La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/11/2022 | FRANCE | N°462383

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 16 novembre 2022, 462383


Vu les procédures suivantes :

1° La société par actions simplifiée (SAS) Electricité de France International (EDFI) et la société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, respectivement, de la retenue à la source mise à la charge de la société EDFI au titre de l'exercice clos en 2014 à raison du transfert de bénéfices procédant de la sous-rémunération des obligations convertibles en actions souscrites auprès de sa filiale de droit britannique EDF Energy Limited (EDFE), et des cotisations s

upplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de cont...

Vu les procédures suivantes :

1° La société par actions simplifiée (SAS) Electricité de France International (EDFI) et la société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, respectivement, de la retenue à la source mise à la charge de la société EDFI au titre de l'exercice clos en 2014 à raison du transfert de bénéfices procédant de la sous-rémunération des obligations convertibles en actions souscrites auprès de sa filiale de droit britannique EDF Energy Limited (EDFE), et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à cet impôt auxquelles la société EDF a été assujettie, pour les mêmes motifs, au titre du même exercice. Par un jugement nos 1900449, 1900450 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n° 20VE00792 du 25 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a fait droit à l'appel formé par les sociétés EDFI et EDF contre ce jugement.

Sous le n° 462383, par un pourvoi et trois mémoires en réplique, enregistrés les 16 mars, 4 juillet, 16 septembre et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

2° La société par actions simplifiée (SAS) Electricité de France International (EDFI) et la société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, respectivement, des retenues à la source et des intérêts de retard et pénalités mis à la charge de la société EDFI au titre des exercices clos de 2009 à 2013 à raison du transfert de bénéfices procédant de la sous-rémunération des mêmes obligations convertibles que celles en litige sous le n° 462383, accompagnée du versement des intérêts moratoires prévus aux articles L. 207 et L. 208 du livre des procédures fiscales ou, à titre subsidiaire, la restitution du montant des intérêts de retard mis à la charge de cette société au titre des exercices clos en 2012 et 2013, et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à cet impôt et des intérêts de retard mis à la charge de la société EDF, pour les mêmes motifs, au titre des exercices clos de 2009 à 2013, accompagnée du versement des intérêts moratoires prévus aux articles L. 207 et L. 208 du livre des procédures fiscales ou, à titre subsidiaire, la restitution du montant des intérêts de retard mis à la charge de cette société au titre des exercices clos en 2012 et 2013. Par un jugement nos 1705606, 1705609 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit aux demandes subsidiaires des sociétés EDFI et EDF et rejeté le surplus des conclusions de leurs demandes.

Par un arrêt n° 19VE03125 du 25 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a fait droit à l'appel formé par les sociétés EDFI et EDF contre ce jugement en tant qu'il avait rejeté leurs demandes principales de décharge.

Sous le n° 462388, par un pourvoi et trois mémoires en réplique, enregistrés les 16 mars, 4 juillet, 16 septembre et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société EDF et de la société EDF International ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 octobre 2022, présentée par la société EDF et la société EDF International ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société EDFI a souscrit en 2009, pour un prix de 3 314 250 000 euros, l'intégralité des obligations convertibles en actions (OCA) émises par la société EDFE, sa filiale de droit anglais dont elle détenait l'intégralité du capital. La souscription a prévu la rémunération de ces OCA au taux annuel de 1,085 %, ainsi qu'un rapport de conversion équivalent à l'obtention d'actions d'une valeur nominale de 1,367 euros. En septembre 2014, à l'expiration de la maturité des titres, la société EDFI a exercé son droit de conversion et a reçu en contrepartie des actions de sa filiale EDFE dont la valeur réelle unitaire s'établissait alors à 1,76 euros, réalisant ainsi une plus-value de 945 750 000 euros. A l'issue d'une vérification de la comptabilité de la société EDFI, l'administration fiscale a regardé la rémunération des obligations ainsi souscrites comme insuffisante et constitutive d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger, dès lors que la différence entre le taux du coupon annuel des OCA et le taux d'un emprunt obligataire de pleine concurrence, établi à 4,41%, n'était selon elle justifiée par aucune contrepartie au bénéfice de la société souscriptrice. L'administration a réintégré les produits d'intérêt résultant de cette différence de taux aux bénéfices imposables de la société EDFI au titre des exercices clos au cours des années 2009 à 2013, et notifié en conséquence à la SA EDF, tête du groupe fiscal intégré auquel appartient la société EDFI, les suppléments d'impôt sur les sociétés correspondants, et mis à la charge de la filiale EDFI, au titre de la distribution de revenus à sa filiale britannique, une retenue à la source au taux conventionnel de 15% au titre des années 2009 à 2013. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre les deux arrêts du 25 janvier 2022 par lesquels la cour administrative d'appel de Versailles a fait droit aux requêtes d'appel formées par les sociétés EDF et EDFI contre les jugements du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Montreuil rejetant leurs demandes de décharge de ces impositions.

2. Les deux pourvois présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

3. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / (...) A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée - ou ceux qui lui sont facturés par cette entreprise étrangère -, sont inférieurs - ou supérieurs - à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à une telle comparaison, le service n'est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant - ou en les payant à un prix excessif -, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

4. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a, dans un premier temps, constaté que le taux d'intérêt convenu entre la société EDFI et sa filiale en 2009 était inférieur au taux rémunérant, en situation de pleine concurrence, un financement obligataire. Dans un second temps, elle a considéré que l'octroi à la société EDFI d'une option de conversion de ses titres en actions de la société financée pouvait être valorisée à l'identique de l'octroi d'une même option octroyée dans le cadre d'une transaction entre sociétés dépourvues de liens capitalistiques. La cour en a déduit que le taux d'intérêt en litige, intégrant la valeur de cette option, n'était pas constitutif d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger.

5. Toutefois, la situation née de l'octroi à l'actionnaire unique de la société financée d'une option de conversion des obligations qu'il a souscrites en actions de cette dernière est, par nature, insusceptible d'être comparée à une situation de pleine concurrence, dès lors que la valeur de cette option, consistant exclusivement dans l'ouverture d'une faculté d'acquérir une fraction du capital social en remboursement du prêt obligataire consenti, est nécessairement nulle lorsque l'option est attribuée à la personne possédant, à la date de l'émission, l'intégralité de ce capital. En effet, cet actionnaire unique dispose du pouvoir de décider, à tout moment, de l'émission de nouveaux titres et leur attribution à son profit en remboursement du prêt obligataire qu'il a consenti à la société et, au surplus, l'opération de conversion est nécessairement neutre pour lui d'un point de vue patrimonial, dès lors qu'il possède, avant comme après celle-ci, la totalité du capital d'une société dont la valeur se trouve augmentée du montant de la dette dont elle s'est libérée, à exacte concurrence du montant de la créance dont il disposait sur celle-ci. Il s'ensuit que, pour l'application des principes rappelés ci-dessus au point 3, la transaction en litige doit, faute de pouvoir être comparée à une transaction similaire dans une situation de pleine concurrence, être regardée comme une opération de financement intragroupe rémunérée à un taux inférieur à la valeur vénale du service. En jugeant que l'administration n'établissait pas que cette différence de rémunération ne trouvait pas de contrepartie dans l'octroi d'une option de conversion et constituait une libéralité accordée à la société EDFE, alors d'une part qu'une telle option était, à la date de son acquisition, dépourvue de valeur pour l'actionnaire unique de la filiale financée qui la détenait et, d'autre part, que le gain éventuel tiré de la cession ultérieure de cette obligation, à supposer une telle cession possible en l'espèce, est sans incidence sur l'appréciation de l'avantage attendu à la date de la souscription des OCA, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que le ministre est fondé à solliciter l'annulation des arrêts qu'il attaque.

7. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les arrêts du 25 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés.

Article 2 : Les affaires sont renvoyées devant la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la société par actions simplifiée Electricité de France International et à la société anonyme Electricité de France.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 octobre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, conseillers d'Etat ; M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 16 novembre 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Ophélie Champeaux

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-083 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE NET. - RELATIONS ENTRE SOCIÉTÉS D'UN MÊME GROUPE. - INCORPORATION DES BÉNÉFICES INDIRECTEMENT TRANSFÉRÉS À L'ÉTRANGER (ART. 57 DU CGI) – SOUSCRIPTION D'OCA PAR UNE SOCIÉTÉ FRANÇAISE AUPRÈS D’UNE FILIALE ÉTRANGÈRE DONT ELLE DÉTENAIT L’INTÉGRALITÉ DU CAPITAL – ETABLISSEMENT PAR L’ADMINISTRATION D’UNE MINORATION DU TAUX DE RÉMUNÉRATION – COMPARAISON AVEC LES PRIX PRATIQUÉS PAR DES ENTREPRISES SIMILAIRES EXPLOITÉES NORMALEMENT [RJ1] – TAUX INFÉRIEUR À CELUI RÉMUNÉRANT NORMALEMENT UN FINANCEMENT OBLIGATAIRE – CORRECTION DE CE TAUX PAR UNE VALORISATION DE L’OPTION DE CONVERSION – ABSENCE EN L'ESPÈCE, SA VALEUR ÉTANT NULLE [RJ2].

19-04-02-01-04-083 Société ayant souscrit des obligations convertibles en actions (OCA) émises par une filiale dont elle détenait l’intégralité du capital. Administration ayant regardé la rémunération des obligations comme insuffisante et constitutive d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’art. 57 du code général des impôts (CGI). ...Cour ayant constaté que le taux d’intérêt convenu entre était inférieur au taux rémunérant, en situation de pleine concurrence, un financement obligataire. Cour ayant considéré que l’octroi d’une option de conversion de ces titres en actions pouvait être valorisé à l’identique de l’octroi d’une même option octroyée dans le cadre d’une transaction entre sociétés dépourvues de liens capitalistiques. Cour en ayant déduit que le taux d’intérêt en litige, intégrant la valeur de cette option, n’était pas constitutif d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger....La situation née de l’octroi à l’actionnaire unique d’une société financée d’une option de conversion des obligations qu’il a souscrites en actions de cette dernière est, par nature, insusceptible d’être comparée à une situation de pleine concurrence, dès lors que la valeur de cette option, consistant exclusivement dans l’ouverture d’une faculté d’acquérir une fraction du capital social en remboursement du prêt obligataire consenti, est nécessairement nulle lorsque l’option est attribuée à la personne possédant, à la date de l’émission, l’intégralité de ce capital. ...En effet, cet actionnaire unique dispose du pouvoir de décider, à tout moment, de l’émission de nouveaux titres et leur attribution à son profit en remboursement du prêt obligataire qu’il a consenti à la société et, au surplus, l’opération de conversion est nécessairement neutre pour lui d’un point de vue patrimonial, dès lors qu’il possède, avant comme après celle-ci, la totalité du capital d’une société dont la valeur se trouve augmentée du montant de la dette dont elle s’est libérée, à exacte concurrence du montant de la créance dont il disposait sur celle-ci. ...Il s’ensuit que, pour l’application de l’art. 57 du CGI, la transaction en litige doit, faute de pouvoir être comparée à une transaction similaire dans une situation de pleine concurrence, être regardée comme une opération de financement intragroupe rémunérée à un taux inférieur à la valeur vénale du service.


Références :

[RJ1]

Cf., en ce qui concerne les conditions devant être remplies par l'administration pour bénéficier de la présomption de l’art. 57 du CGI, CE, Plénière, 27 juillet 1988, SARL Boutique 2M, n° 50020, p. 305, CE, 16 mars 2016, Société Amycel France, n° 372372, T. p. 740....

[RJ2]

Cf., s'agissant du principe selon lequel y a lieu, pour la société emprunteuse devant justifier de la déductibilité des intérêts qu’elle acquitte (I de l'art. 212 du CGI), de corriger le taux de référence des OCA émises pour tenir compte de l’option de conversion, CE, 20 septembre 2022, SASU HCL Maître Pierre, n° 455651, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation: CE, 16 nov. 2022, n° 462383
Publié au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ophélie Champeaux
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Date de la décision : 16/11/2022
Date de l'import : 24/11/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 462383
Numéro NOR : CETATEXT000046571383 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-11-16;462383 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award