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22/11/2022 | FRANCE | N°458922

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 22 novembre 2022, 458922


Vu la procédure suivante :

La société Ricoh France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de cotisation minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2007, 2008 et 2009. Par un jugement n° 1508372 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE00944 du 2 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé ce jugement et remis les impositions en litige

à la charge de la société Ricoh France.

Par une décision n° 431224 du 2...

Vu la procédure suivante :

La société Ricoh France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de cotisation minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2007, 2008 et 2009. Par un jugement n° 1508372 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE00944 du 2 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé ce jugement et remis les impositions en litige à la charge de la société Ricoh France.

Par une décision n° 431224 du 20 avril 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de la société Ricoh France, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire à cette cour.

Par un arrêt n° 21VE01164 du 28 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a, d'une part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Ricoh France à l'encontre du II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts et, d'autre part, annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil et remis les impositions en litige à la charge de la société Ricoh France.

Par un pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 29 novembre 2021 et les 3 juin et 25 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ricoh France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le recours du ministre de l'action et des comptes publics ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Ricoh France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, la société Ricoh France a été assujettie à des suppléments de cotisation minimale de taxe professionnelle au titre des années 2007 à 2009. Par un jugement du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge de ces suppléments d'imposition. Par un arrêt du 2 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, annulé ce jugement et remis les impositions en litige à la charge de la société. Par une décision du 20 avril 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour qui, par un arrêt du 28 septembre 2021 contre lequel la société se pourvoit en cassation, a, d'une part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Ricoh France à l'encontre du II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts et, d'autre part, de nouveau fait droit à l'appel du ministre.

Sur la contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité présentée en appel :

2. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. La société Ricoh France a soulevé devant la cour administrative d'appel une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la non-conformité à la Constitution des dispositions du 2 du II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, dans le cas où la cour jugerait qu'elles conduisent à prendre en compte, dans l'assiette de la cotisation minimale de taxe professionnelle, le montant des loyers perçus des clients finals, sans qu'elle ne puisse déduire le reversement de ces loyers aux organismes financeurs. Elle soutenait que ces dispositions méconnaissaient le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'elles auraient pour effet de la soumettre à une imposition dont l'assiette peut inclure une valeur ajoutée dont elle ne dispose pas, comme tel est le cas s'agissant des loyers qu'elle reverse.

4. Par sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré conformes à la Constitution les mots : " ou des loyers afférents à des biens, visés au a du 1° de l'article 1467, pris en location par un assujetti à la taxe professionnelle pour une durée de plus de six mois ou des redevances afférentes à ces biens résultant d'une convention de location-gérance ", insérés au quatrième alinéa du 2 du II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts par l'article 44 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999. Aucun changement de circonstances survenu depuis cette décision n'est de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Il suit de là que la société Ricoh France n'est pas fondée à demander l'annulation du refus de transmission opposé par la cour.

Sur les autres moyens du pourvoi :

5. Aux termes de l'article 1647 E du code général des impôts, alors en vigueur : " I. La cotisation de taxe professionnelle des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 € est au moins égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie au II de l'article 1647 B sexies ". Aux termes du II de l'article 1647 B sexies du même code, dans sa version applicable aux années d'imposition en litige : " 1. La valeur ajoutée (...) est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers (...). / 2. Pour la généralité des entreprises, la production de l'exercice est égale à la différence entre : / D'une part, les ventes, les travaux, les prestations de services ou les recettes (...) ; / Et, d'autre part, les achats de matières et marchandises, droits de douane compris (...). / Les consommations de biens et services en provenance de tiers comprennent : les travaux, fournitures et services extérieurs, à l'exception (...) des loyers afférents à des biens, visés au a du 1° de l'article 1467, pris en location par un assujetti à la taxe professionnelle pour une durée de plus de six mois (...) ". Ces dispositions ne font obstacle à la déductibilité des sommes comptabilisées en loyers que si elles sont afférentes à des biens pris en location par le redevable lui-même.

6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, non contestées sur ce point, que la cour a tout d'abord relevé que la société Ricoh France était liée avec des sociétés de financement par des contrats dits de " location-mandatée", en application desquels elle concluait avec le client final un contrat de location prévoyant la mise à disposition de matériel bureautique et la maintenance de celui-ci, puis revendait à la société de financement le matériel qu'elle avait préalablement acheté et transférait à cette dernière le contrat de location. En application de ces contrats, la société Ricoh France encaissait la totalité des loyers et reversait à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final. Puis la cour a estimé que s'agissant de l'encaissement et du reversement aux organismes financeurs des loyers acquittés par les clients finals, la société Ricoh France, qui agissait ainsi pour le compte des sociétés de financement en qualité d'intermédiaire et en son nom propre, devait être regardée comme exerçant une activité de commissionnaire au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1 du code de commerce, c'est-à-dire comme agissant en son propre nom pour le compte d'un commettant.

7. La cour a ensuite jugé, d'une part, que le fait que la société commissionnaire ne fût pas ou plus partie aux contrats de location de matériel était sans incidence sur la qualification comptable de " loyers " des rétrocessions litigieuses et, d'autre part, que de tels loyers, même encaissés par un commissionnaire puis reversés, avaient bien toujours trait à des contrats de location et que leur reversement ne modifiait pas leur nature de loyers. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'en statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Ricoh France est fondée à demander l'annulation des articles 2 à 4 de l'arrêt qu'elle attaque.

8. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

9. Il résulte de l'instruction, et notamment des éléments mentionnés au point 6, que les rétrocessions litigieuses ne sont pas afférentes à des biens pris en location par la société Ricoh France au sens et pour l'application des dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts. Il en résulte, ainsi que de tout ce qui précède, que les sommes en litige peuvent être déduites de la valeur ajoutée. Par suite, le ministre n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Ricoh France des suppléments d'imposition en litige.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à la société Ricoh France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2 à 4 de l'arrêt du 28 septembre 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés.

Article 2 : Le recours présenté par le ministre de l'action et des comptes publics devant la cour administrative d'appel de Versailles est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à la société Ricoh France la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Ricoh France est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Ricoh France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 octobre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 22 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 458922
Date de la décision : 22/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-03-04-04 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES. - TAXE PROFESSIONNELLE. - ASSIETTE. - CALCUL DE LA VALEUR AJOUTÉE SERVANT DE BASE AU CALCUL DE LA COTISATION MINIMALE – SERVICES EXTÉRIEURS DÉDUCTIBLES – EXCLUSION – LOYERS AFFÉRENTS À DES IMMOBILISATIONS CORPORELLES PRISES EN LOCATION POUR UNE DURÉE DE PLUS DE SIX MOIS (ART. 1647 B SEXIES ET 1467 E DU CGI) – 1) PORTÉE – SOMMES AFFÉRENTES À DES BIENS PRIS EN LOCATION PAR LE REDEVABLE LUI-MÊME – 2) ILLUSTRATION – LOYERS PERÇUS PAR UNE SOCIÉTÉ COMMISSIONNAIRE DANS LE CADRE DE CONTRATS DE « LOCATION-MANDATÉE ».

19-03-04-04 1) L'article 1647 E et le II de l’article 1647 B sexies du code général des impôts (CGI) ne font obstacle à la déductibilité des sommes comptabilisées en loyers que si elles sont afférentes à des biens pris en location par le redevable lui-même....2) Société liée avec des sociétés de financement par des contrats dits de « location-mandatée », en application desquels elle concluait avec le client final un contrat de location prévoyant la mise à disposition de matériel bureautique et la maintenance de celui-ci, puis revendait à une société de financement le matériel qu’elle avait préalablement acheté et lui transférait le contrat de location. Société encaissant la totalité des loyers et reversant à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final. S’agissant de l’encaissement et du reversement aux organismes financeurs des loyers acquittés par les clients finals, la société, qui agissait ainsi pour le compte des sociétés de financement en qualité d’intermédiaire et en son nom propre, devait être regardée comme exerçant une activité de commissionnaire au sens du premier alinéa de l’article L. 132-1 du code de commerce, c’est-à-dire comme agissant en son propre nom pour le compte d’un commettant....Les rétrocessions aux sociétés de financement des loyers encaissés auprès des clients finals n’étant pas afférentes à des biens pris en location par la société commissionnaire au sens et pour l’application de l’article 1647 B sexies du CGI, elles peuvent être déduites de la valeur ajoutée.


Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2022, n° 458922
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:458922.20221122
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