Vu la requête, enregistrée le 12 juillet 2010, présentée pour M. A... B..., demeurant au..., par la SCP Cheneau et Puybasset ; M. B... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0801644/3-2 du 5 mai 2010 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, ledit tribunal a limité à la somme de 10 000 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation des préjudices résultant de la diffusion sur support informatique et sans mention de sa qualité d'architecte et d'auteur de l'inventaire du patrimoine balnéaire de La Baule qu'il avait réalisé ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 300 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation préalable ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise en vue de déterminer le montant de ses préjudices, notamment au titre du manque à gagner et du préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 octobre 2012 :
- le rapport de Mme Terrasse, rapporteur,
- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public ;
- les observations orales de la SCP Cheneau et Puybasset, pour M.B...,
- et les observations orales de la SCP Nataf Fajgenbaum et associés représentant le ministre de la culture et de la communication ;
1. Considérant que M.B..., architecte, a conclu avec le ministre chargé de la culture un marché, notifié le 22 décembre 1993, ayant pour objet de réaliser l'inventaire du patrimoine architectural de la commune de La Baule, consistant à repérer et à sélectionner les bâtiments représentatifs de l'architecture balnéaire situés sur le territoire de la commune moyennant une rémunération de 150 000 francs toutes taxes comprises ; que, par une convention signée le
31 mai 1995 avec l'Association pour le développement de l'inventaire général des monuments et des richesses artistiques dans la région des Pays de la Loire (ADIG) il a été chargé, en complément du contrat précité, selon l'article 1er de cette convention, pour une rémunération de 150 000 francs pour l'année 1995, de la même mission et en outre de la rédaction de deux articles destinés à être publiés dans les revues " Itinéraires du patrimoine " et " Cahiers du patrimoine " à l'occasion d'un colloque devant se tenir à La Baule en juin 1997 et à l'organisation duquel il devait participer ; que, par un jugement du 5 mai 2010, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, reconnu la qualité d'oeuvre de l'esprit protégée par le code de la propriété intellectuelle au travail d'inventaire effectué par M.B..., les travaux destinés à être publiés dans les revues n'étant pas en cause dans le présent litige, d'autre part, limité à la somme de 10 000 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation des préjudices résultant de la mise à la disposition du public, sans son autorisation, sur un poste informatique situé à la mairie de La Baule pendant la durée d'une enquête publique, donc dans des conditions non prévues aux contrats, de l'inventaire du patrimoine balnéaire de la commune, et enfin rejeté le surplus des conclusions de la demande ; que M. B... demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a limité le montant de son indemnisation à 10 000 euros ; que le ministre chargé de la culture présente des conclusions incidentes tendant à l'annulation du jugement en soutenant que c'est à tort que le tribunal administratif a reconnu au travail du requérant le caractère d'oeuvre de l'esprit;
Sur la qualité d'oeuvre de l'esprit du travail réalisé par M. B... ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : " L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. " ; qu'aux termes de l'article L. 112-3 du même code, dans sa version applicable à la date de la réalisation de l'inventaire du patrimoine architectural de
La Baule: " Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des oeuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l'oeuvre originale. Il en est de même des auteurs d'anthologies ou de recueils d'oeuvres ou de données diverses, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles. " ; qu'en vertu de l'article L. 121-1 de ce code, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, ce droit étant attaché à sa personne ; qu'enfin, aux termes des articles L. 121-2 et L 122-4 dudit code : " L'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre (...) " et " toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. ";
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient
M.B..., son travail d'inventaire était strictement encadré par les stipulations des contrats qu'il avait signés, qui précisaient que celui-ci devait être établi en conformité avec les règles détaillées définies par le " guide de l'enquêteur " de l'inventaire du patrimoine, applicables à tous les chercheurs participant à la réalisation de l'inventaire général qui vise à un recensement global et systématique de tous les éléments de patrimoine culturel du territoire national ; qu'ainsi, les sources documentaires devant être consultées sont énumérées dans le guide, qui fixe également les documents devant être produits, la méthode à suivre pour les établir et leur présentation, et qui indique en outre en détail, à titre d'exemple, toutes les appellations devant être employées, à l'exclusion de toute autre, pour la définition des bâtiments, de même qu'il comporte une liste de tous les matériaux utilisés, parmi lesquels l'enquêteur doit choisir pour décrire le bâtiment recensé ; que ces règles, dont le respect est impératif, ont pour objet d'assurer une homogénéité des données recueillies sur l'ensemble du territoire afin, notamment, d'en permettre ensuite un traitement informatisé ; qu'en ce qui concerne les bâtiments faisant l'objet d'un dossier plus complet, leur proportion par rapport à l'ensemble des bâtiments recensés et les motifs pouvant justifier ce traitement plus approfondi sont également précisés dans le guide ; que les notices descriptives étaient ainsi strictement encadrées dans leur forme comme dans leur contenu, ainsi qu'en témoigne le fait que certaines mentions, correspondant aux centres d'intérêt de M. B... mais non prévues par l'inventaire, portées par lui sur les fiches de recensement, ont été supprimées par l'administration ; que les notices historiques sont également essentiellement factuelles ;
4. Considérant, en outre, que les deux contrats prévoyaient que l'étude devait être conduite en lien avec les services du ministère de la culture chargés de l'inventaire du patrimoine et sous le contrôle de conservateurs du patrimoine ;
5. Considérant que la protection des droits d'auteur instituée par les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ne porte que sur les éléments présentant un caractère original et manifestant une activité créatrice ; qu'il résulte de ce qui précède que, compte tenu du cadre étroitement défini imposé à son travail en raison du fait qu'il lui a été commandé pour être partie intégrante de l'inventaire général du patrimoine, les documents établis par M. B... ne présentent pas, et ne devaient pas présenter, une originalité susceptible de justifier une protection au titre de la propriété intellectuelle ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de ce que la requête de M. B... tendant à la condamnation de l'Etat serait mal dirigée, que le ministre de la culture et de la communication est fondé à demander, par la voie de conclusions incidentes, l'annulation du jugement du 5 mai 2010 du Tribunal administratif de Paris au motif que c'est à tort que ledit tribunal a estimé que le travail d'inventaire réalisé par M. B... constituait une oeuvre de l'esprit protégée par le code de la propriété intellectuelle ; que, par voie de conséquence, les conclusions d'appel principales et subsidiaires de M. B... ne peuvent donc qu'être rejetées ;
Sur les conclusions indemnitaires du ministre ;
7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du ministre tendant à ce que M. B... soit condamné à lui verser un euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. B...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 mai 2010 est annulé.
Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.
Article 3 : M. B... versera à l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions incidentes du ministre de la culture et de la communication est rejeté.
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N° 10PA03509