santé ou d'équité, elle a droit, aux conditions fixées par cette loi, à un revenu d'intégration.
Suivant l'article 11, § 2, alinéa 2, toute personne a droit à un projet individualisé d'intégration sociale adapté à sa situation personnelle et à ses capacités dans les trois mois de la décision du centre public d'action sociale selon laquelle elle remplit les conditions prévues aux articles 3 et 4.
Il suit de ces dispositions que, d'une part, le projet individualisé d'intégration sociale est une modalité du droit à l'intégration sociale qui peut ou doit accompagner les deux formes de ce droit que sont l'intégration sociale par l'emploi et le revenu d'intégration, d'autre part, qu'un tel projet ne peut être conclu, comme le revenu d'intégration sociale ne peut être accordé, que si les conditions du droit à l'intégration sociale visées aux articles 3 et 4 sont réunies.
L'arrêt, qui constate que le défendeur est âgé de moins de vingt-cinq ans et considère qu'« il est insuffisamment prouvé [qu'il] soit privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d'en obtenir », et qui lui refuse, pour cette raison, le droit au revenu d'intégration sociale jusqu'au 28 février 2017, n'a pu, sans violer les articles 3, 4°, 6, §§ 1er et 2, 10 et 11, § 2, alinéa 2, de la loi du 26 mai 2002, inviter les parties à « convenir d'un projet individualisé d'intégration sociale » et à informer la cour du travail du « suivi » de ce projet en « réserv[ant] à statuer en regard de cet élément en ce qui concerne l'octroi d'un revenu d'intégration sociale [au défendeur] à partir du 1er mars 2017 ».
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Et il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il décide que les parties informeront la cour du travail de la conclusion et du suivi d'un projet individualisé d'intégration sociale ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Bruxelles.
Les dépens taxés à la somme de sept cent cinquante-sept euros quatre-vingt-trois centimes envers la partie demanderesse et à la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Koen Mestdagh, Mireille Delange, Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du onze juin deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body E. de Formanoir A. Lievens
M. Delange K. Mestdagh Chr. Storck


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : S.17.0061.F
Date de la décision : 11/06/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

MOYENS D'EXISTENCE (MINIMUM DE)


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-06-11;s.17.0061.f ?

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