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25/11/2022 | FRANCE | N°459127

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 25 novembre 2022, 459127


Vu la procédure suivante :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 avril 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 3ème section de l'unité territoriale des Vosges a autorisé la société Trane à procéder à son licenciement. Par un jugement n° 1201405 du 16 décembre 2014, le tribunal administratif a annulé la décision de l'inspectrice du travail.

Par un arrêt n° 15NC00328 du 19 avril 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Trane contre ce jugem

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Par une décision n° 400807 du 10 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant ...

Vu la procédure suivante :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 avril 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 3ème section de l'unité territoriale des Vosges a autorisé la société Trane à procéder à son licenciement. Par un jugement n° 1201405 du 16 décembre 2014, le tribunal administratif a annulé la décision de l'inspectrice du travail.

Par un arrêt n° 15NC00328 du 19 avril 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Trane contre ce jugement.

Par une décision n° 400807 du 10 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur pourvoi de la société Trane, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nancy.

Par un arrêt n° 18NC02754 du 30 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur renvoi du Conseil d'Etat, rejeté l'appel formé par la société Trane contre le jugement du 16 décembre 2014 du tribunal administratif de Nancy.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 décembre 2021 et 2 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Trane demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de la société Trane ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... A..., salarié de la société Trane et candidat aux fonctions de membre élu du comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail, a demandé au tribunal administratif de Nancy l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 30 avril 2012 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son employeur à le licencier pour faute. M. A... étant décédé en cours d'instance, le 9 novembre 2014, son épouse et son fils, Mme D... A... et M. B... A..., ont, par un mémoire du 19 novembre 2014, spontanément indiqué au tribunal qu'ils reprenaient l'instance. Par un jugement du 16 décembre 2014, le tribunal administratif a annulé la décision du 30 avril 2012. Par un arrêt du 19 avril 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel de la société Trane contre ce jugement. Par une décision du 10 octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour. Par un arrêt du 30 septembre 2021 contre lequel la société Trane se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur renvoi du Conseil d'Etat, rejeté son appel contre le jugement du 16 décembre 2014 du tribunal administratif de Nancy.

2. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 611 1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

3. Il résulte des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'absence de communication par le tribunal administratif à la société Trane, défendeur, du mémoire en reprise d'instance présenté par les ayants droits de M. A..., requérant, ne méconnaissait pas les dispositions précitées de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que la seule information relative à la reprise d'instance ne constituait pas, par elle-même, un élément nouveau apporté au débat contentieux au sens et pour l'application des dispositions citées au point 2. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des visas du jugement du tribunal administratif que le conseil des ayants-droits de M. A... a prononcé des observations à l'audience et du dispositif de ce même jugement qu'une somme à verser à ces derniers a été mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce dont il s'infère que l'absence de communication du mémoire en reprise d'instance a pu, dans les circonstances de l'espèce, préjudicier aux droits des parties et, notamment de la société Trane, qui avait intérêt à contester la recevabilité de cette reprise d'instance, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Trane est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 30 septembre 2021 de la cour administrative d'appel de Nancy.

4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

5. Eu égard à ce qui a été dit au point 3, la société Trane est fondée à soutenir que le jugement du 16 décembre 2014 du tribunal administratif de Nancy a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière et doit être annulé.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur les conclusions de M. A....

7. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. A l'effet de concourir à la mise en œuvre de la protection ainsi instituée, les articles R. 2421- 4 et R. 2421-11 du code du travail disposent que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".

8. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... soutient qu'il n'a pas été mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des éléments de preuve transmis par la société Trane au soutien de sa demande d'autorisation de licenciement, notamment des constats d'huissier sur lesquels se fondait la décision du 30 avril 2012 autorisant son licenciement. Si l'administration fait valoir en défense que, au cours de son enquête préalable, l'inspectrice du travail a, lors de ses deux entretiens avec M. A..., les 27 mars et 26 avril 2012, lu les courriers de son employeur et lui a soumis les pièces évoquées en lui permettant de faire valoir ses observations, il n'est pas contesté que M. A... n'a pas été mis à même de prendre connaissance des constats d'huissier dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense. Au surplus, ni la circonstance qu'une copie de ces procès-verbaux a été communiquée à M. A... avec la notification de la décision du 30 avril 2012, ni la circonstance que M. A... était susceptible de connaître le contenu des constats d'huissier en cause, ne sont de nature à écarter la méconnaissance du caractère contradictoire de l'enquête préalable de l'inspectrice du travail. Par suite, la décision du 30 avril 2012 est intervenue au terme d'une procédure irrégulière et doit, pour ce seul motif, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande, être annulée.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des ayants droits de M. A... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Trane une somme de 750 euros chacun à verser à chacun des requérants, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt n° 18NC02754 du 30 septembre 2021 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : Le jugement n° 1201405 du 16 décembre 2014 du tribunal administratif de Nancy est annulé.

Article 3 : La décision du 30 avril 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 3ème section de l'unité territoriale des Vosges a autorisé le licenciement de M. A... est annulée.

Article 4 : L'Etat et la société Trane verseront chacun, d'une part, tant à Mme D... A..., d'autre part, à M. B... A... la somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Trane, en première instance, en appel et en cassation, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Trane, à Mme D... A... et à M. B... A....

Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 459127
Date de la décision : 25/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 nov. 2022, n° 459127
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SARL DIDIER-PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:459127.20221125
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