Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de E... de condamner l'État à lui verser une somme de 55 000 euros en réparation du préjudice résultant des fautes et du harcèlement moral commis par les services du ministère de l'éducation nationale.
Par un jugement n°2201043 du 29 mai 2024, le tribunal administratif de E... a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 juillet 2024 et un mémoire enregistré le 14 janvier 2025, qui n'a pas été communiqué, Mme C..., représentée par Me Benabdessadok, demande à la cour :
1°) l'annulation du jugement du 29 mai 2024 du tribunal administratif de E... ;
2°) de condamner l'État à lui verser une somme de 112 200 euros en réparation du préjudice résultant des fautes et du harcèlement moral commis par les services du ministère de l'éducation nationale, avec intérêt au taux légal à compter de sa demande préalable indemnitaire ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen selon lequel les autorités chinoises ont approuvé sa demande de maintien à A... ;
Sur la faute en lien avec l'illégalité de la décision d'affectation du 8 juillet 2021 :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la responsabilité de l'Etat n'était pas susceptible d'être engagée en raison de l'illégalité de la décision du 8 juillet 2021 l'affectant à la cité scolaire F... au collège D... de E... :
* l'administration française ne pouvait changer librement son affectation sans l'accord de l'administration chinoise ;
* il ne résulte d'aucune pièce versée en première instance que son affectation aurait été validée par les autorités chinoises ;
- la décision du 8 juillet 2021 l'affectant à la cité scolaire F... au collège D... de E... a été prise aux termes d'une procédure irrégulière :
* elle n'a pas bénéficié du délai de prévenance de deux mois pour prendre connaissance de l'intention de renouveler son engagement en l'affectant à E..., en méconnaissance de l'article 45 du décret n°86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat ;
- aucune décision ne lui a été notifiée et cette décision n'a pas été précédée d'un quelconque entretien ;
- la proposition de renouvellement de son contrat comporte la modification d'un élément substantiel puisqu'il s'agit de modifier son lieu de travail, elle ne s'est pas vue proposer cette modification par lettre recommandée avec accusé de réception et elle n'a jamais reçu de lettre d'affectation ;
Sur le harcèlement moral :
- la décision de l'affecter à E... n'est pas motivée par un motif tiré de l'intérêt du service et la décision de l'affecter à E... ou en d'autres termes de ne plus l'affecter à la cité scolaire internationale de A... a été prise dans un contexte de harcèlement moral et s'apparente à une sanction déguisée :
- son rythme de travail était particulièrement intense et excédait les conditions normales du fonctionnement d'un service scolaire, associé à un contrôle très pointilleux hebdomadaire de son travail ;
- l'exercice du pouvoir hiérarchique par la cheffe de la section chinoise de la cité scolaire internationale de A... ne s'effectuait pas de manière normale ;
- aucune enquête psychosociale ou réunion n'ont été organisées à la suite de ces agissements ;
- elle est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 112 200 euros en réparation de ses préjudices.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2024, la ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord de coopération linguistique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine, signé à Paris le 30 juin 2015, publié par le décret n° 2015-1214 du 1er octobre 2015 ;
- le code de l'éducation ;
- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n°2006-1171 du 30 décembre 2006 ;
- le décret n°81-535 du 12 mai 1981 modifié ;
- le décret n°81-594 du 11 mai 1981 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jouanneaux substituant Me Benabdessadok pour Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante chinoise, mise à disposition par les autorités chinoises afin d'enseigner le chinois en France, conformément aux dispositions de l'article 165 de la loi du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006, a été affectée, du 1er septembre 2017 au 31 août 2021, en sections internationales de la cité scolaire internationale de A..., puis, au titre de l'année scolaire 2021-2022, en sections internationales de chinois à la cité scolaire (PSEUDO)F...(PSEUDO) de E... et au collège du D..., à E.... Estimant, que cette dernière affectation était illégale et à l'origine pour elle de préjudices et que son changement d'affectation avait été décidé dans un contexte de harcèlement moral, elle a adressé, le 25 octobre 2021, à l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, une demande indemnitaire. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Elle a alors demandé au tribunal administratif de E... la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subi en raison de ce harcèlement moral. Par un jugement du 29 mai 2024, dont Mme C... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la faute en lien avec l'illégalité de la décision d'affectation du 8 juillet 2021 :
2. Aux termes de l'article 165 de loi du 30 décembre 2006 de finances rectificatives pour 2006 : " Dans les établissements scolaires qui comportent une ou plusieurs sections internationales où sont dispensés des enseignements spécifiques impliquant l'utilisation progressive d'une langue étrangère dans certaines disciplines, les enseignants chargés d'assurer ces enseignements peuvent être mis à disposition par les pays étrangers concernés ou être recrutés et rémunérés par des associations agréées (...) ". Aux termes de l'article 7 du décret du 11 mai 1981 relatif aux sections internationales dans les écoles, collèges et lycées, codifié à l'article D. 912-1 du code de l'éducation : " Des enseignants français et des enseignants étrangers exercent dans les sections internationales et dans les classes menant au baccalauréat français international. Ces enseignants sont affectés selon les procédures réglementaires en fonction de leur aptitude à dispenser un enseignement adapté aux besoins des élèves français et étrangers concernés. / Les enseignants étrangers sont mis à la disposition de l'établissement par les pays étrangers intéressés au fonctionnement de la section ou de la classe menant au baccalauréat français international ou, à défaut, recrutés et rémunérés par des associations agréées. Dans les deux cas, leur nomination est approuvée par le ministre chargé de l'éducation ".
3. Il résulte de ces dispositions que, sur la proposition des autorités chinoises, le ministre de l'éducation nationale sélectionne les professeurs étrangers enseignant dans les sections internationales et décide de leur affectation au sein des différentes académies selon les procédures réglementaires. De leur côté, les autorités chinoises mettent ces enseignants à disposition des autorités françaises.
4. En premier lieu, comme l'a relevé le tribunal, l'arrangement administratif entre le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche de la République française et le ministère de l'éducation de la République populaire de Chine relatif aux sections internationales de langue chinoise en France signé en décembre 2016, conclu pour assurer l'exécution des stipulations de l'article 1er de l'accord de coopération linguistique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine, signé à Paris le 30 juin 2015, n'a, contrairement à cet accord, pas été publié. Dès lors, il est dépourvu d'effet en droit interne et n'oblige ses signataires que l'un envers l'autre. Par suite, et en tout état de cause, Mme C... ne peut utilement invoquer une méconnaissance des stipulations de son article 5.
5. En deuxième lieu, si Mme C... fait valoir que l'administration française ne pouvait changer librement son affectation sans l'accord de l'administration chinoise et que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, son affectation n'a pas été validée par les autorités chinoises, ces moyens sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'il appartient au ministre de l'éducation nationale de sélectionner les professeurs étrangers enseignant dans les sections internationales et de décider de leur affectation au sein des différentes académies selon les procédures réglementaires, sans avoir à demander une confirmation de la part des autorités chinoises. Le tribunal n'était donc pas tenu d'examiner le moyen selon lequel les autorités chinoises n'ont pas approuvé sa demande de maintien à A..., qui était inopérant.
6. En troisième lieu, dès lors que son " contrat " la liant avec la cité scolaire internationale de A... n'a pour seul objet que de fournir aux enseignants mis à disposition par les autorités chinoises un complément de revenus et qu'il ne lie les parties qu'au regard de son objet, Mme C... ne saurait soulever utilement les moyens selon lesquels la décision du 8 juillet 2021 l'affectant à la cité scolaire F... au collège D... de E... a été prise aux termes d'une procédure irrégulière, qu'elle n'a pas bénéficié du délai de prévenance de deux mois pour prendre connaissance de l'intention de renouveler son engagement en l'affectant à E..., en méconnaissance de l'article 45 du décret n°86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat, qu'aucune décision ne lui a été notifiée et que cette décision n'a pas été précédée d'un quelconque entretien, que la proposition de renouvellement de son contrat comporte la modification d'un élément substantiel, qu'elle ne s'est pas vue proposer cette modification par lettre recommandée avec accusé de réception et n'a jamais reçu de lettre d'affectation. Par suite, en affectant Mme C... à la cité scolaire F... au collège D... de E... l'administration n'a commis aucune faute et la requérante n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices en lien avec l'illégalité alléguée de la décision d'affectation du 8 juillet 2021.
Sur le harcèlement moral :
7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".
8. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
9. Mme C... fait valoir qu'elle enseigne en France au sein d'établissements publics, que ses conditions de travail se sont fortement dégradées à compter du mois d'octobre 2020 à la suite de l'annonce d'une réforme pédagogique par la coordinatrice des professeurs de chinois de la section internationale chinoise. Elle ajoute qu'elle a dû, avec une collègue, procéder au remaniement intégral du programme d'enseignement, ce qui l'a contrainte à fournir un travail très important en sus de ses tâches habituelles d'enseignement quotidien, et ceci sous un contrôle hebdomadaire très pointilleux de la cheffe de la section chinoise de la cité scolaire internationale de A.... Elle soutient également que son rythme de travail était particulièrement intense et excédait les conditions normales du fonctionnement d'un service scolaire, que l'exercice du pouvoir hiérarchique par la cheffe de la section chinoise de la cité scolaire internationale de A... ne s'effectuait pas de manière normale et qu'aucune enquête psychosociale ou réunion n'ont été organisées à la suite de ces agissements.
10. Il ressort notamment du courriel du directeur de l'école élémentaire de la cité internationale de A... du 19 janvier 2021, adressé à l'Inspection Générale de l'Education du Sport et de la recherche, que ce dernier relève des faits rapportés par Mme C... concernant l'attitude de la coordinatrice à son égard " qui lui font penser à une forme de harcèlement. " et lui demande de se protéger " psychologiquement en ne participant plus aux réunions de section ". Cet élément, qui s'ajoute aux autres arguments de Mme C... dans le cadre de la présente instance, est susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
11. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la cheffe de la section chinoise de la cité scolaire internationale de A... ait manifesté une quelconque volonté d'humilier ou de déstabiliser Mme C.... Ainsi, le courrier de parents d'élèves du 25 février 2022 relatant une réunion de rentrée, qui s'est déroulée le 6 octobre 2020, fait uniquement état d'un constat critique effectué sur le niveau de culture traditionnelle chinoise et le degré d'expression en chinois des élèves de CE2 et de l'intervention de Mme C... pour contredire ce constat, dont le caractère non fondé n'est pas établi. Par ailleurs, si la cheffe de la section chinoise de la cité scolaire internationale de A... a souhaité accélérer l'élaboration des nouveaux programmes d'enseignement pour l'année scolaire 2021/2022, les éléments invoqués par la requérante et les pièces produites ne sont pas suffisamment circonstanciés pour démontrer que les agissements de la coordinatrice des professeurs de chinois auraient excédé de façon répétée les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique d'organisation et seraient ainsi constitutifs d'agissements caractéristiques d'une situation de harcèlement moral. En outre, par un courriel adressé par l'inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional de chinois le 22 février 2021 à Mme C..., ce dernier relève qu'à plusieurs reprises, l'intéressée a manifesté la volonté de travailler sans indications précises et exprimé son souhait d'utiliser les outils qui lui semblaient pertinents au sein de la cité internationale scolaire de A..., alors que sa liberté pédagogique doit s'exercer dans le cadre et dans le respect des programmes et instructions du ministre de l'éducation nationale. Il n'est pas contesté que ces circonstances ont été à l'origine des relations conflictuelles et de difficultés relationnelles entre Mme C... et sa coordinatrice, cheffe de la section chinoise de la cité scolaire internationale de A.... Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'exercice du pouvoir hiérarchique par la cheffe de la section chinoise de la cité scolaire internationale de A... à l'égard de Mme C... serait constitutif d'un harcèlement moral et la requérante n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices en lien avec ce harcèlement moral allégué.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et à la ministre de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 7 février 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2025.
Le rapporteur
F. PONS
Le président
O. GASPON
La greffière
C. VILLEROT
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 24NT02392