Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Saint-Quentin (Aisne) à lui verser une somme de 50 000 euros au titre de l'indemnisation des fautes commises dans l'organisation des obsèques de son époux, B... D....
Par un jugement n° 2103214 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2024, Mme A..., représentée par Me Ndoumou, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Saint-Quentin à lui verser la somme précitée de 50 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Quentin une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune de Saint-Quentin a commis des fautes dans l'organisation des obsèques de son époux ; en effet, la commune a opté pour la solution d'inhumation la moins onéreuse ; elle ne l'a pas informée de la date de la cérémonie ; elle a empêché qu'un hommage militaire lui soit rendu ; elle a inhumé le corps de son époux alors qu'il souhaitait être incinéré ; la sépulture est située dans le carré des indigents et est indécente ;
- elle est fondée à solliciter une indemnité d'un montant de 50 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle a subi.
Par un mémoire, enregistré le 18 juillet 2024, la commune de Saint-Quentin, représentée par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête d'appel de Mme A... et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de celle-ci au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel de Mme A... est irrecevable pour ne comporter aucun moyen d'appel et aucune conclusion tendant à l'annulation du jugement rendu en première instance ;
- elle n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité ;
- en s'abstenant des diligences minimales dans l'organisation des funérailles de son époux et en particulier en s'abstenant de s'enquérir de la date à laquelle l'inhumation aurait lieu, Mme A... a commis une faute exonérant la commune de toute responsabilité ;
- le préjudice invoqué par Mme A... n'est en tout état de cause pas établi ;
- à titre subsidiaire, l'indemnité demandée par Mme A... devrait être ramenée à de plus justes proportions.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 14 mars 2021, M. B... D... a été retrouvé décédé à son domicile à Saint-Quentin (Aisne). Ses obsèques ont été pris en charge par la commune et il a été inhumé le 26 mars 2021 dans le carré des indigents du cimetière de la Tombelle. Estimant que la commune avait commis des fautes dans l'organisation des funérailles de son conjoint, Mme C... A... a demandé à la commune l'indemnisation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi par un courrier daté du 4 juin 2021, resté sans réponse. Mme A... relève appel du jugement du 21 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande de condamnation de la commune de Saint-Quentin à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables à l'introduction de l'instance d'appel en vertu des dispositions de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. La requête de Mme A..., enregistrée au greffe de la cour le 15 février 2024, se présente comme un " recours contre le jugement du 21 décembre 2023 du tribunal administratif d'Amiens ". Elle comporte un rappel des faits et de la procédure se concluant par la mention selon laquelle la cour " est saisie afin de censurer le jugement ". Dans ces conditions, en réitérant ses conclusions de première instance, Mme A... doit être regardée, contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Quentin, comme saisissant la cour de conclusions d'appel tendant à l'annulation du jugement attaqué et à ce qu'il soit fait droit à ses demandes. Par ailleurs, en reprenant ses moyens de première instance et en mentionnant que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens n'y a pas fait droit, elle doit être regardée comme développant une critique utile du jugement et comme saisissant la cour de moyens d'appel. Il s'ensuit que la commune de Saint-Quentin n'est pas fondée à soutenir que la requête d'appel de Mme A... est irrecevable pour ne comporter aucune conclusion et aucun moyen. La fin de non-recevoir qu'elle oppose en ce sens en défense doit, dès lors, être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Saint-Quentin :
4. Aux termes de l'article L. 2213-7 du code général des collectivités territoriales : " Le maire (...) pourvoit d'urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance ". En outre, il résulte des dispositions du second alinéa de l'article L. 2223-27 du même code que, lorsque le maire procède d'office à l'ensevelissement et à l'inhumation d'une personne dépourvue de ressources suffisantes dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de police, la commune prend en charge les frais d'obsèques, choisit l'organisme qui assurera ces obsèques et fait procéder à la crémation du corps lorsque le défunt en a exprimé la volonté.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite du décès de M. D... survenu le 14 mars 2021, son épouse, Mme A..., a été reçue à plusieurs reprises par le service de l'état civil de la mairie de Saint-Quentin et qu'elle a alors fait part à la commune de son impossibilité d'assumer la charge financière des funérailles de son conjoint. En application des dispositions précitées, le maire de Saint-Quentin a en conséquence fait procéder, le 26 mars 2021, à l'inhumation de M. D... dans le carré des indigents du cimetière municipal de la Tombelle et la commune a pris en charge ses frais obsèques. Alors qu'elle est intervenue à la demande de Mme A... et que les services de la mairie disposaient des coordonnées de cette dernière après l'avoir reçue à diverses reprises, il est constant que la commune n'a pas informé l'appelante de la date des obsèques de son conjoint et qu'elle n'a pas cherché à entrer en contact avec elle avant l'inhumation. Ce faisant, la commune de Saint-Quentin a, dans les circonstances très particulières de l'espèce, commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Toutefois, il résulte également de l'instruction que Mme A..., qui ne pouvait ignorer que les obsèques de son époux seraient imminentes dès lors qu'elle s'était adressée à la commune cinq jours après le décès, s'est abstenue de s'enquérir rapidement de leur date auprès de la maire. Elle a ainsi fait preuve d'une négligence fautive de nature à atténuer la responsabilité de la commune de Saint-Quentin. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des responsabilités respectives de chacun en évaluant à 50 % la part de responsabilité de la commune de Saint-Quentin et à 50 % celle de Mme A....
6. En second lieu, si Mme A... soutient par ailleurs que la commune n'a pas respecté les dernières volontés de son époux, qui souhaitait être incinéré et bénéficier d'une cérémonie militaire, elle n'établit pas que la commune en ait été informée. En particulier, si elle produit le duplicata d'un devis qu'elle a fait établir le 19 mars 2021 auprès de l'entreprise des pompes funèbres vers laquelle la commune l'avait initialement orientée, mentionnant une prestation de crémation, elle n'établit pas l'avoir communiqué à la commune. En outre, en se bornant à faire état du montant des frais d'obsèques pris en charge par la commune de 1 574 euros et de ce que la sépulture de son époux, inhumé dans le carré des indigents du cimetière, n'a pas fait l'objet d'un aménagement funéraire particulier, Mme A... ne démontre pas que les obsèques de son conjoint auraient présenté un caractère indécent. Mme A... n'est en conséquence pas fondée à rechercher la responsabilité de la commune à ce titre.
En ce qui concerne les préjudices :
7. Mme A..., qui partageait la vie de M. D... depuis quinze ans et était son épouse depuis treize ans, a subi un préjudice moral du seul fait qu'elle n'ait pas été informée par la commune de la date de ses obsèques et qu'elle n'ait pu y assister. La circonstance tirée de ce que Mme A... n'ait pas informé la commune des dernières volontés de son époux et que son projet de dispersion des cendres n'aurait pu être réalisé est sans incidence sur la réalité de ce préjudice. Il en va de même de la circonstance tirée de ce que la commune aurait ultérieurement proposé à Mme A... d'exhumer son époux et de reprocéder aux obsèques selon ses dernières volontés. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral ainsi subi par Mme A... en l'évaluant à la somme de 1 000 euros et en mettant à la charge de la commune, compte tenu de la part de responsabilité mentionnée au point 5, une indemnité d'un montant de 500 euros.
8. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Quentin doit être condamnée à verser à Mme A... une somme de 500 euros. Il s'ensuit que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Saint-Quentin demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre au même titre à la charge de cette dernière une somme de 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2103214 du 21 décembre 2023 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La commune de Saint-Quentin est condamnée à verser à Mme A... une somme de 500 euros (cinq-cents euros).
Article 3 : La commune de Saint-Quentin versera à Mme A... une somme de 500 euros (cinq-cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à la commune de Saint-Quentin.
Délibéré après l'audience publique du 4 février 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de la formation
de jugement,
Signé : L. Delahaye
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la préfète de l'Aisne, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00298