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07/05/2025 | FRANCE | N°23PA01137

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 07 mai 2025, 23PA01137


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société ESCOTA a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à l'indemniser, annuellement et jusqu'à l'expiration du contrat de concession qu'elle a conclu avec ce-dernier, du montant de la majoration de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) résultant de l'article 81 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 soit, pour l'année 2020 la somme de 200 000 euros, pour l'année 2021 celle de 238 000 euros et, pour les années 2022 e

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ESCOTA a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à l'indemniser, annuellement et jusqu'à l'expiration du contrat de concession qu'elle a conclu avec ce-dernier, du montant de la majoration de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) résultant de l'article 81 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 soit, pour l'année 2020 la somme de 200 000 euros, pour l'année 2021 celle de 238 000 euros et, pour les années 2022 et suivantes jusqu'au terme de la concession, un montant correspondant à la différence entre le montant de la TAT résultant de la majoration introduite par cet article et le montant dû avant cette majoration, ces montants étant augmentés des intérêts moratoires.

Par un jugement n° 2017667/4-3 du 13 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mars 2023, et des mémoires, enregistrés le 3 mai, le 26 juillet et le 27 novembre 2024, la société ESCOTA, représentée par Me Champy, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'Etat à l'indemniser, annuellement, du montant de la majoration de la TAT résultant de l'article 81 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, soit les sommes de 199 785 euros pour l'année 2020, 238 444 euros pour l'année 2021, 1 155 747 euros pour l'année 2022 et 3 336 170 euros pour l'année 2023, ces sommes portant intérêts moratoires avec capitalisation ;

3°) de condamner l'Etat à l'indemniser, annuellement et sur le même fondement, du montant correspondant à la différence, pour les années ultérieures et jusqu'à la fin du contrat de concession, entre le montant de la TAT résultant de la majoration introduite par l'article 81 de la loi de finances pour 2020 et celui dû avant cette majoration, augmenté des intérêts moratoires ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier comme entaché d'erreurs relatives à la portée de l'article 37 de la loi du 4 février 1995, au regard des précédents favorables invoqués et de la notion d'impact de l'augmentation de la taxe sur l'équilibre financier du contrat ;

- les premiers juges ont commis une erreur en écartant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 32 du cahier des charges ;

- c'est à tort qu'ils ont estimé qu'elle fondait sa demande indemnitaire devant le juge sur le caractère implicite du rejet de sa réclamation par l'administration ;

- ils ne pouvaient écarter un moyen qui n'avait pas été invoqué, tiré de la méconnaissance de la pratique administrative suivie dans l'application d'un texte législatif ;

- le tribunal a, enfin, considéré à tort qu'elle réclamait une indemnisation déterminée et unique, tant pour le passé que pour l'avenir ;

- elle est fondée à demander l'indemnisation des conséquences défavorables de l'indexation de la TAT au regard du II de l'article 37 de la loi n°95-115 du 4 février 1995 ;

- la responsabilité contractuelle de l'Etat est également engagée à son égard pour méconnaissance des stipulations de l'article 32 du cahier des charges du contrat de concession ;

- elle l'est, enfin, sur le fondement des stipulations des alinéas D et G du Protocole du 9 avril 2015 ;

- le refus opposé méconnaît le droit à la sécurité juridique ;

- son préjudice est certain, liquide et exigible, est chiffrable quand bien même serait-il en partie futur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2024, le ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

La clôture d'instruction a été prononcée avec effet immédiat le 16 décembre 2024 en application des articles R 611-11-1 et R 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts ;

- la loi n°95-115 du 4 février 1995 ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jayer,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Champy, pour la société ESCOTA.

Une note en délibéré a été présentée par la société ESCOTA, le 21 mars 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Le 9 avril 2015, la société ESCOTA a signé avec l'Etat un protocole d'accord emportant notamment modification, par avenant, de l'article 32 du cahier des charges annexé à la convention de concession d'autoroute dont elle est titulaire. Cette modification a été approuvée par décret en Conseil d'Etat du 21 août 2015. Suite à la modification du mode de calcul de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) à laquelle elle est soumise, elle a par une lettre du 16 juin 2020, demandé au secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire chargé des transports de prendre des mesures de compensation et, à défaut, de l'indemniser, année par année, des préjudices qu'elle estime avoir subis. La société ESCOTA relève appel du jugement du 13 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à l'indemniser, annuellement et jusqu'à l'expiration du contrat de concession qu'elle a conclu avec celui-ci, du montant de la majoration de la TAT.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, en jugeant qu'il était saisi de conclusions indemnitaires suite au rejet de la réclamation préalable de la requérante du 16 juin 2020 qui a lié le contentieux, le tribunal ne s'est pas mépris sur les conclusions dont il était saisi. Il n'a pas davantage retenu une interprétation erronée des conclusions indemnitaires présentées par la société requérante.

3. En deuxième lieu, à supposer même que la société ESCOTA n'ait pas entendu se prévaloir, à l'appui de sa demande de première instance, de la méconnaissance de la pratique administrative antérieure dans l'application d'un texte législatif, le jugement attaqué ne peut être regardé comme entaché d'une irrégularité pour avoir écarté un moyen qui n'était pas soulevé.

4. En dernier lieu, la société requérante ne peut utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, de ce qu'il serait entaché d'erreurs de droit ou d'appréciation.

Sur le droit à indemnisation de la société ESCOTA :

5. Par son article 22, la loi du 28 décembre 1994 de finances pour 1995 a institué une taxe due par les concessionnaires d'autoroutes à raison du nombre de kilomètres parcourus par les usagers, figurant à l'article 1er de l'article 302 bis ZB du code général des impôts. Le 3° du II de l'article 81 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a modifié les dispositions de cet article pour indexer partiellement la taxe sur l'inflation, en prévoyant que : " Le tarif de la taxe est fixé à 7,32 € par 1 000 kilomètres parcourus jusqu'au 31 décembre 2019. Pour les années civiles ultérieures, il est égal à ce montant, majoré de 70 % de l'évolution, entre 2018 et l'année précédant l'année en cours, de l'indice des prix à la consommation hors tabac au mois de novembre. Le tarif est arrondi au centième d'euro par 1 000 kilomètres, la fraction égale à 0,005 comptant pour 0,01. / (...) ".

6. En premier lieu, aux termes du II de l'article 37 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, dans sa version en vigueur : " Les conséquences de la taxe instituée par l'article 302 bis ZB du code général des impôts [devenu l'article L. 421-175 du code des impositions sur les biens et services] sur l'équilibre financier des sociétés concessionnaires sont prises en compte par des décrets en Conseil d'Etat qui fixent notamment les durées des concessions autoroutières ".

7. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 4 février 1995 citées au point précédent, qui prévoient seulement la prise en compte, par des décrets en Conseil d'Etat, des conséquences de la taxe d'aménagement du territoire sur l'équilibre financier des sociétés concessionnaires, n'ont ni pour objet ni pour effet d'instaurer un droit à compensation directe et systématique de toute augmentation de la taxe due par les concessionnaires d'autoroutes. La société ESCOTA ne peut, par suite, se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions invoquées du seul fait de l'indexation partielle de la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation. Par ailleurs, elle ne saurait tenir aucun droit à compensation de la pratique antérieure de l'administration.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 32 du cahier des charges annexé à la convention de concession passée entre l'Etat et la société ESCOTA : " Tous les impôts, taxes et redevances établis ou à établir relatifs à la concession (...), sont acquittés par le concessionnaire. En cas de modification, de création ou de suppression, après l'entrée en vigueur du 15ème avenant, d'impôt, de taxe ou de redevance, y compris non fiscale, spécifiques aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, les parties se rapprocheront, à la demande de l'une ou de l'autre, pour examiner si cette modification, création ou suppression est de nature à dégrader ou améliorer l'équilibre économique et financier de la concession, tel qu'il existait préalablement à la création, modification ou suppression dudit impôt, taxe ou redevance. Dans l'affirmative, les parties arrêtent, dans les meilleurs délais, les mesures de compensation, notamment tarifaires, à prendre en vue d'assurer, dans le respect du service public, des conditions économiques et financières ni détériorées ni améliorées ".

9. Il est constant que l'indexation de la TAT à partir du 31 décembre 2019 à hauteur de 70% de l'évolution de l'indice des prix à la consommation entre 2018 et l'année précédant l'année en cours, a entraîné une majoration de son montant. Il résulte toutefois des stipulations citées au point précédent que l'Etat n'est dans l'obligation de prévoir des mesures de compensation que dans le seul cas où la modification de la taxe a eu un impact sur l'équilibre économique et financier du contrat de concession. Et dans ce cas, les mesures de compensation qui peuvent être prises ne revêtent pas exclusivement la forme d'une compensation financière, mais peuvent prendre la forme de modifications tarifaires ou d'allongement de la concession. En se bornant à calculer la charge supplémentaire résultant de l'indexation de la taxe compte tenu de l'évolution constatée ou prévue de l'inflation et du nombre de kilomètres parcourus, ce dont elle déduit que son résultat net sera nécessairement réduit en conséquence, la société ESCOTA n'établit pas l'existence d'une dégradation de l'équilibre économique et financier de la concession tel qu'il existait préalablement à la modification litigieuse, laquelle ne peut être appréciée indépendamment de l'importance des différents aléas pris en considération dans la détermination de cet équilibre, destiné à assurer l'amortissement des investissements réalisés et un retour sur les capitaux investis.

10. En troisième lieu, si aux termes de l'alinéa D du Protocole du 9 avril 2015 intitulé " Sécurité contractuelle et stabilité des prélèvements obligatoires ", il est stipulé que " dans le cas où l'Etat procède à une hausse de la taxe d'aménagement du territoire, il est fait application des dispositions de compensation prévues par l'article 37 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 (...) " et, aux termes de l'alinéa G intitulé " Dispositions générales " que " les SCA déclarent, et l'Etat reconnait, que les engagements financiers importants souscrits par elles et énumérés ci-dessus ont pour contrepartie la garantie de stabilité des prélèvements obligatoires concernant les SCA. Cette garantie, détaillée en section D. ci-dessus, constitue une condition substantielle et déterminante de l'accord intervenu. ", ces stipulations ne reconnaissent pas à la société requérante un droit à indemnisation dont elle pourrait se prévaloir indépendamment de la mise en œuvre des dispositions de l'article 37 de la loi du 4 février 1995 et des stipulations de l'article 32 du cahier des charges annexé à la convention de concession.

11. En dernier lieu, dès lors que la société ESCOTA n'avait aucun droit sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 4 février 1995, du Protocole du 9 avril 2015 et des stipulations du cahier des charges, à la réparation indemnitaire intégrale des conséquences de la modification de la TAT, celle-ci n'est pas fondée à soutenir qu'elle pouvait légitimement attendre de la part de l'Etat qu'il poursuive, spontanément, à supposer celle-ci établie, sa pratique de compensation systématique en cas de nouvelle majoration de cette taxe. Les moyens tirés du manquement par l'administration à son devoir de loyauté, au principe de sécurité juridique ou encore à la protection des effets qui peuvent être légitimement attendus de situations légalement acquises doivent, dès lors, être écartés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société ESCOTA est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société ESCOTA et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente de chambre,

M. Niollet, président-assesseur,

Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.

La rapporteure,

M-D. JAYER La présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne en ce qui la concerne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA01137


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01137
Date de la décision : 07/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : CABINET WHITE & CASE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-07;23pa01137 ?
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