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22/11/2022 | FRANCE | N°456405

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 22 novembre 2022, 456405


Vu la procédure suivante :

La société Maserati West Europe a demandé au tribunal administratif de Montreuil, qui a transmis cette demande au tribunal administratif de Paris, de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2012 et 2013, et, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. Par un jugement n° 1814469 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Pa

ris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20PA02183 du 8 juillet 2021, l...

Vu la procédure suivante :

La société Maserati West Europe a demandé au tribunal administratif de Montreuil, qui a transmis cette demande au tribunal administratif de Paris, de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2012 et 2013, et, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. Par un jugement n° 1814469 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20PA02183 du 8 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Maserati West Europe contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 septembre et 7 décembre 2021 et le 18 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Maserati West Europe demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du Comité de la réglementation comptable modifié ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Maserati West Europe ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Maserati West Europe, filiale de la société de droit italien Maserati S.p.a., dont l'activité principale consiste depuis le 1er juillet 2010 à promouvoir et développer la marque Maserati au sein de son secteur territorial, a fait l'objet au titre de ses exercices clos en 2012 et 2013 d'une vérification de comptabilité, étendue jusqu'au 31 décembre 2014 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment remis en cause l'inscription en stock des véhicules de démonstration acquis auprès de la société Maserati S.p.a et regardés ces véhicules comme des immobilisations. Par un jugement du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevables les conclusions de la demande de la société Maserati West Europe présentées en matière d'impôt sur les sociétés au titre de son exercice clos en 2013 et a, par ailleurs, rejeté comme non fondées ses conclusions tendant à la décharge du supplément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2012 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée relatifs à la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. La société Maserati West Europe se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 8 juillet 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre ce jugement.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue en matière de taxe sur la valeur ajoutée :

2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour, rejeter les conclusions de la société Maserati West Europe tendant à la décharge des rappels contestés, la cour administrative d'appel de Paris a jugé, d'une part, que les véhicules de démonstration acquis par cette société à l'état neuf puis revendus d'occasion n'étaient destinés ni à être revendus à l'état neuf ni à être donnés en location, de sorte qu'ils n'étaient pas au nombre de ceux, énumérés au 6° du 2 du IV de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts, pour lesquels le coefficient d'admission n'est pas nul, et, d'autre part, que la documentation administrative BOI-TVA-DED-30-30-20 du 1er février 2017 dont la société se prévalait était postérieure au fait générateur des impositions supplémentaires litigieuses. En se bornant, à l'appui de son pourvoi, à soutenir que les véhicules de démonstration en cause présentaient le caractère d'éléments de stock, la société requérante ne critique pas utilement les motifs de l'arrêt qui fondent le rejet de ses conclusions à fin de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, le pourvoi ne peut, dans cette mesure, qu'être rejeté.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue en matière d'impôt sur les sociétés :

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Maserati West Europe a contesté, dans sa réclamation préalable, l'intégralité des rectifications résultant, au titre de ses exercices clos en 2012 et 2013, de la remise en cause de l'inscription en stock de ses véhicules de démonstration. Par suite, en confirmant l'irrecevabilité opposée par les premiers juges aux conclusions présentées en matière d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2013, motif pris que la société requérante n'avait pas contesté un reliquat de rehaussement de 78 887 euros, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

4. En second lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que ses visas font mention, sans autre précision, du code général des impôts, et que ses motifs ayant trait à la contestation des rehaussements d'impôt sur les sociétés du fait de la comptabilisation dans l'actif immobilisé des véhicules de démonstration utilisés par la société au titre de son exercice clos en 2012 ne citent ni même ne mentionnent les dispositions dont la cour a fait application. Par suite, l'arrêt attaqué est, dans cette mesure, entaché d'irrégularité au regard du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, selon lequel la décision juridictionnelle comporte " les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ".

5. Il résulte des points 3 et 4 que l'arrêt que la société attaque doit être annulé en tant qu'il statue sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement en tant qu'il fixe l'étendue du litige :

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par la société Maserati West Europe en matière d'impôt sur les sociétés au titre de son exercice clos en 2013. Par suite, le jugement attaqué du 23 juin 2020 doit, dans cette mesure, être annulé.

8. Il y a lieu en conséquence, pour le Conseil d'Etat, d'une part d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la société Maserati West Europe en matière d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2013, d'autre part d'examiner, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, les conclusions de la requête présentées en matière d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2012.

Sur le bien-fondé des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés:

9. D'une part, aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 38 ter de l'annexe III au code général des impôts : " Le stock est constitué par l'ensemble des marchandises, des matières premières, des matières et fournitures consommables, des productions en cours, des produits intermédiaires, des produits finis, des produits résiduels et des emballages non destinés à être récupérés, qui sont la propriété de l'entreprise à la date de l'inventaire et dont la vente en l'état ou au terme d'un processus de production à venir ou en cours permet la réalisation d'un bénéfice d'exploitation. "

10. D'autre part, aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ". Aux termes de l'article R. 123-181 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable : " Les éléments du patrimoine de l'entreprise sont classés à l'actif et au passif du bilan suivant leur destination et leur provenance. Les éléments destinés à servir de façon durable à l'activité de l'entreprise constituent l'actif immobilisé. (...) ". Aux termes de l'article 211-1 du règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du Comité de la réglementation comptable relatif au plan comptable général, dans sa version issue du règlement n° 2004-06 du 23 novembre 2004 relatif à la définition, la comptabilisation et l'évaluation des actifs : " 1 - Un actif est un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l'entité, c'est-à-dire un élément générant une ressource que l'entité contrôle du fait d'événements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs. / 2 - Une immobilisation corporelle est un actif physique détenu, soit pour être utilisé dans la production ou la fourniture de biens ou de services, soit pour être loué à des tiers, soit à des fins de gestion interne et dont l'entité attend qu'il soit utilisé au-delà de l'exercice en cours. (...) / 4 - Un stock est un actif détenu pour être vendu dans le cours normal de l'activité, ou en cours de production pour une telle vente, ou destiné à être consommé dans le processus de production ou de prestation de services, sous forme de matières premières ou de fournitures. (...)."

11. Il résulte de ces dispositions qu'un véhicule de démonstration acquis par un prestataire de services qui exerce une activité de promotion d'une marque automobile, pour les besoins de cette activité, constitue non pas un élément de stock mais un élément de l'actif immobilisé, quand bien même ce véhicule serait revendu à l'issue de son utilisation. Il n'en va pas différemment lorsque cette cession intervient moins de douze mois après l'acquisition.

12. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a remis en cause, au titre des exercices clos en 2012 et 2013, les provisions et reprises de provision afférentes à la dépréciation du stock de véhicules de démonstration utilisés par la société Maserati West Europe pour les besoins de son activité de promotion de la marque Maserati, motif pris que ces véhicules étaient constitutifs d'éléments de l'actif immobilisé, avant de tirer les conséquences de cette requalification sur les variations de l'actif net et sur les résultats déclarés par la société. Si cette dernière soutient qu'elle exerce une activité de négoce parallèlement à son activité de promotion de marque et que les véhicules de démonstration en cause ont vocation à être revendus dès leur acquisition au terme d'une courte période d'utilisation, il n'est pas sérieusement contesté que les véhicules acquis par la société Maserati West Europe sont affectés à son activité de promotion de la marque Maserati dès leur acquisition. Dès lors, les véhicules de démonstration en cause ne présentaient pas le caractère d'éléments de stock mais, ainsi que l'a retenu l'administration fiscale, celui d'éléments de l'actif immobilisé.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Maserati West Europe n'est fondée ni à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions présentées en matière d'impôt sur les sociétés au titre de son exercice clos en 2012, ni à demander la décharge des rectifications apportées à ses bases imposables en matière d'impôt sur les sociétés au titre de son exercice clos en 2013.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 8 juillet 2021 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il statue en matière d'impôt sur les sociétés.

Article 2 : Le jugement du 23 juin 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il statue en matière d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2013.

Article 3 : Les conclusions de la société Maserati West Europe présentées devant le tribunal administratif de Paris et devant la cour administrative d'appel de Paris afférentes à l'impôt sur les sociétés des exercices clos respectivement en 2013 et 2012 sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Maserati West Europe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Maserati West Europe est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Maserati West Europe et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 octobre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 22 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456405
Date de la décision : 22/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. - RÈGLES GÉNÉRALES. - IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS ET AUTRES PERSONNES MORALES. - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE IMPOSABLE. - ACTIF IMMOBILISÉ – IMMOBILISATION CORPORELLE – INCLUSION – VÉHICULES DE DÉMONSTRATION ACQUIS POUR LES BESOINS D’UNE ACTIVITÉ DE PROMOTION D’UNE MARQUE AUTOMOBILE, QUAND BIEN MÊME ILS SERAIENT REVENDUS APRÈS UTILISATION.

19-04-01-04-03 Il résulte, d’une part, du 2 de l’article 38 et de l’article 39 du code général des impôts (CGI) et du premier alinéa de l’article 38 ter de l’annexe III à ce code et, d’autre part, de l’article 38 quater de cette même annexe, de l’article R. 123-181 du code de commerce et de l’article 211-1 du règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du Comité de la réglementation comptable relatif au plan comptable général, dans sa version issue du règlement n° 2004-06 du 23 novembre 2004, qu’un véhicule de démonstration acquis par un prestataire de services qui exerce une activité de promotion d’une marque automobile, pour les besoins de cette activité, constitue non pas un élément de stock mais un élément de l’actif immobilisé, quand bien même ce véhicule serait revendu à l’issue de son utilisation. ...Il n’en va pas différemment lorsque cette cession intervient moins de douze mois après l’acquisition.


Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2022, n° 456405
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:456405.20221122
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