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08/05/2024 | LUXEMBOURG | N°50388

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mai 2024, 50388


Tribunal administratif Numéro 50388 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50388 4e chambre Inscrit le 29 avril 2024 Audience publique extraordinaire du 8 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50388 du rôle et déposée le 29 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis

Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

Tribunal administratif Numéro 50388 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50388 4e chambre Inscrit le 29 avril 2024 Audience publique extraordinaire du 8 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50388 du rôle et déposée le 29 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Cap Vert), de nationalité capverdienne, actuellement retenu au Centre de rétention à Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 25 avril 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

Il ressort du dossier administratif, qu’en date du 26 janvier 2001, une autorisation de séjour fut accordée par le ministre de la Justice à Monsieur …, de nationalité capverdienne, ensemble avec sa mère Madame ….

Par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 31 octobre 2011, un titre de séjour de type vie privée fut accordé à Monsieur … jusqu’au 1er août 2012, titre renouvelé notamment jusqu’au 1er août 2013 par décision ministérielle du 10 décembre 2012.

En date du 25 octobre 2017, un titre de séjour en qualité de travailleur salarié, valable du 29 août 2017 au 28 août 2018, fut accordé à Monsieur … par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, titre prolongé jusqu’au 28 août 2021 et puis jusqu’au 30 septembre 2023 par décisions du 12 septembre 2018, respectivement du 15 octobre 2021.

1Il ressort d’un rapport du 26 mars 2024 de la police grand-ducale, Commissariat C3RLU de la région Capitale, portant la référence JDA/2024/153447/1, que Monsieur …, y convoqué en vue de se faire interroger dans le contexte de plusieurs infractions, ne disposa pas d’un titre de séjour en cours de validité.

Par arrêté ministériel du 26 mars 2024, notifié à l’intéressé en mains propres en date du le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, dénommé ci-après « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ce dernier sans délai, tout en prononçant une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de deux ans à l’encontre de Monsieur ….

Par arrêté ministériel séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision aux motifs suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no JDA/2024/153447/1 du 26 mars 2024 établi par la Police grand-

ducale ;

Vu la décision de retour du 26 mars 2024, lui notifiée le même jour, assortie d'une interdiction d'entrée de 2 ans;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé s'est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par arrêté ministériel du 25 avril 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre décida de proroger la mesure de placement au Centre de rétention décidée à l’encontre de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, laquelle est motivée comme suit :

« (…) Vu les articles 100, 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 26 mars 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 26 mars 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;

Considérant que le rapatriement est prévu en date du 22 mai 2024 ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; (…) ».

2 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 25 avril 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, outre de citer certains des rétroactes passés en revue ci-avant, explique être de nationalité capverdienne et avoir quitté son pays d’origine à l’âge de 3 ans pour immigrer aux Pays-Bas où il aurait vécu pendant 10 ans, le temps d’y accomplir sa scolarité primaire. Il serait arrivé au Luxembourg au cours du mois de juillet 1999 pour y intégrer l’école de commerce et de gestion. A partir du 17 mai 2016 et jusqu’en date du 2 décembre 2021, il aurait été occupé en qualité de salarié auprès de différentes sociétés, pendant des périodes plus ou moins longues.

Il fait souligner qu’il n’aurait aucune attache avec son pays d’origine, alors que les différents membres de sa famille résideraient au Luxembourg, et notamment sa mère à l’adresse de laquelle il aurait toujours été officiellement déclaré et où résiderait également sa sœur avec laquelle il entretiendrait des liens très étroits.

Alors même qu’il disposerait ainsi d’une adresse officielle au Luxembourg au domicile de sa mère, sis à L- …, cette dernière se serait récemment heurtée à l’impossibilité d’obtenir un certificat de résidence le concernant, alors que le préposé auprès de l’administration communale de …, tout en confirmant, aux termes d’un message électronique daté du 25 avril 2024, que jusqu’à présent, il n’aurait pas été radié de l’adresse L-…, aurait expliqué qu’il ne se trouverait plus sur le registre principal du registre national des personnes physiques suite à l’ajout d’un qualificatif de la part de la direction générale de l’Immigration.

Le demandeur fait également valoir que depuis 2019, il entretiendrait des relations avec Madame …, laquelle attesterait être actuellement enceinte de ses œuvres.

Il fait encore relever que sa demande, adressée au ministre par un courrier de son litismandataire du 2 avril 2024, en vue d’obtenir une assignation à domicile auprès de sa mère, laquelle aurait également proposé de verser une garantie financière de 5000,- euros, aurait été refusée en date du 3 avril 2024.

En droit, le demandeur, après avoir cité l'article 120 de la loi du 29 août 2008 ains que l'article 15, paragraphe (1) de la directive 2008/115 CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après dénommée « la directive 2008/115 CE », de même que le considérant numéro 16 de ladite directive, souligne que le recours à la rétention administrative devrait être subordonné au respect du principe de proportionnalité, tel que ce principe aurait été transposé en droit interne par la loi du 29 août 2008 en son article 120, paragraphe (1), conditionnant la prise d’une mesure de rétention à 3l’impossibilité d’appliquer une des autres mesures moins coercitives prévues à l'article 125, paragraphe (1) de la même loi.

Après avoir encore cité l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait plaider que la légalité d'une mesure de rétention administrative devrait s'inscrire dans un contexte permettant d'établir l'existence d'un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l'étranger, ainsi que le caractère proportionné d'un placement en rétention basé sur ce premier critère et l'inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Il relève encore que dans tous les cas, le dispositif d'éloignement devrait être exécuté avec toute la diligence requise, en vue d'assurer que la mesure d'éloignement puisse être exécutée sans retard, dans les délais les plus brefs.

Le demandeur donne à considérer que la présomption de fuite visée à l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008 serait une présomption simple réfragable et que chaque partie pourrait établir, par tout moyen généralement quelconque, la preuve ou non d’un risque de fuite dans le chef d’une personne en séjour irrégulier.

Or, en l’espèce, il estime qu’une telle preuve ne saurait être rapportée par la seule considération qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg, tout en relevant qu’il résulterait des renseignements de la commune de … qu’il n’aurait jusque-

là pas été rayé de l’adresse : … à L- …. S’il ne figurerait cependant plus sur le registre principal du registre national des personnes physiques, ce ne serait qu’en raison du fait que l’autorité ministérielle aurait, pour les besoins de la cause, procédé, en date du 26 mars 2024, à « l’ajout d’un qualificatif », action violant en l’occurrence le principe de l’égalité des armes, inhérent à la notion de procès équitable, obligeant chacune des parties au litige à se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa causer dans des conditions qui ne la placent pas en situation de désavantage par rapport à son adversaire, tel que ce principe aurait été appliqué une première fois par la Cour européenne des droits de l’homme, dénommée ci-après « la CourEDH », dans l’affaire « Szabowicz c. Suède en 1959 », et tel que précisé dans l’arrêt « Neumeister c. Autriche en 1968 ». Dans le droit de l’Union européenne actuel, le principe de l’égalité des armes découlerait de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », équivalent à l’article 6, paragraphe (1), de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ».

Le demandeur en conclut qu’en l’espèce, le fait, pour la partie étatique, d’avoir procédé de manière à ce qu’il ne se trouve plus sur le registre principal du registre national des personnes physiques suite à l’ajout d’un qualificatif de la direction générale de l’Immigration, ferait en sorte qu’il se verrait empêché de se prévaloir d’éléments de preuve déterminants pour la défense de ses intérêts, tel qu’en l’occurrence d’une adresse officielle au Luxembourg. Au vu de cette violation du principe de l’égalité des armes, le demandeur estime qu’il ne saurait pas être permis à l’autorité ministérielle de se prévaloir du fait qu’il ne disposerait pas d’une adresse officielle au Luxembourg.

En tout état de cause, le demandeur estime que la seule circonstance, selon laquelle il ne disposerait pas d’une adresse officielle au Luxembourg, ne saurait suffire pour établir, dans son chef, un risque de fuite, dès lors qu’il présenterait de nombreuses attaches avec le Luxembourg où il vivrait depuis 1999 et où se trouveraient toutes ses attaches familiales et 4professionnelles même si actuellement il ne travaillerait pas. Il en conclut qu’il ne saurait être sérieusement envisagé qu’il se soustrairait à une mesure de refoulement vers son pays d’origine, en profitant de son éventuelle liberté pour s’enfuir.

Le demandeur conclut ensuite à une violation du principe de proportionnalité, en relevant que ce serait à tort que l’autorité ministérielle lui aurait refusé le bénéfice d’une des meures moins coercitives visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, alors qu’il disposerait d’un domicile de droit ou de fait auprès de sa mère, laquelle proposerait également de verser une garantie financière de 5000,- euros.

Il fait encore relever que même dans l'hypothèse de l'exercice par le ministre d'un pouvoir discrétionnaire en cette matière, il serait de jurisprudence qu’un tel pouvoir n'échapperait pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l'arbitraire.

Le demandeur en conclut qu’en prenant en considération ses attaches avec l’Etat luxembourgeois, l’absence de famille dans son pays d’origine, ainsi que le fait que sa compagne soit actuellement enceinte de ses œuvres, la mesure d’éloignement vers le Cap-Vert devrait être considérée comme étant disproportionnée dans ses effets, notamment au regard de son droit à la protection de sa vie privée et familiale, et ce, par rapport au but légitimement poursuivi par l’autorité ministérielle en matière de politique de l’immigration.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal n'est pas tenu de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.

A titre liminaire, force est de relever que le présent recours est exclusivement dirigé contre une décision de prorogation d’un placement en rétention dans le cadre de l’exécution de l’éloignement du demandeur basé sur un ordre de quitter le territoire émis en date du 26 mars 2024, lequel ne fait pas l’objet du présent litige, de sorte que les argumentations du demandeur selon lesquelles il estime ne pas devoir faire l’objet d’un éloignement vers le Cap Vert, notamment au regard de son droit à la vie privée et familiale, et par lesquelles le demandeur met partant en cause l’ordre de quitter le territoire, sont à écarter pour manquer de pertinence dans la présente affaire qui ne concerne qu’une mesure prise en attendant l’éloignement effectif en exécution de l’ordre de quitter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève d’abord qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

1 Trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.

5Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, il est constant en cause que le demandeur, qui ne conteste pas être en séjour irrégulier au Luxembourg, ne dispose ni d’un passeport ni d’un visa en cours de validité, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 34 de la loi du 29 août 2008 et que, dès lors, 6il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) ». Il s’y ajoute qu’il a également fait l’objet d’une interdiction de territoire décidée en date du 26 mars 2024, étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure également celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire.

Au regard de ces constatations, il n’appartient dès lors plus au ministre, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, de rapporter la preuve d’un risque de fuite dans son chef, lequel est présumé en l’espèce au regard de considérations qui précèdent, mais au demandeur de renverser cette présomption en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effective de nature à prévenir le risque de fuite.

Il importe dès lors peu en l’espèce de savoir si demandeur est ou a été inscrit au registre de la population de la commune de …, alors qu’au vu de sa situation irrégulière non contestée au Luxembourg à l’heure actuelle, il ne saurait de toute façon plus être inscrit officiellement à une adresse déterminée, sans préjudice, pour le demandeur, de faire état du fait qu’il serait susceptible de continuer à résider au domicile de sa mère à … dans le cadre des garanties de représentation à fournir pour contrecarrer la présomption du risque de fuite. Il s’ensuit que le moyen tenant à une violation du principe de l’égalité des armes laisse d’être concluant et pertinent en l’espèce.

En ce qui concerne les éléments concrètement mis en avant par le demandeur pour renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui, à savoir ses attaches familiales résidant légalement au Luxembourg avec la possibilité de continuer à résider au domicile de de sa mère, ensemble son vécu au Luxembourg depuis 1999, ainsi que le fait qu’il explique être père d’un enfant à naître au Luxembourg, force est au tribunal de retenir en l’espèce que de telles affirmations, au lieu de minimiser le risque de fuite présumé dans le chef du demandeur, sont au contraire de nature à conforter le prédit risque, en ce qu’il en découle qu’il n’entend pas retourner volontairement dans son pays d’origine, étant entendu que le risque de fuite visé concerne le risque de se soustraire à son éloignement et non pas le risque de quitter le territoire luxembourgeois. Il en va de même des attestations testimoniales versées à l’appui de son recours, aux termes desquelles, sa mère et sa sœur s’opposent surtout à son éloignement vers le Cap Vert, tout en souhaitant que le demandeur puisse régulariser sa situation au Luxembourg, question qui ne fait cependant pas, tel que rappelé ci-avant, l’objet du présent litige qui concerne seulement une mesure prise à l’encontre du demandeur en attendant l’exécution matérielle de l’éloignement sur base de l’ordre de quitter le territoire, pris à son égard en date du 26 mars 2024. A cela s’ajoute que le demandeur avait encore, en date du 26 mars 2024, devant la police grand-ducale, assuré ne pas être prêt à quitter le territoire luxembourgeois de manière volontaire, tel que cela ressort du procès-verbal précité, dressé par cette dernière, de sorte que son affirmation, dans la requête introductive d’instance, selon laquelle il n’entendrait pas profiter d’une éventuelle libération du Centre de rétention pour se dérober à son éloignement laisse manifestement de convaincre.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.

7Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû recourir à des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) (…).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précitées, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures 8moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier. L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit justifier de garanties de représentation suffisantes de nature à prévenir le risque de fuite2.

Or, en l’espèce, le tribunal constate qu’au regard du risque de fuite avéré existant dans le chef du demandeur, tel que relevé ci-avant, ce dernier reste en défaut de soumettre des garanties suffisantes de représentation, sans que cette conclusion ne soit énervée par le fait que sa mère propose de régler une garantie financière de 5.000,- euros, respectivement de l’héberger à son adresse en vue d’une assignation à résidence.

C’est partant à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.

En ce qui concerne les démarches entreprises par le ministre en vue de son éloignement, force est de constater à cet égard qu’en date du 28 mars 2024 déjà, une demande de laissez-

passer avait été adressée aux autorités consulaires du Cap Vert afin de procéder à l’éloignement du demandeur, suite à laquelle lesdites autorités consulaires ont délivré un tel document de voyage pour le demandeur en date du 11 avril 2024. Il ressort encore du dossier administratif qu’en date du 15 avril 2024, l’unité de garde et d’appui opérationnel de la police grand-ducale, service de garde et de protection, a été chargée d’organiser le départ du demandeur vers le Cap Vert, éloignement qui est prévu, selon le plan de vol établi en date du 18 avril 2024, pour le 22 mai 2024.

Il suit partant non seulement des éléments qui précèdent que les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises jusqu’à ce jour doivent être considérées comme étant suffisantes, de sorte que le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, sans qu’il ne saurait d’ores et déjà être conclu à ce que l’éloignement n’aurait aucune chance d’aboutir.

Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023 V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

9au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 8 mai 2024, à 9:00 heures par :

Paul Nourissier, vice président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 50388
Date de la décision : 08/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-08;50388 ?

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