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26/05/2023 | LUXEMBOURG | N°46085

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mai 2023, 46085


Tribunal administratif N° 46085 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46085 4e chambre Inscrit le 4 juin 2021 Audience publique du 26 mai 2023 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46085 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juin 2021 par Maître Pascale Peto

ud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 46085 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46085 4e chambre Inscrit le 4 juin 2021 Audience publique du 26 mai 2023 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46085 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juin 2021 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Ethiopie), de nationalité éthiopienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 avril 2021 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er octobre 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 octobre 2022.

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Le 26 novembre 2018, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Les 28 mars et 22 mai 2019, Madame … fut entendue sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 29 avril 2021, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le 30 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 26 novembre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 1 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 26 novembre 2018, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 28 mars et 22 mai 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les pièces contenues dans votre dossier.

Vous déclarez sur votre fiche de données personnelles vous nommer …… …, être née le … à … (Erythrée), et être de nationalité éthiopienne. Lors de votre entretien avec l’agent du ministère vous affirmez être née le … à … (Erythrée) et être de nationalité éthiopienne. Selon les données contenues dans votre passeport ainsi que votre carte d’identité, vous êtes née le … à … et êtes de nationalité éthiopienne.

Vous expliquez que depuis l’âge d’un an et demi, vous auriez vécu à Addis-Abeba avec votre mère, votre grand-mère et votre oncle maternels ainsi qu’avec votre frère. Votre mère serait décédée en 1999, votre père, vous ne le connaîtriez pas. Vous seriez célibataire, mais vous auriez eu un copain en Ethiopie.

Vous affirmez avoir quitté l’Ethiopie en date du 25 octobre 2018 parce que vous auriez été séquestrée pendant 76 jours par un dénommé colonel …, votre ancien chef. Ce dernier vous aurait par ailleurs également violée à plusieurs reprises les weekends lorsqu’il aurait été ivre.

Ledit colonel vous aurait encore dit qu’il ne voudrait plus jamais vous revoir et qu’il vous tuerait si vous deviez parler à quelqu’un des événements que vous auriez vécus.

Vous relatez à la base de votre demande que, du 14 juin 2016 jusqu’en avril 2017, vous auriez travaillé en tant que magasinier dans un entrepôt du ministère de la défense et « Viele Sachen wurden auf meinen Namen importiert und exportiert ». Il y aurait eu beaucoup de projets en Ethiopie, comme par exemple le GERD, et vous auriez commandé les produits nécessaires et les auriez ensuite transférés aux sociétés qui exécuteraient les travaux de ces projets. Pour les grandes marchandises, comme par exemple des tracteurs, vous les auriez récupérés vous-même pour les placer dans vos entrepôts. Vous auriez également vendu des pièces de rechange pour des machines et vous auriez loué divers outils de construction. En avril 2017, vous auriez changé d’emploi et auriez commencé à travailler auprès de l’… (…) alors que vous y auriez reçu un meilleur salaire.

Vous relatez par ailleurs que lorsque vous auriez encore travaillé pour le ministère de la défense, seuls auraient pu faire des contrôles ceux qui auraient travaillé dans les entrepôts.

Cela aurait changé avec le nouveau gouvernement et il y aurait eu un audit externe qui aurait effectué le contrôle de la gestion des entrepôts : « die Kontrolle wurde von Auβenstehenden übernommen ».

Fin avril 2018, vous auriez reçu une lettre, sinon un appel téléphonique d’une femme du ministère de la défense et auriez été convoquée à vous présenter audit ministère. Vous y auriez été questionnée par des personnes de cet audit externe alors que « Viele Waren, die in 2 deinem Namen geschrieben waren fehlen ». Vous auriez demandé à obtenir la liste des produits, mais on ne vous l’aurait pas donnée. Après cette entrevue au ministère de la défense, vous seriez repartie sur votre lieu de travail auprès de l’….

Quelques jours plus tard, début mai 2018, vous auriez reçu un bout de papier jaune anonyme sur lequel aurait été marqué « Was für eine Antwort hast du im Verteidigungsminsiterum gegeben ? » et vous auriez répondu que vous auriez simplement demandé à voir la liste. Vous auriez été choquée et vous auriez déchiré le papier. Vous auriez su que le courrier parviendrait du colonel …, votre ancien chef auprès du ministère de la défense, alors que la personne qui vous aurait remis cette lettre vous aurait dit qu’elle serait du colonel.

Le 11 mai 2018, lorsque vous seriez descendue du bus de service de l’…, vous auriez été appréhendée par deux hommes qui vous auraient poussée dans une voiture : « Sie haben mich mit dem Auto irgendwo mitgenommen. Ich weiss nicht wo ». On vous aurait ramenée dans un « Auβengebäude (Villa) ».

Vous auriez été enfermée dans une pièce, on vous aurait enlevé votre sac et « ich habe dort übernachtet ». Le lendemain matin, le dénommé colonel … serait venu et vous aurait demandé quelle aurait été votre réponse lorsqu’on vous aurait posé les questions au ministère.

« Ich habe nichts gesagt ». Ledit colonel vous aurait alors dit d’appeler votre famille et de leur dire que vous seriez en déplacement professionnel à Mekele. Le dénommé colonel … aurait alors demandé à nouveau ce que vous auriez dit au ministère. Il aurait demandé cela à plusieurs reprises et vous auriez alors dit que vous ne pourriez pas vous rappeler de la marchandise alors qu’il y aurait eu beaucoup de pièces de rechange dans des lieux différents.

« Würden sie mir die Annahmeliste geben könnte ich mich vielleicht erinnern ». La question aurait été posée beaucoup de fois et vous auriez toujours répondu la même chose. « Die dauerte eine ganze Woche ».

Vous auriez été fatiguée et n’auriez pas eu beaucoup à manger. Une femme vous aurait donné à manger à travers la fenêtre.

Le dénommé colonel … vous aurait également menacée avec un pistolet. Les weekends, lorsqu’il aurait été ivre, le colonel vous aurait violée. « Als er nicht betrunken war, fragte er nicht nach Sex». Vous auriez été dans cette situation pendant 76 jours.

Le 26 juillet 2018, vous auriez mangé et vous vous seriez endormie. Lorsque vous vous seriez réveillée, vous auriez été à l’hôpital à Hawassa. Vous affirmez tantôt que vous ignoreriez qui vous aurait ramenée à l’hôpital, tantôt que le colonel vous aurait ramenée à l’hôpital à Hawassa « aber wie, weiβ ich nicht ». Vous auriez avorté à l’hôpital. Lorsque vous vous seriez réveillée, vous auriez eu mal au ventre. Vous auriez voulu aller aux toilettes, mais l’infirmière vous aurait dit que vous n’auriez pas le droit de vous lever. Du sang aurait coulé sur vos jambes. Vous auriez été ramenée dans une autre pièce « ich glaube es war ein Entbindungsraum ». Le colonel aurait arrangé cela, vous-même n’auriez rien su. Vous estimez que le colonel aurait organisé l’avortement alors que : « Ich dachte mir dies, da er die Ursache für die Schwangerschaft war». Vous auriez été enceinte au troisième mois. Après l’avortement, vous auriez été hospitalisée pendant 3 jours.

Vous déclarez encore que l’infirmière n’aurait pas voulu vous parler à l’hôpital alors que le médecin pourrait écouter. Elle vous aurait donné son numéro de téléphone et dit que vous pourriez l’appeler à la sortie de l’hôpital. Vous relatez dans ce que contexte que vous 3 auriez contacté cette infirmière en abordant un cireur de chaussures qui vous aurait donné son téléphone. Vous auriez tout raconté à cette infirmière qui vous aurait alors mise en contact avec une copine originaire d’Addis-Abeba qui habiterait à Hawassa et chez laquelle vous auriez pu séjourner pendant une semaine avant de repartir à Addis-Abeba chez votre famille.

Pendant votre séjour chez cette femme, vous auriez reçu un appel téléphonique du colonel qui vous aurait dit qu’il ne souhaiterait plus jamais vous revoir. En effet, lorsque vous auriez allumé votre téléphone, ledit Colonel … vous aurait appelée et vous aurait dit que vous ne devriez parler à personne de cette histoire : « Er sagte mir, dass er mich nie wieder sehen möchte ». Vous auriez alors contacté votre frère qui vous aurait envoyé de l’argent par le biais du compte de cette femme.

Vous auriez été en possession de votre téléphone parce que cet homme vous aurait ramené toutes vos affaires à l’hôpital, le colonel aurait « meine Tasche und mein Telefon mitgebracht ». Vous n’auriez pas allumé votre téléphone plus tôt alors que vous auriez été « in einer schlechten Situation. Ich wollte nicht gestört werden ».

Après avoir contacté votre frère, vous seriez alors retournée à Addis-Abeba et vous lui auriez tout raconté. Ce dernier aurait estimé qu’il faudrait tuer cet homme et que votre vécu devrait être connu de toute la famille. Vous auriez alors raconté cette histoire à votre oncle et à votre copain. Votre oncle aurait dit qu’il faudrait intenter une action devant un tribunal. Plus loin lors de l’entretien, vous affirmez néanmoins que votre oncle aurait dit qu’il faudrait attendre et votre frère aurait dit qu’il faudrait porter plainte. Pendant la relecture, vous affirmez que personne n’aurait dit qu’il faudrait porter plainte parce que cela ne servirait à rien. Peut-être votre oncle aurait dit cela lorsqu’il aurait dit qu’il faudrait attendre et qu’il trouverait une solution. Votre copain aurait dit qu’une plainte ne servirait à rien « da alle Beamte sind ». On ne pourrait pas faire de plainte contre ces personnes parce que « alles ist arrangiert ».

Une femme inconnue, que votre oncle connaîtrait, vous aurait appelée et vous aurait dit de venir à l’ambassade néerlandaise. Cette femme aurait eu plusieurs passeports dans la main. Vous auriez attendu un moment à l’extérieur et seriez alors entrées dans les locaux de l’ambassade. Vous auriez donné vos empreintes et seriez repartie par la suite. Plus tard, cette femme vous aurait appelée et vous aurait dit « dass ich am 18/10/2018 fliegen kann ». Vous vous seriez préparée. Cette femme vous aurait alors appelée à nouveau et vous aurait dit « dass es auf den 25/10/2018 verlegt wurde ». « Ich habe OK gesagt ». Trois jours avant le départ, cette femme vous aurait donné le ticket de vol et le passeport. A l’aéroport, vous auriez pris un vol pour Francfort. Après un séjour en Suisse et en France, et suite à une tentative échouée de partir en Grande-Bretagne, vous auriez décidé de venir au Luxembourg alors que vous auriez entendu en France « dass Luxemburg Asylanten nimmt ».

Vous affirmez encore avoir déjà décidé de quitter l’Ethiopie à l’âge de 17 ans alors que vous auriez eu des problèmes. La maison où vous auriez habité aurait appartenu à votre grand-

mère. Ensuite, votre tante maternelle serait venue et aurait dit que vous devriez quitter la maison. Puisque vous n’auriez eu personne, vous auriez décidé de partir dans un pays arabe pour travailler.

Vous ne vous seriez pas installée dans une autre région de votre pays d’origine alors qu’ « Im Land herrscht überall Bürgerkrieg » et en cas de retour dans votre pays, vous risqueriez d’être tuée par le colonel.

4 Vous ne disposeriez pas de documents qui pourraient soutenir vos dires. Vous remettez votre carte d’identité laquelle est, suivant analyse effectuée par la Section « Expertise Documents » de la police, un document authentique. Votre dossier contient encore les pièces suivantes : une « notice of refusal of leave to enter » des autorités britanniques du 22 novembre 2018, une décision de détention à la frontière, ainsi qu’une « Notification of Requirement to Provide Biometrics (Fingerprints and a facial image) » du même jour.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Madame, concernant les motifs à la base de la demande, il y a lieu de relever tout d’abord, et de manière générale, qu’un demandeur de protection internationale doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu’il a fui son pays d’origine et qu’il remplit ainsi les conditions requises pour prétendre à l’octroi d’une protection internationale. En effet, il appartient au demandeur de rapporter la preuve de ses dires et de faire état de déclarations vraisemblables et cohérentes. Ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui, sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont contradictoires ou qui reposent sur des affirmations non plausibles.

Or, la question de la crédibilité de votre récit se pose avec acuité alors qu’il se dégage des éléments de votre dossier une multitude d’éléments pour le moins dérangeants, incohérents et manifestement non plausibles concernant la réalité des faits dont vous déclarez avoir été la victime. En effet, vos déclarations relatives à vos motifs manquent de substance et se résument à un ensemble d’affirmations contradictoires et peu cohérentes. Vous restez par ailleurs en défaut de soumettre aux autorités luxembourgeoises un quelconque document ou écrit susceptibles de documenter et de soutenir vos affirmations à la base de votre récit. Or, suite à votre arrivée au Luxembourg en date du 23 novembre 2018, il vous aurait été parfaitement possible de produire des documents ou écrits, tels des preuves relatives à votre lieu de travail auprès du ministère de la défense, sinon auprès de l’…, une preuve que vous avez été hospitalisée à Hawassa, la facture d’hospitalisation, les tickets de vol pour arriver en Europe, des preuves de votre séjour à Francfort, en Suisse, en France, susceptibles d’étayer votre récit, étant relevé dans ce contexte que votre père, votre frère, vos oncles ainsi que votre prétendu copain vivent toujours en Ethiopie, sans être autrement inquiétés par les autorités éthiopiennes, vous-mêmes n’ayant par ailleurs également pas fait état d’avoir été inquiété d’une façon quelconque par les autorités de votre pays d’origine. Or, votre passiveté et inaction pour lever les contradictions et incohérences contenues dans votre récit jettent un discrédit quant à votre sincérité quant aux raisons qui vous auraient poussée à venir en Europe.

Il y a dans ce contexte lieu de relever en premier lieu que les circonstances dans lesquelles vous auriez quitté votre pays ne sont pas crédibles. En effet, vous notez sur votre « fiche de motifs » que vous auriez quitté votre pays pour aller travailler dans un pays arabe.

Sur votre fiche de données personnelles, vous indiquez avoir quitté l’Ethiopie en date du 16 avril 2018 (eth. 08.08.2010). Vous déclarez lors de votre entretien mené avec la police en date du 26 novembre 2018 qu’ « Ich habe Äthiopien am 18.04.2017 verlassen indem ich einen Arbeitsvertrag bei einer Familie bekam als Haushälterin, nach Saudi-Arabien ». Or, lors de votre entretien mené avec l’agent du ministère, vous affirmez avoir quitté votre pays d’origine 5 en date du 25 octobre 2018 et que vous auriez menti alors que : « Ich hatte Angst nach Äthiopien verschickt zu werden und habe gesagt, dass ich in ein arabisches Land gewesen war [sic] ». Or, de telles affirmations permettent de jeter un discrédit total sur vos affirmations et les raisons que vous relayez par la suite à la base de votre demande, ce d’autant plus que tout à la fin de l’entretien mené avec l’agent du ministère, vous réaffirmez avoir déjà décidé à l’âge de 17 ans de quitter votre pays : « Da ich niemand hatte, beschloss ich in den arabischen Ländern zu gehen [sic], um zu arbeiten ».

De telles incohérences sur un élément essentiel de votre récit se suffisent en principe à elles-seules à jeter un discrédit total sur vos déclarations et il peut être admis que vous avez quitté votre pays non pas parce que vous auriez été victime de persécutions ou de mauvais traitements par un dénommé colonel …, mais pour des raisons économiques sinon de pure convenance personnelle.

Par ailleurs, l’histoire concernant votre date de naissance est également totalement invraisemblable. En effet, sur votre fiche de données personnelles, vous notez être née le ….

Or, il ressort tant de votre passeport que de votre carte d’identité que vous êtes née le ….

Conviée à donner des précisions concernant ces divergences, vous affirmez d’abord que vous auriez obtenu ce passeport illégalement en indiquant une mauvaise date de naissance alors qu’« Ich war nicht volljährig als ich den Pass bekommen habe », pour ensuite affirmer avoir quand-même obtenu de façon légale lorsque vous auriez été mineure : « Ich habe den Pass legal erhalten, als ich minderjährig war. Ich wollte nämlich in den arabischen Ländern [sic] arbeiten gehen ». Or, outre que vous reconfirmez avoir voulu quitter votre pays pour aller travailler dans les pays arabes, il y a lieu de relever que vous vous contredisez sur la façon d’avoir obtenu votre passeport en affirmant d’abord l’avoir obtenu de façon illégale, puis de façon légale lorsque vous auriez été mineure. Plus loin encore, vous affirmez que l’on ne pourrait pas obtenir un passeport en tant que mineur de sorte que vous auriez indiqué être née en … (éth.) (… eur.) pour pouvoir obtenir votre passeport. Or, cette histoire est tout à fait non crédible alors que les autorités éthiopiennes certainement ne délivrent pas de passeport, ni de documents d’identité sur simples affirmations de la personne qui en sollicite la délivrance. Il y a encore lieu de relever que les autorités éthiopiennes délivrent aussi des passeports à des enfants mineurs, et que de surcroît, vous affirmez vous-même qu’ « Ich hatte den Pass schon als ich klein war ». Il y a partant lieu de retenir que votre histoire entourant votre date de naissance ainsi que l’obtention de votre passeport ne sont pas crédibles.

Ce même constat vaut pour vos déclarations concernant la délivrance de votre visa par les autorités néerlandaises. En effet, vous affirmez qu’une femme non autrement identifiée, que votre oncle connaîtrait, vous aurait aidée à vous procurer un visa auprès des autorités néerlandaises aux fins que vous puissiez quitter l’Ethiopie pour l’Europe. En effet, votre récit y relatif est tout à fait illogique et il est non crédible que vous ayez obtenu ce visa à l’aide d’une femme inconnue qui vous aurait contactée par téléphone et vous aurait dit de venir à l’ambassade néerlandaise à Addis-Abeba. En effet, vous affirmez qu’elle aurait eu « mehrere Pässe in der Hand » et que vous auriez attendu un peu avant d’entrer ensemble avec cette femme dans l’ambassade où l’on vous aurait pris vos empreintes. Or, on voit mal pourquoi vous affirmez que cette femme aurait eu en mains plusieurs passeports alors que vous avez voyagé avec votre passeport et pourquoi vous auriez attendu un peu avant d’entrer dans l’ambassade. Il est également tout à fait invraisemblable que cette femme serait rentrée dans le bâtiment des autorités néerlandaises tout disposant de « mehrere Pässe ». En effet, un passeur ne prendrait pas le risque de se faire attraper avec des passeports en sa possession dans un bâtiment diplomatique européen, ce d’autant plus que vous n’avez nullement besoin, 6 ni d’un passeport falsifié, ni de l’aide de cette femme pour obtenir un visa. En effet, cette histoire entourant la délivrance de ce visa vous l’avez tout simplement inventée aux fins de rajouter un peu de spectaculaire à votre prétendue fuite du pays.

En somme, vous n’avez pas dit la vérité concernant votre date de naissance ainsi que les circonstances dans lesquelles vous auriez obtenu votre passeport respectivement votre visa, et il y a lieu de retenir que vous êtes née le … à Addis-Abeba, et non pas à Abbas en Erythrée, et que vous avez tout simplement sollicité un visa touristique pour les Etats Schengen, visa qui vous a été accordé par les autorités néerlandaises de sorte à vous permettre ainsi d’entrer en Europe. Tout au plus, cette femme inconnue vous aura aidé à remplir les formalités pour l’obtention d’un visa, mais aucune manœuvre frauduleuse ou mystérieuse n’aura entouré la procédure d’obtention de ce visa.

Ceci dit, il ressort ensuite de votre dossier, et notamment de vos déclarations faites lors de votre entretien avec l’agent ministériel, que vous changez d’affirmations à maintes reprises, de sorte à rendre votre histoire également non crédible dans ce contexte.

En effet, outre que vous avez affirmé avoir eu le plan de quitter votre pays d’origine depuis l’âge de 17 ans aux fins d’aller travailler dans les pays arabes, et qu’auprès de la police vous avez affirmé avoir effectivement travaillé en Arabie Saoudite, de sorte que vos affirmations quant à vos déclarations relatives à l’enlèvement et le viol par un dénommé colonel … sont déjà à cet égard peu crédibles, il y a lieu de relever que vous vous contredisez également dans vos propres affirmations quant aux motifs à la base de votre demande.

En effet, et hormis le fait que votre récit est tout à fait superficiel, non détaillé et manque de toute cohérence, vous affirmez d’abord avoir reçu en avril 2018 un courrier de la part du ministère de la défense alors que « zu dieser Zeit wurde ich vom Verteidigungsminsterium gesucht », alors que plus loin, vous affirmez avoir été contacté fin avril 2018 par téléphone par une femme du ministère de la défense.

Ensuite, vous affirmez que, quelques jours après être passée au ministère de la défense, vous auriez reçu un petit papier jaune sur lequel aurait été marqué que : « Was für eine Antwort hast du im Verteidigungsministerium gegeben » et que vous auriez répondu « dass ich nur nachgefragt habe, die Annahmeliste zu sehen. Ich war total schockiert und habe dieses Papier zerrissen ». Partant, vous affirmez avoir répondu à un bout de papier que vous auriez uniquement demandé à obtenir la liste des produits et qu’ensuite vous auriez détruit ce papier.

Plus loin, vous affirmez avoir reçu ledit papier de la part du colonel, mais que ce courrier aurait été anonyme. La personne qui vous aurait remis la lettre vous aurait dit qu’elle serait du colonel …. Encore plus loin, conviée à expliquer si votre réponse audit courrier avait été donné oralement ou par écrit, vous répondez « mündlich », et sur question afférente de savoir à qui vous auriez donné cette réponse, vous affirmez « der auβenstehenden Kontrolle » du ministère de la défense. Partant, vous vous contredisez complètement dans vos affirmations.

En effet, encore conviée par l’agent ayant mené l’entretien de savoir « Sie bekamen also den Brief und kontaktierten die Auβenkontrolle, damit diese Ihnen die Annahmeliste der Waren geben sollte? » vous répondez par « Ja ». Néanmoins, après une pause lors de l’entretien, vous changez de déclarations en affirmant alors ne pas avoir contacté la « Auβenkontrolle » après que vous auriez reçu ledit papier jaune, mais que vous auriez été enlevée quelques jours après avoir reçu ladite lettre.

7 Puisque vous avez affirmé avoir répondu audit courrier en disant qu’ « Ich habe geantwortet, dass ich nur nachgefragt habe die Annahmeliste zu sehen », vous aviez été conviée à clarifier quand précisément vous auriez donc répondu à cette lettre. Vous affirmez que vous y auriez répondu le 11 mai 2018, au colonel …. Vous auriez partant répondu cela au colonel le même jour que vous auriez été enlevée et ramenée dans cette villa à un endroit inconnu. Or, au départ, vous ne faites pas état d’avoir répondu cela au colonel, ni le même jour de votre enlèvement, mais vous affirmez que vous auriez répondu directement après avoir reçu la lettre, soit quelques jours avant votre enlèvement, et que vous l’auriez déchirée par la suite. Ensuite, vous affirmez encore avoir contacté l’audit externe du ministère de la défense après avoir reçu ledit courrier et avoir répondu cela audit contrôle, pour ensuite encore changer de version en affirmant avoir répondu au colonel quelques jours après avoir reçu cette lettre, à savoir le premier jour de votre enlèvement en date du 11 mai 2018. En effet, conviée à répondre à la question de savoir « Sie haben also am gleichen Tage als Sie entführt wurden, es dem Colonel gesagt ? », vous répondez par « Ja ». Or, il y a encore lieu de préciser qu’au départ, vous n’avez pas fait état d’avoir répondu au colonel que vous auriez simplement demandé à obtenir cette liste, mais que vous n’auriez rien dit, soit que vous lui auriez dit que vous n’auriez rien dit à l’audit.

Que votre histoire ne correspond pas à la réalité résulte par ailleurs du fait qu’au cours de votre entretien, vous affirmez avoir été questionnée le même jour de votre enlèvement, soit le 11 mai 2018 par le colonel et que vous lui auriez immédiatement dit que vous auriez uniquement dit à l’audit externe souhaiter obtenir la liste des produits. Or, ces déclarations se contredisent avec celles faites au départ où vous avez affirmé qu’après votre enlèvement vous auriez été enfermée dans une chambre, qu’on vous aurait pris votre sacoche « und ich habe dort übernachtet » et que le colonel serait venu vous questionner le lendemain. Partant, vous ne faites pas état d’avoir directement été questionnée par le colonel le jour-même de votre enlèvement. Ce constat est conforté par le fait que vous affirmez encore très clairement que « Morgens kam ein Mann namens Colonel … » et qui vous aurait demandé « welche Antworten hast du gegeben, als man dir die Frage gestellt hat ? ». Plus loin encore, vous changez à nouveau de version en affirmant que lorsque vous seriez arrivée dans la villa, « fragte der Colonel, was ich geantwortet hatte. Dann hat er meine Tasche mitgenommen und ist weggegangen ». Vos affirmations sont donc d’une incohérence flagrante, de sorte à saper foncièrement la crédibilité générale de votre récit.

Partant, aucun crédit ne saurait être accordé à cette histoire d’enlèvement et de viol par ledit colonel …, de même que celle entourant votre avortement d’une grossesse qui aurait été le résultat des viols par ledit colonel. En effet, outre que vos déclarations sont non crédibles, elles sont encore purement hypothétiques alors que vous affirmez d’un côté avoir mangé quelque chose et que vous vous seriez endormie pour ensuite vous réveiller dans un hôpital à Hawassa, mais que vous ne sauriez pas comment vous y seriez arrivée. Vous affirmez en effet d’une part que « dieser Mann hat mich dann ins Krankenhaus in Hawassa gebracht», d’autre part qu’« Ich weiß nicht wer mich ins Krankenhaus gebracht hat». Par ailleurs, et outre que vous ne faites nullement état d’avoir été enceinte jusqu’au moment d’être arrivée à l’hôpital où vous auriez avorté, et que vous affirmez par après avoir été enceinte au troisième mois et que vous auriez été enceinte du viol du colonel, vous ne saurez valablement prétendre ne pas avoir remarqué que l’on vous aurait transportée dans un hôpital sans que vous ne vous seriez réveillée en route alors que vous n’avez fait état d’aucun problème de santé lors de votre prétendu enlèvement ou que vous auriez perdu conscience. Par ailleurs, vous affirmez avoir très exactement été enfermée pendant 76 jours et que vous auriez été enceinte du 3ème mois, ce 8 qui fait 90 jours, de sorte que votre histoire dans ce contexte ne correspond manifestement pas non plus à la vérité.

N’est également pas du tout crédible que vous ayez, en quittant l’hôpital, demandé à un cireur de chaussures que vous auriez abordé comme ça de vous donner son téléphone pour contacter cette infirmière. En effet, il est tout à fait invraisemblable qu’un inconnu que vous ne connaissez pas et qui ne vous connaît non plus vous ait confié son téléphone et qu’il vous laisse causer pendant des heures alors que vous affirmez avoir tout raconté à cette infirmière « Ich habe Ihr alles erzählt was passiert ist von Anfang an ».

Dans ce contexte, n’est pas non plus crédible que vous ayez pu séjourner pendant une semaine chez une femme totalement inconnue qui serait une copine de cette infirmière que vous ne connaîtriez d’ailleurs pas non plus.

Vous affirmez par ailleurs avoir allumé votre téléphone une semaine après avoir été ramenée à l’hôpital. Or, outre qu’il est également tout à fait incompréhensible pour quelles raisons ledit colonel vous aurait ramené votre sac et votre téléphone à l’hôpital « Der Mann hat alle meine Sachen : meine Tasche und mein Telefon mitgebracht » - cette affirmation supposant par ailleurs que vous l’auriez vu lorsque vous auriez été à l’hôpital- vous affirmez d’abord que lorsque vous auriez allumé votre téléphone, le colonel vous aurait appelée et vous aurait dit qu’il ne voudrait plus vous revoir « Ich habe mein Telefon freigeschaltet und dieser Mann hat bei mir angerufen » et qu’ensuite, vous auriez contacté votre frère qui vous aurait envoyé de l’argent. Plus loin, vous affirmez néanmoins que vous auriez activé votre téléphone et appelé votre frère alors que vous auriez voulu rentrer à la maison à Addis-Abeba et que le colonel … vous aurait contacté par après. Conviée à préciser si vous aviez appelé votre frère avant ou après que ledit colonel vous aurait appelée, vous affirmez « Vorher ». Partant, vos déclarations à cet égard sont également contradictoires et confortent le constat que vous n’êtes nullement sincère dans vos déclarations.

Il y a ensuite encore lieu de relever des contradictions par rapport à la réaction des membres de votre famille par rapport à votre prétendu vécu. En effet, vous affirmez d’abord que votre frère vous aurait dit « dass er diesen Mann umbringen m[ü]sste » et que toute la famille devrait connaître votre histoire : « Ich habe dies meinen Onkeln und meinem Freund weitererzählt ». Votre oncle vous aurait alors dit « dass ich ihn vors Gericht bringen sollte», mais votre frère, sinon votre copain, aurait dit que cela ne servirait à rien. Or, par après, vous affirmez que non pas vous-même auriez raconté votre histoire à votre famille, mais que « mein Bruder hat zuerst mit meinem Onkels gesprochen und dann habe ich darüber gesprochen ».

Par ailleurs, ce ne serait pas votre oncle qui aurait dit que vous devriez attraire cette personne devant le tribunal, mais « mein Bruder hat gesagt, dass wir vors Gericht gehen sollten » et votre oncle vous aurait dit « dass ich ruhig bleiben sollte ». Conviée à clarifier qui donc aurait proposé de porter cette affaire devant une juridiction, vous affirmez alors « Niemand, da dies nichts bringt ». Même votre mandataire a pris note de ces contradictions alors qu’il vous demande « Haben Sie nicht darüber geredet, dass jemand gesagt hatte, dass Sie vors Gericht gehen sollen? », vous affirmez que vous auriez été perturbée « Vielleicht hat mein Onkel dies erwähnt, als er gesagt hat, dass wir abwarten sollen», pour enfin affirmer que « ich weiβ nicht, ob [er] das mit dem Gericht gesagt hat». Or, ces contradictions ne sauraient être justifiées par un quelconque état de perturbation. En effet, vous n’avez pas tout simplement invoqué par erreur qu’un membre de votre famille vous aurait proposée de saisir un tribunal, mais vous avez fait des déclarations répétitives dans ce contexte à divers endroits de votre entretien. Tout simplement, vos déclarations en général ne sont pas crédibles de sorte que vous tentez de 9 justifier vos contradictions par tout simplement dire qu’ « Ich bin ganz durcheinander ». Or, telle affirmation n’emporte conviction et ne saurait justifier vos déclarations contradictoires.

Il y a par ailleurs lieu de relever que votre comportement ne correspond manifestement pas à celui d’une personne qui aurait été obligée de fuir son pays en raison de persécutions ou mauvais traitements dont elle aurait été victime, sinon qui ne peut y retourner par peur de risquer d’être la victime de telles persécutions ou mauvais traitements. En effet, vous affirmez avoir quitté votre pays d’origine en date du 25 octobre 2018 moyennant un visa touristique sans rencontrer le moindre problème pour arriver à Francfort. Le même jour, vous auriez pris le train pour aller chez une copine à Zurich. Vous n’auriez néanmoins pas rencontré cette femme « da ich ihre Telefonnummer verloren hatte ». Vous auriez séjourné pendant neuf jours en Suisse. Vous auriez alors abordé « einige Leute » à la gare et leur auriez dit que vous souhaiteriez aller en Grande-Bretagne. Ces personnes vous auraient alors dit « dass ich über Frankreich nach England reisen sollte», de sorte que vous auriez alors pris le train pour la France à l’aide d’un passeur somalien. Il ressort encore de votre dossier que vous avez été appréhendée en France par les autorités britanniques lorsque vous avez tenté de prendre le train pour aller en Grande-Bretagne sans être en possession des documents nécessaires. Vous auriez alors décidé de venir au Luxembourg alors que : « Ich hörte dass Luxembourg Asylanten nimmt ».

Or, il en ressort que vous avez volontairement omis de solliciter une protection internationale aussi bien en Allemagne qu’en Suisse alors que vous aviez manifestement la possibilité de réclamer l’aide des autorités de ces pays. Par ailleurs, vous n’avez également pas sollicité une protection internationale en France, ni même auprès des autorités britanniques lorsque vous avez été appréhendée en train de tenter de franchir la frontière dans un train provenant de Paris. Que vous n’avez manifestement pas fui votre pays ressort, outre du fait que vous avez été en possession d’un visa touristique, également du constat que vous avez déclarez aux autorités britanniques vouloir entrer en Grande-Bretagne « as a visitor » et non pas parce que vous auriez fui votre pays d’origine à la recherche d’une protection internationale. Il ressort par ailleurs des documents de votre dossier que les autorités britanniques n’ont pas reconnu dans votre chef d’autres « compelling or compassionate reasons to allow you to travel to the United Kingdom without a visa », de sorte que manifestement vous n’avez nullement fait état aux autorités de contrôle que vous auriez fui votre pays à la recherche d’une protection internationale. Ce constat est d’autant plus frappant alors que vous aviez dès que vous étiez en Suisse eu le souhait d’aller en Grande-Bretagne, mais que vous n’avez, au moment où vous étiez en contact avec les autorités britanniques, nullement fait état du fait d’être un réfugié, mais avez simplement affirmé vouloir entrer sur le territoire britannique en tant que touriste.

Or, il y a lieu de rappeler qu’il peut être légitimement attendu d’une personne à la recherche d’une protection qu’elle introduise une demande de protection internationale dès le moment qu’elle en a la possibilité et ne voyage pas à travers plusieurs pays aux fins de gagner le pays de son choix pour, de surcroît, y vouloir séjourner simplement en tant que « visitor ».

Il y a lieu de conclure que vous avez abusé du système de protection internationale après que votre tentative d’entrée en Grande-Bretagne comme touriste a échoué et que vous aviez alors décidé d’introduire une protection internationale aux fins d’éviter un retour dans votre pays d’origine. Vous avez de surcroît pratiqué du forum shopping en venant introduire cette demande spécialement au Luxembourg alors que vous auriez entendu que le Luxembourg accepterait des demandeurs de protection internationale. En effet, tout Etat faisant partie du Régime d’Asile européen commun (RAEC) accepte des demandeurs de protection 10 internationale, y compris l’Allemagne, la Suisse, la France et, à cette époque également, la Grande-Bretagne, mais vous avez choisi de venir au Luxembourg pour des raisons de pure convenance personnelle. Or, un tel comportement permet de conclure que vous n’avez jamais été réellement à la recherche d’une protection internationale au motif que vous auriez été la victime dans votre pays d’origine de persécutions ou mauvais traitements, mais que vous avez tout simplement quitté l’Ethiopie en tant que touriste pour tenter votre chance de vous installer en Grande-Bretagne et, cette tentative ayant échoué, et pour éviter un retour dans votre pays d’origine, vous êtes venue au Luxembourg en prétendant être à la recherche d’une protection internationale.

Or, il découle de cette attitude incohérente et contradictoire que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises et vous tentez de dissimuler des informations afin de vous procurer un avantage, le tout caractérisant une tentative d’abus des régimes de protection internationale. Cette attitude amène à la conclusion que votre récit ne convainc pas dans sa globalité et que vous tentez sciemment d’induire en erreur au sujet de votre identité et de votre vécu, de sorte qu’il y a lieu de rejeter votre demande de protection internationale pour défaut de crédibilité.

En effet, vous n’avez pas quitté votre pays d’origine alors que vous auriez été persécutée ou auriez subi des mauvais traitements, mais vous êtes entrée en Europe pour des raisons de pure convenance personnelle et n’aviez introduit une demande de protection internationale uniquement après que votre tentative d’entrée en Grande-Bretagne a raté alors que vous n’étiez pas en possession des documents nécessaires qui auraient permis d’y séjourner en tant que « visitor ». Dans la mesure où votre récit concernant les motifs à la base de votre demande sont donc manifestement non crédibles, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Il suit des considérations qui précèdent que votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Ethiopie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2021, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 29 avril 2021 par laquelle elle s’est vue refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale et de la décision du même jour portant à son égard ordre de quitter le territoire.

1) Quant au recours contre la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 29 avril 2021, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse affirme être née en Erythrée, être de nationalité éthiopienne, avoir vécu à partir de l’âge d’environ 1 an et demi à Addis-Abeba, et avoir quitté son pays d’origine le 25 octobre 2018.

Après avoir obtenu son diplôme en management des achats et approvisionnements par le … College, elle aurait travaillé pour le ministère de la défense du 14 juin 2016 à avril 2017, en qualité de responsable de trois entrepôts, où sa tâche aurait consisté à commander des marchandises, tels que des tracteurs et des machines de construction, ainsi que toutes les pièces de rechange et à les livrer aux entreprises responsables des projets. Ensuite, elle aurait travaillé pour l’ …, ci-après dénommée « l’ … ». Après le changement de gouvernement, elle aurait été convoquée par le ministère de la défense, fin avril, respectivement début mai 2018, pour être interrogée par le service de contrôle externe concernant la disparition de marchandises qu’elle aurait réceptionnées. Elle aurait demandé la communication des listes de réception desdites marchandises, qu’elle n’aurait cependant pas obtenues, et elle serait ensuite retournée à son travail auprès de l’….

Le 11 mai 2018, en sortant du bus, deux hommes en voiture l’auraient interceptée, et l’auraient emmenée dans une villa inconnue où elle aurait été enfermée. Le lendemain, son ancien supérieur hiérarchique au ministère de la défense, le colonel …, se serait présenté et l’aurait interrogée au sujet de ses déclarations lors de la réunion avec le ministère de la défense et particulièrement concernant les marchandises qui auraient disparues. Elle lui aurait répondu qu’elle n’aurait rien déclaré car elle ne se serait pas souvenue de ces marchandises en raison du grand nombre de pièces qui auraient été concernées et qu’elle n’aurait rien pu faire sans les listes de réception des marchandises. La demanderesse précise que l’interrogatoire aurait duré une semaine, et qu’elle aurait été très fatiguée par ces questions et en raison du fait de n’avoir reçu que très peu de nourriture. Le colonel … aurait continué à l’interroger en la menaçant avec une arme, et, sous l’emprise de l’alcool, il l’aurait violée à plusieurs reprises, durant sa séquestration, laquelle aurait au total duré 76 jours, à savoir du 11 mai 2018 au 26 juillet 2018.

Puis, elle se serait faite transférer à l’hôpital d’Hawassa où elle se serait retrouvée « sans savoir pourquoi elle était là ». Selon la demanderesse, elle aurait demandé plus d’informations auprès de l’infirmière qui lui aurait indiqué que son époux l’y aurait conduite pour y subir un avortement forcé. Elle serait restée à l’hôpital pendant trois jours après cette intervention et avant de sortir. Faute d’avoir pu échanger directement avec l’infirmière, celle-ci lui aurait donné son numéro de téléphone, et l’aurait mise en relation avec une femme originaire d’Addis-

Abeba, chez laquelle elle serait restée une semaine. La demanderesse rapporte qu’elle aurait ensuite reçu un appel téléphonique du colonel … la menaçant de mort et lui aurait dit ne plus jamais vouloir la revoir. Elle aurait immédiatement contacté son frère, à qui elle aurait raconté ce qui lui serait arrivé, et serait retournée à Addis-Abeba. Son frère aurait souhaité la mort du colonel … pour ce qu’il lui aurait fait, ce à quoi elle se serait cependant opposée. En conséquence, son frère l’aurait menacée et lui aurait ordonné de quitter le pays pour ne plus la voir. La demanderesse explique que son oncle lui aurait dit de patienter, alors que des amis lui auraient déconseillé de porter cette affaire devant le tribunal en raison du statut du colonel … qui tronquerait l’issue d’une telle procédure. La demanderesse ajoute encore que son oncle lui aurait dit de s’apaiser pour trouver une solution. Disposant d’un passeport, elle aurait demandé un visa à l’ambassade des Pays-Bas, aurait quitté l’Ethiopie le 25 octobre 2018 pour l’Allemagne, à partir d’où elle se serait rendue en Suisse, puis en France, et aurait rejoint le Luxembourg où elle aurait déposé sa demande de protection internationale le 26 novembre 2018.

En droit, en s’appuyant sur l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, Madame … soulève en premier lieu qu’elle aurait fait des déclarations claires et précises pour expliquer les motifs qui l’auraient amenée à quitter l’Ethiopie, en se référant au rapport d’audition du 28 mars et 22 mai 2019 duquel elle reprend la chronologie des évènements à l’origine de son départ d’Ethiopie.

La demanderesse prend ensuite position par rapport à la crédibilité de son récit, laquelle serait remise en cause par l’autorité ministérielle, en contestant, tout d’abord, le fait qu’elle n’aurait pas fourni aux autorités luxembourgeoises un quelconque document susceptible de soutenir ses déclarations. La demanderesse soutient que cette affirmation serait fausse, puisqu’elle aurait fourni sa carte d’identité au cours de son audition, respectivement du présent recours, qu’elle aurait présenté les originaux de sa carte professionnelle de membre de l’…, sa carte de sécurité sociale en tant que fonctionnaire, ainsi qu’une copie de son diplôme en management des achats et approvisionnements délivré par …College. Elle donne également à considérer que le dossier administratif aurait renseigné une consultation de son fichier dans la base de données du système d’information sur les visas, ci-après désigné par « le VIS », contenant les données de sa carte d’identité ainsi que les données concernant sa demande de visa, lesquelles seraient identiques. Selon la demanderesse, ces pièces auraient confirmé son identité et ses fonctions au sein de l’administration éthiopienne.

La demanderesse conteste encore qu’elle serait restée inactive et passive pour lever les contradictions et incohérences de son récit, ce qui, selon le ministre, aurait jeté le discrédit sur sa sincérité par rapport aux raisons qui l’auraient poussée à quitter l’Ethiopie, alors qu’au contraire les éléments du dossier prouveraient la véracité de ses déclarations. Sur ce point, la demanderesse fait valoir qu’elle souffrirait d’un grave stress post-traumatique constaté dès le mois de mars 2019 par la psychologue de l’association Oméga 90 et donne à considérer que son audition aurait eu lieu le 28 mars 2019, de sorte que les prétendues contradictions et incohérences de son récit devraient être appréciées en considération de cet élément essentiel que serait son état de santé mentale au moment où elle aurait été auditionnée. En se référant à différents passages de son rapport d’audition du 28 mars 2019, la demanderesse insiste sur son état de stress post traumatique sur base duquel elle aurait dû bénéficier de garanties procédurales spéciales conformément à l’article 19 de la loi du 18 décembre 2015, ce qui n’aurait cependant pas été le cas, de sorte qu’elle considère que la décision du 29 avril 2021 aurait méconnu cette disposition légale.

La demanderesse considère encore que ce serait à tort que le ministre aurait qualifié certains éléments de son récit de faits non pertinents pour conclure au défaut de crédibilité de toutes ses déclarations, alors qu’au moment de l’enregistrement de sa demande de protection internationale, elle aurait été désorientée et apeurée, raison pour laquelle elle aurait pu commettre des erreurs dans ses déclarations. Elle souligne encore, dans ce cadre, que sa fiche de données personnelles aurait été remplie par le traducteur, et non par elle-même. Elle donne encore à considérer que lors de son audition du 28 mars 2019, elle aurait reconnu ses erreurs en raison de sa peur d’être renvoyée en Ethiopie, raison pour laquelle elle aurait déclaré avoir quitté son pays d’origine pour aller travailler dans un pays arabe. La demanderesse insiste sur le fait qu’elle aurait expliqué avec beaucoup de détails avoir quitté l’Ethiopie en raison des persécutions et mauvais traitements qu’elle aurait subis du fait du colonel ….

Concernant sa date de naissance, la demanderesse soutient qu’elle aurait simplement souhaité expliquer que cette information mentionnée sur ses papiers officiels n’aurait pas étéla date exacte, élément qui, selon elle, ne devrait pas suffire à lui-seul à remettre en cause l’intégralité de son récit en présence de documents officiels attestant son identité.

Ensuite, elle explique que les contradictions concernant la délivrance de son visa s’expliqueraient par le fait qu’elle aurait été dans un état psychologique désastreux au moment où elle aurait entrepris les démarches pour quitter son pays d’origine et aurait été confrontée aux positions contradictoires de ses proches quant à ce qu’elle aurait dû entreprendre.

La demanderesse reproche aux autorités ministérielles d’avoir considéré que son récit se rapportant à des faits de viols, de séquestration et de menaces de mort qui aurait été consigné dans un rapport d’entretien de 15 pages, serait superficiel, non détaillé, et manquerait de cohérence, alors qu’au contraire, elle aurait rempli son obligation de coopération et aurait répondu à toutes les questions qui lui auraient été posées, ce qui aurait mérité de la décence et du respect de la part des autorités en cause. Elle souligne encore qu’il aurait appartenu à l’autorité ministérielle de procéder à une audition complémentaire dans l’hypothèse où elle aurait estimé que son récit n’aurait pas été assez précis, ce qui n’aurait pourtant pas été le cas.

Elle donne encore à considérer que si elle avait pu se contredire concernant le moment où elle aurait reçu une lettre ou un papier ainsi que sur la personne de son expéditeur, elle aurait toutefois été très claire dans la description de son emploi auprès du ministère de la défense, la teneur de sa réunion auprès dudit ministère, sur le déroulement de son enlèvement, sur sa séquestration et sur les viols répétés qu’elle aurait subis. Compte tenu de la gravité des violences qu’elle aurait subies, la demanderesse considère qu’il serait inacceptable de n’accorder aucun crédit à son récit.

Elle conteste formellement l’analyse du ministre selon laquelle son comportement ne serait manifestement pas celui d’une personne qui aurait fui son pays en raison de persécutions ou de mauvais traitements y subis. En énumérant les différents pays par lesquels elle serait passée après le départ de son pays d’origine, la demanderesse estime que ceux-ci n’auraient été que des pays de transit, et non pas sa destination finale, qui aurait été le Luxembourg, raison pour laquelle elle n’y aurait pas déposé de demande de protection internationale. Elle souligne qu’une demande de protection internationale ne pourrait être ni refusée ni exclue au seul motif qu’elle n’aurait pas été introduite dans les plus brefs délais.

Ensuite, la demanderesse relève avoir quitté son pays d’origine au moyen d’un visa touristique ce qui lui aurait permis de voyager en toute sécurité au lieu d’avoir utilisé la voie dangereuse qu’aurait été un passage par la Libye, ainsi que la traversée de la Méditerranée, afin d’éviter, en tant que victime de viols, de voyager seule.

Elle estime également que ce serait à tort que l’autorité ministérielle aurait considéré qu’elle aurait tenté d’abuser des régimes de protection internationale, alors même qu’elle n’aurait déposé qu’une seule demande de protection internationale dans un seul Etat membre.

Elle conteste ainsi le fait qu’elle aurait sciemment tenté d’induire les autorités luxembourgeoises en erreur au vu de ses déclarations et des pièces qu’elle aurait versées.

Dans la mesure où l’autorité ministérielle aurait limité, dans la décision déférée du 29 avril 2021, son analyse à la crédibilité de son récit, sans prendre en considération les craintes dont elle aurait fait état, tel que prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée « la Convention de Genève », et par la loi du 18décembre 2015, la demanderesse estime que la décision litigieuse serait entachée d’une absence de motivation certaine.

En se référant à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse fait valoir que les faits qu’elle aurait invoqués seraient motivés par un des critères de fond de cette disposition, à savoir son appartenance à un groupe social. Elle estime encore qu’il serait établi que les actes dont elle aurait été personnellement victime auraient revêtu une certaine gravité, en s’appuyant à cet égard sur les articles 1 et 2 de la Déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, adoptée le 20 décembre 1993, et sur la Recommandation 19, paragraphe (6) de la 11ème session du « Committee on the Elimination of Discrimination against Women », ci-après désigné par le « CEDAW ».

Elle donne encore à considérer qu’elle n’aurait pas porté plainte contre le colonel …, ni recherché une protection auprès des autorités étatiques éthiopiennes, en raison de la fonction de ce dernier et parce qu’elle aurait su ne rien pouvoir obtenir contre lui.

La demanderesse ajoute encore que la situation sécuritaire actuelle en Ethiopie n’aurait pas été stabilisée en raison des élections législatives qui auraient dû se tenir le 29 août 2020, mais auraient été reportées au 21 juin 2021 en raison de la situation liée à la pandémie de Covid-

19.

En se référant à deux arrêts de la Cour administrative du 19 novembre 2019, inscrit sous le numéro 43578C du rôle, et du 23 février 2021, inscrit sous le numéro 45390C du rôle, ainsi qu’à un jugement du tribunal administratif du 12 mai 2020, inscrit sous le numéro 42586 du rôle, la demanderesse conclut qu’il aurait déjà été retenu qu’il faudrait relativiser l’amélioration de la situation politique en Ethiopie depuis la désignation d’un nouveau premier ministre en avril 2018, de sorte que les conditions d’octroi de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 seraient remplies dans son chef.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, et après avoir examiné les dispositions des articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 et l’interprétation des notions de torture, traitements inhumains et dégradants au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », relative à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », la demanderesse se réfère aux affaires Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989 et Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, pour préciser l’appréciation jurisprudentielle desdites notions. Ainsi, il faudrait prendre en considération l’ensemble des données de la cause et plus particulièrement la nature et le contexte du traitement, ainsi que ses modalités d’exécution, sa durée, ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, selon les circonstances, le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime. Elle ajoute encore que le caractère inhumain supposerait que le traitement aurait causé sinon de véritables lésions, du moins de vives souffrances physiques et morales, et que le traitement dégradant serait celui qui humilie l’individu grossièrement devant autrui ou l’aurait poussé à agir contre sa volonté ou sa conscience.

En s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif du 30 avril 2008, inscrit sous le numéro 23668 du rôle, la demanderesse donne à considérer que la protection subsidiaire concernerait la personne qui, en cas de renvoi, dans son pays d’origine courrait un risque réel de subir des atteintes graves, et que cette notion de risque réel serait à appliquer conformément à l’arrêt de la CourEDH Cruz Varas du 20 mars 1991, de sorte qu’elle reproche à l’autoritéministérielle de lui avoir refusé l’octroi de la protection subsidiaire sans avoir vérifié si les faits qu’elle avait invoqués auraient répondu aux conditions légales de la loi du 18 décembre 2015 quant à la possibilité d’une atteinte grave dans son chef.

La demanderesse en conclut que la décision ministérielle déférée serait partant entachée d’illégalité, alors qu’elle n’aurait pas respecté l’article 37, paragraphe (3), points a), b), et c), ainsi que l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, en ne prenant pas en considération le risque qu’elle encourrait d’être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Ethiopie, alors qu’elle y aurait déjà été soumise à de tels actes et que le risque persisterait toujours compte tenu de la situation actuelle en Ethiopie.

Elle conclut dès lors à la réformation de la décision ministérielle litigieuse et à l’octroi du statut de réfugié principalement, et subsidiairement de la protection subsidiaire dans son chef.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en se référant, en substance aux contradictions et incohérences dans le récit de la demanderesse relevées par la décision ministérielle déférée.

Il relève ensuite, que la demanderesse aurait pu, depuis son arrivée au Luxembourg le 23 novembre 2018, produire des documents susceptibles d’étayer son récit, tels que les billets d’avion pour arriver en Europe ou encore des preuves de son séjour en Europe.

Le délégué du gouvernement estime, par ailleurs, que l’attestation d’un psychologue de l’association sans but lucratif Omega 90, désignée ci-après « l’asbl Omega 90 », établissant que la demanderesse souffrirait d’un stress post-traumatique, ne permettrait pas de conclure qu’elle en aurait souffert au moment des entretiens de sorte à justifier les contradictions, respectivement qu’elle aurait subi des abus conduisant à cet état. Il souligne encore que lors des auditions ni la demanderesse ni son mandataire auraient assisté, n’auraient fait état d’un tel trouble psychologique, qui aurait pu expliquer les contradictions relevées par la partie étatique.

A titre liminaire, le tribunal prend position quant à l’argumentation de la demanderesse quant à son état de vulnérabilité, et plus particulièrement le stress post-traumatique dont elle souffrirait. En effet, elle estime tomber dans le champ d’application de l’article 19 de la loi du 18 décembre 2015 au vu des problèmes psychologiques dont elle souffrirait.

Aux termes de l’article 19 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) Suite à la présentation d’une demande de protection internationale, le ministre est chargé de procéder dans un délai raisonnable et avant qu’une décision ne soit prise en première instance, à une évaluation des garanties procédurales spéciales qui peuvent s’avérer nécessaires pour certains demandeurs du fait notamment de leur âge, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, d’un handicap, d’une maladie grave, de troubles mentaux, ou de conséquences de tortures, de viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle.

Cette évaluation peut également se faire par l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration (OLAI) dans le cadre de l’examen de vulnérabilité du demandeur afin de déterminer le cas échéant ses besoins particuliers en matière d’accueil. Les informations recueillies concernant les garanties procédurales spéciales sont transmises par l’OLAI, avec l’accord du demandeur, au ministre.(2) Pour l’évaluation des garanties procédurales spéciales, le ministre a la possibilité de demander conseil à un professionnel de santé tel que visé à l’article 16 ou à un autre expert.

(3) Lorsqu’un demandeur a été identifié comme étant un demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales, il se voit accorder un soutien adéquat, et notamment du temps suffisant, afin de créer les conditions requises pour que le demandeur ait effectivement accès aux procédures et pour qu’il puisse présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande. Si dans le cadre de la procédure accélérée visée à l’article 27 un tel soutien adéquat ne peut être fourni au demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales et notamment au demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales parce qu’il est victime de torture, de viol ou d’une autre forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle, cette procédure n’est pas appliquée.

(4) Le besoin de garanties procédurales spéciales est également pris en compte lorsqu’un tel besoin apparaît à un stade ultérieur de la procédure, sans qu’il faille nécessairement recommencer celle-ci. » Force est de constater que c’est pour la première fois dans le cadre de sa requête introductive d’instance que la demanderesse fait état de son prétendu état de vulnérabilité, respectivement de l’existence d’un stress post-traumatique dans son chef, alors qu’au cours des entretiens précités du 28 mars et du 22 mai 2019 sur les motifs sous-tendant sa demande de protection internationale, ni elle-même ni son mandataire n’en ont fait mention.

Bien que les événements subis par la demanderesse sont susceptibles d’avoir affecté sa santé physique et psychique, le tribunal est également amené à constater que la demanderesse reste en défaut d’établir la réalité de son état de santé, notamment par la présentation de certificats médicaux, et de préciser les garanties procédurales qui auraient dû concrètement être prises à son égard.

Il s’en suit que ce moyen est à rejeter.

Force est au tribunal de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g), de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ». Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

18 Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Dans le cadre de l’analyse de la crédibilité du demandeur, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.1 En l’espèce, le tribunal doit rejeter les conclusions étatiques retenant un défaut de crédibilité du récit de la demanderesse.

En premier lieu, et en ce qui concerne le récit de la demanderesse relatif à ses motifs de fuite, contrairement aux reproches de la partie étatique, force est au tribunal de constater qu’il ressort des éléments du dossier administratif que la demanderesse a versé des pièces à l’appui de ses dires, telles qu’une copie de sa carte professionnelle de membre de l’…, de sa carte de sécurité sociale et de son diplôme en management des achats et approvisionnements délivré par …College.

1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 138 et les autres références y citées.Le tribunal constate ensuite, qu’aucune incohérence ne saurait être relevée en ce qui concerne le récit de la demanderesse concernant son emploi auprès du ministère éthiopien de la défense, l’audit y mené et l’entretien y passé par elle dans ce contexte, le ministre relevant uniquement que la demanderesse se serait contredite en affirmant d’abord avoir été convoquée audit entretien par courrier, puis, d’avoir été convoquée par voie téléphonique.

En effet, malgré le fait que la demanderesse a d’abord affirmé « Im April habe ich einen Brief bekommen »2, elle s’est corrigée elle-même lors de la relecture de ce passage en précisant « Ich wurde telefonisch erreicht, nicht per Brief »3, précision qu’elle a maintenue à plusieurs reprises par la suite4, de sorte que cette incohérence initiale n’est pas de nature à laisser conclure à un défaut de crédibilité de son récit.

Il en va de même concernant la prise de contact du colonel … avec la demanderesse suite à son entretien au ministère de la défense, alors que contrairement à la partie étatique, le tribunal constate que le récit de la demanderesse n’a à aucun moment pêché d’incohérences, celle-ci ayant clairement affirmé avoir reçu un papier jaune de la part d’une personne sur lequel aurait été posée la question quant à la réponse elle aurait donnée à son entretien au ministère de la défense, que ledit papier aurait été anonyme faute de signature ou de nom y apposés, que la personne lui ayant remis le papier en question l’aurait néanmoins informée que celui-ci proviendrait du colonel … et qu’elle aurait répondu à cette personne qu’elle n’aurait pas su donner de renseignements au ministère de la défense, faute d’avoir reçu de leur part la liste des marchandises litigieuses.

Il s’ensuit que les développements de la partie étatique tenant à établir que le récit de la demanderesse aurait été incohérent en ce qu’elle aurait affirmé que le papier aurait été anonyme, qu’elle aurait répondu « à un bout de papier » avoir demandé la liste des marchandises et qu’ensuite elle aurait détruit ce papier manquent en fait, ces prétendues incohérences relevant plutôt d’une incompréhension du récit de la demanderesse de la part de l’agent en charge de l’entretien, celui-ci confondant le moment auquel la demanderesse affirme avoir demandé la liste des marchandises, à savoir lors de son entretien audit ministère et le moment auquel elle a relaté ce fait à la personne lui remettant le papier litigieux. Ce même constat s’impose en ce qui concerne la question posée par l’agent en charge de l’entretien à quel moment la demanderesse aurait répondu à la question posée sur le papier jaune5, alors que sa réponse « Ich habe auf der Frage des Briefes geantwortet, indem ich am 03/09/2010 ( …) dem Colonel … gesagt habe, dass ich nach der Annahmeliste gefragt hatte », n’est pas en contradiction avec sa réponse antérieurement donnée qu’elle aurait également directement répondu oralement à la personne lui ayant remis le papier jaune quelques jours avant.

En ce qui concerne le déroulement de la séquestration de la demanderesse par le colonel … et l’enchaînement des événements le premier jour, le tribunal constate que la réponse de la demanderesse sur la question « Als Sie in der « Villa » kamen, was geschah ? » dans les termes suivants « Als ich in dieser Villa ankam, fragte mir den Colonel, was ich geantwortet hatte.

2 P. 6 du rapport d’entretien 3 Idem 4 « Ich bekam den Brief, das gelbe Dokument, nach dem Anruf und nachdem ich in das Verteidungsministerium war. » p. 8 du rapport d’entretien, «Wie wurde Sie gerufen? Per Telefon», p. 9 du rapport d’entretien.

5 « Sie sagten vorher. „Nach einigen Tagrn bekam ich ein kleines gelbes Papier wo darauf stand: „Was für eine Antwort hast du im Verteidgungsministerium gegeben?“ Ich habe geantwortet, dass ich nur nachgefragt habe, die Anahmeliste zu sehen.“ Wann haben Sie auf dem Brief geantwortet? », p. 10 du rapport d’entretienDann hat er meine Tasche mitgenommen und er ist weggegangen. »6, n’est, contrairement aux développements de la partie étatique, pas en contradiction avec son affirmation « Morgens kam ein Mann namens Colonel …, er war mein Chef im Verteidgungsministerium. »7.

En ce qui concerne ensuite les viols subis par la demanderesse pendant sa séquestration ainsi que son transport à l’hôpital et l’avortement subséquent, le tribunal constate que la demanderesse a affirmé avoir été violée à plusieurs reprises par le colonel … pendant sa séquestration et s’être réveillée, au bout de 76 jours de séquestration et après s’être endormie après un repas, à un hôpital à Hawassa, où elle aurait appris qu’un homme l’y aurait amenée pour qu’elle s’y fasse avorter d’une grossesse au 3ème mois. Elle affirme ensuite que du sang serait coulé sur ses jambes et qu’elle aurait pu quitter l’hôpital au bout de quelques jours. Elle affirme encore qu’une infirmière l’aurait informée qu’un homme dont elle avait pensé qu’il s’agissait de son mari, l’avait amenée à l’hôpital ensemble avec ses affaires.

Le tribunal constate d’abord que, contrairement aux développements de la partie étatique, le fait que la demanderesse ne se souvienne pas de son transport et de la personne qui l’aurait transportée à l’hôpital n’entache pas la crédibilité de son récit, alors qu’elle y a été transportée contre son gré et après avoir ingéré, avec son repas, une substance censée la rendre inconsciente, de sorte qu’il est tout à fait cohérent que la demanderesse ne sache donner plus de détails sur cet élément de son récit. Il échet encore de constater que c’est à tort que la partie étatique estime que la demanderesse n’aurait pu, suite à une séquestration durant 76 jours, avoir été enceinte au 3ème mois d’un viol ayant eu lieu pendant cette période, alors qu’en effet le 3ème mois d’une grossesse se situe entre le 63ème et le 91ème jour. De même, le tribunal relève que, vu le caractère forcé et clandestin de l’avortement ainsi effectué, la crédibilité du récit de la demanderesse n’est pas ébranlée par l’absence de documents établissant ces faits provenant de l’hôpital en question. De même, le tribunal ne partage pas l’analyse du ministre suivant laquelle la demanderesse, pour pouvoir affirmer que le colonel avait ramené ses affaires personnelles, dont sa sacoche et son téléphone portable, à l’hôpital, elle aurait nécessairement dû voir le colonel à l’hôpital, alors que la demanderesse affirme clairement ne pas avoir vu le colonel et seulement supposer qu’il l’aurait transporté à l’hôpital et aurait parlé avec l’infirmière.

Le fait relaté par la demanderesse d’avoir, à la sortie de l’hôpital, demandé le téléphone portable d’un cireur de chaussures afin d’appeler l’infirmière en question pour lui raconter son histoire, n’est par ailleurs pas de nature à vicier la crédibilité globale du récit de la demanderesse, étant encore relevé que, contrairement aux développements de la partie étatique, la demanderesse n’a pas indiqué combien de temps elle a pu se servir dudit téléphone et n’a partant pas affirmé avoir utilisé le téléphone en question pendant des heures, tel que le soutient à tort la partie étatique.

Faute de demandes de précisions y afférentes, le tribunal ne saurait partager l’analyse du ministre qu’il serait improbable qu’une infirmière et une autre personne jusque-là inconnue de la demanderesse l’auraient aidée après les événements ayant eu lieu à l’hôpital à Hawassa.

En ce qui concerne encore les hésitations de la demanderesse par rapport au déroulement exact de sa prise de contact avec sa famille suite à sa sortie de l’hôpital et de l’appel reçu de la part du colonel …, le tribunal relève que le contexte traumatisant des événements vécus par la demanderesse doit être considérée comme étant de nature à favoriser 6 Page 10 du rapport d’entretien 7 Page 6 du rapport d’entretienune mémoire lacuneuse sur certains détails de sorte que la crédibilité de son récit dans sa globalité ne saurait s’en trouver viciée à tel point qu’aucun crédit ne saurait être accordé à celui-

ci.

En ce qui concerne les critiques de la partie étatique concernant l’obtention par la demanderesse de son passeport et sa fuite de l’Ethiopie, il ressort du rapport d’entretien que cette dernière a indiqué avoir reçu son passeport alors qu’elle était encore mineure8 et qu’elle l’aurait obtenu légalement en indiquant une date de naissance erronée afin de paraître majeure9, et que suite aux événements l’ayant poussée à quitter l’Ethiopie, son oncle aurait contacté une personne qui l’aurait aidé à obtenir un visa touristique néerlandais et un billet d’avion pour un vol en Allemagne. S’il ne paraît, certes, pas nécessaire de passer par les services d’un passeur afin d’obtenir un passeport, force est au tribunal de constater que la demanderesse n’a jamais affirmé une telle chose, alors qu’elle s’est limitée à relater avoir été aidée par une jeune femme dans les démarches de l’obtention de son visa et qu’elle a affirmé avoir possédé son passeport dès avant sa majorité, éléments qui ne sont en tout état de cause pas pertinents quant à sa crédibilité générale, alors qu’il ne subsiste aucun doute sur l’identité de la demanderesse.

Il s’ensuit que le récit de la demanderesse tenant aux circonstances et à ses motifs de fuite est, contrairement à l’analyse de la partie étatique, à déclarer crédible dans son ensemble.

Ce constat n’est pas énervé par les développements de la partie étatique relatifs à la date de naissance erronée de la demanderesse sur ses documents officiels et le déroulement de sa fuite de l’Ethiopie, en dehors d’autres incohérences viciant la crédibilité générale du récit de la demanderesse, alors que d’une part, tel que relevé ci-avant il ne subsiste aucun doute sur l’identité et la date de naissance de la demanderesse, celle-ci étant identifiée, pièces versées par ses soins, et que, d’autre part, le fait que la demanderesse aurait envisagé à l’âge de 17 ans de quitter l’Ethiopie pour aller travailleur dans les pays arabes n’empêche pas que par la suite les événements tels que relatés dans son récit se soient effectivement produits.

Dans la mesure où le ministre a omis d’instruire le dossier au-delà de la crédibilité du récit de la demanderesse, mettant ainsi le tribunal dans l’impossibilité d’apprécier le bien-fondé du refus d’octroi d’une protection internationale et d’épuiser son pouvoir en réformation, il y a lieu d’annuler la décision déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier au ministre afin que la demande de protection internationale de Madame … puisse faire l’objet d’un examen au fond, à un stade précontentieux.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un tel recours a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Quant à l’ordre de quitter le territoire, la demanderesse estime qu’à titre principal que l’ordre de quitter le territoire devrait être reformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection internationale.

8 Page 2 du rapport d’entretien 9 Page 3 du rapport d’entretienElle estime encore que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », qui dispose que « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », dans la mesure où un retour en Ethiopie serait suivi de traitements inhumains ou dégradants, de sorte à constituer également une violation de l’article 3 de la CEDH. Afin d’appuyer ses déclarations, elle se réfère à la jurisprudence de la CourEDH10 ainsi qu’à une décision de la Commission européenne des droits de l’homme11 selon lesquelles l’existence d’un simple risque que l’étranger soit soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH, en cas de retour dans son pays d’origine suffirait pour un non-éloignement.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours introduit contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visé à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à tort que le ministre a mis en doute la crédibilité de la demanderesse et que la décision de refus d’une protection internationale est dans le cadre du recours en réformation à annuler en conséquence, il y a également lieu d’annuler, dans le cadre du recours en réformation, l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de Madame …, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 avril 2021 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Madame … ;

au fond, le déclare justifié ;

10 CEDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, requête n° 30240/96 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, requête n° 14038/88 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah c. Royaume-Uni, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87.

11 Commission, 15 décembre 1977, X. c. RFA, requête n° 6699/74, DR 11, p.16partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 29 avril 2021 et renvoie le dossier devant ledit ministre en prosécution de cause ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule l’ordre de quitter le territoire émis à l’égard de Madame … ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mai 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, Laura Urbany, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mai 2023 Le greffier du tribunal administratif 24


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46085
Date de la décision : 26/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/05/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-05-26;46085 ?

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