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17/11/2022 | FRANCE | N°457386

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 17 novembre 2022, 457386


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée Towa Développement a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre l'exécution de la décision du 17 août 2021 par laquelle la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) a exercé le droit de préemption urbain sur un bien situé 191, rue du Faubourg Saint-Martin. Par une ordonnance n° 2119284 du 24 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en ré

plique et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 et 26 octobre 2021 et les 5 juillet ...

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée Towa Développement a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre l'exécution de la décision du 17 août 2021 par laquelle la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) a exercé le droit de préemption urbain sur un bien situé 191, rue du Faubourg Saint-Martin. Par une ordonnance n° 2119284 du 24 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 et 26 octobre 2021 et les 5 juillet et 13 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Régie immobilière de la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de première instance de la société Towa Développement ;

3°) de mettre à la charge de la société Towa Développement la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Régie Immobilière de la Ville de Paris et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société Towa Développement ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 octobre 2022, présentée par la société Towa Développement ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que l'indivision E..., propriétaire d'un immeuble situé 191, rue du Faubourg Saint-Martin, sur la parcelle cadastrée section AG n° 44 dans le 10ème arrondissement de Paris, a conclu le 7 juillet 2021 une promesse de vente avec la société Towa Développement. La Ville de Paris a accusé réception, le 23 juin 2021, d'une déclaration d'intention d'aliéner le bien situé sur cette parcelle. Par un arrêté du 11 août 2021, la maire de Paris a délégué, au nom de la Ville de Paris, l'exercice du droit de préemption urbain sur cette parcelle à la Régie immobilière de la Ville de Paris. Par une décision du 17 août 2021, la Régie immobilière de la Ville de Paris, représentée par sa directrice générale adjointe, a exercé le droit de préemption urbain sur cette parcelle. La Régie immobilière de la Ville de Paris se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 24 septembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi par la société Towa Développement sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de cette décision.

2. En premier lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption urbain peut déléguer son droit à une société d'économie mixte agréée mentionnée à l'article L. 481-1 du code de la construction et de l'habitation (...). Leur organe délibérant peut déléguer l'exercice de ce droit, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Par dérogation à l'article L. 213-11 du présent code, les biens acquis par exercice du droit de préemption en application du présent alinéa ne peuvent être utilisés qu'en vue de la réalisation d'opérations d'aménagement ou de construction permettant la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l'habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation. ". Les trois premiers alinéas de l'article L. 481-1 du code de la construction et de l'habitation prévoient que : " Les sociétés d'économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux sont agréées par l'autorité administrative en vue d'exercer une activité de construction et de gestion de logements sociaux, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Cet agrément est obligatoire pour exercer une activité de construction et de gestion de logements sociaux. / Par dérogation aux deux premiers alinéas, les sociétés d'économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux liées par une convention d'utilité sociale à la date de publication de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové bénéficient de l'agrément pour exercer leur activité de construction et de gestion de logements sociaux ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour qu'une société d'économie mixte puisse se voir déléguer l'exercice du droit de préemption urbain, elle doit être agréée pour exercer une activité de construction et de gestion de logements sociaux, cet agrément étant de droit pour les sociétés d'économie mixte liées par une convention d'utilité sociale au 26 mars 2014, date de publication de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

3. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour juger que le moyen tiré de l'impossibilité pour la Régie immobilière de la Ville de Paris de bénéficier d'une délégation de l'exercice du droit de préemption était propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le juge des référés du tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que l'exercice du droit de préemption ne faisait pas partie de l'objet social de la Régie immobilière de la Ville de Paris tel qu'il est défini par l'article 3 de ses statuts. En statuant ainsi, sans rechercher si elle n'était pas, comme elle le faisait valoir en défense, une société d'économie mixte de construction et de gestion de logement sociaux agréée au sens des dispositions précitées de l'article L. 481-1 du code de la construction et de l'habitation et pouvant à ce titre bénéficier d'une délégation de l'exercice du droit de préemption conformément aux dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

4. En deuxième lieu, aux termes du 15° de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction applicable au litige, le maire peut, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : " d'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues à l'article L. 211-2 (...) de ce même code dans les conditions que fixe le conseil municipal ". En outre, aux termes de l'article R. 211-5 du code de l'urbanisme : " L'exercice du droit de préemption urbain peut être délégué [...] au directeur général ou à l'un des directeurs par le conseil d'administration [...] des sociétés ou organismes mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 211-2. (...) / Lorsqu'il exerce ce droit par délégation, (...) le directeur général ou le directeur rend compte, au moins une fois par an, de son action au conseil d'administration (...) ". Ces dispositions autorisent notamment le conseil d'administration d'une société d'économie mixte agréée pour exercer une activité de construction et de gestion de logements sociaux à déléguer l'exercice du droit de préemption urbain au profit de son directeur général, permettant à ce dernier d'exercer ce droit à chaque fois qu'une commune, le cas échéant représentée par le maire préalablement habilité par le conseil municipal, décide de déléguer à cette société l'exercice de ce droit à l'occasion de l'aliénation d'un bien.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que le conseil d'administration de la Régie immobilière de la Ville de Paris a, par délibération du 30 mars 2021, nommé Mme C... A... aux fonctions de directrice générale à compter du 1er avril 2021 en rappelant qu'en sa qualité de directrice générale, elle était, conformément aux dispositions de l'article 20 des statuts de cette société, " investie des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la Société, dans la limite de l'objet social et sous réserve de ceux que la loi attribue expressément aux assemblées d'actionnaires et au conseil d'administration ". Mme A... a temporairement délégué ces pouvoirs, pour la période de ses congés d'été en août 2021, à Mme B... D..., directrice générale adjointe. Dès lors que les articles 18, 31 et 32 des statuts de la Régie immobilière de la Ville de Paris relatifs aux missions de son assemblée générale et de son conseil d'administration, qui se bornent à reproduire les dispositions législatives du code de commerce relatives aux missions des assemblées d'actionnaires et du conseil d'administration des sociétés anonymes, n'attribuent pas expressément l'exercice du droit de préemption à l'une de ces instances, le conseil d'administration de la Régie immobilière de la Ville de Paris, en confiant à sa directrice générale, par délibération du 30 mars 2021, " les pouvoirs les plus étendus ", a entendu l'habiliter à exercer le droit de préemption urbain à chaque fois que celui-ci serait délégué par le maire de Paris à la Régie immobilière de la Ville de Paris à l'occasion de l'aliénation d'un bien.

6. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour juger que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte était propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le juge des référés du tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que la délibération du 30 mars 2021 du conseil d'administration de la Régie immobilière de la Ville de Paris ne portait pas sur l'exercice du droit de préemption. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a également commis une erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la Régie immobilière de la Ville de Paris est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande en référé présentée par la société Towa Développement, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l'urgence :

9. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

10. Eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque celui-ci demande la suspension d'une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement dans le cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.

11. En l'espèce, la suspension de l'exécution de la décision de préemption en litige est demandée par la société Towa Développement, qui a la qualité d'acquéreur évincé. Si la Régie immobilière de la Ville de Paris se prévaut de la nécessité de se conformer à l'objectif de construction de logements sociaux fixé par le programme local de l'habitat de la Ville de Paris, elle ne justifie pas de la nécessité de réaliser ce projet dans des délais rapides et, ce faisant, de circonstances particulières de nature à permettre que la condition d'urgence ne soit pas, en l'espèce, regardée comme satisfaite.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :

12. Il résulte de l'instruction que la Régie immobilière de la Ville de Paris était liée par une convention d'utilité sociale à la date de publication de la loi du 24 mars 2014 et qu'elle bénéficiait à ce titre d'un agrément de droit pour exercer une activité de construction et de gestion de logement sociaux. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2, 4 et 5 que la Régie immobilière de la Ville de Paris pouvait ainsi se voir déléguer, par la maire de Paris, l'exercice du droit de préemption urbain sur le bien litigieux et que son conseil d'administration a habilité Mme C... A..., sa directrice générale, à exercer le droit de préemption urbain, notamment sur ce bien, par une délibération du 30 mars 2021 régulièrement publiée et transmise au contrôle de légalité. Il ne résulte en revanche pas de l'instruction que la décision par laquelle Mme C... A... a délégué ses " pouvoirs les plus étendus ", et notamment l'exercice du droit de préemption, à Mme B... D..., directrice générale adjointe, pour le mois d'août 2021, aurait fait l'objet d'une publication de nature à la rendre opposable aux tiers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision de préemption litigieuse est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

13. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". Aucun autre moyen n'est susceptible de fonder, en l'état de l'instruction, la suspension de la décision attaquée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Régie immobilière de la Ville de Paris une somme de 3 000 euros à verser à la société Towa Développement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de la société Towa Développement, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 24 septembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 17 août 2021 de la Régie immobilière de la Ville de Paris est suspendue.

Article 3 : Les conclusions présentées par la Régie immobilière de la Ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La Régie immobilière de la Ville de Paris versera à la société Towa Développement une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Régie immobilière de la Ville de Paris et à la société par actions simplifiée Towa Développement.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 17 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

La secrétaire :

Signé : Mme Anne Lagorce

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 457386
Date de la décision : 17/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 nov. 2022, n° 457386
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ariane Piana-Rogez
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP DE NERVO, POUPET ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:457386.20221117
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