Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... et Mme F... C... épouse E..., agissant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de leur fille A..., ont demandé au tribunal administratif de B... de condamner le département du Nord à leur verser la somme totale de 32 200 euros à raison de fautes commises par le département du Nord dans la prise en charge de leur fille.
Par un jugement n° 2005788 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de B... a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2023, Mme E..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille A... , représentée par Me Cramez, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le département du Nord à lui verser la somme totale de 32 200 euros en réparation des préjudices subis à la suite de la prise en charge de A... par le département du Nord.
Elle soutient que :
- la responsabilité du département du département du Nord est engagée dès lors que les agressions dont sa fille a été victime n'ont pas fait l'objet de signalement aux autorités judiciaires en méconnaissance des articles 40 du code de procédure pénale et L. 434-3 du code pénal et qu'elle n'en a elle-même pas été informée ;
- la responsabilité du département est également engagée sur le fondement des articles L. 222-2, L. 222-5 et L. 222-1 du code de l'action sociale et des familles ;
- sa responsabilité pour faute est aussi engagée dès lors que son enfant a été maintenue au sein du foyer de l'assistante familiale ;
- le livret de l'enfant, le document de liaison rédigé en février mars 2020 et l'interpellation de l'assistante familiale au service de l'aide sociale à l'enfance doivent lui être communiqués ;
- les faits subis par sa fille sont à l'origine d'un préjudice moral, qui s'élève à la somme de 18 000 euros pour son enfant et 1 000 euros pour elle-même, et de la nécessité de suivre des consultations thérapeutiques dont le coût représente 13 200 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2024, le département du Nord, représenté par Me Dutat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de Mme E...;
2°) de mettre à la charge de Mme E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vandenberghe, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. A... E..., née le 3 juillet 2013, a été confiée au service départemental de l'aide sociale à l'enfance du Nord par une décision du juge des enfants du tribunal de grande instance de B... du 9 juillet 2019 pour une durée d'un an. Par une lettre du 28 mai 2020, restée sans réponse, ses parents, agissant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de leur fille, ont demandé au département du Nord de l'indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison de manquements dans la prise en charge de leur fille. Sa mère, Mme E..., relève appel du jugement du 4 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de B... a rejeté leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 375 du code civil : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Dans les cas où le ministère public a été avisé par le président du conseil départemental, il s'assure que la situation du mineur entre dans le champ d'application de l'article L. 226-4 du code de l'action sociale et des familles. Le juge peut se saisir d'office à titre exceptionnel (...) ". Aux termes de l'article 375-2 du même code, dans sa version applicable au litige : " Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en faire rapport au juge périodiquement. (...) ". Aux termes de l'article L. 375-3 de ce code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) / 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ".
3. La décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l'une des personnes mentionnées à l'article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur. En raison des pouvoirs dont le département se trouve ainsi investi lorsque le mineur lui a été confié, sa responsabilité est engagée en raison des éventuelles fautes commises par la collectivité dans l'accueil du jeune enfant.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du jugement en assistance éducative de la juge du tribunal pour enfants de B... du 9 juillet 2019, qu'en dépit d'une mesure d'intervention éducative à domicile renforcée mise en place à compter du 25 mai 2018, la jeune A... a dû être provisoirement placée au service de l'aide sociale à l'enfance du département du Nord en raison de l'existence de violences intrafamiliales, de punitions inadaptées imposées par son père et de l'instabilité émotionnelle de sa mère, ces comportements risquant d'entraîner des conséquences graves dans la construction sociale, émotionnelle et cognitive de l'enfant. Par ordonnance du 29 mai 2020, la juge du tribunal pour enfants de B... a en outre décidé, compte tenu de l'existence d'abus sexuels intra-familiaux au sein de la famille E... et de la diminution constatée des comportements inadaptés de l'enfant pendant la suspension des droits de visite de ses parents au cours de la période de confinement sanitaire, de rendre obligatoire la présence d'un tiers lors des visites des parents. Il résulte également de l'instruction, et notamment des rapports des 10 et 24 juin 2020 du service de l'aide sociale à l'enfance du département du Nord, que A... tient des propos inadaptés au sujet de la sexualité avec d'autres enfants placés comme elle en famille d'accueil ou à l'école, ce comportement ayant été signalé au service par l'assistante familiale les 26 mars 2020 et 4 avril 2020. Contrairement à ce que fait valoir l'appelante, il ne résulte pas des rapports précités, ni d'aucune autre pièce de l'instruction, que le comportement et les propos de A..., qui selon les termes de l'ordonnance du 29 mai 2020, sont envahis par des préoccupations sexuelles, seraient la conséquence d'agressions sexuelles subies dans sa famille d'accueil ou à l'école de la part d'autres enfants placés chez la même assistante familiale, ni d'une mauvaise prise en charge de l'assistante familiale ou encore d'un défaut d'encadrement de la mesure de placement par les services de protection de l'enfance. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le département du Nord, qui a transmis au tribunal pour enfants les rapports des 10 et 24 juin 2020, aurait failli dans les signalements réalisés auprès des autorités judiciaires compétentes en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, ni que sa responsabilité serait engagée à raison de fautes commises dans l'accueil de A....
5. En second lieu, il est constant, ainsi qu'il a été dit précédemment, que l'enfant A... a été confiée au service départemental de l'aide sociale à l'enfance du Nord dans le cadre d'une mesure de placement judiciaire selon la procédure prévue aux articles 375 et suivants du code civil, et non par décision du président du conseil départemental du Nord selon la procédure définie à l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Mme E... n'est en conséquence pas fondée à rechercher la responsabilité du département du Nord à ce titre. Elle ne peut pas plus utilement se prévaloir des dispositions des articles L. 222-2 et L.224-1 du même code relatifs à l'aide à domicile et aux organes chargés des pulilles de l'Etat qui sont sans rapport avec le présent litige.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de solliciter du département du Nord la production de documents complémentaires, que Mme E..., n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de B... a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... la somme dont le département du Nord demande le versement sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département du Nord présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C... épouse E... et au département du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 4 février 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de la formation
de jugement,
Signé : L. Delahaye
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01751