Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Rouen a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement les sociétés Quille, devenue Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond, Miroiterie de la Risle et Cigetec EMPB, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 6 327 957,31 euros toutes taxes comprises (TTC), augmentée des intérêts au taux légal, et d'actualiser cette somme à hauteur de 198 633,89 euros en application de l'indice BT 01, en indemnisation des désordres ayant affecté le bâtiment qui l'accueille, construit sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat entre 1995 et 1997.
Par un jugement n° 2002960 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2023 et des mémoires, enregistrés le 22 avril 2024 et le 25 octobre 2024, l'INSA de Rouen, représenté par Me Sagalovitsch, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à lui verser la somme de 6 327 957,31 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, outre les entiers dépens, la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le courrier du 22 novembre 2010, par lequel il a expressément demandé à l'expert, sur le fondement de l'article R. 532-3 du code de justice administrative, d'être attrait aux opérations de l'expertise a eu pour effet d'interrompre la prescription décennale de l'action en responsabilité contre les constructeurs, de sorte que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que son action était prescrite ;
- il justifie de sa qualité à agir pour engager une action en garantie décennale à l'encontre des constructeurs à l'origine des désordres ;
- les désordres, tels qu'ils ont été constatés par l'expert, sont de nature à compromettre la solidité de l'immeuble et à le rendre impropre à sa destination ;
- il est fondé à solliciter, au titre de la réfection de la toiture du bâtiment Magellan, une indemnité d'un montant de 5,4 millions d'euros TTC, subsidiairement de 1 484 818,42 euros TTC ;
- les préjudices liés à la détérioration des bâtiments, à la dégradation des équipements ainsi qu'aux infiltrations survenues le 26 juillet 2013 et à l'incendie du tableau général basse tension, s'élèvent aux sommes de 198 633,89 euros TTC, 141 000,25 euros TTC et 42 462,93 euros TTC ;
- ces sommes seront actualisées selon l'indice BT 01 ;
- les désordres sont à l'origine d'un préjudice lié à la perte de journée de travail de ses personnels de recherche qui s'élève à la somme de 46 040,80 euros ;
- les troubles de jouissance causés par les désordres d'infiltration doivent être réparés à hauteur de 300 000 euros ;
- il a subi un préjudice d'atteinte à son image et à sa notoriété qui sera indemnisé à hauteur de 200 000 euros ;
- les désordres étant apparus moins de cinq mois après la réception des travaux, aucun abattement pour vétusté ne saurait être appliqué.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2023 et un mémoire, enregistré le 14 octobre 2024, la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, représentée par Me Scolan, conclut au rejet de la requête ainsi que de toute demande de condamnation formée son encontre et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'INSA de Rouen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été mise hors de cause par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 20 juillet 2021, devenu définitif sur ce point ;
- elle est étrangère à l'opération de construction en litige et aux désordres allégués.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2024, et un mémoire, enregistré le 10 octobre 2024, la société Miroiterie de la Risle, représentée par Me Ferretti, conclut :
1°) à titre principal, à ce qu'elle soit mise hors de cause ;
2°) au rejet de la requête de l'INSA de Rouen ;
3°) à titre subsidiaire, à ce que les prétentions de l'INSA de Rouen soient ramenées à de plus justes proportions et à la condamnation solidaire de l'Etat, des sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond et Cigetec EMPB à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;
4°) à ce qu'outre les entiers dépens, la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'INSA de Rouen ou, subsidiairement, de tout succombant, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucune conclusion n'est formée à son encontre ;
- les demandes de l'INSA de Rouen, présentées tant sur le fondement de la garantie décennale que de la garantie contractuelle, sont prescrites ;
- sa responsabilité décennale ne saurait être recherchée dès lors qu'elle était sous-traitante de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et n'avait pas de relations contractuelles avec l'INSA de Rouen ;
- aucune faute ne saurait être retenue à son encontre ;
- subsidiairement, la demande l'INSA n'est pas justifiée ;
- les sources d'infiltration par les défauts affectant les capotages de lanterneaux, qui sont les travaux qu'elle a réalisés, sont infimes par rapport aux autres causes techniques d'infiltration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2024, et des mémoires, enregistrés le 9 octobre 2024 et le 30 octobre 2024, la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, représentée par Me Duteil, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête de l'INSA de Rouen, subsidiairement en ce que ses conclusions indemnitaires excèdent la somme de 251 276,96 euros et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'INSA de Rouen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la seule manifestation de l'INSA de Rouen auprès de l'expert n'a pas eu pour effet d'interrompre la prescription de sorte que l'action en garantie décennale est prescrite ;
- à titre subsidiaire, les travaux de reprise ne sauraient excéder la somme de 1 185 988,17 euros TTC, à laquelle il convient d'appliquer un coefficient de vétusté de 90 % ;
- le montant de la réparation du préjudice de dégradation des équipements ne saurait excéder la somme de 41 214,71 euros ;
- elle ne s'oppose pas à la demande de paiement de la somme de 42 462,93 euros TTC au titre des infiltrations du 26 juillet 2013 et de l'incendie du tableau général ;
- le montant de la réparation du préjudice lié à la perte de journée de travail ne saurait excéder la somme de 29 000,51 euros ;
- le préjudice de jouissance ne saurait excéder 20 000 euros ;
- le préjudice de notoriété allégué n'est pas fondé.
Par un mémoire, enregistré le 10 juin 2024, la société Raimond, représentée Me Malbesin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'INSA de Rouen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en l'absence de contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'INSA de Rouen, sa responsabilité ne saurait être recherchée sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ni sur le terrain contractuel ;
- l'action de l'INSA de Rouen est prescrite ;
- subsidiairement, les désordres trouvent son origine exclusive dans la faute commise par l'Etat et la société Quille, qui ont fait réaliser des travaux de reprise partiels alors même qu'ils n'ignoraient pas qu'ils étaient insuffisants ;
- la réalité et le montant des préjudices invoqués par l'INSA de Rouen n'est pas justifié.
Un courrier du 14 octobre 2024 a informé les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa des articles R. 613-1 et R. 613-2 de ce code.
Par une ordonnance du 4 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, l'instruction a été rouverte pour les éléments demandés en vue de compléter l'instruction par lettre du 23 janvier 2025.
En réponse à cette mesure d'instruction, des pièces ont été produites le 29 janvier 2025 par l'INSA de Rouen.
Un mémoire, enregistré le 29 janvier 2025, a été présenté pour la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest en réponse à la communication de ces pièces.
Elle soutient, en outre, que la communication tardive de ces pièces porte atteinte au respect du principe du contradictoire.
La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest a présenté un mémoire, enregistré le 27 février 2025, qui n'a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
La société Miroiterie de la Risle a présenté un mémoire, enregistré le 28 février 2025, qui n'a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, président-assesseur,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me Sagalovitsch, représentant l'INSA de Rouen, de Me Roche, représentant la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et de Me Ferretti, représentant la société Miroiterie de la Risle.
Considérant ce qui suit :
1. Le bâtiment accueillant l'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Rouen, situé sur le campus du Madrillet à Saint-Étienne-du-Rouvray, a été construit en 1995 sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat. Les travaux ont été exécutés par la société Quille, devenue société Bouygues Bâtiment Grand Ouest. D'importants désordres tenant à des infiltrations d'eau par la couverture et par les menuiseries extérieures ont été constatés dès la fin de l'année 1997.
2. A la suite du dépôt d'un rapport d'expertise en 2003, la société Quille a conclu, le 30 janvier 2004, un protocole d'accord avec les deux assureurs des différents constructeurs ayant pris part aux travaux, par lequel elle s'est engagée, en échange du versement par les assureurs d'une somme de 3,4 millions d'euros, à prendre en charge les travaux de reprise des désordres. La société Quille a conclu, le 23 juillet 2004, un protocole d'accord avec l'Etat, représenté par le recteur de l'académie de Rouen, par lequel elle s'est engagée à effectuer les travaux de reprise des désordres visés en annexe au protocole tels que fixés par l'expert, et à fournir au rectorat des documents relatifs à l'exécution de ces travaux. Des travaux de reprise ont été réalisés à la demande de la société Quille, par les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle, sous la maîtrise d'œuvre de la société Cigetec EMPB. Ces travaux de reprise ont été réceptionnés par le rectorat le 18 mai 2005.
3. De nouveaux désordres ont toutefois été constatés à compter de la fin de l'année 2005. En 2010, le ministre de l'enseignement supérieur a sollicité une nouvelle expertise relative aux dommages constatés dans l'immeuble, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 21 juin 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen. Les opérations d'expertise, étendues, à sa demande, à l'INSA de Rouen par une ordonnance du 7 janvier 2011, se sont déroulées de 2010 à 2015, et le rapport d'expertise a été déposé le 4 août 2015.
4. Par une requête enregistrée le 23 juillet 2020, l'INSA de Rouen a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement les quatre constructeurs, sur le fondement de leur garantie décennale, ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, à lui verser une indemnité destinée à réparer les désordres apparus à la suite des travaux de reprise réceptionnés le 18 mai 2005.
5. Par un jugement du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a mis hors de cause la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, a rejeté les conclusions dirigées, d'une part, sur le fondement de la garantie décennale, contre les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle, au motif que l'INSA de Rouen n'était pas lié avec ces sociétés par un contrat de louage d'ouvrage, et contre la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, en ce que l'action de l'INSA était prescrite et, d'autre part, sur le fondement de la garantie contractuelle, en raison de l'absence de relations contractuelles entre l'INSA et ces constructeurs et de la réception des travaux prononcée le 18 mai 2005.
6. L'INSA de Rouen relève appel de ce jugement et recherche, en appel, la condamnation de la seule société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à l'indemniser, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, de ces désordres.
Sur la mise hors de cause de la société Miroiterie de la Risle :
7. La société Miroiterie de la Risle, à laquelle le jugement ne fait pas grief et à l'encontre de laquelle aucune conclusion n'est plus présentée en appel, doit, comme elle le demande, être mise hors de cause.
Sur la responsabilité décennale des constructeurs envers l'INSA de Rouen :
En ce qui concerne la prescription de l'action de l'INSA de Rouen :
8. D'une part, aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions (...) se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Selon l'article 2239 de ce code : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ". Selon l'article 2241 : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...) ". Selon l'article 2242 : " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ".
9. Il résulte des dispositions précitées que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge.
10. Alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes " signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire ", termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise.
11. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.
12. D'autre part, aux termes de l'article R. 532-3 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 22 février 2010 : " Le juge des référés peut, à la demande de l'une des parties formée dans le délai de deux mois qui suit la première réunion d'expertise, ou à la demande de l'expert formée à tout moment, étendre l'expertise à des personnes autres que les parties initialement désignées par l'ordonnance, ou mettre hors de cause une ou plusieurs des parties ainsi désignées. Il peut, dans les mêmes conditions, étendre la mission de l'expertise à l'examen de questions techniques qui se révélerait indispensable à la bonne exécution de cette mission, ou, à l'inverse, réduire l'étendue de la mission si certaines des recherches envisagées apparaissent inutiles ".
13. En l'espèce, les désordres litigieux sont apparus après les travaux réceptionnés le 18 mai 2005, l'INSA de Rouen signalant, dès le 17 octobre 2005, de nouvelles infiltrations. A cette date, l'INSA de Rouen doit être regardé comme ayant eu connaissance des faits lui permettant d'exercer une action contentieuse.
14. Contrairement à ce que soutient la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 22 novembre 2010, le directeur de l'INSA de Rouen a expressément demandé à l'expert désigné par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 21 juin 2010 à la demande de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le fondement de l'article R. 532-3 du code de justice administrative, à être associé aux opérations de cette expertise.
15. Au demeurant, en vertu des dispositions de cet article, dès lors que la première réunion d'expertise s'était tenue le 21 juillet 2010, l'extension des opérations d'expertise ne pouvait plus être demandée au juge des référés, à la date à laquelle l'INSA de Rouen a formulé sa demande, que par l'expert.
16. Le 29 novembre 2010, l'expert a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Rouen que les opérations de l'expertise soient étendues à l'INSA de Rouen. Par une ordonnance du 7 janvier 2011, le juge des référés du tribunal a fait droit à cette demande.
17. Il en résulte, conformément à ce qui a été dit précédemment, que le délai de prescription de l'action en garantie décennale a été valablement interrompu au profit de l'INSA de Rouen, pour courir à nouveau à compter du dépôt du rapport d'expertise le 4 août 2015. Ce délai n'était donc pas expiré à la date du 23 juillet 2020 à laquelle la demande de l'INSA de Rouen a été enregistrée au tribunal administratif de Rouen.
18. Il suit de là que l'INSA de Rouen est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à la condamnation de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à l'indemniser du préjudice subi du fait de désordres d'infiltrations, en jugeant que cette action était prescrite.
19. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les moyens présentés par l'INSA de Rouen tant devant la cour que devant le tribunal administratif de Rouen, à l'exception, s'agissant de ces derniers, de ceux qui auraient été expressément écartés par le jugement attaqué et qui n'auraient pas été repris en appel.
En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :
20. Il résulte des principes régissant la responsabilité des constructeurs que les désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible engagent leur responsabilité, même s'ils ne sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.
21. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, que les infiltrations d'eau survenues à divers endroits dans la toiture des bâtiments occupés par l'INSA de Rouen affectent notablement l'isolation des locaux, entraînent la chute de faux-plafonds, provoquent des courts-circuits électriques et ont été à l'origine, le 26 juillet 2013, de l'incendie d'une armoire électrique.
22. De tels désordres, qui, d'une part affectent la résistance de la structure des bâtiments et compromettent la solidité de l'ouvrage, et, d'autre part, nécessitent la mise en place de filets dans les salles pour éviter les chutes de faux-plafonds, sont de nature à engendrer un risque grave pour les enseignants et les étudiants et doivent ainsi être regardés comme rendant l'ouvrage impropre à sa destination. Par suite, les désordres constatés sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs, ce qu'au demeurant ces derniers ne contestent pas.
En ce qui concerne la responsabilité de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest :
23. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 30 mai 2015, que ces désordres, qui ont pour cause à la fois une insuffisante profondeur des chéneaux au regard des eaux pluviales qu'ils doivent recueillir et également, pour partie, une faute commise par les constructeurs dans l'exécution des travaux de pose des châssis, dont certaines jonctions sont défectueuses, sont imputables tant à un défaut de conception de l'ouvrage qu'à une mauvaise exécution des travaux de couverture et de mise en place des châssis des lanterneaux ainsi qu'à un contrôle défectueux de l'exécution de ces mêmes travaux.
24. Les dommages sont ainsi imputables, fût-ce partiellement, à l'exécution des travaux de couverture dont la société Raimond, sous-traitante de la société Quille, avait la charge. Dès lors, la responsabilité de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, qui vient aux droits de la société Quille, est, du fait de l'exécution défectueuse des travaux imputable à cette sous-traitante, engagée, sur le fondement de la garantie décennale, à raison de la totalité des conséquences dommageables des désordres.
En ce qui concerne le montant du préjudice :
S'agissant des travaux de réfection de la toiture :
Quant à l'option de réfection à retenir :
25. Il résulte de l'instruction que, si l'expert a envisagé la possibilité d'une réfection complète de la toiture en en modifiant la forme et en augmentant le dimensionnement des caniveaux et chéneaux, il a néanmoins écarté cette option en raison de l'importance de son coût, évalué à 4,5 millions d'euros hors taxe, de l'opposition de l'architecte à ces travaux du fait de l'atteinte portée à son droit de propriété intellectuelle, et de la circonstance que de tels travaux rendraient indisponibles les locaux pour une durée considérable, empêchant la poursuite des activités d'enseignement et de recherche de l'institut.
26. Il résulte de l'ensemble de ces considérations, non contredites par l'INSA de Rouen, que la réfection d'ensemble de la toiture ne constitue pas une option susceptible d'être retenue.
27. En revanche, il résulte du rapport d'expertise que, contrairement à ce que soutient l'INSA de Rouen, la mise en place d'une membrane en PVC est de nature à garantir une étanchéité immédiate des locaux.
Quant au coût des travaux de réfection :
28. Le préjudice dont l'INSA de Rouen est en droit d'obtenir réparation correspond au coût des travaux nécessaires pour remédier aux désordres affectant l'ensemble immobilier.
29. Ce préjudice doit être évalué à la date de dépôt du rapport d'expertise, le 30 mai 2015, à laquelle, la cause et l'étendue des désordres étant connues, il pouvait être procédé à leur réparation. L'INSA de Rouen, qui ne fait état d'aucune circonstance susceptible d'avoir fait obstacle à la réalisation des travaux de réparation, n'est dès lors pas fondé à demander l'actualisation de leur montant.
30. Il résulte de l'instruction que l'expert désigné par le tribunal a chiffré le montant des travaux restant nécessaires pour remédier aux désordres d'infiltration d'eau à la somme de 1 484 818,42 euros toutes taxes comprises.
31. Toutefois, ainsi que le relève la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest dans le dernier état de ses écritures, doit être retranché de cette somme le montant des travaux de reprise déjà effectués par la société Quille, soit 298 830,25 euros toutes taxes comprises, et dont il n'est pas contesté qu'ils ont été pris en charge par cette société. Dès lors, le montant des travaux restant à exécuter s'élève à la somme de 1 185 988,17 euros toutes taxes comprises.
Quant à la vétusté de l'ouvrage :
32. La vétusté de l'ouvrage s'apprécie à la date d'apparition des premiers désordres. Il résulte de l'instruction que les premiers désordres liés à des infiltrations d'eau par la toiture ont été constatés en novembre 1996, alors que l'ensemble immobilier accueillant les locaux de l'INSA de Rouen avait fait l'objet d'une réception prononcée quelques mois seulement auparavant.
33. Malgré la réalisation, à la suite d'une première expertise, de travaux destinés à mettre fin à ces désordres, dont la réception sans réserve était intervenue le 18 mai 2005, de nouveaux désordres liés à des infiltrations d'eau sont survenus dès octobre 2005, soit cinq mois environ après la réception des travaux de reprise.
34. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement sur la somme destinée à réparer les désordres en cause pour tenir compte de la vétusté de l'ensemble immobilier, lequel, compte tenu de sa nature, avait vocation à faire l'objet d'une utilisation normale sur une période supérieure à quelques mois.
35. Il y a lieu, dès lors, de fixer à 1 185 988,17 euros toutes taxes comprises le montant de l'indemnité mise à la charge de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest au titre des travaux de reprise de la toiture.
S'agissant des travaux de rénovation interne des bâtiments :
36. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, lequel s'appuie sur l'estimation, actualisée en juin 2014, effectuée par un économiste de la construction, que le coût des travaux de rénovation interne des bâtiments litigieux s'élève à la somme de 198 633,89 euros toutes taxes comprises.
37. Ce préjudice résultant des travaux de reprise rendus nécessaires pour remédier aux désordres d'infiltrations affectant l'ouvrage présente un caractère certain, alors même que l'INSA de Rouen n'y aurait pas encore procédé.
38. En outre, il ne résulte pas des factures produites par l'INSA de Rouen que le montant des travaux en cause serait inférieur à l'estimation faite par l'économiste de la construction et reprise par l'expert judiciaire.
39. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à verser à l'INSA de Rouen une indemnité à hauteur du montant que celui-ci réclame.
S'agissant de la dégradation des équipements :
40. Il résulte de l'instruction que les infiltrations litigieuses sont à l'origine de la dégradation de matériels entreposés dans les locaux de l'INSA de Rouen référencés de 1 à 13.
41. Toutefois, l'institut a produit, au cours des opérations de l'expertise, des factures relatives à la réparation ou au remplacement pour les seuls appareils référencés 1, 4, 5, 6, 8 et 13, pour des montants respectifs de 3 266,49 euros, 17 940 euros, 1 310 euros, 4 650 euros, 9 685,21 euros et 4 363,01 euros, soit, au total 41 214,71 euros.
42. L'INSA de Rouen n'a pas davantage produit, au soutien de ses écritures, de factures concernant les autres matériels dégradés ni n'a fait état, de manière précise, de son souhait de procéder à leur réparation ou à leur remplacement.
43. Au demeurant, l'INSA de Rouen ne demande pas à être indemnisé de la valeur d'usage des matériels endommagés et dont elle n'a pas procédé au remplacement ni à la réparation.
44. La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest n'apporte de son côté aucun élément concret de nature à établir la nécessité d'affecter la valeur de ces matériels, d'un haut degré technologique, d'un coefficient de vétusté.
45. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à verser à l'INSA de Rouen une indemnité de 41 214,71 euros.
S'agissant de l'incendie du tableau général basse tension :
46. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que d'importantes d'infiltration d'eau ont, le 26 juillet 2013, conduit à l'incendie du tableau général basse tension de l'institut, ayant occasionné des travaux effectués en urgence pour un montant, non contesté, de 42 462,93 euros TTC.
47. Il y a lieu, par suite, de condamner la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à verser à l'INSA de Rouen une indemnité à hauteur de ce montant.
S'agissant des frais de personnel :
48. Il résulte des bulletins de salaire produits que le surcoût engendré par la prolongation d'un agent contractuel, qui n'a pu mener ses travaux dans le délai initialement prévu en raison des désordres ayant affecté le bâtiment de l'INSA de Rouen de Rouen, est justifié à hauteur de la somme de 29 000,51 euros.
S'agissant des troubles de jouissance :
49. Il résulte de l'instruction que, depuis la réception des travaux le 18 mai 2005, l'INSA de Rouen subit des infiltrations régulières rendant inutilisables une large partie de ses locaux. Il en résulte un préjudice de jouissance dont il sera fait une juste évaluation en lui accordant, à ce titre, une somme de 20 000 euros.
S'agissant du préjudice de notoriété :
50. L'INSA de Rouen n'établit pas, en se bornant à invoquer sa renommée internationale et l'aspect dégradé de certaines salles au cours de la visite d'une société de financement, la réalité du préjudice de notoriété qu'il invoque.
51. Il résulte de tout ce qui précède que l'INSA de Rouen est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande et à demander que la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest soit condamnée à lui verser la somme totale de 1 517 300,21 euros au titre des préjudices qu'il a subis en lien direct avec les désordres affectant la toiture du bâtiment à la suite des travaux réceptionnés le 18 mai 2005.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
52. L'INSA de Rouen a droit aux intérêts de la somme de 1 517 300,21 euros à compter du 23 juillet 2020, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Rouen.
53. L'institut a demandé la capitalisation des intérêts pour la première fois dans sa requête d'appel enregistrée le 4 septembre 2023. A cette date il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à la date du 4 septembre 2023 puis à chaque échéance annuelle.
Sur les appels en garantie présentés par la société Miroiterie de la Risle :
54. En l'absence de toute condamnation prononcée à son encontre, les conclusions d'appel en garantie formées par la société Miroiterie de la Risle sont sans objet et ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les dépens :
55. Il y lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée en référé par le tribunal administratif de Rouen, taxés et liquidés pour un montant de 49 771,92 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Rouen du 11 septembre 2015, à la charge définitive de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
56. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'INSA de Rouen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que les sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Cigetec EMPB Société Nouvelle, Miroiterie de la Risle et Raimond demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
57. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest une somme de 2 000 euros à verser à l'INSA de Rouen au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
58. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Miroiterie de la Risle à l'encontre de tout succombant.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2002960 du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de l'INSA de Rouen tendant à la mise en cause de la responsabilité décennale de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest.
Article 2 : La société Miroiterie de la Risle est mise hors de cause.
Article 3 : La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest est condamnée à verser la somme de 1 517 300,21 euros à l'INSA de Rouen. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2020. Les intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à la date du 4 septembre 2023 puis à chaque échéance annuelle.
Article 4 : Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 49 771,92 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Rouen du 11 septembre 2015, sont mis à la charge définitive de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest.
Article 5 : La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest versera à l'INSA de Rouen la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Institut national des sciences appliquées de Rouen, à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, à la société Raimond, à la société Miroiterie de la Risle, à la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, à M. A... C..., liquidateur de la société C... et associés, et à Me Catherine Vincent et Me Eugène Baillard, mandataires judiciaires de la société Acaum.
Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. B...La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA01740