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15/05/2025 | LUXEMBOURG | N°87/25

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 15 mai 2025, 87/25


N° 87 / 2025 du 15.05.2025 Numéro CAS-2024-00139 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quinze mai deux mille vingt-cinq.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître D

eidre DU BOIS, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et ...

N° 87 / 2025 du 15.05.2025 Numéro CAS-2024-00139 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quinze mai deux mille vingt-cinq.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défendeur en cassation, comparant par Maître Marisa ROBERTO, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué numéro 160/24-I-CIV (aff. fam.) rendu le 10 juillet 2024 sous le numéro CAL-2024-00469 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 5 septembre 2024 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 13 septembre 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 25 octobre 2024 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), déposé le 30 octobre 2024 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Monique SCHMITZ.

Sur les faits Il ressort des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que le 27 mars 2023, la demanderesse en cassation avait assigné le défendeur en cassation à comparaître devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Versailles pour voir prononcer le divorce et prendre des mesures accessoires à celui-ci.

Par « ordonnance d’orientation et de mesures provisoires en divorce » du 7 novembre 2023, exécutoire de plein droit, un juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Versailles avait notamment dit que le juge français était compétent pour statuer sur le divorce, sur l’obligation alimentaire entre époux, sur les mesures provisoires relatives à l’obligation alimentaire relative aux deux enfants communs et sur les mesures provisoires relatives à la résidence et au droit de visite et d’hébergement relatif à l’enfant commun mineur. Il s’était déclaré incompétent pour statuer sur les mesures provisoires relatives à l’autorité parentale à l’égard de cet enfant et avait statué sur tous les autres points sur base de la loi française. Il avait encore rejeté la demande de sursis à statuer formulée par la demanderesse en cassation.

Sur l’orientation de la procédure, le juge avait renvoyé l’affaire à une audience ultérieure et invité les parties à déposer des conclusions au fond.

Un juge aux affaires familiales près le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait été saisi le 3 novembre 2023 par le défendeur en cassation de demandes « sur base de [l’article] 1007-3 du Nouveau code de procédure civile » tendant à voir statuer sur les questions relatives à l’autorité parentale concernant les deux enfants communs mineurs, aux relations personnelles des parents avec les enfants communs et à la participation à leur éducation et leur entretien, ainsi que de demandes identiques basées sur l’article 234 du Code civil auxquelles le défendeur en cassation avait renoncé en cours d’audience. Les parties avaient limité les débats aux conséquences procédurales à tirer de l’ordonnance rendue le 7 novembre 2023 par un juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Versailles et réservé les demandes quant au fond.

Par jugement du 29 mars 2024, le juge aux affaires familiales s’était déclaré compétent pour connaître des demandes des parties, avait dit sans objet celle tendant à déterminer les modalités d’exercice de l’autorité parentale envers l’enfant commun devenu majeur, avait débouté la demanderesse en cassation de sa demande tendant au sursis à statuer, avait débouté le défendeur en cassation de sa demande en exécution provisoire du jugement et avait réservé l’ensemble des demandes.

Par requête déposée le 16 mai 2024 au greffe de la Cour d’appel, la demanderesse en cassation a relevé appel de ce jugement.

Par l’arrêt attaqué, la Cour d’appel, devant laquelle les débats avaient été limités à la recevabilité de l’appel, retenant que « dans sa requête introductive de première instance, [le défendeur en cassation] ne se réfère pas expressément, ni à l’article 1007-3 du Nouveau Code de procédure civile relatif à la procédure à suivre en matière de droit commun, ni à l’article 1007-12 du Nouveau Code de procédure civile relatif aux dispositions applicables à la procédure de divorce, ni à l’article 1007-24 du même code applicable à la procédure au fond du divorce et aux mesures accessoires (…) », a déclaré l’appel caduc, sur base de l’article 1007-43 du Nouveau Code de procédure civile, en l’absence de signification de la requête d’appel au défendeur en cassation.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, respectivement de la mauvaise application manifeste de l’article 1007-9 du Nouveau Code procédure civile ainsi que par la violation sinon la mauvaise application manifeste de l’article 1007-43 du Nouveau Code procédure civile, En ce que la Cour supérieure de Justice a décidé de déclarer caduc l’appel introduit par Madame PERSONNE1.) par requête déposée le 16 mai 2024 au motif que cette requête n’a pas fait l’objet d’une signification telle que prévue à l’article 1007-43 du Nouveau code de procédure civile, et ce alors que juge de 1ère instance a appliqué la procédure prévue à l’article 1007-3 du Nouveau code de procédure civile, soit la procédure de droit commun qui ne prévoit pas, en appel, la signification de la requête d’appel ;

Alors que, la Cour supérieure de Justice aurait dû appliquer l’article 1007-9 du Nouveau code de procédure civile à la procédure d’appel qui ne requiert aucune signification de la requête d’appel par voie d’huissier ;

De sorte que la Cour supérieure de Justice aurait dû recevoir l’appel en la forme et prendre une décision quant au fond dans la présente affaire. ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief au juge d’appel d’avoir violé les dispositions visées au moyen en n’ayant pas fait application de l’article 1007-9 du Nouveau Code de procédure civile, qui ne prévoit pas d’obligation de signifier la requête d’appel à l’intimé.

Vu l’article 1007-9, paragraphes 1 et 2, du Nouveau Code de procédure civile.

Selon cette disposition, l’appel introduit contre un jugement rendu par un juge aux affaires familiales ayant statué selon le droit commun, hors divorce, est formé par une requête déposée au greffe de la Cour d’appel. Le greffier notifie la requête et les pièces à la partie intimée.

Il ressort du jugement du 29 mars 2024 que le juge de première instance, après avoir constaté que la requête du défendeur en cassation était basée sur l’article 1007-

3 du Nouveau Code de procédure civile et en fondant sa compétence sur les articles 1007-1, points 6 et 7, et 1007-2 du Nouveau Code de procédure civile, avait statué conformément au droit commun.

Le juge d’appel, en ayant déclaré l’appel caduc sur base de l’article 1007-43 du Nouveau Code de procédure civile, applicable aux seules instances en divorce, a violé, par refus d’application, l’article 1007-9 du Nouveau Code de procédure civile.

Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Le défendeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt numéro 160/24-I-CIV (aff. fam.) rendu le 10 juillet 2024 sous le numéro CAL-2024-00469 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, autrement composée ;

rejette la demande du défendeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

le condamne aux frais de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Deidre DU BOIS sur ses affirmations de droit ;

ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt sera transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt sera consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.

Monsieur le président Thierry HOSCHEIT étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Bob PIRON et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ PERSONNE2.) (affaire n° CAS-2024-00139 du registre) Le pourvoi en cassation introduit par PERSONNE1.), ci-après PERSONNE1.), par mémoire en cassation daté au 4 septembre 2024, signifié à PERSONNE2.), ci-après PERSONNE2.), le 5 septembre 2024, et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 13 septembre 2024, est dirigé contre l’arrêt n° 160/24-I-CIV, rendu contradictoirement le 10 juillet 2024 par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, dans la cause inscrite numéro CAL-

2024-00469 du rôle.

L’arrêt fut signifié à PERSONNE1.) en date du 23 juillet 2024.

Le pourvoi en cassation est recevable en la forme pour avoir été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure de cassation.

PERSONNE2.) a signifié le 25 octobre 2024 à PERSONNE1.) un mémoire en réponse qu’il a déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 30 octobre 2024. Ayant été signifié et déposé conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer.

Quant aux faits et rétroactes :

PERSONNE1.) a assigné PERSONNE2.) devant les juridictions françaises en vue de voir prononcer le divorce, trancher les mesures accessoires au divorce, ainsi que les mesures provisoires pendant la procédure de divorce.

Par ordonnance rendue le 7 novembre 2023 par tribunal judicaire de Versailles, la juridiction française s’est déclarée - compétente pour connaître du divorce et de l’obligation alimentaire entre époux, - incompétente pour connaître au fond des demandes relatives à l’autorité parentale, la résidence et le droit de visite et d’hébergement, ainsi que la demande relative à l’obligation alimentaire à l’égard des enfants communs ;

- compétente pour statuer au provisoire et ce durant les temps de l’instance de divorce sur les demandes formulées au titre de l’obligation alimentaire à l’égard des deux enfants communs, de la résidence habituelle et des droits de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant PERSONNE3.) ; elle a statué sur lesdites mesures provisoires tout en précisant qu’ « il sera statué de manière provisoire et uniquement jusqu’à décision contraire même provisoire de la juridiction luxembourgeoise »1.

Par requête du 3 novembre 2023, PERSONNE2.) a saisi le juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, ci-après le JAF, afin de voir statuer sur - l’exercice de autorité parentale envers les enfants communs, - la fixation du domicile légal des enfants, - la résidence alternée, sinon le droit de visite et d’hébergement à lui accorder - les pensions alimentaires en faveur des enfants communs.

Il a en outre appelé le JAF à trancher les demandes en application de l’article 234 du Code civil, disposition légale visant les mesures provisoires dans le cadre du divorce. Par la suite il renonça2 à ce volet de la demande.

PERSONNE1.) s’est opposée aux demandes dirigées à son encontre en invoquant la surséance à statuer dans l’attente que la juridiction française prononce le divorce entre époux3.

Les parties ayant marqué leur accord de voir limiter les débats « aux conséquences procédurales à puiser de l’ordonnance rendue en cours d’instance par la juridiction française du 7 novembre 2023 », et à réserver le fond, le JAF, par jugement rendu le 29 mars 2024, s’est déclaré compétent pour connaître des demandes (avec la précision que la demande relative à l’autorité parentale en ce qui concerne l’enfant devenu majeur en cours d’instance est devenue sans objet), a débouté PERSONNE1.) de sa demande en surséance à statuer et PERSONNE2.) de sa demande en exécution provisoire. Il a encore réservé l’ensemble des demandes.

Sur requête d’appel introduite par PERSONNE1.) par dépôt au greffe de la Cour d’appel, la Cour d’appel, par arrêt n° 160/24 dont pourvoi, a déclaré son appel caduc pour ne pas avoir fait l’objet d’une signification en conformité à l’article 1007-43 (4) alinéa 2 du NCPC.

La Cour d’appel s’est déterminée comme suit :

« Si dans sa requête introductive de première instance, PERSONNE2.) ne se réfère pas expressément, ni à l’article 1007-3 du Nouveau Code de procédure civile relatif à la procédure à suivre en matière de droit commun, ni à l’article 1007-12 du Nouveau Code de procédure civile relatif aux dispositions applicables à la procédure de divorce, ni à l’article 1007-24 du même code applicable à la procédure relative au fond du divorce et aux mesures accessoires, la prédite requête comprend cependant un exposé précis des faits et de la procédure pendante en France et il résulte du jugement entrepris que les parties ont, lors de l’audience des plaidoiries en première instance, débattu en détail de l’ordonnance du 7 novembre 2023, prise dans le cadre de la procédure de divorce au fond poursuivie devant le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de Versailles.

1 cf. p. 7 du jugement du 7 novembre 2023 rendu par le tribunal judiciaire de Versailles, dans la farde de pièce versée par Me Deidre DUBOIS, pièce n° 2 ;

2 cf. p. 3 du jugement du 24 mars 2023 ;

3 cf. p. 4 du jugement du 24 mars 2023 ;

Tant les parties que le juge ne pouvaient donc ignorer que la demande de PERSONNE2.) tend à la détermination de mesures accessoires au divorce des parties poursuivi en France, concernant leurs enfants mineurs qui résident au Luxembourg.4 Le fait que le divorce n’ait pas encore été prononcé au moment où le juge de la mise en état français a pris son ordonnance du 7 novembre 2023 ne change rien à cet état des choses.

La notification du jugement entrepris aux parties par le greffe du juge aux affaires familiales luxembourgeois est sans incidence sur la matière au sujet de laquelle a statué ce juge (Cour d’appel, 23 mars 2022, n° rôle CAL-2021-00864).

Il convient donc de retenir que le juge aux affaires familiales, dans son jugement du 8 juillet 2021, a statué en matière de mesures accessoires au divorce de PERSONNE1.) et de PERSONNE2.). » Le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de la loi par mauvaise application de l’article 1007-9 du NCPC et de l’article 1007-43 du NCPC, en ce que la Cour d’appel, pour déclarer caduc l’appel introduit par PERSONNE1.) par requête déposée le 16 mai 2024, a retenu que cette requête n’a pas fait l’objet d’une signification telle que prévue à l’article 1007-43 du NCPC, « et ce alors que juge de 1ère instance a appliqué la procédure prévue à l’article 1007-3 du NCPC, soit la procédure de droit commun qui ne prévoit pas, en appel, la signification de la requête d’appel ;

Alors que, la Cour supérieure de Justice aurait dû appliquer l’article 1007-9 du NCPC à la procédure d’appel qui ne requiert aucune signification de la requête d’appel par voie d’huissier. » La demanderesse en cassation fait valoir que le JAF, aux termes de son jugement rendu le 29 mars 2024, a statué en matière de droit commun et non en matière de mesures accessoires au divorce, que partant les dispositions de l’article 1007-9 du NCPC (prescrivant que l’appel se fait par le seul dépôt d’une requête d’appel) étaient applicables et que les dispositions de l’article 1007-43 du NCPC (prescrivant que suite à son dépôt la requête d’appel doit être signifiée à la partie intimée) ne l’étaient pas.

Ainsi la Cour d’Appel n’aurait pas dû exiger la signification de l’acte d’appel et appliquer l’article 1007-43 du Nouveau Code de procédure civile pour déclarer caduc l’appel, mais, par application de l’article 1007-9 du NCPC recevoir l’appel en la forme et prendre une décision quant au fond.

De prime abord, il y a lieu d’observer qu’il n’appert ni de l'arrêt dont pourvoi, ni du jugement de première instance5, que l'accord des parties tendant à limiter les débats quant aux conséquences procédurales à puiser de l'ordonnance rendue le 7 novembre 2023 par la juridiction française, aurait eu pour but, tel que soutenu par la demanderesse en cassation dans la discussion subséquente de son moyen, de toiser la question de savoir si le juge luxembourgeois est compétent sur base du droit commun ou si les demandes de PERSONNE2.) relèvent de la compétence de la juridiction française dans le cadre de la procédure de divorce.

4 mis en exergue par la soussignée ;

5 aucune des parties n'a versé la requête introductive d'instance, voire l'acte d'appel ;

La partie demanderesse en cassation se contente de prétendre que le JAF aurait statué en droit commun et se serait déclaré compétent pour connaître de demandes autonomes et indépendantes du divorce des parties. Elle appuie son affirmation par le seul fait que le JAF a fait référence aux articles 1007-1, 1007-2 et 1007-3 du NCPC.

Toutefois, la partie demanderesse en cassation ne dit pas en vertu de laquelle des demandes limitativement énumérées à l'article 1007-1 du NCPC sous ses points 1° à 10°, délimitant la compétence matérielle du JAF, elle aurait été assignée par PERSONNE2.). Si ce n'était pour voir toiser les mesures accessoires au divorce, c’était en vertu de quelle demande relevant de la compétence matérielle du JAF ? Il aurait incombé à la partie demanderesse en cassation de fournir cette précision. Force est de constater que la partie demanderesse en cassation ne dit même pas qu'elle aurait été assignée sur base des points n° 6 et n° 7 de l'article 1007-1 du NCPC, dispositions qui, en ce qu’elles visent des demandes se mouvant entre parents non mariés, seraient de toute façon étrangères à l’espèce qui se déroule entre les époux GROUPE1.).

Sous la considération qui précède, la remarque s’impose si le moyen sous examen ne pêche pas par une imprécision de nature à le rendre irrecevable, alors qu’il ne revient ni à la soussignée, ni à Votre Cour de deviner ou de décortiquer laquelle des demandes relevant du droit commun aurait pu être tranchée par le JAF, partant en quoi la motivation ci-avant mise en exergue serait critiquable en ce qu’elle n’aurait pas retenue que le JAF a statué sur une demande relevant du droit commun.

Même si le JAF a mentionné les articles 1007-3 et 1007-(5)6, tout comme les articles 1007-1 7°, 1007-1 6° et 1007-27 du NCPC, toujours est-il qu’il y a lieu de s’attacher à ce qui fut réellement l’objet du litige soumis à l’appréciation du juge et ce que ce dernier a réellement décidé, sans se relier aux seules dispositions légales auxquelles le juge ait pu référer. Ce qui fut réellement décidé conditionne les règles procédurales à y rattacher.

La motivation employée par le juge d’appel se justifie d’autant plus que la juridiction française s’était déclarée incompétente pour connaître des mesures accessoires au divorce (par la décision rendue le 7 novembre 2023 et acceptée par les parties8) et que le demandeur PERSONNE2.) a renoncé en première instance à sa demande de voir toiser les mesures provisoires pendant l’instance de divorce. Il tombe donc sous le sens que la demande maintenue visait logiquement les mesures accessoires au divorce et que le JAF s’est en réalité prononcé y relativement.

La partie défenderesse en cassation ne s’y est pas méprise en ce qu’elle a fait procéder à la signification du jugement rendu par le JAF, ce conformément à l’article 1007-39 du NCPC.

Il en était de même pour la demanderesse en cassation. Ce constat se déduit du fait qu’elle a limité ses moyens de défense à la surséance à statuer « dans l’attente que le juge français 6 cf p. 2 du jugement du 24 mars 2024 ;

7 cf p. 8 et 9 du jugement du 24 mars 2024 ;

8 cf p. 9 du jugement du 24 mars 2024 ;

prononce le divorce »9, réitérés à l’appui de son appel10. La demande de surséance à statuer ne fait pas de sens dans le cas de figure alléguée d’une demande autonome à situer hors divorce et indépendante de la demande en divorce pendante.

Le juge d’appel ayant par une motivation exempte de vice retenu que le JAF a statué en matière de demandes accessoires au divorce, c’est sans violer les dispositions légales visées au moyen qu’il a pu retenir que la partie appelante ne s’est pas conformée aux prescriptions de l’article 1007-43 (4) du NCPC et qu’il a déclaré l’appel caduc.

Le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’articles 264, alinéa 2 du NCPC.

Il est fait grief à la Cour d’appel, au lieu d’avoir pris une décision quant au fond, d’avoir déclaré caduc l’appel introduit par PERSONNE1.) par requête déposée le 3 novembre 2023, sans avoir examiné si l’absence de signification de la requête d’appel a causé des griefs à la partie intimée, alors qu’aux termes de l’article 264, alinéa 2 du NCPC « aucune nullité pour vice de forme des exploits ou des actes de procédure ne pourra être prononcée que s’il est justifié que l’inobservation de la formalité, même substantielle, aura pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie adverse ».

En ordre principal, le moyen est irrecevable pour être nouveau.

En effet, il ne résulte ni de l’arrêt dont pourvoi, ni d’actes de procédure auxquels Votre Cour pourrait avoir égard, que la demanderesse en cassation ait invoqué en instance d’appel la disposition légale visé au moyen.

Le moyen est dès lors nouveau et, en ce qu’il devrait comporter l’examen de l’existence ou non d’un grief dans le chef de PERSONNE2.), partie intimée, mélangé de fait et de droit, partant à déclarer irrecevable à ce titre.

En ordre subsidiaire, dans la mesure où le juge d’appel a déclaré l’appel caduc, et non pas nul, la disposition légale visée au moyen, ayant trait au régime des nullités, est étrangère au cas d’espèce, le mécanisme de la caducité répondant à des critères juridiques différents de ceux relatifs aux régimes des nullités.

Sous cet aspect, le moyen sous examen est à déclarer inopérant, voire irrecevable.

9 cf. p. 9 du jugement du 24 mars 2024 ;

10 cf. l’extrait dans l’arrêt dont pourvoi à la page 3 : « PERSONNE1.) demande à la Cour, par réformation, de constater que le tribunal judicaire de Versailles a été saisi en premier, qu’il y a identité d’objet et de cause entre les mêmes parties, que les conditions de litispendance entre les procédures françaises et luxembourgeoises sont remplies, qu’il y a donc lieu de surseoir à statuer jusqu’à ce que le tribunal judiciaire de Versailles se sera prononcé sur les mesures définitives dans le cadre de la procédure de divorce pendante devant lui. » ;

Pour être complet et en dernier ordre de subsidiarité, il y a lieu de rappeler que les formes de procédure prescrites relatives au mode de saisine des juridictions relèvent de l’organisation judiciaire et sont, de ce fait, d’ordre public.

En tant tel, leur violation échappe aux dispositions de l’article 264 alinéa 2 du NCPC11.

En l’occurrence le juge d’appel a retenu que le JAF a statué en matière de demandes accessoires au divorce et a constaté que la partie appelante n’a pas procédé à la signification de la requête d’appel à la partie intimée. Le divorce pour rupture irrémédiable et les demandes accessoires au divorce quant au fond sont régies spécialement par les articles 1007-24 et suivants du NCPC, et l’article 1007-43 (4) du NCPC (inscrits sous le paragraphe 1er sous la sous-section 1ière sous la section III traitant de la procédure de divorce pour rupture irrémédiable) exige qu’en la matière la requête d’appel doit, outre le dépôt au greffe de la Cour d’appel, être signifié à la partie intimée, et ce sous peine de caducité.

Ladite disposition traduit l’intention ferme du législateur de déroger au principe de la généralisation de la notification dans le cadre des procédures relevant du JAF, nourrie par un souci de sécurité juridique12 en ce qui concerne les jugements rendus en la matière au fond. C’est par le biais de l’exigence de la signification tant du jugement au fond rendu en 1ère instance, prévue à l’article 1007-39 du NCPC, que de la requête d’appel, qu’il a voulu instaurer des garanties supplémentaires pour s’assurer que le destinataire soit informé tant du jugement au fond rendu à son égard, que de l’instance d’appel au fond engagée à son encontre. Le tout contrairement aux mesures à caractère provisoires rendues pendant la procédure de divorce, régies par les articles 1007-45 à 1007-48 du NCPC (inscrits sous le paragraphe 2 sous la sous-section 1ière sous la section III traitant de la procédure de divorce pour rupture irrémédiable) et lesquels prescrivent à titre d’appel le seul dépôt d’une requête d’appel.

En se limitant au seul dépôt de sa requête d’appel au greffe de la Cour d’appel, non suivie d’une signification, tel que prévu à l’article 1007-43 (4) précité, la partie appelante a violé une règle de fond d’ordre public afférente à l’organisation judiciaire qui, au vœu exprès de l’article 1007-

43 (4) entraîne la caducité de l’acte, à soulever même d’office et à prononcer en dehors de toute existence d’un grief.

Vu le caractère dérogatoire de l’article 1007-43 (4) du NCPC, il n’incombait dès lors pas au juge d’appel, amené à vérifier la régularité de sa saisine par la seule requête d’appel, de procéder à cet examen à la lumière de l’article 264 alinéa 2 du NCPC et de rechercher en amont si l’absence de signification de la requête d’appel à la partie intimée était susceptible de lui causer un grief. Pour être complet, les jurisprudences citées par la partie demanderesse en cassation, portant exclusivement sur les indications dans l’acte de signification quant aux modalités de comparution, ne visent pas le cas de figure de l’espèce et sont partant dépourvues de pertinence pour examiner le bien-fondé du moyen.

11 Cour 28 novembre 2001, n° 25013 du rôle ;

12 ce notamment suite aux observations de la chambre des huissiers de justice, du conseil de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg et du Conseil d’Etat, cf. documents parlementaires 6996, dont (15) du 31 octobre 2017, amendements gouvernementaux, p. 34 ;

Après avoir constaté que le JAF a statué en matière de mesures accessoires au divorce et que la partie appelante n’a pas procédé à la signification de la requête d’appel à la partie intimée, c’est sans violer les dispositions légales visées au moyen que le juge d’appel a déclaré caduc l’appel interjeté par PERSONNE1.).

Troisième moyen de cassation :

Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 6.1., sinon de l’article 13 de la CEDH en ce que la Cour d’appel a déclaré caduc l’appel le 3 novembre 2023 introduit par PERSONNE1.), pour avoir été faite selon la procédure telle que prévue à l’article 1007-9 du NCPC, alors que la partie appelante n’a fait que suivre la procédure telle qu’appliquée par le juge de première instance.

Il ne résulte ni de l’arrêt dont pourvoi, ni d’actes de procédure auxquels Votre Cour pourrait avoir égard, que la demanderesse en cassation ait invoqué en instance d’appel les dispositions légales visés au moyen. Il convient de rappeler que c’est à la demanderesse en cassation qu’incombe la charge de la preuve de justifier de la recevabilité du moyen qu’elle présente, et par conséquent, d’établir son défaut de nouveauté s’il ne résulte pas des énonciations de la décision attaquée ou du dépôt de conclusions devant les juges d’appel13.

Le moyen est dès lors nouveau et, en ce qu’il est mélangé de fait et de droit, partant à déclarer irrecevable à ce titre.

Pour les surplus, sous maintien des développements sous le 1er moyen, c’est sans violation ni de l’article 6.1, ni de l’article 13 de la CEDH, que le juge d’appel, après avoir retenu que ni le juge ni les parties ne pouvaient se méprendre que la demande de PERSONNE2.) tendait à voir statuer sur les mesures accessoires au divorce, et après avoir constaté que la partie appelante n’a pas procédé à la signification de la requête d’appel à la partie intimée, qu’il a pu déclarer caduc l’appel interjeté par PERSONNE1.).

Observations finales :

Même à supposer que Votre Cour devait - parvenir à la conclusion que le JAF n’a pas statué en matière de mesures accessoires au divorce entre parties, mais qu’il s’est déclaré compétent pour connaître d’une demande relevant du droit commun, dont l’appel exige en application de l’article 1007-9 du NCPC le seul dépôt d’une requête d’appel, et - déclarer fondé l’un des moyens de cassation sous examen, la soussignée propose de procéder par voie de substitution de motifs.

13 BORÉ, La cassation en matière civile, n° 82.101;

En effet, le JAF s’est limité, à la demande des parties, à examiner la seule question de sa compétence de pouvoir connaître des demandes lui soumises par PERSONNE2.) tout comme la demande de surséance à statuer opposée par la partie défenderesse PERSONNE1.).

En ce que le JAF s’est déclaré compétent pour connaître de la demande, a déclaré non fondé la demande de surséance à statuer opposée par la partie défenderesse, et est donc resté saisi du fond de l’affaire, il n’a ni tranché tout ou partie du principal dans son dispositif ou ordonné une mesure d’instruction ou une mesure provisoire, ni mis fin à l’instance en statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure.

La décision sur la compétence n’impliquant aucune décision sur les prétentions des parties14 et le moyen de défense tiré de la surséance à statuer relevant du pouvoir discrétionnaire de la seule juridiction qui statue15, le JAF a rendu une décision non appelable dans l’immédiat en ce que la décision rendue ne rend remplit pas les conditions prévues à l’article 579 du NCPC.

Ainsi, même si le JAF a par une motivation erronée, aussi manifeste soit-elle16, décidé de ne pas surseoir à statuer en attendant que le divorce soit prononcé par la juridiction française, la partie appelante ne pourra la critiquer que par le biais d’un appel conjoint à interjeter contre la décision à rendre par le JAF sur le fond et en prosécution de cause.

Il s’ensuit qu’à supposer recevable l’appel interjeté par PERSONNE1.) pour avoir été introduit dans les formes légales, c’est par substitution de motifs de pur droit, tirés de ce que « l’appel interjeté par PERSONNE1.) est irrecevable pour ne pas remplir les conditions édictées à l’article 579 du NCPC et pour être prématuré », que la décision déférée se trouve légalement justifiée.

Les moyens de cassation seraient dès lors sans objet, partant irrecevables, sinon non fondés.

Conclusion :

déclarer recevable le pourvoi, le rejeter pour le surplus.

Luxembourg, le 13 mars 2025 Pour le Procureur général d’Etat le 1er avocat général Monique SCHMITZ 14 Cass. 1er décembre 2022, n°146/2022, n° CAS-2022-00021 du registre ;

15 Journal des Tribunaux, n° 60 du 5 décembre 2018, sub n° 2, p. 162, relevant qu’un jugement ordonnant un sursis à statuer ou refusant le sursis à statuer relève de la qualification du jugement avant dire droit ; cf CA 7 juillet 1999, n° 22782 du rôle, CA 5 mars 2008, n° 33135 du rôle ;

16 notamment en ce que le JAF a estimé qu’il est inopportun de surseoir à statuer dans l’attente que le divorce des parents soit définitivement prononcé en France par la motivation employée aux pages 10 à 12 du jugement du 29 mars 2024 ;


Synthèse
Numéro d'arrêt : 87/25
Date de la décision : 15/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2025-05-15;87.25 ?

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