La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2023 | LUXEMBOURG | N°45897

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mai 2023, 45897


Tribunal administratif N° 45897 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:45897 4e chambre Inscrit le 14 avril 2021 Audience publique du 23 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre un acte du Directeur général de la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois (CFL), en matière de recrutement

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45897 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2021 par Maître Jean-Marie Bauler, av

ocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 45897 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:45897 4e chambre Inscrit le 14 avril 2021 Audience publique du 23 mai 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre un acte du Directeur général de la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois (CFL), en matière de recrutement

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45897 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2021 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, fonctionnaire auprès de l’Administration des Chemins de Fer, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation « d’une décision du Directeur général de la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois du 11 janvier 2021 ayant refusé sa candidature au poste de « responsable urgences » » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 23 avril 2021, portant signification de la requête introductive d’instance à la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois, ci-après dénommée « la SNCFL », société commerciale à statut légal spécial de droit luxembourgeois, établie et ayant son siège social à L-1616 Luxembourg, 9, place de la Gare, représentée par ses organes statutaires actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 59025 ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 avril 2021 par Maître Eliane Schaeffer, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la SNCFL, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 septembre 2021 par Maître Eliane Schaeffer, préqualifiée, pour compte de la SNCFL, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 octobre 2021 par Maître Jean-Marie Bauler, préqualifié, pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 novembre 2021 par Maître Eliane Schaeffer, préqualifiée, pour compte de la SNCFL ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, et Maître Cathy Mallick, en remplacement de Maître Eliane Schaeffer, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 novembre 2022.

___________________________________________________________________________

Suite à un appel à candidatures pour un poste de responsable d’urgences, service exploitation infrastructure – Carrière S, auprès de la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois, dénommé ci-après « la SNCFL », en date du 8 juin 2020, Monsieur …, fonctionnaire auprès de l’Administration des Chemins de Fer, ci-après désignée par « l’ACF », posa, par voie d’un formulaire interne de la SNCFL intitulé « Demande de mutation », sa candidature pour ledit poste en date du 11 juin 2020.

Par courriel du 14 juillet 2020, Monsieur … fut invité à une entrevue le 24 juillet 2020, laquelle fut oralement annulée par la suite.

Par courriel du 26 août 2020, le service recrutement et mobilité de la SNCFL rejeta sa candidature pour le poste de responsable d’urgences.

Par courrier de son mandataire du 28 septembre 2020, Monsieur … pria la SNCFL de reconsidérer le rejet de sa candidature et de l’admettre au poste de responsable d’urgences, tout en demandant des précisions quant aux motifs soutenant le refus de sa candidature, décision qu’il qualifia comme « illégale ».

Par courrier du 11 janvier 2021, le Directeur général de la SNCFL prit position comme suit par rapport au courrier de Monsieur … du 28 septembre 2020 :

« Nous accusons réception de votre courrier daté du 28 septembre 2020 nous informant de votre intervention en tant que conseil de M. … et vous prions de bien vouloir nous excuser pour le retard avec lequel nous vous répondons.

Votre mandant a été transféré, à sa demande en février 2011, à l’Administration des chemins de fer conformément à l’article 10 de la loi du 22 juillet 2009 sur la sécurité ferroviaire.

Ce transfert étant définitif au vu dudit article, d’ailleurs adapté suite à l’avis du Conseil d’Etat du 8 janvier 2009, la candidature de votre mandant n’a dès lors par pu être prise en considération. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation « d’une décision du Directeur général de la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois du 11 janvier 2021 ayant refusé sa candidature au poste de « responsable urgences » » .

Dans son mémoire en réponse et à titre liminaire, tout en se prévalant des articles 2, paragraphe (1) et 7, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », la SNCFL conclut à l’incompétence ratione materiae du tribunal administratif pour connaître du recours dirigé contre l’acte déféré du 11 janvier 2021 émanant de la SNCFL, au motif que cette dernière ne serait, en tout état de cause, pas une administration mais une société commerciale à statut légal spécial de droit luxembourgeois et que les agents de la SNCFL ne seraient ni des fonctionnaires ni des employés de l’Etat.

Or, la compétence du tribunal administratif pour connaître d’un recours serait conditionnée par l’existence d’une décision administrative, respectivement d’un acte administratif individuel ou réglementaire, la jurisprudence constante en la matière ayant retenu que pour être qualifié d’acte administratif susceptible de recours devant le tribunal administratif, la décision devrait être susceptible de créer par elle-même des effets juridiques.

Elle précise encore, dans ce contexte, que la jurisprudence1 aurait d’ores et déjà eu l’occasion de retenir que pour qu’une décision émanant de la SNCFL, puisse, le cas échéant, être qualifiée de décision administrative, il serait nécessaire que la SNCFL aurait agi en tant qu’autorité administrative en prenant cette décision, c’est-à-dire qu’elle aurait exercée « des prérogatives de droit public », respectivement qu’elle aurait été « investie pour l'acte considéré de pouvoir exorbitants du droit commun applicable entre particuliers », ce qui ne serait, en tout état de cause, pas le cas en l’espèce. Au contraire, force serait de constater que la décision attaquée ne constituerait nullement le résultat de l’exercice de prérogatives de droit public, voire la mise en œuvre de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, mais une simple décision prise par un employeur, en l’occurrence une société commerciale, quant à une candidature lui soumise par un tiers, de sorte qu’en l’absence d’une décision pouvant être qualifiée d’acte administratif, le tribunal de céans devrait se déclarer incompétent pour connaître du recours introduit par Monsieur …, sinon le déclarer nul, sinon irrecevable de ce chef.

À titre subsidiaire, la SNCFL estime que l’acte déféré du 11 janvier 2021 ne constituerait que la confirmation du rejet de la candidature de Monsieur …, dont il aurait déjà été informé tant à l’oral que par courriel du 26 août 2020. L’acte déféré ne présenterait ainsi aucun caractère décisionnel et ne constituerait donc pas une décision administrative susceptible de recours, de sorte que le tribunal de céans devrait se déclarer incompétent pour connaître du recours introduit par Monsieur …, sinon le déclarer nul, sinon irrecevable de ce chef.

À titre plus subsidiaire, et si par impossible le tribunal était d’avis que la décision déférée du 11 janvier 2021 serait à qualifier de décision administrative susceptible de recours, la SNCFL fait valoir que dans la mesure où Monsieur … sollicite, principalement la réformation de la décision litigieuse, le tribunal administratif devrait se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation, sinon le déclarer nul, sinon irrecevable, alors qu’aucune disposition légale ne prévoirait un tel recours au fond devant les juridictions administratives en la matière.

A titre encore plus subsidiaire, la SNCFL se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours en la forme, quant aux délais et quand à l’intérêt à agir.

Il ressort de la requête introductive d’instance de Monsieur … qu’il conclut, d’une part, à la recevabilité de son recours, alors qu’il a respecté les formes et le délai légal, la décision litigieuse n’indiquant ni les voies, ni les délais de recours, et, d’autre part, à la compétence du tribunal administratif pour connaître de son recours en se fondant sur sa qualité d’agent de l’ACF auquel l’article 62 du statut du personnel de la SNCFL, prévoyant la compétence des tribunaux de travail, ne serait pas applicable.

1 Trib. adm., 7 octobre 2015, n° 34719 du rôle.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … s’oppose aux moyens tirés de l’incompétence matérielle du tribunal administratif pour connaître de son recours, alors que le fait que la SNCFL ne serait pas une administration, mais aurait la forme juridique d’une société commerciale à statut légal spécial de droit luxembourgeois, serait sans incidence sur la qualification d’établissement public, respectivement de personne morale de droit public, celle-

ci ayant toujours été considérée comme un établissement public, tel que cela résulterait de la liste des Etablissements publics, Fondations et Groupements d’intérêt économique (GIE) publiée officiellement sur le site internet de la Trésorerie de l’Etat.

Il estime que si la loi ne qualifierait pas expressément d’établissement public une entité, le juge utiliserait la technique du faisceau d’indices, en analysant s’il existait une tutelle étatique ou un financement public, si l’entité était chargée d’une mission de service public, mais aussi et surtout si elle disposait de prérogatives de puissance publique. Or, la SNCFL se trouverait sous la tutelle du ministère de la Mobilité et des Travaux publics, tel que cela résulterait du site internet dudit ministère, ainsi que d’un jugement du tribunal administratif du 7 juin 2015, inscrit sous le numéro 34719 du rôle, de sorte qu’il y aurait lieu de retenir que la SNCFL serait soumise à un certain contrôle de la part de l’Etat luxembourgeois. Monsieur … fait encore valoir que la SNCFL bénéficierait d’un financement public, qu’elle serait en charge d’un service public et surtout qu’elle serait détentrice de prérogatives de puissance publique en vertu desquelles elle aurait le droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte. Il considère en outre que ce serait à tort que la SNCFL arguerait que l’acte sous examen ne constituerait nullement le résultat de l’exercice de prérogatives de droits publics ou la mise en œuvre de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, mais une simple décision prise par un employeur à l’égard d’une candidature lui soumise par un tiers, alors que le critère de prérogatives de puissance publique dans le cadre d’une prise de décision ne serait pas un critère entraînant la qualification de décision administrative, l’exercice de prérogatives de puissance publique entraînant uniquement la qualification de personne morale de droit public. Dans ce contexte, il explique que les administrations, dont la qualification de personne publique ne serait pas contestée, prendraient un certain nombre de décisions, notamment concernant l’organisation de leurs services, sans agir dans la sphère de leurs pouvoirs exorbitants de droit commun, ces décisions constituant des actes administratifs.

Monsieur … fait encore relever qu’il serait de jurisprudence qu’un contrat ne donnerait naissance, dans le chef des parties, qu’a des droits subjectifs dont le juge serait celui de l’ordre judiciaire, tout comme pour le contentieux relatif à la formation du contrat, de l’exécution ou de la réalisation des contrats. Or, l’acte litigieux n’aurait ni pour objet de statuer sur les droits subjectifs nés d’un contrat entre lui-même et la SNCFL, ni sur la formation, l’exécution ou la réalisation d’un tel contrat.

Monsieur … fait finalement relever que la séparation organique et structurelle de la SNCFL et de l’ACF, pour des raisons évidentes d’indépendance, permettrait de conclure que les relations entre la SNCFL et un agent de l’ACF, comme celle en l’espèce, relèverait de la sphère administrative de la même manière que les rapports entre la SNCFL et un usager de son service public.

La SNCFL estime, dans le cadre de son mémoire en duplique, que l’argumentation de Monsieur … relative à l’incompétence du tribunal administratif pour connaître de son recours ne serait ni pertinente, ni concluante, sinon, en tout état de cause, formellement contestée.

Elle fait relever que le fait que la SNCFL bénéficierait en partie d’un financement étatique, de sorte à apparaître dans un listing sur le site internet de la Trésorerie de l’Etat, ne saurait avoir une quelconque pertinence quant à la compétence, respectivement l’incompétence des juridictions administratives pour connaître du présent litige.

Elle conteste ensuite l’argumentation de Monsieur … selon laquelle le fait que la SNCFL ne serait pas une administration mais une société commerciale à statut légal spécial de droit luxembourgeois, serait sans incidence sur la qualification d’établissement public, alors que, d’une part, tous les établissements publics luxembourgeois seraient systématiquement qualifiés comme tel par la loi, et, d’autre part, la qualification juridique de « société commerciale à statut légal spécial de droit luxembourgeois » aurait précisément été choisie par le législateur et retenue dans les statuts de la SNCFL, tels qu’approuvés par la loi du 16 juin 1947 concernant l’approbation de la convention Belgo-Franco-Luxembourgeoise du 17 avril 1946 relative à l’exploitation des chemins de fer du Grand-Duché et des conventions annexes, ci-après dénommée « la loi du 16 juin 1947 », respectivement la loi du 28 mars 1997 ; 1° approuvant le protocole additionnel du 28 janvier 1997 portant modification de la Convention belgo-franco-luxembourgeoise relative à l’exploitation des chemins de fer du Grand-Duché, signée à Luxembourg, le 17 avril 1946 ; 2° approuvant les statuts modifiés de la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois (CFL) ; 3° concernant les interventions financières et la surveillance de l’Etat à l’égard des CFL et 4° portant modification de la loi du 10 mai 1995 relative à la gestion de l’infrastructure ferroviaire, ci-après dénommée « la loi du 28 mars 1997 ». La SNCFL fait encore valoir, dans ce contexte, que Monsieur … semblerait se méprendre quant à la notion d’établissement public qui ne serait pas à confondre avec la notion d’autorité administrative au sens de la jurisprudence luxembourgeoise. Par ailleurs, la SNCFL ne serait ni une administration, ni un établissement public, et n’aurait d’ailleurs jamais été considérée comme telle, contrairement aux développements de Monsieur …. Bien au contraire, le tribunal administratif dans son jugement du 7 juin 2015, inscrit sous le numéro 34719 du rôle, aurait d’ores et déjà eu l’occasion de se prononcer sur le fait que la SNCFL ne constituerait, d’après ses statuts pas une personne morale de droit public, mais une personne morale soumise à côté de ses statuts, aux dispositions applicables aux sociétés commerciales, de sorte qu’elle ne serait a priori pas un organe de droit public.

La SNCFL ne conteste pas que l’Etat luxembourgeois, de même que l’Etat belge et français, détiendrait des parts dans la SNCFL, ni que celle-ci gérerait un service public de transport en commun, soumis à un certain contrôle étatique, mais elle précise que ce contrôle ne serait pas généralisé pour n’être limité qu’à certains domaines, la SNCFL étant avant tout une société de droit commercial à statut spécial de droit luxembourgeois.

La SNCFL soutient en outre que le jugement précité du tribunal administratif du 7 juin 2015 aurait également eu l’occasion de relever que la SNCFL serait une société de droit luxembourgeois jouissant de la personnalité morale étant régie, sous réserve des dérogations légales, par ses statuts et, subsidiairement, par les lois en vigueur sur les sociétés commerciales, ledit jugement précisant encore que ses engagements seraient réputés commerciales, de sorte qu’il serait ainsi formellement et énergiquement contesté que toutes ses décisions pourraient être considérées comme des décisions administratives. A titre d’exemple, la SNCFL entend mettre en exergue que l’article 62 du statut du personnel de la SNCFL soumettrait tout litige entre elle et son personnel à la compétence du tribunal du travail et non des juridictions administratives. Elle donne également à considérer que la jurisprudence constante serait claire quant au fait que pour qu’un litige tombe sous la compétence des juridictions administratives, plusieurs critères devraient être réunis, à savoir notamment que l’autorité ayant pris l’acte devrait pouvoir être qualifiée d’autorité administrative et qu’elle devrait avoir agi précisément, en prenant l’acte visé, dans la sphère du droit administratif, deux conditions exigées cumulativement, ce qui aurait été le cas pour une décision prise par la SNCFL, dans un litige ayant donné lieu à un jugement du tribunal administratif du 7 octobre 2015, inscrit sous le numéro 34719 du rôle. La SNCFL estime dès lors que, contrairement aux considérations de Monsieur …, il s’agirait en l’espèce, pour autant que la qualification d’autorité administrative devrait être retenu, d’examiner si en prenant la décision litigieuse, la SNCFL aurait agi dans la sphère du droit administratif, c’est-à-dire si la décision sous examen aurait été prise dans le cadre de prérogatives de droit public, respectivement si la SNCFL avait été investie, pour l’acte considéré, de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, à savoir du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte, ce qui ne serait pas le cas en ce qui concerne le recrutement de ses agents, de sorte que l’acte sous examen ne saurait être considéré comme résultant de l’exercice de prérogatives de droit public.

La SNCFL conteste encore l’argumentation de Monsieur … selon laquelle les juridictions judiciaires ne seraient compétentes que pour connaître des droits subjectifs et des contrats, au motif que de tels développements ne seraient en l’occurrence sans aucune pertinence. Elle estime, à cet égard, que les juridictions judiciaires constitueraient les juridictions de principe, tandis que les juridictions administratives seraient les juridictions d’exception.

La SNCFL indique ensuite que le fait pour Monsieur … de citer des passages de la convention du 17 août 2019 relatifs à des considérations strictement internes à l’organisation de l’ACF serait sans pertinence aucune pour le présent litige, alors que ladite organisation interne ne saurait avoir une quelconque influence sur la qualification de la décision litigieuse prise par la SNCFL.

En l’absence d’une décision susceptible d’être qualifiée d’acte administratif, elle conclut à l’incompétence du tribunal administratif pour connaître du présent recours introduit par Monsieur ….

S’agissant de la compétence des juridictions administratives pour connaître d’une décision prise par la SNCFL, l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 dispose que : « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements ». Ledit article subordonne ainsi la compétence des juridictions administratives à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que l’acte entrepris ait force décisionnelle affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste et, d’autre part, qu’il ait un caractère administratif, c’est-à-dire qu’il doit être l’œuvre d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés2.

Force est d’abord au tribunal de relever qu’en l’espèce, l’acte déféré du 11 janvier 2021 émane de la SNCFL, laquelle a confirmé, suite à la réclamation de Monsieur …, le rejet 2 Le Contentieux administratif en droit luxembourgeois par Rusen Ergec, Pas. adm. 2022, p. 13.

de sa candidature à un poste de responsable d’urgences dont il a été informé par courriel du 26 août 2020, de sorte que le caractère décisionnel de l’acte doit être retenu et qu’il convient d’examiner si l’acte émane d’une autorité administrative.

L’autorité administrative peut être définie comme étant celle qui met en œuvre un pouvoir administratif, c’est-à-dire qui soit participe à l’exécution de la puissance publique, soit gère un service public3, étant relevé que l’autorité administrative doit avoir agi dans la sphère du droit administratif4.

D’après le premier critère dégagé on doit qualifier d’acte administratif, l’acte pris par une autorité relevant, du moins pour cet acte, de la sphère du droit administratif. Il s’agit normalement d’un organisme de droit public ayant la qualité d’autorité administrative, celle-ci étant qualifiée comme autorité participant à un titre quelconque à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire exerçant des prérogatives de droit public, investie pour l’acte considéré de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes, du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte5 - peu importe que l’autorité relève, pour d’autres attributions et décisions, de juridictions différentes6.

A côté de ce premier critère de distinction coexiste un second, à savoir celui du service public.

Peuvent être considérées comme des autorités administratives des institutions de droit privé qui sont chargées de la gestion d’un service public ou d’une mission d’intérêt général7.

Force est de constater qu’il se dégage des statuts de la SNCFL, tels qu’ils sont approuvés par une loi du 28 mars 1997, que la SNCFL est une société commerciale à statut légal spécial de droit luxembourgeois jouissant de la personnalité morale et étant régie, sous réserve des dérogations approuvées ou prévues par la loi, par ses statuts et subsidiairement par les lois en vigueur sur les sociétés commerciales et que ses engagements sont réputés commerciaux. S’il est vrai que l’Etat luxembourgeois, à côté de l’Etat belge et de l’Etat français, a des participations dans la SNCFL, celle-ci ne constitue, d’après ses statuts, pas une personne morale de droit public, mais une personne morale soumise, à côté de ses statuts, aux dispositions applicables aux sociétés commerciales. Il s’ensuit que la SNCFL n’est a priori pas un organe de droit public8 et que les moyens présentés par Monsieur … tendant à qualifier la SNCFL d’établissement public, respectivement de personne morale de droit public par voie d’un faisceau d’indices encourent le rejet pour manquer de pertinence.

D’autre part, il se dégage néanmoins de la loi du 28 mars 1997 ayant notamment approuvé les statuts modifiés de la SNCFL, que cette dernière est soumise à un certain contrôle de la part de l’Etat luxembourgeois, pouvoir de contrôle qui se dégage encore de 3 Trib. adm. 30 octobre 2001, n° 11798 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratif, n° 9 (1er volet) et les autres références y citées.

4 Le Contentieux administratif en droit luxembourgeois par Rusen Ergec, Pas. adm. 2022, p. 20.

5 F. SCHOCKWEILER, Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 47.

6 Ibidem, n° 49.

7 Trib. adm. 7 octobre 2015, n° 34718 et 34719 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratif, n° 9 (3e volet).

8 Trib. adm. 7 octobre 2015, n° 34718 et 34719 du rôle, disponible sur jurad.etat.lu.

manière plus générale de la loi modifiée du 29 juin 2004 portant sur les transports publics et modifiant la loi modifiée du 12 juin 1965 sur les transports routiers.9 S’il n’est pas contesté que la SNCFL répond à un besoin d’intérêt général en ce qu’elle gère un service public du transport en commun, soumis à un certain contrôle étatique dans l’exercice de cette mission, force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la SNCFL, en prenant l’acte déféré du 11 janvier 2021, ayant pour objet le rejet de la candidature de Monsieur … à un poste de responsable urgences, n’a pas agi dans l’exercice de son service public du transport en commun, mais dans le cadre de la gestion de son personnel, contentieux soumis, en vertu de l’article 62 du statut du personnel de la SNCFL, à la compétence des tribunaux du travail, de sorte que l’acte en question n’est pas à qualifier de décision administrative.

Concernant le raisonnement de Monsieur … selon lequel l’article 62 du statut du personnel de la SNCFL, attribuant compétence aux tribunaux du travail pour les litiges opposant la SNCFL et les membres de son personnel, ne lui serait pas applicable au motif qu’il ne pourrait pas être considéré comme faisant partie du personnel de la SNCFL, ainsi que ses développements selon lesquelles l’acte déféré n’aurait pas trait à des droits subjectifs nés d’un contrat, un tel litige étant soumis au juge judiciaire, force est au tribunal de relever qu’il vient d’être retenu que l’acte déféré du 11 janvier 2021 ne constitue pas une décision administrative, critère de compétence du tribunal administratif, le contentieux administratif se distinguant précisément en ce qu’il fait un procès à l’acte et non à une personne, de sorte que l’analyse de l’ensemble de ces considérations est surabondante pour manquer de pertinence.

Enfin, quant à l’argumentation de Monsieur … selon laquelle bien qu’il y ait une séparation organique entre l’ACF et la SNCFL, les relations entre la SNCFL et un agent de l’ACF relèverait de la sphère administrative de la même manière que les rapports entre la SNCFL et un usager de son service public, force est au tribunal de constater qu’elle reste à l’état de pure allégation pour n’être appuyé par aucun élément en fait ou en droit, étant rappelé à cet égard qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, de sorte que cette argumentation encourt le rejet.

Le tribunal est partant incompétent ratione materiae pour connaître du recours dirigé contre l’acte déféré.

Au vu de l’issue du litige, la demande tenant à voir condamner la SNCFL au paiement d’une indemnité de procédure de 5.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent ratione materiae pour connaître du présent recours ;

rejette la demande de Monsieur … en allocation d’une indemnité de procédure ;

9 Ibidem.

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mai 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, Laura Urbany, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mai 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 45897
Date de la décision : 23/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/05/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-05-23;45897 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award