Tribunal administratif N° 52946 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52946 3e chambre Inscrit le 2 juin 2025 Audience publique du 25 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52946 du rôle et déposée le 2 juin 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Samira MABCHOUR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 14 mai 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Samuel BECHATA, en remplacement de Maître Samira MABCHOUR, en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 juin 2025, Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM s’étant excusée.
Le 13 mars 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, désigné ci-après par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion, dans le cadre d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait précédemment introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 30 octobre 2024 et en Allemagne en date du 4 janvier 2024, tandis qu’une demande de renseignements effectuée à cette même occasion via le Centre de coopération policière et douanière (« CCPD ») révéla que Monsieur 1(A) est connu en France notamment en matière de stupéfiants. Il s’avéra encore qu’il a fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) par les autorités allemandes, françaises et néerlandaises.
Par courrier de la Direction générale de l’Immigration du 13 mars 2025, Monsieur (A) fut convoqué pour le 2 avril 2025 à un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », entretien auquel il ne se présenta pas.
Le 3 avril 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 7 avril 2025 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III.
Par décision du 14 mai 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III.
Par un arrêté du 15 mai 2025, notifié à l’intéressé en mains propres également le même jour, le ministre assigna à résidence Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de sa notification.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, d’après son dispositif, auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation, sinon à l’annulation de la susdite décision ministérielle du 14 mai 2025 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal en l’espèce.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans le cadre de sa requête introductive d’instance, le demandeur conclut à la recevabilité ratione temporis de son recours, en se basant sur l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, à la tardiveté du recours.
2Le litismandataire du demandeur n’a pas pris position quant à ce moyen d’irrecevabilité ni par des conclusions écrites ni lors de l’audience publique du 24 juin 2025.
Le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 : « Contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification [de la décision de transfert] ».
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier administratif, et notamment des indications figurant sur la décision ministérielle litigieuse ordonnant le transfert de Monsieur (A) sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, dont la signature du concerné même, que celle-ci lui a été notifiée en mains propres en date du 15 mai 2025, étant précisé que le litismandataire du demandeur ne prétend pas s’être vu notifier la décision litigieuse postérieurement à cette date.
Ainsi, le délai légal de 15 jours pour former un recours devant le tribunal administratif a commencé à courir, conformément aux dispositions de l’article 3 de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972, approuvée par la loi du 30 mai 1984, à la date de la notification de la décision litigieuse au demandeur, à savoir en date du 15 mai 2025 à minuit et a expiré 15 jours plus tard, à savoir le vendredi, 30 mai 2025.
Il s’ensuit que la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2025 est à considérer comme tardive et le recours sous analyse est à déclarer irrecevable ratione temporis.
Enfin, s’agissant de la demande tendant à voir ordonner la « suspension de l’exécution de la décision contestée dans l’attente d’un jugement définitif », celle-ci est à rejeter étant donné que si, en principe, conformément à l’article 36, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, l’effet suspensif est attaché de plein droit à l’introduction d’un recours en réformation tel que prévu à l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal vient toutefois de retenir que le recours sous analyse a été introduit tardivement, de sorte que le demandeur ne saurait, en tout état de cause, pas bénéficier de l’effet suspensif prévu par ladite disposition légale.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 14 mai 2025 portant transfert de Monsieur (A) vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
le déclare irrecevable ratione temporis ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande tendant à voir ordonner la « suspension de l’exécution de la décision contestée dans l’attente d’un jugement définitif » ;
3condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juin 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 4