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25/04/2024 | LUXEMBOURG | N°68/24

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 25 avril 2024, 68/24


N° 68 / 2024 du 25.04.2024 Numéro CAS-2023-00080 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

Composition :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à F-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la s

ociété à responsabilité limitée JURISLUX, inscrite à la liste V du tableau d...

N° 68 / 2024 du 25.04.2024 Numéro CAS-2023-00080 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.

Composition :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à F-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée JURISLUX, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Pascal PEUVREL, avocat à la Cour, et la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS, établissement public, établie à L-2449 Luxembourg, 6, boulevard Royal, représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J93, défenderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué rendu le 2 mars 2023 sous le numéro 2023/0062 (No. du reg. : ALFA 2021/0222) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 22 mai 2023 par PERSONNE1.) à la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « la CAE »), déposé le 23 mai 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 19 juillet 2023 par la CAE à PERSONNE1.), déposé le 21 juillet 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le comité-directeur de la CAE avait, par décision du 20 décembre 2016, confirmant la décision du président de la CAE, retiré à PERSONNE1.), travailleur frontalier, avec effet au 1er août 2016, le bénéfice de l’allocation familiale perçue pour l’enfant de son épouse, née d’un précédent mariage, au motif que l’enfant n’était plus à considérer comme membre de sa famille en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale dans leur rédaction telle qu’issue de la loi du 23 juillet 2016 portant notamment modification du Code de la sécurité sociale.

Le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait fait droit au recours du demandeur en cassation tendant au rétablissement à son profit du paiement de l’allocation familiale.

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation, dit que la CAE avait, à bon droit, retiré à PERSONNE1.) le bénéfice de l’allocation familiale.

Sur les moyens de cassation Enoncé des moyens le premier, « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1er, sous i), et l'article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, lus en combinaison avec l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l'article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/ 194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE.

En ce que l’arrêt attaqué n’a pas procédé à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant-non biologique du travailleur frontalier telle que visée par la CJUE dans son arrêt du 2 avril 2020 (C-802/18), alors qu’il aurait dû faire application de cette interprétation large et allouer au travailleur frontalier le bénéfice des allocations familiales concernant l’enfant de sa conjointe PERSONNE2.). », le deuxième, « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 587 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Première branche :

En ce que l’arrêt attaqué, après avoir constaté sur base des pièces versées en cause que le travailleur frontalier fournissait tout ou partie du logement familial à l’enfant de sa conjointe, et participait aux frais d’entretien de PERSONNE3.), a conclu que Monsieur PERSONNE1.) ne pourvoyait pas à l’entretien des enfants de son épouse.

Alors que l’énoncé de motifs contradictoires constitue un défaut de motif qui est un vice de forme justifiant la cassation de l’arrêt du 20 mars 2023.

Deuxième branche :

En ce que l’arrêt attaqué, prétendant faire siennes les dispositions de l’arrêt de la CJUE du 2 avril 2020 (C-802/18), et affirmant donc procéder à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier, a en fait procédé à une interprétation restrictive de cette notion.

Alors que les magistrats d’appel, conformément à l’interprétation de la CJUE dans ses arrêts des 15 décembre 2016 et 2 avril 2020, auraient dû procéder à une interprétation large et non restrictive de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier. », le troisième, « tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément de la non-application sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 2 (2) c), de la directive 2004/38/CE ;

en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a retenu que la partie demanderesse ne pourvoyait pas à l’entretien de ses beaux-enfants en écartant la présomption d’enfant à charge prévue par l’article 2 (2) c), de la directive 2004/38/CE ;

Alors que ladite présomption s’applique à tous les enfants de moins de 21 ans ; », le quatrième, « tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément de la non-application sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tels que modifiés par la loi du 23 juillet 2016 et tels qu’interprétés à la lumière de l’arrêt C-802/18 de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 2 avril 2020 ;

en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a retenu que la partie demanderesse ne pourvoyait pas à l’entretien de ses beaux-enfants et qu’elle ne prouvait pas qu’elle contribuait à l’entièreté des frais du ménage ;

alors que la partie demanderesse a fourni une multitude de documents justifiant sa contribution à l’entretien de l’enfant, ce que la juridiction d’appel a constaté elle-même tout en rejetant la demande du sieur PERSONNE1.). », le cinquième [qualifié erronément de sixième moyen], « tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément de la non-application sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 213 et suivants du Code civil français ;

en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a déclaré que ;

alors qu’il n’est nullement fait référence à la notion de parents biologiques dans les articles 213 et suivants du Code civil français. », le sixième [qualifié erronément de septième moyen], « tiré de la contradiction de motifs au sein de l’arrêt attaqué constituant une violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249 en combinaison avec l’article 587 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

que la contrariété de motifs équivaut à une absence de motifs selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation française (Civ. 7 janv. 1891, DP 1891.1.51. - Cass., ch. mixte, 21 juin 1974, Bull. civ. N° 2. - Civ. 2e, 25 oct. 1995, n° 93.14.077 et n° 93-14.079, Bull. civ. II, n° 252) ;

que les motifs contradictoires se détruisent et s’annihilent réciproquement de façon à ce qu’aucun d’eux ne puisse alors être retenu comme fondement de la décision ; », le septième [qualifié erronément de huitième moyen], « tiré de l’excès de pouvoir commis par les juges par rapport à l’article 11 paragraphe (5) de la Constitution qui réserve au pouvoir législatif la matière de la sécurité sociale ;

que l’excès de pouvoir est connaître du litige, d’une règle d’ordre public par laquelle la loi a circonscrit son autorité » » et le huitième [qualifié erronément de neuvième moyen], « tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément de la non-application sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 1310 et suivants du Code civil français ;

en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a constaté l’existence d’un compte commun sans en tirer les conséquences ;

alors qu’en matière de compte commun, une solidarité conventionnelle est prévue ; ».

Réponse de la Cour Sur l’interprétation du droit de l’Union européenne, qui est préalable La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la CJUE ») a dit pour droit que « L’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, doivent être interprétés en ce sens qu’une allocation familiale liée à l’exercice, par un travailleur frontalier, d’une activité salariée dans un Etat membre constitue un avantage social, au sens de ces dispositions » (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants, ECLI:EU:C:2020:269).

La CJUE a encore dit pour droit que « L’article 1er, sous i), et l’article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions d’un État membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet État membre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation » (CJUE 2 avril 2020, op. cit.).

La CJUE a ainsi soumis le droit du travailleur frontalier de bénéficier du versement de l’allocation familiale au titre de l’enfant de son conjoint avec lequel il n’a pas de lien de filiation à la preuve qu’il remplit la condition de pourvoir à l’entretien de cet enfant.

Bien que la réponse en droit fournie par la CJUE vise l’enfant du seul conjoint du travailleur frontalier, il résulte des motifs de l’arrêt que la même solution s’applique à l’enfant du partenaire enregistré du travailleur frontalier avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation (CJUE 2 avril 2020, op. cit., points 51 et 52).

Faisant application de ce critère, les juges d’appel, pour motiver la décision de retrait de l’allocation familiale, - ont dit implicitement, mais nécessairement, que les preuves de l’existence d’un mariage entre le travailleur frontalier et la mère de l’enfant et de l’existence d’un domicile commun entre le travailleur frontalier, son épouse et l’enfant, ces éléments pris isolément ou ensemble, n’établissaient pas que la condition était remplie, - ont retenu que les deux parents biologiques avaient les moyens de contribuer à l’entretien de l’enfant et y contribuaient, alors que la mère poursuivait une activité professionnelle et que le père versait une contribution alimentaire de 150 euros, pour en conclure que « ce sont les parents biologiques qui subviennent aux frais d’entretien de leur enfant », - ont dit que la preuve de dépenses qualifiées de frais du ménage (factures d’eau, abonnement Engie, mensualités du prêt immobilier), de montants déboursés au profit de l’enfant (abonnement téléphonique mensuel de l’enfant, achat d’un portable, prise en charge psychologique de l’enfant) et d’autres éléments (échanges de messages, relation tendue avec le père biologique, bonne entente entre le travailleur frontalier et l’enfant) ne démontrait pas que PERSONNE1.) pourvoyait à l’entretien de l’enfant, alors qu’il n’était pas prouvé que ces montants étaient exclusivement pris en charge par le travailleur frontalier et alors qu’il ne s’agissait que de montants occasionnels constituant des suppléments, « surtout au vu des éléments objectifs mis en exergue ci-dessus, suivant lesquels ce sont les parents biologiques qui subviennent aux frais d’entretien de leur enfant ».

La notion de « pourvoir à l’entretien » a été utilisée au départ par la CJUE pour dire qu’un travailleur frontalier peut bénéficier du versement d’une prestation étatique au titre d’un avantage social, en l’espèce des aides financières pour études supérieures, pour son propre enfant, lorsqu’il continue de pourvoir à l’entretien de cet enfant (CJUE 26 février 1992, aff. C-3/90, Bernini, ECLI:EU:C:1992:89, points 25 et 29 ; CJUE 8 juin 1999, aff. C-337/97, Meeusen, ECLI:EU:C:1999:284, point 19 ; CJUE 14 juin 2012, aff. C-542/09, Commission européenne/Pays-Bas, ECLI:EU:C:2012:346, point 35 ; CJUE 20 juin 2013, aff. C-20/12, Guirsch, ECLI:EU:C:2013:411, point 39), sans que la notion ait été définie à travers ces arrêts.

Par la suite, toujours dans le cadre d’un avantage social constitué par une aide financière pour études supérieures, mais ayant trait à un enfant n’ayant pas de lien de filiation avec le travailleur frontalier, la CJUE a précisé la notion de « pourvoir à l’entretien » en disant d’abord qu’elle « ne suppos[e] pas un droit à aliments » (CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, point 58), pour ensuite ajouter que « la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait. Il s’agit d’un membre de la famille dont le soutien est assuré par le travailleur, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée » (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., points 58 et 59). Elle en a conclu « que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’État membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier. La qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier qui est à la charge de ce dernier peut ainsi ressortir, lorsqu’elle concerne la situation de l’enfant du conjoint ou du partenaire reconnu de ce travailleur, d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’étudiant ni d’en chiffrer l’ampleur exacte » (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 60).

La CJUE a ensuite appliqué le critère de « pourvoir à l’entretien » à la question de savoir si le travailleur frontalier peut bénéficier de l’avantage social constitué par le versement d’une allocation familiale, au titre d’un enfant avec lequel il n’a pas de lien de filiation, en disant dans les motifs de sa décision « qu’il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier, pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux visés à cette dernière disposition, non seulement l’enfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur, mais également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur, lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant. Selon la Cour, cette dernière exigence résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte » (CJUE 2 avril 2020, op. cit, point 50). La CJUE a pris soin de préciser en fait « que le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier. Il semble donc que FV, qui est le conjoint de la mère de HY, pourvoit à l’entretien de cet enfant, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier » (CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 52).

La CJUE a encore considéré que « la notion de du travailleur frontalier susceptible de bénéficier indirectement de l’égalité de traitement, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, correspond à celle de , au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, laquelle comprend le conjoint ou le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, les descendants directs qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire. La Cour a notamment pris en considération, à cet égard, le considérant 1, l’article 1er et l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2014/54 » (CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 51).

La Cour déduit tout d’abord de ces développements que la précision que la notion de « pourvoir à l’entretien » résulte d’une situation de fait n’implique pas qu’il s’agisse d’une notion de pur fait soustraite au contrôle de la CJUE et de la Cour de cassation, mais que cette formule a été utilisée pour insister sur la circonstance que cette notion s’appréciait en dehors de tout droit de l’enfant à des aliments, tel que relevé expressément dans l’arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 (op. cit., point 58).

La Cour déduit ensuite de ce qui précède que la notion de « pourvoir à l’entretien », dans le cadre de la réglementation afférente au bénéfice des avantages sociaux, constitue une notion autonome du droit de l’Union européenne qui requiert une application et une interprétation uniformes.

Or, pareille interprétation uniforme n’est pas actuellement assurée au regard des interrogations que suscitent les éléments de la discussion.

A cet égard, la Cour est amenée à s’interroger sur la portée de l’exemple repris dans l’arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 (op. cit., point 60) au titre des « éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant », d’une part, quant à la question de savoir si ce point est évoqué à titre de simple exemple ou au contraire à titre de condition, auquel cas se pose la question de savoir s’il s’agit d’une condition suffisante ou d’une condition nécessaire, et, d’autre part, quant à la question de savoir si le mode de financement du domicile commun importe, en ce qu’il faut rechercher si le travailleur frontalier contribue partiellement ou totalement audit financement.

Quant aux besoins de l’enfant à prendre en considération à la satisfaction desquels le travailleur frontalier pourvoit, la Cour est amenée à s’interroger sur la question de savoir si seuls les besoins alimentaires et élémentaires à la subsistance de l’enfant doivent entrer en ligne de compte (nourriture, vêtements, logement, éducation, …), ou si toutes dépenses généralement quelconques, y compris celles d’agrément ou de simple confort (téléphone portable, restaurants, permis de conduire, …) ou même somptuaires, fastueuses ou de luxe (achats réguliers d’équipements électroniques, vacances dans des pays lointains, …) destinées à assurer un certain niveau de vie doivent être considérées.

Quant aux modalités selon lesquelles le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant, la Cour s’interroge sur la question de savoir si la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’enfant doit prendre la forme de versements en numéraires directement à l’enfant, ou si elle peut prendre la forme de dépenses faites dans l’intérêt de l’enfant. Dans ce même cadre se pose la question de savoir si la dépense doit être faite, tel que semblent le suggérer les conclusions du Parquet général, dans l’intérêt spécifique, voire exclusif de l’enfant, ou si des dépenses faites dans l’intérêt commun de la cellule familiale (mensualités du prêt hypothécaire, loyer, achat d’équipements utilisés en commun, …) entrent en ligne de compte.

Toujours au titre des modalités concrètes se pose la question de savoir si les dépenses faites par le travailleur frontalier pour pourvoir à l’entretien de l’enfant doivent présenter un certain caractère de récurrence, de régularité ou de périodicité (prêt immobilier, loyer, frais d’électricité et de chauffage, factures de téléphone, …) ou si la prise en charge de dépenses ponctuelles (achats occasionnels de vêtements, …) est également à considérer. Finalement, tout en prenant acte de ce que la CJUE précise que dans le cadre de l’appréciation de la situation de fait, il n’est pas nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier ni d’en chiffrer l’ampleur exacte (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 64 ; CJUE 2 avril 2020, op. cit., point 50), la Cour s’interroge sur la question de savoir si toute contribution, si minime soit-elle, est à prendre en considération, ou si celle-ci doit présenter un certain niveau significatif, et dans ce dernier cas s’il faut apprécier ce critère par rapport aux besoins de l’enfant ou par rapport à la situation financière du travailleur frontalier.

La provenance des fonds peut encore interroger, en ce que dans certains cas, le travailleur frontalier entretient avec son conjoint ou son partenaire enregistré, parent de l’enfant, un compte bancaire joint ayant servi à payer les dépenses mises en avant dans le cadre de la procédure juridictionnelle pour démontrer que la condition de « pourvoir à l’entretien » de l’enfant est remplie, sans qu’il alimente ce compte à titre exclusif, respectivement sans qu’il établisse dans quelle mesure il alimente ce compte, auquel cas se pose la question de savoir si la contribution aux besoins de l’enfant provient du travailleur frontalier.

La Cour s’interroge encore sur la portée de la précision apportée par la CJUE dans l’arrêt du 15 décembre 2016 (op. cit., point 62) disant que « le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans », en ce qu’il s’agit de savoir si tout enfant de moins de 21 ans, du seul fait de cette condition d’âge ou combinée avec d’autres facteurs, doit être considéré comme étant pourvu dans ses besoins par le travailleur frontalier.

Il convient ensuite de s’interroger sur la question de la contribution des parents aux besoins de l’enfant. Ceux-ci sont tenus par la loi à une obligation alimentaire, par opposition au travailleur frontalier qui n’est pas tenu à une telle obligation. Le critère de « pourvoir à l’entretien » de l’enfant impose au contraire dans le chef de ce dernier une appréciation factuelle. Dès lors, se pose la question de savoir s’il est suffisant de constater l’existence et l’ampleur d’une obligation alimentaire dans le chef des parents pour exclure l’existence d’une contribution du travailleur frontalier, ou s’il faut en sus s’assurer que l’obligation alimentaire des parents a été fixée à un montant approprié, et qu’ils exécutent réellement leur obligation alimentaire, de nature à rendre inutile une contribution complémentaire ou additionnelle du travailleur frontalier. En l’absence de paiement effectif d’un tel secours se pose la question de savoir s’il faut vérifier si le conjoint ou le partenaire enregistré du travailleur frontalier a du moins tenté de procéder à des mesures d’exécution forcée et si en fin de compte la contribution du travailleur frontalier vient combler la défaillance de l’un des parents. Par rapport à ce secours alimentaire et à la question de savoir s’il est fixé à un montant approprié, le mode de fixation par voie judiciaire ou conventionnelle peut éventuellement avoir une incidence. Ces aspects peuvent être liés à l’interrogation, évoquée ci-dessus, de savoir quelles dépenses au titre de l’enfant sont à considérer. Si seules les dépenses alimentaires et essentielles à sa subsistance entrent en ligne de compte, l’obligation alimentaire des parents couvrira en principe ces besoins, rendant sans objet une contribution complémentaire ou additionnelle du travailleur frontalier pour couvrir de tels besoins.

Par rapport aux relations avec l’autre parent de l’enfant, il faut encore s’interroger sur la question de savoir s’il est pertinent d’examiner les modalités selon lesquelles l’enfant séjourne alternativement auprès de ses deux parents, en ce qu’un droit de visite et d’hébergement étendu ou une résidence partagée peuvent amener l’autre parent en principe à assumer plus substantiellement en nature ses obligations alimentaires, laissant moins de place à une éventuelle nécessité de couvrir des besoins de l’enfant par le travailleur frontalier.

Toutes ces interrogations doivent en principe être vues sur arrière fond d’un principe d’interprétation large des dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs (CJUE 15 décembre 2016, op. cit., point 58), et partant des éventuelles limites d’un tel principe d’interprétation large.

Ces considérations amènent la Cour, avant tout autre progrès en cause, à soumettre à la CJUE les questions préjudicielles sur la portée du droit de l’Union européenne telles que reprises dans le dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1a) Est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » d’un enfant, dont découle la qualité de membre de la famille au sens des dispositions du droit de l’Union européenne, telle que dégagée par la jurisprudence de Votre Cour dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de la perception par un travailleur frontalier d’un avantage social lié à l’exercice, par lui, d’une activité salariée dans un Etat membre, pour l’enfant de son conjoint ou de son partenaire enregistré, avec lequel il n’a pas de lien de filiation, lue seule ou en combinaison avec le principe d’interprétation large des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs, doit être interprétée comme étant donnée, et partant comme ouvrant droit à la perception de l’avantage social, - du seul fait du mariage ou d’un partenariat enregistré entre le travailleur frontalier et un parent de l’enfant - du seul fait d’un domicile ou d’une résidence commune entre le travailleur frontalier et l’enfant - du seul fait de la prise en charge par le travailleur frontalier d’une dépense généralement quelconque venant au profit de l’enfant, alors même o qu’elle couvre des besoins autres qu’essentiels ou alimentaires o qu’elle est faite à un tiers et ne profite qu’indirectement à l’enfant o qu’elle n’est pas faite dans l’intérêt exclusif ou spécifique de l’enfant, mais profite à tout le ménage o qu’elle n’est qu’occasionnelle o qu’elle est inférieure à celle des parents o qu’elle n’est qu’insignifiante au regard des besoins de l’enfant - du seul fait que les dépenses sont prises en charge à partir d’un compte commun au travailleur frontalier et à son conjoint ou partenaire enregistré, parent de l’enfant, sans égard à la provenance des fonds y inscrits - du seul fait que l’enfant est âgé de moins de 21 ans ? 1b) En cas de réponse négative à la première question, est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » doit être interprétée comme étant établie, et partant comme ouvrant droit à la perception de l’avantage social, lorsque deux ou plusieurs de ces circonstances sont données ? 2) Est-ce que la notion de « pourvoir à l’entretien » d’un enfant, dont découle la qualité de membre de la famille au sens des dispositions du droit de l’Union européenne, telle que dégagée par la jurisprudence de Votre Cour dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de la perception par un travailleur frontalier d’un avantage social lié à l’exercice, par lui, d’une activité salariée dans un Etat membre, pour l’enfant de son conjoint ou de son partenaire enregistré, avec lequel il n’a pas de lien de filiation, lue seule ou en combinaison avec le principe d’interprétation large des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs, doit être interprétée comme n’étant pas donnée, et partant comme excluant le droit à la perception de l’avantage social, - du seul fait de l’existence d’une obligation alimentaire à charge des parents de l’enfant, indépendamment o de la question de savoir si cette créance alimentaire est fixée judiciairement ou par voie conventionnelle o du montant auquel cette créance alimentaire a été fixée o de la question de savoir si le débiteur s’acquitte effectivement de cette dette alimentaire o de la question de savoir si la contribution du travailleur frontalier comble une défaillance d’un parent de l’enfant - du seul fait que l’enfant séjourne périodiquement, dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement ou d’une résidence alternée ou d’une autre modalité, auprès de l’autre parent ? sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

réserve les dépens.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (affaire n° CAS-2023-00080 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 23 mai 2023, d’un mémoire en cassation, signifié le 22 mai 2023 à la défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt numéro 2023/00062 rendu contradictoirement le 2 mars 2023 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans la cause inscrite sous le numéro ALFA 2021/0222 du registre.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est dirigé contre un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, contre lequel un pourvoi en cassation peut être formé sur base de l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale.

Le pourvoi est par ailleurs recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.

Il attaque une décision en dernier ressort ayant tranché tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1 et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi de 1885 »), rendus applicables par l’effet de l’article 455, alinéa 4, précité, du Code de la sécurité sociale, qui dispose que « [l]e pourvoi sera introduit, instruit et jugé dans les formes prescrites pour la procédure en cassation en matière civile et commerciale ».

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par PERSONNE1.) d’un recours contre une décision de la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « CAE ») du 6 octobre 2016, ayant retiré au requérant, qui est assuré transfrontalier résidant en France, avec effet rétroactif au 1er août 2016, en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tel qu’ils ont été modifiés 1 La date de notification de l’arrêt ne résulte pas du dossier (qui ne comporte, par erreur, que l’acte de notification de la citation à l’audience du Conseil supérieur de la sécurité sociale). Il n’est donc pas établi que le pourvoi ait été déposé de façon tardive. La défenderesse en cassation ne soulève aucune exception d’irrecevabilité. Le délai du pourvoi est de deux mois et quinze jours (le demandeur en cassation résidant en France) (articles 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et 167, point 1°, premier tiret, du Nouveau Code de procédure civile).

2 Le demandeur en cassation a, dans le délai du recours, déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que les formalités de l’article 10 de la loi de 1885 ont été respectées.

par une loi du 23 juillet 20163, entrée en vigueur le 1er août 20164, le bénéfice des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse, née d’un précédent mariage, le Conseil arbitral de la sécurité sociale faisait droit au recours, partant, réformait la décision attaquée. Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma le jugement entrepris, donc dit que la CAE avait retiré à bon droit au requérant le bénéfice des allocations familiales.

Sur le cadre juridique Les articles 269 et 270 CSS dans leur version antérieure à la loi du 23 juillet 2016 Dans l’état du droit antérieur au 1er août 2016, le Code de la sécurité sociale disposait que :

« Article 269. A droit aux allocations familiales dans les conditions prévues par le présent chapitre, a) pour lui-même, tout enfant, résidant effectivement et d’une façon continue au Luxembourg et y ayant son domicile légal ;

b) pour les membres de sa famille, conformément à l’instrument international applicable, toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements communautaires ou d’un autre instrument bi-

ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] La condition suivant laquelle l’enfant doit avoir son domicile légal au Luxembourg est présumée remplie dans le chef de l’enfant mineur lorsque la personne - auprès de laquelle l’enfant a son domicile légal conformément à l’article 108 du Code civil, ou bien - dans le ménage de laquelle l’enfant est élevé ou au groupe familial de laquelle il appartient en application de l’article 270, a elle-même son domicile légal au Luxembourg conformément à l’alinéa 3.

[…] Article 270. […] Sont considérés comme appartenant à un même groupe familial, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’octroi des allocations familiales, tous les enfants légitimes ou légitimés issus des mêmes conjoints, ainsi que tous les enfants adoptés par les mêmes conjoints en vertu d’une adoption plénière.

3 Loi du 23 juillet 2016 portant modification : 1. du Code de la sécurité sociale ; 2. de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, et abrogeant la loi modifiée du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant (Mémorial, A, 2016, n° 138, page 2347).

4 Voir l’article VII de la loi précitée, disposant que celle-ci entra en vigueur « le premier jour du mois qui suit sa publication au Mémorial », cette publication ayant eu lieu le 28 juillet 2016, de sorte que la loi entra en vigueur le premier jour du mois suivant, soit le 1er août 2016.

Sont assimilés aux enfants légitimes d’une personne, aussi longtemps qu’ils sont légalement déclarés et élevés dans son ménage et qu’ils remplissent les conditions visées à l’alinéa précédent a) les enfants adoptés en vertu d’une adoption simple ;

b) les enfants naturels qu’elle a reconnus ;

c) les enfants du conjoint ou du partenaire au sens de l’article 2 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

d) ses petits-enfants, lorsqu’ils sont orphelins ou que les parents ou celui d’entre eux qui en a la garde effective sont incapables au sens de la loi.

[…] ».

Suivant ces dispositions, les enfants du conjoint avec lesquels le titulaire du droit n’avait pas de lien de filiation ouvraient droit à l’allocation familiale, à condition que les enfants étaient légalement déclarés et élevés dans le ménage du titulaire du droit.

Les articles 269 et 270 CSS issus de la réforme de la loi du 23 juillet 2016 Depuis le 1er août 2016, par suite de l’entrée en vigueur de la loi précitée du 23 juillet 2016, le Code de la sécurité sociale dispose que :

« Article 269. (1) Il est introduit une allocation pour l’avenir des enfants, ci-après « allocation familiale ».

Ouvre droit à l’allocation familiale :

a) chaque enfant, qui réside effectivement et de manière continue au Luxembourg et y ayant son domicile légale, b) les membres de famille tels que définis à l’article 270 de toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements européens ou d’un autre instrument bi- ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] […] Article 270. Pour l’application de l’article 269, paragraphe 1er, point b), sont considérés comme membres de famille d’une personne et donnent droit à l’allocation familiale, les enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs de cette personne. ».

Cette réforme implique que le travailleur frontalier, demeurant dans un autre Etat membre de l’Union européenne et étant, du fait de son activité professionnelle à Luxembourg, affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, peut uniquement prétendre à des allocations familiales du chef de ses propres enfants, à l’exclusion des enfants de son conjoint avec lesquels il n’a pas de lien de filiation.

Cette réforme a été motivée comme suit :

« Etant donné qu’il n’existe pas de définition exacte du membre de la famille dans les textes actuels, l’article 270 du PL 6832 définit le(s) membre(s) de la famille d’un travailleur ouvrant droit à l’allocation familiale. Il s’agit de tous les enfants propres, indépendamment qu’ils soient nés dans ou hors mariage ou adoptifs. »5.

Comme l’article 270, nouveau, du Code de la sécurité sociale se limite à définir « les membres de la famille » au sens de l’article 269, paragraphe 1er, point b), de ce Code, donc les membres de la famille de travailleurs frontaliers affiliés, du fait de leur activité professionnelle à Luxembourg, auprès de la sécurité sociale luxembourgeoise, cette restriction s’applique aux enfants du conjoint de ces travailleurs, qui, n’étant pas « les enfants propres » du travailleur frontalier, n’ouvrent pas droit à l’allocation familiale.

Le terme « membre de la famille » est repris de l’article 1er, point i), du Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le Règlement n° 883/2004 »)6, qui dispose notamment que « les termes « membre de la famille » désignent : 1) i) toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies ; […] 2) Si la législation d’un Etat membre qui est applicable en vertu du point 1) ne permet pas de distinguer les membres de la famille des autres personnes auxquelles ladite législation est applicable, le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge sont considérés comme membres de la famille ; […] ».

Les auteurs de la loi précitée du 23 juillet 2016 relèvent à ce sujet que « [c]e règlement consacre le membre de la famille comme étant le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge, ceci à défaut de toute autre définition fournie par la législation nationale en question »7.

L’article 270, nouveau, avait, de ce point de vue, pour objectif de consacrer dans la législation nationale une « définition exacte du membre de la famille »8, qui exclut « le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge ».

L’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) de la Cour de justice du 2 avril 2020 La Cour de justice de l’Union européenne, qui avait été saisie sur demande préjudicielle du Conseil supérieur de la sécurité sociale, a constaté dans son arrêt C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) du 2 avril 20209, la contrariété de cette législation au droit de l’Union européenne, en disant pour droit que « [l]’article 1er, sous 5 Rapport de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, du 6 juin 2016, sur le Projet de loi n° 6832, ayant donné lieu à la loi précitée du 23 juillet 2016 (Document parlementaire n° 6832-10), page 14, sous « Article 270 », premier alinéa.

6 Journal officiel de l’Union européenne, L 166 du 30.4.2004, page 1.

7 Rapport précité de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, page 14, deuxième alinéa.

8 Idem, même page, sous « Article 270 », premier alinéa.

9 Cour de justice de l’Union européenne, 2 avril 2020, C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), ECLI:EU:C:2020:269.

i), et l’article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 […], lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union européenne et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres […] s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation »10.

Il est à préciser que la Cour de justice subordonne le constat de contrariété au droit de l’Union européenne à la condition que « les travailleurs frontaliers […] pourvoient à l’entretien » « [des enfants] de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation ».

La Cour déduit cette condition de sa jurisprudence relative à l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), garantissant la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne et disposant que celle-ci « implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité »11, et à l’article 7 du Règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après « le Règlement n° 492/2011 »)12.

Ce dernier article dispose que le travailleur ressortissant d’un Etat membre « ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux [et] bénéficie [dans les autres Etats membres] des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ».

En application de ces dispositions « il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux, visés à cette dernière disposition non seulement l’enfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur, mais également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur, lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant »13. « Selon la Cour, cette dernière exigence résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »14.

Aux fins de saisir la portée de ce critère du « pourvoi à l’entretien de l’enfant », il y a lieu de se référer à la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres15 qui, reprenant une définition qui avait été inscrite dans l’article 10 du Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la 10 Dispositif de l’arrêt, point 2).

11 Article 45, paragraphe 2, TFUE.

12 Journal officiel de l’Union européenne L 141 du 27.5.2011, page 1.

13 Arrêt précité, point 50 (c’est nous qui soulignons). La Cour se réfère à son arrêt C-401/15 à C-403/15, du 15 décembre 2016, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, rendu sur question préjudicielle de la Cour administrative dans le contexte de la législation luxembourgeoise alors en vigueur relative à l’aide financière pour la poursuite d’études supérieures, qui ne pouvait être sollicitée par un travailleur frontalier du chef de l’enfant de son conjoint.

14 Idem et loc.cit.

15 Journal official de l’Union européenne L 158 du 30.4.2004, page 77.

libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté16, dispose dans son article 2, point 2), que « [a]ux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) « membre de la famille » : […] c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge […] »17 et au considérant 1 de la directive 2014/54/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à des mesures facilitant l’exercice des droits conférés aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs18, suivant lequel :

« La libre circulation des travailleurs est une liberté fondamentale des citoyens de l’Union et constitue l’un des piliers du marché intérieur de l’Union consacré par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle trouve sa concrétisation dans le droit de l’Union visant à garantir le plein exercice des droits conférés aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille. L’expression « membres de leur famille » devrait être comprise comme ayant la même signification que l’expression définie à l’article 2, point 2), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, qui s’applique également aux membres de la famille des travailleurs frontaliers. »19.

Cette directive dispose dans article 1er que « [l]a présente directive énonce des dispositions destinées à faciliter et à uniformiser la manière d’appliquer et de faire respecter les droits conférés par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et par les article 1er et 10 du règlement (UE) n° 492/2011. La présente directive s’applique aux citoyens de l’Union qui exercent ces droits et aux membres de leur famille […] »20. Elle dispose dans son article 2 que « 1. La présente directive s’applique aux aspects suivants de la libre circulation des travailleurs, tels qu’ils sont visés par l’article 1er à l’article 10 du règlement (UE) n° 492/2011 : […] c) le bénéfice des avantages sociaux et fiscaux ; […] 2) Le champ d’application de la présente directive est identique à celui du règlement (UE) n° 492/2011 »21.

La Cour de justice a, dans son arrêt 316/85, Lebon, du 18 juin 198722, interprété les termes de « membre de la famille » et, à cette fin, de descendants qui sont « à charge », comme « ne suppos[ant] pas […] un droit à des aliments »23 et comme impliquant « que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait [parce que] [i]l s’agit d’un membre de la famille dont le soutien est assuré par le travailleur, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée »24. « Cette interprétation est exigée par le principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs, partie des fondements de la Communauté, doivent être interprétées largement »25.

16 Journal official de l’Union européenne L 257 du 19.10.1968, page 2. Ce règlement disposait dans son article 10 : « Article 10. 1. Ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat membre employé sur le territoire d’un autre Etat membre, quelle que soit leur nationalité a) son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge ; […] » (c’est nous qui soulignons).

17 C’est nous qui soulignons.

18 Journal official de l’Union européenne L 128 du 30.4.2014, page 8.

19 C’est nous qui soulignons.

20 C’est nous qui soulignons.

21 Les références aux disposition précitées ont été faites par la Cour de justice dans son arrêt précité C-401/15 à C-

403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, points 4 à 11.

22 ECLI:EU:C:1987:302.

23 Point 21 de l’arrêt précité 316/85, Lebon.

24 Point 22 de cet arrêt.

25 Point 23 de cet arrêt.

Elle a, dans son arrêt C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, rendu sur renvoi préjudiciel de la Cour administrative dans le contexte de l’aide financière luxembourgeoise pour la poursuite d’études supérieures, précisé que cette « interprétation s’applique également lorsqu’est en cause la contribution d’un travailleur frontalier à l’entretien des enfants de son conjoint ou de son partenaire reconnu »26.

Elle ajouta que :

« Il y a lieu de considérer, en l’occurrence, que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier. La qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier qui est à la charge de ce dernier peut ainsi ressortir, lorsqu’elle concerne la situation de l’enfant de conjoint ou du partenaire reconnu de ce travailleur, d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’étudiant ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »27.

Dans ses conclusions sous l’arrêt Depesme e.a., l’avocat général Monsieur Melchior WATHELET considéra que cette jurisprudence « préfère l’expression large de « pourvoir à l’entretien de l’enfant » plutôt que celle d’« enfant à charge » »28.

Dans le cadre de cette appréciation de la situation de fait, à effectuer par les autorités nationales, un critère pertinent énoncé par la Cour consiste à s’interroger si « le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier »29, le défaut de paiement pouvant inciter à admettre, sous réserve de vérification des autorités nationales, que « le conjoint de la mère […] pourvoit à l’entretien de cet enfant »30.

Votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022 Votre Cour a rendu dans une espèce similaire à la présente l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-

2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022.

Vous y avez rejeté un moyen tiré de ce que la preuve imposée au travailleur frontalier du fait qu’il a pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint est discriminatoire par rapport aux travailleurs résidant à Luxembourg, qui n’ont pas à établir ce fait, aux motifs que :

« Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne prohibant toute 26 Point 59 de l’arrêt précité C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016.

27 Point 60 de cet arrêt.

28 ECLI:EU:C:2016 :430. Voir le point 68 de ces conclusions, cité par le demandeur en cassation dans son mémoire à la page 13, dernier alinéa.

29 Point 52 de l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020.

30 Idem et loc.cit.

discrimination directe ou indirecte entre travailleurs nationaux et travailleurs ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne.

La Cour de Justice de l’Union européenne a retenu que les textes de droit européen « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants , à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation. ».

Elle a précisé, en adoptant la solution retenue par un arrêt antérieur selon laquelle la qualité de membre de la famille à charge « résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte ». (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ; CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 à C-403/15, ECLI:EU:C:2016:955).

Les juges d’appel qui, en application de l’interprétation du droit de l’Union européenne telle qu’elle résulte des décisions ci-dessus exposées, ont analysé si et dans quelle mesure le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de sa conjointe n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé. »31.

Vous avez par ailleurs décidé, en réponse à un moyen critiquant les critères par lesquels les juges du fond avaient apprécié si le travailleur frontalier avait pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint, que cette appréciation échappe à votre contrôle et relève du pouvoir souverain des juges du fond :

« Sous le couvert de la violation des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments du dossier les ayant amenés à retenir que le demandeur en cassation ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant de son conjoint, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli. »32.

Sur le litige Le demandeur en cassation est travailleur frontalier, résidant en France et travaillant et étant affilié à la sécurité sociale à Luxembourg33. Il cohabite en France avec son épouse et l’enfant de celle-ci, née d’un précédent mariage34. Il demanda et se vit conférer à ce titre des allocations 31 Arrêt cité, réponse au deuxième moyen.

32 Arrêt cité, réponse au quatrième moyen.

33 Arrêt attaqué, page 5, deuxième alinéa.

34 Idem et loc.cit.

familiales à Luxembourg sous l’empire du droit antérieur à la loi précitée du 23 juillet 201635.

Suite à l’entrée en vigueur, à partir du 1er août 2016, de cette loi, refusant l’octroi d’allocations familiales aux travailleurs frontaliers du chef des enfants de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, la CAE retira, par décision du 6 octobre 2016, le bénéfice des allocations familiales au demandeur en cassation avec effet rétroactif au 1er avril 201636.

Sur recours du demandeur en cassation, le Conseil arbitral de la sécurité sociale réforma la décision entreprise de la CAE, en se référant à l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020, de la Cour de justice, aux motifs, notamment, que la décision attaquée repose sur une base légale qui n’est pas conforme au droit de l’Union européenne37.

Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma ce jugement.

Il considéra, en se référant à l’arrêt précité de la Cour de justice, qu’il appartient au travailleur frontalier de prouver qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint et que cette preuve n’est pas rapportée « par le seul constat d’un domicile commun, mais suppose une analyse d’une « situation globale de fait », donc une appréciation in concreto »38.

Procédant à cette analyse de la situation de fait de l’espèce, il retint :

- que l’enfant vit au domicile du travailleur frontalier et de l’épouse de ce dernier39 ;

- que chacun des parents biologiques contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants commun à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins des enfants40 ;

- que la mère de l’enfant et épouse du travailleur frontalier poursuit elle-même une activité professionnelle dont elle retire un revenu, de sorte qu’il y a lieu de déduire qu’elle est en mesure de pourvoir à l’entretien de l’enfant à hauteur de la proportion qui lui incombe, la part restante étant assumée par le père biologique41 ;

- que les pièces versées par le travailleur frontalier se limitent à établir le paiement occasionnel par ce dernier au profit de l’enfant de sa conjointe de montants qui constituent des suppléments mais ne sont pas de nature à établir qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, auquel il est pourvu par les parents biologiques42.

Il en déduisit que c’est à juste titre que la CAE avait retiré au travailleur frontalier le bénéfice des allocations familiales.

35 Idem et loc.cit.

36 Idem, page 2, sixième alinéa.

37 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

38 Idem, page 8, deuxième alinéa.

39 Idem, page 9, deuxième alinéa.

40 Idem et loc.cit.

41 Idem et loc.cit.

42 Idem et loc.cit.

Sur les premier et quatrième moyens de cassation réunis Le premier moyen est tiré de la violation les articles 1er, sous i)43, et 6744 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le règlement 883/2004 »)45, lus en combinaison avec l’article 746, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après « le règlement 492/2011 »)47 et avec l’article 2, point 248, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union européenne et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres (ci-après « la directive 2004/38 »)49, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union 43 « Article premier. Définitions. Aux fins du présent règlement : […] i) les termes "membre de la famille" désignent: 1) i) toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies; ii) pour ce qui est des prestations en nature selon le titre III, chapitre 1, sur la maladie, la maternité et les prestations de paternité assimilées, toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation de l'État membre dans lequel réside l'intéressé. 2) Si la législation d'un État membre qui est applicable en vertu du point 1) ne permet pas de distinguer les membres de la famille des autres personnes auxquelles ladite législation est applicable, le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge sont considérés comme membres de la famille. 3) Au cas où, conformément à la législation applicable en vertu des points 1) et 2), une personne n'est considérée comme membre de la famille ou du ménage que lorsqu'elle vit dans le même ménage que la personne assurée ou le titulaire de pension, cette condition est réputée remplie lorsque cette personne est principalement à la charge de la personne assurée ou du titulaire de pension ; […] ».

44 « Article 67. Membres de la famille résidant dans un autre État membre. Une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier État membre. Toutefois, le titulaire d'une pension a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent pour sa pension. ».

45 Journal officiel de l’Union européenne L 166 du 30.4.2004, page 1 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32004R0883 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

46 « SECTION 2. De l’exercice de l’emploi et de l’égalité de traitement. Article 7. 1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage. 2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. 3. Il bénéficie également, au même titre et dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux, de l’enseignement des écoles professionnelles et des centres de réadaptation ou de rééducation. 4. Toute clause de convention collective ou individuelle ou d’autre réglementation collective portant sur l’accès à l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l’égard de travailleurs ressortissants des autres États membres. ».

47 Journal officiel de l’Union européenne L 141 du 27.5.2011, page 1 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32011R0492 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

48 « Article 2. Définition. Aux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) "membre de la famille": a) le conjoint; b) le partenaire avec lequel le citoyen de l'Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d'un État membre, si, conformément à la législation de l'État membre d'accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l'État membre d'accueil; c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b); d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; […] ».

49 Journal officiel de l’Union européenne L 158 du 30.4.2004, page 77 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32004L0038 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).

européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et les éléments invoqués ne permettant que de prouver que l’intéressé participe à certains paiements occasionnels, qui sont insuffisants pour rendre crédible qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, qui est assuré par les parents biologiques, alors que suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne « les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs […] doivent être interprétées largement » (arrêt Depesme e.a., point 58), de sorte que la simple participation, même la plus minime, à l’entretien de l’enfant ou le simple fait de la cohabitation de l’enfant avec le travailleur frontalier suffisent pour retenir que ce dernier pourvoit à l’entretien et que l’enfant de son conjoint est à sa charge.

Le quatrième moyen est tiré de la violation des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tels qu’il y a lieu de les interpréter à la lumière de l’arrêt C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), de la Cour de justice de l’Union européenne, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et les éléments invoqués ne permettant que de prouver que l’intéressé participe à certains paiements occasionnels, qui sont insuffisants pour rendre crédible qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, qui est assuré par les parents biologiques, alors que la simple participation, même minime, du beau-parent à l’entretien de l’enfant, qui vit par ailleurs sous son toit, suffit pour établir qu’il pourvoit à cet entretien et qu’il est dépourvu de pertinence de s’interroger si, et dans quelle mesure, les parents biologiques participent à leur tour à cet entretien.

Les premier et quatrième moyens critiquent le bien-fondé de l’appréciation faite par les juges du fond du point de savoir si le demandeur en cassation pourvoit, en l’espèce, à l’entretien de l’enfant de son conjoint. Vous avez décidé dans la réponse au quatrième moyen de votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022 que cette appréciation est souveraine et échappe à votre contrôle.

A appliquer cette solution, le moyen ne saurait être accueilli.

Votre mission consiste à censurer la non-conformité des décisions vous soumises aux règles de droit50. A cette fin vous contrôlez, en principe, la qualification des faits, par hypothèse souverainement constatés par les juges du fond, au regard de la loi51. Toutefois dans différentes matières vous faites exception à ce principe en refusant le contrôle de notions légales ou d’éléments constitutifs de ces notions52. Ce refus, qui n’est pas formellement motivé, est expliqué par la doctrine par des considérations tirées de ce que les notions non contrôlées relèvent de celles pour lesquelles le législateur a entendu s’en remettre à une appréciation concrète des juges du fond, insusceptible de toute généralisation53 ou concernent des notions qui reposent sur l’appréciation d’un état psychologique ou mental54 ou des notions reposant sur une appréciation technique55 ou celles nécessitant une appréciation quantitative non réglementée56.

Il est admis en France que le contrôle devrait porter sur les notions imposées par des lois d’ordre public57. Or, le droit de l’Union européenne relève de l’ordre public. Par ailleurs « [l]es restrictions au contrôle de l’interprétation qui sont motivées par la souveraineté des juges du fond […] ont pour conséquence l’absence de toute interprétation uniforme de la norme juridique sur le territoire […] »58.

Il s’ajoute que si la Cour de justice a dans ses arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) retenu que la qualification de membre de la famille à charge résulte d’une « situation de fait qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier »59, elle a énoncé des directives d’interprétation, à savoir que cette qualification peut être déduite « d’éléments objectifs »60, tel que le « domicile commun » du travailleur avec l’enfant61, qu’il n’est pas « nécessaire […] de déterminer les raisons de [la] contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte »62, que la qualification s’effectue « sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé »63. La Cour de justice n’a donc pas abandonné pur et simplement l’appréciation du fait, qualifiant l’enfant du conjoint comme membre de la famille du travailleur, de la contribution par ce dernier à l’entretien de l’enfant aux administrations et juridictions nationales, mais a donné certaines directives d’interprétation. Il serait difficilement compréhensible que votre Cour se refuse de contrôler le respect de ces directives par les juges du fond. Il en est ainsi d’autant plus que la Cour de justice a, sur base de l’article 267 TFUE le pouvoir d’interpréter le droit de l’Union européenne et que « le mécanisme préjudiciel établi par cette disposition vise à assurer en 50 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, 6e édition, 2023,, n° 01.16, page 4, citant l’article 604 du Code de procédure civile français.

51 Idem, n° 65.101, page 318.

52 Idem, n° 65.111, page 318.

53 Idem, n° 65.112, page 319. Les auteurs citent l’exemple de la révocation d’une donation pour cause d’ingratitude.

54 Idem, n° 65.113, page 319. Les auteurs citent les exemples des notions de bonne foi, affectio societatis, intention libérale, fraude, insanité d’esprit, etc.

55 Idem, n° 65.114, page 320. Les auteurs citent l’exemple du caractère apparent ou caché du vice de la chose vendue.

56 Idem, n° 656.115, page 320. Les auteurs citent l’exemple du caractère manifestement excessif d’une clause pénale.

57 Idem, n° 65.125, page 322.

58 Idem, n° 62.40, page 270.

59 Arrêt Depesme e.a., point 60.

60 Idem et loc.cit.

61 Idem et loc.cit.

62 Idem et loc.cit. et arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), n° 50.

63 Arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), n° 50.

toutes circonstances au droit de l’Union le même effet dans tous les États membres et ainsi à prévenir des divergences dans l’interprétation de celui-ci que les juridictions nationales ont à appliquer »64.

Il existe donc des motifs légaux sérieux qui devraient vous amener à revenir sur votre jurisprudence qui abandonne cette appréciation au pouvoir souverain des juges du fond et à accepter le contrôle des directives d’interprétation de la Cour de justice65.

Si vous avez des doutes sur le point de savoir si un tel contrôle est imposé par le droit de l’Union européenne, il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« L’article 267 TFUE s’oppose-t-il à la jurisprudence d’une Cour suprême d’un Etat membre compétente pour contrôler, à l’exclusion de tout contrôle des faits, la conformité au droit des décisions des juridictions inférieures, à refuser de contrôler, sur base des faits constatés par ces juridictions, la correcte application de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union européenne retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’interprétation de la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, dans le cas de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, mais dont il pourvoit à l’entretien, interprétation effectuée par la Cour de justice dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ? ».

Si, par revirement de jurisprudence, vous acceptez un tel contrôle, il y a ensuite lieu de s’interroger si les juges du fond ont, en l’espèce, correctement appliqué les directives d’interprétation de la Cour de justice.

Le Conseil supérieur constata que les pièces versées par le travailleur frontalier établissaient « des montants déboursés au profit de [l’enfant du conjoint] »66. Or, il jugea que ces paiements étaient dépourvus de pertinence pour conclure que ce travailleur pourvoit à l’entretien de l’enfant parce que :

- il ne ressort pas du dossier que les « montants déboursés au profit de [l’enfant du conjoint] sont exclusivement pris en charge par le [travailleur frontalier]»67, 64 Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management e Catania Multiservizi (CILFIT II), C-561/19, ECLI:EU:C:2021:799, point 28.

65 Le soussigné vous avait, dans cette même logique, proposé, dans ses conclusions sous votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022, de rejeter l’exception d’irrecevabilité de la Caisse pour l’avenir des enfants, qui vous avait invité à ne pas accueillir le quatrième moyen parce que ce dernier reviendrait à remettre en discussion l’appréciation souveraine des juges du fond (voir, à cet égard, les conclusions du soussigné, 20221110_CAS-2021-00117_131p (public.lu) (consulté le 10 octobre 2023), page 44, deuxième alinéa).

66 Arrêt attaqué, page 9, deuxième alinéa.

67 Idem et loc.cit.

- les montants payés par ce travailleur ne sont « que des montants occasionnels constituant des suppléments qui ne sont cependant pas de nature à prouver que [le travailleur] pourvoit à l’entretien [de l’enfant du conjoint] »68 et - il résulte « des éléments objectifs mis en exergue […] [que] ce sont les parents biologiques qui subviennent aux frais d’entretien de leur enfant » 69.

La jurisprudence précitée de la Cour de justice assimile à la notion d’enfant légalement à charge, celle de l’enfant à l’entretien duquel une personne non légalement tenue d’entretenir l’enfant, pourvoit cependant en fait. Cette personne se comporte donc en fait comme une personne qui a l’enfant légalement à charge. Cette assimilation du fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant à la situation des personnes dont l’enfant est légalement en charge implique qu’une participation occasionnelle à cet entretien dans le cadre de dépenses qui, au regard de leur caractère relativement dérisoire, ne constituent que des suppléments aux besoins d’entretien, n’est pas pertinente pour conclure que cette personne pourvoit à l’entretien de l’enfant. Le droit à l’allocation ne naît donc pas d’une quelconque participation à cet entretien, mais suppose de prendre en considération l’importance de celle-ci, donc de s’assurer que cette participation soit, en fait, équivalente à celle exigée de parents dont un enfant est légalement à charge.

Dans cette logique, le paiement occasionnel de certains montants profitant à l’enfant, qui, outre d’être occasionnels, ne constituent que des suppléments aux besoins d’entretien de ce dernier, de surcroît dans un contexte dans lequel les parents biologiques pourvoient, suivant les constatations souveraines des juges du fond, en fait à cet entretien, ne satisfait manifestement pas aux critères de la Cour.

C’est donc à juste titre et dans le respect de la jurisprudence de la Cour de justice que le Conseil supérieur conclut que, dans les circonstances de l’espèce, le demandeur en cassation ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant au sens de cette jurisprudence.

Si vous avez des doutes sur cette solution, vous devriez saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle libellée comme suit :

« Est-ce que la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, que la Cour de justice a interprétée dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, comme s’étendant au travailleur migrant qui pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou partenaire avec lequel il n’a pas de lien de filiation, est à interpréter en ce sens que le travailleur migrant est à considérer comme pourvoyant à l’entretien de l’enfant (de sorte que ce dernier est à qualifier de membre de sa famille) lorsqu’il se limite à participer de façon seulement occasionnelle à cet entretien, par des dépenses qui ne constituent que des suppléments aux dépenses d’entretien qui sont par ailleurs assumées par les parents biologiques de l’enfant ? ».

68 Idem et loc.cit.

69 Idem et loc.cit.

Aux fins d’éviter un retard trop important de la procédure, il se recommanderait, si vous jugez que ces questions sont pertinentes et nécessaires, de les poser de façon simultanée.

Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen est tiré, pour contradiction de motifs, de la violation des articles 89, ancien, de la Constitution (devenu article 109, nouveau, de celle-ci) et 587 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et les éléments invoqués ne permettant que de prouver que l’intéressé participe à certains paiements occasionnels, qui sont insuffisants pour rendre crédible qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, qui est assuré par les parents biologiques, en constatant, d’une part, que le travailleur frontalier fournissait tout ou partie du logement familial et participait aux frais d’entretien de l’enfant et en en déduisant, d’autre part, qu’il ne pourvoyait pas à l’entretien de cet enfant et en affirmant ainsi, d’une part, en se référant à la jurisprudence précitée de la Cour de justice, procéder à une interprétation large de la notion d’enfant à charge, tout en procédant, en réalité, d’autre part, à une interprétation restrictive de cette notion, alors que, première branche, les motifs tirés de ce que, d’une part, le travailleur frontalier fournissait tout ou partie du logement familial et participait aux frais d’entretien de l’enfant et de ce que, d’autre part, il ne pourvoyait pas à l’entretien de ce dernier sont contradictoires et que, seconde branche, le fait d’affirmer procéder à une interprétation large de la notion d’enfant à charge tout en donnant à cette notion une interprétation restrictive est contradictoire.

Le deuxième moyen est tiré d’une double contradiction de motifs, exposée dans deux branches.

Sur la première branche du moyen Le Conseil supérieur se serait contredit en retenant que « [l]es pièces versées par [le demandeur en cassation] […] documentent […] des frais de ménage à charge du couple […] [et] des montants déboursés au profit de [l’enfant du conjoint] »70, tout en concluant que ces pièces « ne sont […] pas de nature à prouver que [le demandeur en cassation] pourvoit à l’entretien de [l’enfant de son conjoint] »71.

70 Idem et loc.cit.

71 Idem et loc.cit.

Le grief tiré de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision72.

Le Conseil supérieur explique pourquoi il considère que, nonobstant les pièces versées, il n’est pas établi que le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de son épouse : les montant en question ne sont que « des montants occasionnels constituant des suppléments »73 et « ce sont les parents biologiques qui subviennent aux frais d’entretien de leur enfant »74. Au vu de ces motifs, il n’existe aucune contradiction entre les deux passages cités de l’arrêt. Le grief du défaut de motivation, qui est un grief de forme, n’est par ailleurs pas pertinent pour discuter du bien-fondé des motifs.

Il s’ensuit que la première branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la seconde branche du moyen Dans la seconde branche, le demandeur en cassation soulève une seconde contradiction de motifs. Le Conseil supérieur aurait fait « siennes les dispositions de l’arrêt de la CJUE du 2 avril 2020 (C-802/18) […] affirmant donc procéder à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier »75, mais il aurait « en fait procédé à une interprétation restrictive de cette notion [alors] que les magistrats d’appel, conformément à l’interprétation de la CJUE dans ses arrêts des 15 décembre 2016 et 2 avril 2020, auraient dû procéder à une interprétation large et non restrictive de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier »76.

Le Conseil supérieur n’a pas, dans les motifs de son arrêt, affirmé « procéder à une interprétation large de la notion de pourvoi à l’entretien de l’enfant non-biologique du travailleur frontalier ». Un tel motif ne saurait par ailleurs être déduit de la référence faite par le Conseil à l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier). Dans cet arrêt la Cour de justice interprète largement la notion d’enfant à charge en y assimilant l’enfant à l’entretien duquel pourvoit en fait, sans obligation légale, le conjoint ou partenaire du parent de l’enfant. Il ne résulte toutefois pas de l’arrêt que la notion du pourvoi à l’entretien de l’enfant doit à son tour être interprétée largement.

Le demandeur en cassation fait donc soutenir l’existence d’une contradiction entre des motifs qui ne figurent pas dans l’arrêt attaqué.

Sous le couvert du grief de la contradiction de motifs, il fait par ailleurs exprimer une critique sur le bien-fondé des motifs par lesquels le Conseil supérieur a dénié au demandeur en cassation la qualification de personne pourvoyant à l’entretien de l’enfant de son conjoint. Or, ce grief, qui est un grief de forme, n’est pas pertinent pour critiquer le bien-fondé des motifs.

72 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 29 juin 2023, n° 84/2023, numéro CAS-2022-00105 du registre, réponse au premier moyen.

73 Arrêt attaqué, page 9, deuxième alinéa.

74 Idem et loc.cit.

75 Mémoire en cassation, page 11, sous « Deuxième branche », premier alinéa.

76 Idem, loc.cit., premier et second alinéa.

Il s’ensuit que la branche du moyen, qui critique une contradiction entre des motifs qui n’ont pas été exprimés par l’arrêt, manque en fait et, en ce qu’elle critique, sous le couvert du grief d’une contradiction de motifs, le bien-fondé de ces derniers, est étranger au cas d’ouverture, donc irrecevable.

Conclusion Le deuxième moyen est à rejeter.

Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 2, point 2, sous c) de la directive 2004/3877, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et les éléments invoqués ne permettant que de prouver que l’intéressé participe à certains paiements occasionnels, qui sont insuffisants pour rendre crédible qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, qui est assuré par les parents biologiques, en retenant que « la présomption prévue par l’article 2 (2) c), première partie de phrase, de la directive 2004/38, s’applique uniquement aux descendants directs, qui sont présumés être membres de la famille lorsqu’ils sont âgés de moins de 21 ans et qui restent membres de la famille au-delà de 21 ans s’ils sont à charge [étant ajouté que] [u]une telle possibilité n’est pas prévue par l’article 2 (2) c) pour les descendants directs visés à la deuxième partie de la phrase, ce qui explique que la CJUE a analysé la situation factuelle des enfants du conjoint dans cette affaire »78, alors que la disposition visée octroie la qualité de membre de la famille aux « descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire […] » et que la Cour de justice a constaté, au point 62 dans son arrêt Depesme e.a., « que le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans, ainsi que cela résulte notamment de l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38 », de sorte qu’il existe 77 « Article 2. Définition. Aux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) "membre de la famille": a) le conjoint; b) le partenaire avec lequel le citoyen de l'Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d'un État membre, si, conformément à la législation de l'État membre d'accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l'État membre d'accueil; c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b); d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; […] ».

78 Arrêt attaqué, page 8, troisième alinéa.

une présomption de prise en charge des enfants du conjoint de moins de 21 ans qui est susceptible d’être renversée par les administrations ou juridictions nationales, de sorte que c’est à tort que le Conseil supérieur a omis de tenir compte de cette présomption et a procédé à une inversion de la charge de la preuve en défaveur du travailleur frontalier et que, en cas de doute sur l’interprétation de la disposition, il y a lieu de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle.

La directive 2004/38 dispose dans son article 2 ce qui suit :

« Article 2. Définition. Aux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) "membre de la famille":

a) le conjoint;

b) le partenaire avec lequel le citoyen de l'Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d'un État membre, si, conformément à la législation de l'État membre d'accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l'État membre d'accueil;

c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b); […] ».

d) d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; […] ».

Le demandeur en cassation avait proposé en instance d’appel de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle aux fins de savoir si, eu égard à l’article 2, point 2, sous c), de la directive, « les enfants [ne] sont [pas], en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans »79.

Le Conseil supérieur avait refusé de poser cette question aux motifs que « la présomption prévue par l’article 2 (2) c), première partie de phrase, de la directive 2004/38, s’applique uniquement aux descendants directs, qui sont présumés être membres de la famille lorsqu’ils sont âgés de moins de 21 ans et qui restent membres de la famille au-delà de 21 ans s’ils sont à charge [étant ajouté que] [u]une telle possibilité n’est pas prévue par l’article 2 (2) c) pour les descendants directs visés à la deuxième partie de la phrase, ce qui explique que la CJUE a analysé la situation factuelle des enfants du conjoint dans cette affaire »80.

Cette analyse est correcte.

La référence à l’âge de 21 ans se limite au cas de figure, visé dans la première partie du c) du point 2 de l’article 2 de la directive, aux « descendants directs » du travailleur migrant se prévalant de liberté de circulation réglementée par la directive, à l’exclusion des « descendants directs du conjoint ou du partenaire » du travailleur migrant, visés par la seconde partie du c) précité :

79 Idem, page 4, deuxième question préjudicielle proposée.

80 Idem, page 8, troisième alinéa.

- parmi les descendants directs du travailleur migrant, ceux âgés de moins de 21 ans sont présumés être des membres de sa famille, tandis que ceux âgés de plus de 21 ans ne sont susceptibles de recevoir cette qualification que s’ils sont à charge, alors que - une présomption similaire au profit des enfants âgés de moins de 21 ans n’est pas prévue pour les descendants du conjoint ou du partenaire du travailleur migrant, la Cour de justice ayant, dans ses arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) défini sous quelles conditions ces enfants sont susceptibles d’être qualifiés d’enfants à charge, à savoir lorsque le travailleur frontalier pourvoit à leur entretien.

Cette solution, qui résulte du libellé de la directive, n’est pas remise en cause par le point 62 de l’arrêt Depesme e.a.. La Cour de justice y exposa que la qualification de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant comme enfant à charge de ce dernier suppose que celui-ci pourvoit à l’entretien de l’enfant, situation de fait qu’il appartient aux administrations et aux juridictions nationales d’apprécier81. Le Gouvernement avait fait valoir contre cette solution qu’il était, en pratique, difficile pour les administrations nationales de procéder à la vérification de cette situation de fait. La Cour de justice rejeta cet argument pour un double motif. L’un des motifs était tiré de ce que le législateur luxembourgeois avait déjà, dans sa législation sur les aides financières pour étudiants, exigé le respect d’un tel critère, partant, anticipé le contrôle par l’administration nationale du respect de ce critère82. L’autre était que le législateur de l’Union européenne avait à son tour anticipé cette difficulté en créant, dans l’article 2, point 2, sous c), une présomption de prise en charge pour les enfants âgés de moins de 21 ans83. La Cour de justice n’affirme pas, en énonçant cet argument, que cette présomption s’applique aux enfants du conjoint ou partenaire du travailleur migrant. L’argument a, dans le contexte du raisonnement de la Cour, uniquement pour objet de rappeler que le législateur de l’Union européenne a anticipé la difficulté des administrations nationales de déterminer quelles personnes sont à charge du travailleur migrant en facilitant cette tâche par la définition de présomptions. Le fait que le passage en question n’est pas à comprendre comme une affirmation par la Cour de justice de l’existence d’une présomption que l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant est à charge de ce dernier lorsqu’il est âgé de moins de 21 ans résulte, outre du libellé de l’article 2, point 2, sous c), de ce que la Cour n’a, dans l’exposé des critères suivant lesquels un tel enfant est à qualifier d’enfant à charge, aucunement fait référence à un critère tiré de l’âge. Elle exige que le travailleur migrant assure l’entretien de l’enfant tout en ajoutant qu’il s’agit d’une situation de fait (tandis que l’âge serait, au contraire, un critère de droit) et que cette situation est à apprécier par les administrations et juridictions nationales84.

Elle fait référence à des éléments objectifs susceptibles d’être pris en considération pour apprécier cette situation de fait85. Or, parmi ces éléments objectifs elle ne mentionne pas l’âge de l’enfant86. Elle ne fait pas non plus mention de l’âge des enfants concernés dans son exposé des faits87, ce qui confirme à nouveau qu’elle n’attache aucune pertinence à ce critère. Cette conclusion est confirmée par l’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), qui concerne les allocations en cause en l’espèce, dans lequel la Cour, 81 Point 60 de l’arrêt Depesme e.a..

82 Point 62 de l’arrêt précité.

83 Point 62 de l’arrêt précité et le point 71 des conclusions de l’avocat général M. Melchior WATHELET sous cet arrêt (ECLI:EU:C:2016:430).

84 Point 60 de l’arrêt Depesme e.a..

85 Idem.

86 Idem.

87 Points 17 à 32 de l’arrêt précité.

tout en maintenant les critères exposés dans l’arrêt Depesme e.a., parmi lesquels ne figure pas l’âge de l’enfant, ne fait aucune référence à un tel critère ou à une présomption susceptible d’en être déduite.

Le Conseil supérieur a donc répondu par des motifs corrects en droit à la prétention du demandeur en cassation de déduire la qualité d’enfants à charge d’une présomption tirée de ce que l’enfant était âgé de moins de 21 ans.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Suivant la jurisprudence constante de la Cour de justice, une juridiction nationale, telle que votre Cour, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel est libérée de l’obligation de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle sur base de l’article 267, troisième alinéa, TFUE lorsque, la question soulevée étant pertinente, la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour de justice ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse de place à aucun doute raisonnable88. En l’espèce, les critères de qualification de l’enfant du conjoint du travailleur migrant à l’égard duquel ce dernier n’a pas de lien de filiation comme « membre de la famille à charge » ont déjà fait l’objet d’une interprétation exhaustive de la part de la Cour de justice et l’interprétation correcte du droit de l’Union au sujet de la thèse soulevée paraît s’imposer avec une telle évidence qu’il se justifie de conclure que vous êtes dispensés de saisir la Cour de justice de cette thèse.

Si vous avez des doutes sur cette conclusion, il y aurait alors lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que, à la lumière du point 62 de l’arrêt de la Cour de justice du 15 décembre 2016, C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, dans lequel la Cour de justice a constaté « que le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans, ainsi que cela résulte notamment de l’article 2, point 2, sous c), de directive 2004/38 », l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE est à interpréter en ce sens qu’il érige en présomption que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant du conjoint d’un travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, donc est à considérer à la lumière des arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, du 2 avril 2020, comme enfant à sa charge, parce que l’enfant est âgé de moins de vingt et un ans ? ».

88 Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management Catania Multiservizi (CILFIT II), ECLI:EU:C:2021:799, point 33.

Sur les cinquième (qualifié erronément de sixième) et huitième (qualifié erronément de neuvième) moyens de cassation réunis Le cinquième moyen est tiré de la violation des articles 213 et suivants du Code civil français, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et les éléments invoqués ne permettant que de prouver que l’intéressé participe à certains paiements occasionnels, qui sont insuffisants pour rendre crédible qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, qui est assuré par les parents biologiques, alors que le Code civil français ne fait nullement référence, dans ses articles 213 et suivants, à la notion de parents biologiques, mais oblige indirectement le beau-parent à contribuer à l’entretien de l’enfant de son conjoint.

Le huitième moyen est tiré de la violation des articles 1310 et suivants du Code civil français, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale « a constaté l’existence d’un compte commun sans en tirer les conséquences ; alors qu’en matière de compte commun, une solidarité conventionnelle est prévue »89.

Sur le cinquième moyen Le demandeur en cassation fait critiquer dans son cinquième moyen que la référence faite par le Conseil supérieur aux parents biologiques, qui, suivant ses constatations, contribuent à l’entretien et à l’éducation des enfants commun à proportion de leurs ressources90, ne serait pas conforme au droit civil français et méconnaîtrait que ce droit implique l’obligation pour le beau-

parent de contribuer à l’entretien de l’enfant de son conjoint.

Suivant les éléments auxquels vous pouvez avoir égard, ce moyen est nouveau.

Dans la mesure où, l’interprétation correcte du droit étranger étant une question de fait échappant à votre contrôle91, il vous invite à examiner la correcte interprétation du droit français, donc est mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable92.

89 Mémoire en cassation, page 25, avant-dernier et dernier alinéa.

90 Arrêt attaqué, page 9, deuxième alinéa.

91 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 1er avril 2021, n° 55/2021, numéro CAS-2020-00041 du registre, réponse au deuxième moyen et BORÉ, précité, n° 62.71 et suivants, pages 271 et suivantes.

92 L’irrecevabilité du moyen n’est pas mise en cause par la circonstance que le moyen pourrait, le cas échéant, être qualifié de moyen révélé par l’arrêt, un vice de fond révélé par l’arrêt attaqué n’échappant au grief de nouveauté que s’il est de pur droit, donc s’il ne fait appel à aucun fait qui ne fut constaté par la décision attaquée (BORÉ, précité, n° 82.171, page 503).

Sur le huitième moyen Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi de 1885, chaque moyen doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, la partie critiquée de la décision et ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.

Le huitième moyen, même complété par la discussion qui le développe, ne précise pas d’une façon compréhensible quelle partie de la décision est critiquée et en quoi consiste cette critique.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Il est ajouté, dans un ordre subsidiaire, que suivant les éléments auxquels vous pouvez avoir égard, le moyen est nouveau et que, dans la mesure où, l’interprétation correcte du droit étranger étant une question de fait échappant à votre contrôle, il vous invite à procéder à examiner la correcte interprétation du droit français, donc est mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable.

Sur le sixième moyen de cassation (qualifié erronément de septième moyen) Le sixième moyen est tiré, pour contradiction de motifs, de la violation des articles 89, ancien, de la Constitution (devenu article 109, nouveau, de celle-ci) et 587 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et les éléments invoqués ne permettant que de prouver que l’intéressé participe à certains paiements occasionnels, qui sont insuffisants pour rendre crédible qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, qui est assuré par les parents biologiques, alors que, ainsi qu’il est exposé dans la discussion du moyen, le Conseil supérieur a, pour parvenir à cette conclusion, d’une part, constaté que les pièces versées par le demandeur en cassation « documentent […] des montants déboursés au profit de [l’enfant] »93 tout en concluant, d’autre part, que ces pièces, au regard du caractère occasionnel des paiements, « ne sont cependant pas de nature à prouver que [le demandeur en cassation] pourvoit à l’entretien de [l’enfant] »94, ces deux motifs se contredisant.

93 Arrêt attaqué, page 9, deuxième alinéa.

94 Idem et loc.cit.

Le moyen est tiré d’une contradiction de motifs. L’identité des motifs allégués d’être contradictoires n’est cependant exposée que dans la discussion du moyen.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi de 1885, chaque moyen doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, ce en quoi la partie critiquée de la décision encourt le reproche allégué.

Le demandeur en cassation ne précise pas, dans l’énoncé de son moyen, en quoi les juges d’appel se seraient contredits95. Les développements en droit qui, aux termes de l’article 10, alinéa 3, de la loi précitée, peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent suppléer à la carence de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité96.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Dans un ordre subsidiaire il est précisé que le moyen, complété par sa discussion, critique, de façon similaire au deuxième moyen, le Conseil supérieur d’avoir dénié au demandeur en cassation la qualité de personne pourvoyant à l’entretien de l’enfant de son conjoint tout en constatant que ce demandeur a versé à cette fin des montants occasionnels constituant des suppléments. Cette conclusion est, dans l’arrêt, fondé sur le motif que le paiement de « montants occasionnels constituant des suppléments »97 est insuffisant pour considérer que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant lorsque, de surcroît, « au vu des éléments objectifs [du dossier] […] ce sont les parents biologiques qui subviennent aux frais d’entretien de leur enfant »98.

L’arrêt ne comporte donc aucune contradiction de motifs. Le véritable grief invoqué par le demandeur, sous le couvert de celui de la contradiction de motifs, est la contestation du bien-

fondé de ces motifs. Or, un tel grief est étranger au cas d’ouverture, qui se limite à sanctionner un vice de forme.

Il s’ensuit, à titre subsidiaire, que le moyen est encore irrecevable pour ce motif.

Sur le septième moyen de cassation (qualifié erronément de huitième moyen) Le septième moyen est tiré, pour excès de pouvoir, de la violation de l’article 11, paragraphe 5, ancien, de la Constitution (devenu article 34, nouveau, de celle-ci), en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte de l’enfant de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au 95 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 30 juin 2022, n° 97/2022, numéro CAS-2021-00110 du registre, réponse au deuxième moyen.

96 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 9 février 2023, n° 17/2023, numéro CAS-2022-00056 du registre (réponse à la première branche du moyen unique).

97 Arrêt attaqué, page 9, deuxième alinéa.

98 Idem et loc.cit.

regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant de son conjoint, les parents biologiques pourvoyant à cet entretien et les éléments invoqués ne permettant que de prouver que l’intéressé participe à certains paiements occasionnels, qui sont insuffisants pour rendre crédible qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant, qui est assuré par les parents biologiques, alors que, ainsi qu’il est exposé dans la discussion du moyen, le Conseil supérieur exige, contrairement à la jurisprudence précitée de la Cour de justice, par immixtion dans l’exercice du pouvoir législatif, que le beau-parent n’est à considérer pourvoir à l’entretien de l’enfant que s’il prouve, d’une part, que les parents biologiques ne participent nullement à cet entretien et, d’autre part, qu’il assure cet entretien de façon intégrale.

Le moyen est tiré d’un excès de pouvoir. Le demandeur en cassation omet de préciser dans l’énoncé de son moyen ce en quoi consiste le grief allégué. Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi de 1885, chaque moyen doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, ce en quoi la partie critiquée de la décision encourt le reproche allégué. Cette exigence n’ayant pas été respectée, le moyen est irrecevable.

Dans un ordre subsidiaire il est relevé que le demandeur en cassation critique que le Conseil supérieur aurait subordonné la preuve que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint à la condition que les parents biologiques ne participent d’aucune façon à cet entretien et que ce dernier est intégralement assumé par le travailleur migrant.

Dans l’arrêt attaqué le Conseil supérieur, appréciant les faits de l’espèce, conclut que le demandeur en cassation ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant parce que, d’une part, sa contribution, constituée par le paiement de montants occasionnels constituant de simples suppléments aux besoins d’entretien de l’enfant, est insuffisante pour recevoir cette qualification et que, d’autre part, l’entretien est assuré par ailleurs par les parents biologiques.

Il n’a donc pas subordonné la qualification en question aux deux conditions alléguées par le moyen.

Ce dernier manque dès lors, à titre subsidiaire, en fait.

Dans un ordre plus subsidiaire il est précisé que le moyen est tiré d’un excès de pouvoir. Ce dernier est la transgression par le juge, compétent pour connaître du litige, d’une règle d’ordre public par laquelle la loi a circonscrit son autorité99.

Le reproche tiré de ce que les juges du fond auraient mal interprété la notion d’enfant à charge d’un travailleur migrant, elle-même interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice comme supposant que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant, constituerait tout au plus, à le supposer établi, une simple violation de la loi et ne rentrerait pas dans la définition de l’excès de pouvoir.

Il s’ensuit, à titre plus subsidiaire, que le moyen, exposant un grief étranger au cas d’ouverture, est irrecevable.

99 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 6 juillet 2023, n° 91/2023 pénal, numéro CAS-2022-00125 du registre.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable.

Les deuxième, cinquième (qualifié erronément de sixième), sixième (qualifié erronément de septième), septième (qualifié erronément de huitième) et huitième (qualifié erronément de neuvième) moyens sont à rejeter.

Dans le cadre de l’examen des premier et quatrième moyens réunis il y a lieu de retenir, contrairement à ce qui a été décidé en réponse au quatrième moyen de l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022, que le contrôle de la correcte qualification de la notion de « pourvoi à l’entretien de l’enfant du conjoint du travailleur migrant » sur base des faits souverainement constatés par les juges du fond appartient à votre Cour, sinon il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« L’article 267 TFUE s’oppose-t-il à la jurisprudence d’une Cour suprême d’un Etat membre compétente pour contrôler, à l’exclusion de tout contrôle des faits, la conformité au droit des décisions des juridictions inférieures, à refuser de contrôler, sur base des faits constatés par ces juridictions, la correcte application de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union européenne retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’interprétation de la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, dans le cas de l’enfant du conjoint ou partenaire du travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, mais dont il pourvoit à l’entretien, interprétation effectuée par la Cour de justice dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ? » A l’issue de ce contrôle il y a lieu de conclure que le Conseil supérieur a correctement appliqué le droit de l’Union européenne, sinon il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que la notion de « membre de la famille » d’un travailleur migrant, au sens de l’article 1er , sous i), et l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 et de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ouvrant droit à l’octroi de prestations familiales, que la Cour de justice a interprétée dans son arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, comme s’étendant au travailleur migrant qui pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint ou partenaire avec lequel il n’a pas de lien de filiation, est à interpréter en ce sens que le travailleur migrant est à considérer comme pourvoyant à l’entretien de l’enfant (de sorte que ce dernier est à qualifier de membre de sa famille) lorsqu’il se limite à participer de façon seulement occasionnelle à cet entretien, par des dépenses qui ne constituent que des suppléments aux dépenses d’entretien qui sont par ailleurs assumées par les parents biologiques de l’enfant ? ».

Le troisième moyen n’est pas fondé. Subsidiairement il y a lieu de saisir la Cour de justice de la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que, à la lumière du point 62 de l’arrêt de la Cour de justice du 15 décembre 2016, C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, dans lequel la Cour de justice a constaté « que le législateur de l’Union considère que les enfants sont, en tout état de cause, présumés être à charge jusqu’à l’âge de 21 ans, ainsi que cela résulte notamment de l’article 2, point 2, sous c), de directive 2004/38 », l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE est à interpréter en ce sens qu’il érige en présomption que le travailleur migrant pourvoit à l’entretien de l’enfant du conjoint d’un travailleur migrant avec lequel ce dernier n’a pas de lien de filiation, donc est à considérer à la lumière des arrêts Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269, du 2 avril 2020, comme enfant à sa charge, parce que l’enfant est âgé de moins de vingt et un ans ? ».

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 37


Synthèse
Numéro d'arrêt : 68/24
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2024-04-25;68.24 ?

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