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11/06/2018 | BELGIQUE | N°S.17.0002.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 juin 2018, S.17.0002.F


N° S.17.0002.F
V. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

D. P., société privée à responsabilité limitée,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation

est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2016 par la cour du travail de Mons.
Le 3 mai 2018, l&...

N° S.17.0002.F
V. D.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

D. P., société privée à responsabilité limitée,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2016 par la cour du travail de Mons.
Le 3 mai 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

L'article 14, alinéa 1er, 1°, de l'arrêté royal du 18 avril 1974 déterminant les modalités générales d'exécution de la loi du 4 janvier 1974 relative aux jours fériés dispose que l'employeur reste tenu de payer la rémunération afférente à un jour férié survenant dans la période de quatorze jours qui suit la fin du contrat de travail, pour autant que le travailleur soit resté au service de l'entreprise, sans interruption qui lui soit attribuable, pendant une période de quinze jours à un mois.
Aux termes de l'article 14, alinéa 2, du même arrêté royal, ne sont pas des interruptions de travail visées à l'alinéa précédent les jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé ; ces jours doivent être pris en considération pour la détermination de la durée de la période d'occupation.
Les samedis durant lesquels le travailleur occupé dans un régime de travail à temps plein ne doit pas travailler en fonction du régime ou de l'horaire de travail qui lui est applicable constituent des jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé au sens de l'article 14, alinéa 2, précité, et ne sont donc pas des interruptions de travail attribuables au travailleur au sens de l'article 14, alinéa 1er, 1°, même si le régime de travail de six jours par semaine est en principe d'application dans l'entreprise et si d'autres travailleurs travaillent le samedi.
L'arrêt constate que la demanderesse travaillait pour la défenderesse dans un régime de travail à temps plein. Il considère que les jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé, au sens de l'article 14, alinéa 2, précité, sont déterminés en fonction « du régime de travail applicable dans l'entreprise ou dans une de ses divisions [ou] branches d'activités », et non du « régime de travail applicable à chaque travailleur individuellement » et de l' « horaire [de la demanderesse] ou de [son] régime de travail ». Il considère ensuite que « le samedi est un jour habituel d'activité au sein de l'entreprise » de la défenderesse dès lors que le règlement de travail prévoit l'application du « régime des six jours [de travail] par semaine », même si « certains horaires s'étalent du lundi au vendredi ».
En décidant sur la base de ces considérations, sans rechercher s'il était habituellement travaillé le samedi dans le régime ou l'horaire de travail applicable à la demanderesse, que, pour l'application de l'article 14, alinéas 1er, 1°, et 2, précité, les samedis durant lesquels cette dernière n'a pas travaillé ont interrompu la période pendant laquelle elle est restée au service de la défenderesse, l'arrêt viole ces dispositions.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la demande de la demanderesse et qu'il condamne cette dernière aux dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Koen Mestdagh, Mireille Delange, Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du onze juin deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body E. de Formanoir A. Lievens
M. Delange K. Mestdagh Chr. Storck

Requête
1er feuillet

REQUETE EN CASSATION
_________________________

En cause : Mme V. D.,

demanderesse,

assistée et représentée par Me Jacqueline Oosterbosch, avocate à la Cour
de cassation, dont le cabinet est sis à 4020 Liège, rue de Chaudfontaine, 11,
où il est fait élection de domicile,


Contre : La SPRL D. P.,

défenderesse.

A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,

Messieurs, Mesdames,

La demanderesse a l'honneur de déférer à votre censure l'arrêt prononcé le 13 janvier 2016 par la cour du travail de Mons (n°2014/AM/21).

2ème feuillet

Les faits et antécédents de la cause, tels qu'ils ressortent des pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard, peuvent être brièvement résumés comme suit.

La défenderesse exploite une entreprise établie à [...] (secteur agricole) et fait régulièrement appel à des travailleurs saisonniers.

La demanderesse a travaillé pour le compte de la défenderesse dans le cadre d'un contrat de travail saisonnier dans un régime à temps plein entre le 26 mai 2011 et le 24 juin 2011 inclus, à l'exception des samedi 28 mai, dimanche 29 mai, jeudi 2 juin (Ascension), samedi 4 juin, dimanche 5 juin, samedi 11 juin, dimanche 12 juin, lundi 13 juin (Pentecôte), samedi 18 juin, dimanche 19 juin, samedi 25 juin et dimanche 26 juin.

Par citation du 21 mai 2012, la demanderesse cite M. L. D. (aux droits et obligations duquel vient la défenderesse) devant le tribunal du travail de Tournai, section de Mouscron, et postule sa condamnation à lui payer la somme brute de 65,36 euro au titre de rémunération relative au jour férié du 13 juin 2011, à majorer des intérêts légaux et judiciaires et sa condamnation à lui délivrer dans les huit jours de la signification du jugement, la fiche de paie correspondante sous peine d'une astreinte de 15 euro par jour de retard.

Par jugement du 14 juin 2013, le tribunal du travail dit les demandes de la demanderesse recevables et fondée (à l'exception de la demande relative à l'astreinte).

M. L. D. interjette appel de ce jugement et la défenderesse reprend l'instance mue par celui-ci.

Par un premier arrêt du 13 mai 2015, la cour du travail relève :
"Indépendamment de la poursuite des prestations au-delà des jours fériés dont le paiement est revendiqué, le tribunal a considéré que la première condition d'application de l'article 14, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 18 avril 1974 était remplie.
La cour de céans n'est pas convaincue par cette position : peut-on considérer que les prestations entre parties ont pris fin alors qu'elles se sont poursuivies? Peut-on considérer, dans ce contexte, que les (demanderesses) n'étaient plus au service de (la défenderesse) au moment où le jour férié est advenu?

3ème feuillet

Qu'elles en sauraient alors, l'article 4, § 1er, de l'arrêté royal du 18 avril 1974 qui stipule que «lorsque le travailleur est payé par prestation, il a droit au paiement d'une rémunération correspondant à celle de la quinzaine précédent le jour férié divisée par dix ou douze, selon qu'il s'agit d'un régime de travail de cinq ou de six jours»?
Les parties n'ont pas débattu de ces questions; elles ont essentiellement focalisé leur argumentation sur la question du respect de la seconde condition visée à l'article 14, alinéa 1er, de l'arrêté royal : les (demanderesses) sont-elles restées au service de (la défenderesse) sans interruption qui leur soit attribuable, pendant une période déterminée précédant les jours fériés dont le paiement est revendiqué?".

La cour du travail ordonne dès lors une réouverture des débats afin que les parties s'expliquent sur les interrogations soulevées par la cour.

Par l'arrêt attaqué, la cour du travail décide "que c'est bien l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974 déterminant les modalités générales d'exécution de la loi du 4 janvier 1974 relative au jour férié qui s'applique", mais que la demanderesse n'établit pas avoir été au service de la défenderesse durant quinze jours de manière ininterrompue avant le jour férié dont elle réclame la rémunération (le 13 juin 2011, le lundi de Pentecôte).

La cour du travail déclare l'appel fondé, réforme le jugement entrepris en toutes ces dispositions sauf en ce qu'il avait déclaré la demande recevable et condamne la demanderesse aux frais et dépens des deux instances réduits à 165 euro .

A l'encontre de cette décision, la demanderesse a l'honneur de faire valoir le moyen de cassation suivant.


4ème feuillet

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions violées

- l'article 14 de la loi du 4 janvier 1974 relative au jour férié,
- l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974 déterminant les modalités générales d'exécution de la loi du 4
janvier 1974 relatives aux jours fériés,
- les articles 10, 11, 23 et 159 de la Constitution.

Décision critiquée

Après avoir constaté que la demanderesse a "travaillé pour le compte de (la défenderesse) dans le cadre d'un contrat de travail saisonnier dans un régime à temps plein (...) entre le 26 mai 2011 et le 24 juin 2011 inclus à l'exception des jours suivants : samedi 28 mai, dimanche 29 mai, jeudi 2 juin (Ascension), samedi 4 juin, dimanche 5 juin, samedi 11 juin, dimanche 12 juin, lundi 13 juin (Pentecôte), samedi 18 juin, dimanche 19 juin, samedi 25 juin et dimanche 26 juin", l'arrêt attaqué dit non fondée la demande de la demanderesse visant le paiement de la rémunération pour le jour férié du 13 juin 2011 pour tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et spécialement pour les motifs que :
"(...) il y a lieu de considérer que le jour férié qui se situe entre deux contrats de travail journaliers successifs est un jour férié qui intervient après la fin du contrat de travail.
Il ressort des considérations qui précèdent que c'est bien l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974 déterminant les modalités générales d'exécution de la loi du 4 janvier 1974 relatives aux jours fériés qui s'applique :
«l'employeur reste tenu de payer :
1° la rémunération référente à un jour férié survenant dans la période de quatorze jours qui suit la fin du contrat de travail ou des prestations de travail, pour autant que le travailleur soit resté au service de l'entreprise, sans interruption qui lui soit attribuable, pour une période de quinze jours à un mois,
2° la rémunération pour les jours fériés qui surviennent dans les trente jours qui suivent la fin du contrat de travail ou des prestations de travail, pour autant que travailleur soit resté au service de l'entreprise, sans interruption qui lui soit attribuable, pendant une période de plus d'un mois.

5ème feuillet

Ne sont pas des interruptions de travail visées à l'alinéa précédent les jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé. Ces jours doivent être pris en considération pour la détermination de la durée de la période d'occupation.
Sauf le cas où le contrat de travail aurait pris fin à la suite d'une grève, la disposition prévue à l'alinéa 1er n'est pas applicable lorsque le travailleur met fin au contrat de travail sans motif grave ni lorsque l'employeur met fin au contrat de travail pour motif grave.
L'obligation de payer la rémunération prend fin, en tous cas, dès l'instant où le travailleur commence à travailler chez un nouvel employeur».
Il suit de cette disposition que lorsque le(s) jour(s) férié(s) en question se situe(nt) dans une période déterminée après la fin du contrat de travail ou des prestations de travail (14 ou 30 jours), pour revendiquer le droit à son (leur) paiement, le travailleur doit justifier d'une certaine ancienneté, cette ancienneté correspond à la période d'occupation chez l'employeur sans interruption imputable au travailleur.
Le travailleur perd ce droit en cas de démission, s'il est licencié pour faute grave ou s'il a commencé auprès d'un nouvel employeur.
Les parties ne s'accordent pas sur les périodes d'ancienneté à prendre en considération, pour les intimées et, plus particulièrement, sur la notion d'interruption imputable au travailleur, telle qu'elle est précisée par l'article 14, alinéa 2 de l'arrêté royal : «Ne sont pas des interruptions de travail visées à l'alinéa précédent les jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé».
(La défenderesse) considère que «Les jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé» sont ceux non habituellement travaillés dans l'entreprise tandis que les intimées considèrent qu'il s'agit des jours non habituellement travaillés par le travailleur concerné, déterminés par l'employeur en fonction de l'organisation de son entreprise.
Dans le cadre des travaux parlementaires de la loi du 4 janvier 1974 relative aux jours fériés, la question du «jour habituel d'inactivité» a été abordée dans le contexte de l'instauration de la semaine de 5 jours et il a été précisé qu'il peut être n'importe quel jour de la semaine, autre que l dimanche, suivant l'organisation du travail dans l'entreprise ou dans la branche d'activité et que, dans certains entreprises, ce jour peut ne pas être pour tous les travailleurs (chambre des représentants, rapport fait au nom de la commission de l'emploi et du travail, Doc. 709/2, session 1973-1974, p.3).
Ainsi, les jours inhabituels d'inactivité, au sens de la loi, sont les jours d'inactivité propres aux régimes de travail applicables dans l'entreprise ou dans l'une de ses divisions et pas les jours habituels d'inactivité propres aux régimes de travail applicables à chaque travailleur individuellement.

6ème feuillet

C'est d'ailleurs en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 septembre 1980, alors qu'elle avait à examiner cette notion dans le cadre de l'application de l'article 6 de la loi du 4 janvier 1974 qui dispose que lorsqu'un jour férié coïncide avec un dimanche ou un jour inhabituel d'inactivité, il est remplacé par un jour habituel d'activité. Elle a, ainsi, considéré que «le travailleur à temps partiel qui, en raison de la nature de son engagement, ne travaille pas normalement pendant un jour de remplacement d'un jour férié coïncidant avec un dimanche ou un jour habituel d'inactivité ne peut prétendre à un autre jour de remplacement» (Cass., 22 septembre 1980, Pas., 1981, I, p. 79).
C'est, également, ainsi que cette notion a été précisée dans le commentaire de l'article 33 de la CCT n° 108 du 16 juillet 2013 conclue au sein du Conseil national du Travail, relative au travail temporaire et intérimaire.
Il s'ensuit que, contrairement à la thèse soutenue par les intimées, les jours habituels d'inactivité ne sont pas déterminés en fonction de leur horaire et de leur régime de travail mais bien en fonction du régime de travail appliqué au sein de l'entreprise.
Or, il ressort de l'article 3, § 5, du règlement de travail de (la défenderesse) que le régime des 6 jours par semaine est d'application de manière telle que le samedi est un jour habituel d'activité au sein de l'entreprise.
A défaut pour les intimées d'établir qu'elles prestaient au sein de l'entreprise dans une branche d'activité où un régime de travail différent de 5 jours était appliqué, il y a lieu de considérer que le samedi constituait un jour habituel d'activité.
Le fait que certains horaires s'étalent du lundi au vendredi ne permet pas de remettre en cause l'existence d'un régime de travail de 6 jours.
De même, le fait que les intimées n'aient presté plus de 38 heures par semaine ne permet pas de conclure automatiquement qu'elles étaient dans un régime de 5 jours par semaine s'étalant du lundi au vendredi dès lors que l'article 2 de l'arrêté royal du 28 septembre 2003 relatif à la durée du travail des ouvriers occupés dans les entreprises ressortissant de la CT 145 dispose que les limites de la durée du travail fixées par la loi du 16 mars 1971 sur le travail peuvent être dépassées dans certaines conditions si elles n'excèdent pas 11 heures par semaine et 50 heures par semaine.
(...) Il ressort des considérations qui précèdent que dès lors que (la défenderesse) appliquait, au sein de son entreprise, un régime de travail de 6 jours, le samedi était un jour habituel d'activité au sens de la réglementation relative au jour férié telle que cette notion a été formulée par le législateur et consacrée par la Cour suprême.

7ème feuillet

La nature particulière du contrat de travail des intimées et sans incidence sur ce constat et n'entraine aucune discrimination quelconque au regard des autres types de contrat de travail.
(...)ces principes permettent de considérer que :
- Concernant la demanderesse, elle n'établit pas avoir été occupée au service de (la défenderesse) durant 15 jours de manière ininterrompue avant le 13 juin 2011".

Griefs

Première branche

En vertu de l'article 14 de la loi du 4 janvier 1974 relative aux jours fériés, le travailleur a droit à une rémunération pour chaque jour férié ou chaque jour de remplacement au cours duquel il n'a pas été occupé au travail.

L'article 1er de l'arrêté royal du 18 avril 1974 détermine les 10 jours fériés pendant lesquels les travailleurs ne peuvent être occupés et notamment les jeudis de l'ascension (sauf pour l'année 2008 où il a été remplacé par le 2 mai et le lundi de la pentecôte.

L'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974 déterminant les modalités générales d'exécution de la loi du 4 janvier 1974 relatives au jour férié prévoit que :
"l'employeur reste tenu de payer
1er la rémunération référente à un jour férié survenant dans la période de quatorze jours qui suit la fin du contrat de travail ou des prestations de travail, pour autant que le travailleur soit resté au service de l'entreprise, sans interruption qui lui soit attribuable, pour une période de quinze jours à un mois,
2ème la rémunération pour les jours fériés qui surviennent dans les trente jours qui suivent la fin du contrat de travail ou des prestations de travail, pour autant que travailleur soit resté au service de l'entreprise, sans interruption qui lui soit attribuable, pendant une période de plus d'un mois.
Ne sont pas des interruptions de travail visées à l'alinéa précédent les jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé. Ces jours doivent être pris en considération pour la durée d'occupation.
Sauf le cas où le contrat de travail aurait pris fin à la suite d'une grève, la disposition prévue à l'alinéa 1er n'est pas applicable lorsque le travailleur met fin au contrat de travail sans motif grave ni lorsque l'employeur met fin au contrat de travail pour motif grave.
8ème feuillet

L'obligation de payer la rémunération prend fin, en tous cas, dès l'instant où le travailleur commence à travailler chez un nouvel employeur".

Au sens de cette disposition, "l'interruption attribuable au travailleur " dans un régime de travail à temps plein du lundi au vendredi inclus, selon le régime déterminé par l'employeur pour ce travailleur en fonction de l'organisation de son entreprise, s'entend de celle qui est le fait du travailleur et les jours durant lesquels "il n'est pas habituellement travaillé" s'entendent des jours durant lesquels , pour ce travailleur à temps plein, il n'est pas habituellement travaillé, à savoir le samedi et le dimanche. Il ne s'entend pas des jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé par tous les travailleurs dans l'entreprise où le régime des six jours par semaine est en principe d'application.

Il s'en déduit que, dans le régime de travail à temps plein s'étalant du lundi au vendredi, les samedis et dimanche doivent être pris en considération pour la détermination de la durée de la période d'occupation de 15 ou de 30 jours ouvrant respectivement le droit à la rémunération afférente aux jours fériés survenant dans la période de 15 jours ou de 30 jours qui suit la fin du contrat de de travail.

L'arrêt attaqué qui, après avoir constaté que la demanderesse a "travaillé pour le compte de (la défenderesse) dans le cadre d'un contrat de travail saisonnier dans un régime à temps plein (...) entre le 26 mai 2011 et le 24 juin 2011 inclus à l'exception des jours suivants : samedi 28 mai, dimanche 29 mai, jeudi 2 juin (ascension), samedi 4 juin, dimanche 5 juin, samedi 11 juin, dimanche 12 juin, lundi 13 juin (pentecôte), samedi 18 juin, dimanche 19 juin, samedi 25 juin et dimanche 26 juin",
décide que la demanderesse n'établit pas avoir été occupée au service de la défenderesse durant 15 jours de manière ininterrompue avant le 13 mai 2011 (pentecôte) et n'a pas droit à la rémunération de ce jour férié, au motif que les jours durant lesquels il n'est pas habituellement travaillé "sont les jours d'inactivité propres au régime de travail applicable dans l'entreprise ou dans l'une de ses divisions et pas les jours habituels d'inactivité propres au régime de travail applicable à chaque travailleur individuellement" et que "dès lors que (la défenderesse) appliquait au sein de son entreprise, un régime de travail de six jours, le samedi était un jour habituel d'activité" n'est pas légalement justifié (violation de l'article 14 de la loi du 4 janvier 1974 relative aux jours fériés et de l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974 visé au moyen).


9ème feuillet

Seconde branche

S'il fallait considérer que l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974 doit être interprété en ce sens que le samedi n'est pas un jour durant lequel il n'est pas habituellement travaillé qui doit être pris en considération pour la détermination de la durée de la période d'occupation, lorsque le travailleur est occupé à temps plein du lundi au vendredi mais que le régime des six jours par semaine est en règle d'application au sein de l'entreprise, il introduit alors entre les travailleurs à temps plein d'une même entreprise, selon que l'horaire déterminé pour eux par l'employeur se répartit sur 5 jours ou sur 6 jours, une discrimination qui ne repose sur aucune justification et est contraire tant à l'article 14 de la loi du 4 janvier 1974 qu'aux articles 10 et 11 de la Constitution qui prohibent toute discrimination dans les droits garantis et 23 de la Constitution qui garantit le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitable, et ne peut en cela être appliqué sans violer l'article 159 de la Constitution.

L'arrêt attaqué, qui fait application de cette disposition ainsi interprétée, viole les articles 10, 11, 23 et 159 de la Constitution.

Développements du moyen unique de cassation

Comme le constate l'arrêt attaqué, la défenderesse a travaillé à temps plein pour le compte de la défenderesse entre le 26 mai et le 24 juin inclus, soit une période de plus de 15 jours, uniquement interrompue par les samedis, dimanches et le jour férié du jeudi de l'ascension.

Il constate ainsi que le travail à temps plein se répartissait du lundi au vendredi, dans le régime de travail applicable à la demanderesse mais considère que, dès lors que le régime de six jours par semaine est en règle d'application dans l'entreprise, le samedi est un jour habituel d'activité et n'est pas, au sens de l'article 14, alinéa 2 de l'arrêté royal du 18 avril 1974, un jour à prendre en considération pour la détermination de la durée de la période d'occupation, quel que soit le régime de travail applicable à chaque travailleur et, partant, que l'interruption du samedi est "attribuable" à la demanderesse, au sens de l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974.

10ème feuillet

Dans ses conclusions de synthèse, la demanderesse faisait valoir "qu'en annexe au règlement de travail figuraient 48 pages d'horaire de travail ou à peu près toutes les configurations possibles d'horaire à temps partiel, temps plein, et même au-delà du temps plein étaient reprises" et que parmi "ces horaires, figurent un certain nombre d'horaires dont les prestations sont réparties du lundi au vendredi", pour en déduire "qu'il s'agit donc bien d'un mode d'organisation du travail applicable à une catégorie de personnel voire à un département de l'entreprise, et non pas à l'un ou l'autre travailleur individuellement comme tente de le faire croire erronément (la défenderesse)" (pp. 12-12).

L'arrêt attaqué ne dénie pas que le régime de travail applicable aux demanderesses était déterminé par l'employeur mais considère que le fait que certains horaires s'étalent du lundi au vendredi ne permet pas de remettre en cause l'existence d'un régime de travail de six jours et que la demanderesse n'établit pas qu'elle prestait au sein de l'entreprise "dans une branche d'activité où un régime de travail différent de 5 jours était appliqué". Autrement dit, à l'estime de la cour du travail, il ne suffit pas que le régime de travail de 5 jours soit une des modalités d'organisation du travail dans l'entreprise, il faut que cette modalité s'applique à une "branche d'activité" pour que le samedi puisse être considéré comme un jour où il n'est pas habituellement travaillé pour le travailleur occupé à temps plein du lundi au vendredi.

La première branche du moyen fait valoir que l'arrêt attaqué ajoute en cela à la réglementation applicable et que, dans l'hypothèse considérée, n'est pas une interruption de travail attribuable au travailleur le samedi durant lequel ce travailleur n'est pas habituellement occupé en sorte que ce jour doit être pris en considération pour la détermination de la durée de la période d'occupation au sens de l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974 du champ d'application de l'article 14 de la loi du 4 janvier 1974 relative aux jours fériés.

La décision attaquée s'appuie erronément sur la solution retenue pour les travailleurs à temps partiel (notamment par l'arrêt de votre Cour du 22 décembre 1980, Pas., 1981, 79). En effet, si dans le régime de travail à temps partiel, le travailleur concerné n'a pas droit à la rémunération (ou au jour de remplacement) lorsque le jour férié (ou le jour de remplacement) "survient" un jour où il n'aurait pas été normalement occupé, c'est précisément parce qu'il n'est pas "normalement" occupé à temps plein "en raison de la nature de son engagement". Cette solution n'est pas transposable au travailleur occupé à temps plein dans un régime de travail s'étalant du lundi au vendredi, même si ce régime n'est pas applicable à tous les travailleurs

11ème et dernier feuillet

de l'entreprise, mais est déterminé par l'employeur qui, tout en indiquant dans le règlement de travail que le régime de travail est de 6 jours par semaine, prévoit en annexe à ce règlement différents régimes de travail à temps plein répartis sur 5 ou 6 jours.

La seconde branche du moyen est prise à titre subsidiaire dans l'hypothèse où il faudrait considérer au sens de l'article 14 de l'arrêté royal du 18 avril 1974, le samedi est un jour où il est habituellement travaillé, même pour le travailleur occupé à temps plein dont l'horaire déterminé par l'employeur s'étale du lundi au vendredi et, ainsi, une interruption "attribuable" au travailleur. Il serait alors contraire aux articles 10, 11 et 23 de la Constitution et l'arrêt attaqué, qui n'écarte pas en cela son application, violerait alors ces dispositions et l'article 159 de la Constitution.


PAR CES CONSIDERATIONS,

l'avocate à la Cour de cassation soussignée, pour la demanderesse, conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt attaqué; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée; renvoyer la cause et les parties devant une autre cour du travail; statuer comme de droit quant aux dépens.

Jacqueline Oosterbosch

Liège, le 29 décembre 2016


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : S.17.0002.F
Date de la décision : 11/06/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

jours fériés payés


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-06-11;s.17.0002.f ?

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