Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le 2 décembre 2010, présentée pour Mme Jenny A, demeurant ..., M. Jean-Pierre B, Mme Sylvie C et M. James C, demeurant ..., par la SCP Delarue et Varela, société d'avocats ; Mme A et autres demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0802261 du 30 septembre 2010 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a rejeté leur requête tendant à la condamnation du centre hospitalier de Beauvais à les indemniser de leur préjudice moral subi à raison du décès de Lola D, leur fille, petite-fille et nièce, à hauteur de 45 000 euros pour Mme A, de 15 000 euros chacun pour M. B et Mme C, et de 10 000 euros pour M. C ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Beauvais à les indemniser de leur préjudice moral subi à raison du décès de Lola E, leur fille, petite-fille et nièce, à hauteur de 45 000 euros pour Mme A, sa mère, de 15 000 euros chacun pour M. B et Mme C, ses grands-parents et de 10 000 euros pour M. C, son oncle ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Beauvais à rembourser à Mme A la somme de 1 524,24 euros au titre des frais d'expertise laissés à sa charge ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Beauvais la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Boutou, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'enfant Lola D, alors âgée de quatorze mois, a été amenée le 2 mars 2005 à 11h43 aux urgences de pédiatrie du centre hospitalier de Beauvais ; que l'interne qui l'a reçue a constaté qu'elle présentait une température de 38,1 degrés, a trouvé des tympans normaux, une gorge propre, une rhinite purulente ; qu'il a constaté à l'examen cutané une absence de purpura et quelques lésions maculeuses s'effaçant à la pression, d'allure virale, et à l'examen neurologique, une nuque souple, un tonus bon et une enfant très éveillée, sans déficit, l'examen clinique étant normal ; que cet interne a fait effectuer une analyse sanguine portant en particulier sur la créatine R protéine (CRP) et la procalcitonine, afin de révéler éventuellement la présence d'infections bactériennes ou virales ; que le collègue qui l'a remplacé à treize heures a autorisé la sortie de l'enfant en début d'après-midi et a prescrit des antipyrétiques ; que dans la soirée du même jour à 20h45, l'enfant qui présentait des plaques purpuriques sur tout le corps s'est à nouveau présenté au service des urgences du même hôpital où a été diagnostiqué un " purpura fulminans " résultant d'une infection par méningocoques de type B ; qu'immédiatement traité, l'enfant a ensuite été transférée au centre hospitalier universitaire d'Amiens où, malgré tous les soins apportés, elle est décédée le lendemain à 12h37 ; que Mme A, mère de l'enfant, M. B et Mme C, ses grands-parents, et M. James C, son oncle, relèvent appel du jugement du 30 septembre 2010 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Beauvais à réparer le préjudice moral subi à raison du décès de l'enfant Lola qu'ils imputent à une erreur médicale et un défaut dans l'organisation du service du centre hospitalier de Beauvais ayant abouti à faire perdre toute chance à l'enfant d'éviter ce décès ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) " ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif et du rapport établi le 19 octobre 2006 dans le cadre d'une instance judiciaire, que l'interne ayant accueilli Lola D à son admission au service d'urgences du centre hospitalier de Beauvais a prescrit une analyse de sang portant notamment sur la CRP et la procalcitonine afin de déterminer la présence d'une infection bactérienne ou virale, qui a été portée au laboratoire à 12h14 ; que les résultats sur papier de cette analyse figurent au dossier, comme annexe d'un procès-verbal d'audition de police, et mentionnent un taux de PRC normal, tandis que le taux de procalcitonine qui y est indiqué dépasse de vingt fois la normale, signe évident d'une infection bactérienne grave ; que ces résultats portent chacun en marge les initiales de l'interne ayant autorisé la sortie de Lola D précédées de la mention " vu " ; que si ce document n'est pas de nature à établir l'heure exacte à laquelle ce praticien a pris connaissance des résultats, il résulte de l'instruction que ceux-ci figuraient dès 13h10 sur le réseau informatique interne de l'hôpital, l'expert relevant que cette mention figure sur la copie du cahier de biochimie du centre hospitalier, mention confirmée par le responsable du laboratoire au cours des opérations de l'expertise prescrite dans l'instance judiciaire ; que les allégations du centre hospitalier, à les supposer établies, selon lesquelles l'examen de procalcitonine n'existant qu'expérimentalement dans l'établissement, le résultat de procalcitonine ne figurait pas " spontanément " sur le serveur informatique et n'était vérifié que dans le cas où d'autres indices pouvaient laisser supposer l'existence d'une infection, indices absents en l'espèce, ne saurait obvier au fait que l'interne de permanence a autorisé la sortie de l'enfant du service des urgences sans avoir pris connaissance, au préalable, de l'ensemble des résultats d'analyse sanguine demandés par son collègue qui étaient alors à sa disposition ; que si le défaut dans l'organisation ou le fonctionnement du service du laboratoire d'analyses n'est pas établi, la négligence dans l'acte de diagnostic commise par l'interne constitue, dans ces circonstances, une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ; qu'il suit de là que Mme A et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a jugé que la responsabilité du centre hospitalier de Beauvais n'est pas engagée ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A et autres ;
Sur le préjudice :
Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme A à raison du décès de sa fille en le fixant à la somme de 20 000 euros et par M. B et Mme C, ses grands-parents, en le fixant à la somme de 5 000 euros chacun ; qu'en revanche, M. C, oncle de la victime, ne justifie pas de circonstances justifiant un tel préjudice ; que sa demande ne peut, par suite, qu'être rejetée ;
Considérant que le préjudice dont Mme A, M. B et Mme C peuvent obtenir réparation ne correspond pas à ce dommage mais à la perte de chance d'éviter le décès de leur fille et petite-fille, qui doit être évalué, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que le purpura fulminans qui est la cause du décès de l'enfant a été d'évolution foudroyante et s'est révélé au dessus de toutes les ressources thérapeutiques ; que les purpuras fulminans guérissent dans 70 à 80 % des cas lorsqu'ils sont traités tôt et énergiquement ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évaluer à 70 % le taux de perte de chance de survie de la victime et d'évaluer les préjudices indemnisables à 70 % du préjudice moral subi ; qu'il y a lieu, par suite, d'allouer une indemnité de 14 000 euros à Mme A et une indemnité de 3 500 euros chacun à M. B et Mme C ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre ces frais à la charge du centre hospitalier de Beauvais ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme Jenny A, M. Jean-Pierre B et Mme Sylvie C sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Beauvais ; qu'en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Beauvais le versement à Mme A, M. B et Mme C, ensemble, de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 4 du jugement du tribunal administratif d'Amiens du 30 septembre 2010 sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier de Beauvais est condamné à verser une somme de 14 000 euros à Mme Jenny A et une somme de 3 500 euros chacun à M. Jean-Pierre B et à Mme Sylvie C.
Article 3 : Le centre hospitalier de Beauvais versera une somme de 1 500 euros à Mme A, M. B et Mme C, ensemble, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les frais d'expertise de première instance sont mis à la charge du centre hospitalier de Beauvais.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A, M. B, Mme C et M. C est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Jenny A, à M. Jean-Pierre B, à Mme Sylvie C, à M. James C, à la caisse primaire d'assurance maladie de Beauvais et au centre hospitalier de Beauvais.
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N°10DA01524