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16/11/2022 | FRANCE | N°462049

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 16 novembre 2022, 462049


Vu la procédure suivante :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 en vue de l'élection des conseillers départementaux du canton de Pau 1. Par un jugement n° 2101734 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa protestation et mis à sa charge une somme de 1 200 euros à verser à M. C... B... et Mme G... A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistré

s les 4 mars, 17 juin et 7 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conse...

Vu la procédure suivante :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 en vue de l'élection des conseillers départementaux du canton de Pau 1. Par un jugement n° 2101734 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa protestation et mis à sa charge une somme de 1 200 euros à verser à M. C... B... et Mme G... A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 mars, 17 juin et 7 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de faire droit à sa protestation ;

3°) à titre subsidiaire, de procéder à un nouveau décompte des votes en retirant aux candidats gagnants les votes irréguliers.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code électoral ;

- le décret n° 2020-1460 du 27 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;

Vu les trois notes en délibéré, enregistrées le 10 octobre 2022, présentées par M. F..., soulevant deux questions prioritaires de constitutionnalité tirées, d'une part, de ce que l'article L. 12 du code électoral méconnaît le principe d'égalité devant le suffrage, le principe de sincérité du suffrage ainsi que le droit au recours et est entaché d'incompétence négative, d'autre part, de ce que le III de l'article L. 12-1 du même code méconnaît le principe d'égalité devant le suffrage, le principe de sécurité du suffrage et le droit au recours ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue du second tour de scrutin organisé le 27 juin 2021 en vue de l'élection des conseillers départementaux du canton de Pau 1 (Pyrénées -Atlantiques), M. B... et Mme A... ont été proclamés élus par 2 088 voix contre 2 054 voix pour M. H... et Mme E.... M. F... relève appel du jugement du 1er février 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales.

Sur la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité :

2. Dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

3. Les notes en délibéré produites par le requérant ne contiennent l'exposé d'aucune circonstance de fait ou d'un élément de droit dont l'intéressé n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rouvrir l'instruction. Par suite, les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. F... dans ses notes en délibéré sont irrecevables.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. D'une part, si M. F... a fait valoir devant le tribunal administratif une méconnaissance du droit au recours ouvert par les articles L. 18 et L. 20 du code électoral, il ressort de ses écritures devant les premiers juges qu'il s'agissait d'un argument au soutien du moyen tiré de l'existence de manœuvres de nature à entacher la régularité du scrutin. Par suite, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'a pas entaché son jugement d'une insuffisance de motivation en s'abstenant d'y répondre.

5. D'autre part, il résulte de l'instruction que le tribunal administratif s'est prononcé, aux points 5 et 6 de son jugement, sur le grief tiré de l'irrégularité résultant de la radiation de 91 électeurs du canton de Pau 1 et de leur inscription au bureau n° 56 du canton de Pau 2. Par suite, le moyen invoqué par M. F..., tiré de ce que les premiers juges auraient omis de répondre à ce grief, manque en fait.

Sur les conclusions tendant à l'annulation des opérations électorales :

6. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 11 du code électoral : " Sont inscrits sur la liste électorale de la commune, sur leur demande : / 1° Tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou y habitent depuis six mois au moins et leurs enfants de moins de 26 ans ; / 2° Ceux qui figurent pour la deuxième fois sans interruption, l'année de la demande d'inscription, au rôle d'une des contributions directes communales et, s'ils ne résident pas dans la commune, ont déclaré vouloir y exercer leurs droits électoraux. Tout électeur ou toute électrice peut être inscrit sur la même liste que son conjoint au titre de la présente disposition ; / 2° bis Ceux qui, sans figurer au rôle d'une des contributions directes communales, ont, pour la deuxième fois sans interruption l'année de la demande d'inscription, la qualité de gérant ou d'associé majoritaire ou unique d'une société figurant au rôle, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat ; / 3° Ceux qui sont assujettis à une résidence obligatoire dans la commune en qualité de fonctionnaires ". En vertu de l'article L. 12 du même code : " Les Français et les Françaises inscrits au registre des Français établis hors de France de la circonscription consulaire dans laquelle ils ont leur résidence peuvent, sur leur demande, être inscrits sur la liste électorale de l'une des communes suivantes : / Commune de naissance ; / Commune de leur dernier domicile ; / Commune de leur dernière résidence, à condition que cette résidence ait été de six mois au moins ; / Commune où est né, est inscrit ou a été inscrit sur la liste électorale un de leurs ascendants ; / Commune sur la liste électorale de laquelle est inscrit ou a été inscrit un de leurs parents jusqu'au quatrième degré ".

7. Selon l'article R. 40-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les électeurs votant par correspondance selon les dispositions de l'article L. 79 et les électeurs inscrits dans la commune mentionnée au III de l'article L. 12-1 au titre des articles L. 12, L. 13 et L. 14 sont inscrits dans un même bureau de vote. / Par arrêté pris au plus tard le 31 août de chaque année, le préfet rattache ce bureau de vote aux circonscriptions de la commune chef-lieu du département ou de la collectivité qui comptent, avant ce rattachement, le plus d'inscrits à cette date, à savoir : / (...) 2° Pour les élections départementales, le canton ; / (...) Le préfet notifie cet arrêté au maire avant le 31 août de chaque année ".

8. Si le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur la régularité des inscriptions ou radiations opérées sur les listes électorales ni pour vérifier si des électeurs inscrits remplissent les conditions fixées par l'article L. 11 ou l'article L. 12 du code électoral, il lui appartient, en revanche, d'apprécier tous les faits révélant des manœuvres ou des irrégularités susceptibles d'avoir altéré la sincérité du scrutin.

9. M. F... soutient que 91 électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune de Pau ont été irrégulièrement radiés des listes électorales du canton de Pau 1 pour être inscrits au bureau de vote n° 56 créé et rattaché au canton de Pau 2. Toutefois, il résulte de l'instruction que les électeurs concernés étaient inscrits en application de l'article L. 12 du code électoral sur les listes des Français de l'étranger et n'ont pas signalé leur changement de lieu de résidence lors de leur retour en France. Par suite, il appartenait au préfet de les rattacher au bureau de vote défini en application des dispositions de l'article R. 40-1 du code électoral. Il suit de là qu'alors même que ces électeurs ont été rattachés à un bureau de vote relevant d'un canton différent de celui dans lequel ceux-ci avaient voté lors des élections départementales précédentes, le grief tiré de ce que ce rattachement serait entaché d'erreur matérielle et méconnaîtrait le principe de l'inscription d'un électeur dans la circonscription dans laquelle il réside, les principes d'égalité et de sincérité du suffrage et les règles du découpage des cantons ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté. Il en va de même du grief tiré de l'existence d'une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin.

10. En deuxième lieu, il ressort des écritures de M. F... que celui-ci soulève devant le Conseil d'Etat un grief tiré de la méconnaissance des articles L. 18 et L. 20 du code électoral. Dès lors que ce grief est soulevé, en tant que tel, pour la première fois en appel, il est, par suite et en tout état de cause, irrecevable.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 29 du code électoral, dans sa rédaction applicable au litige : " Chaque candidat, binôme de candidats ou liste de candidats ne peut faire adresser à chaque électeur, par la commission de propagande, qu'une seule circulaire d'un grammage compris entre au moins 70 et au plus 80 grammes au mètre carré et d'un format de 210 mm x 297 mm. / Cette circulaire est soustraite à la formalité du dépôt légal. ". M. F... ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu'en méconnaissance de ces dispositions, certains électeurs inscrits sur les listes électorales du canton de Pau 2 auraient reçu le matériel de propagande officielle des candidats se présentant dans le canton de Pau 1, dès lors qu'elle est en tout état de cause sans incidence sur la régularité des opérations électorales qui se sont déroulées dans le canton de Pau 1.

12. En dernier lieu, le grief tiré du caractère irrégulier d'au moins quatre procurations n'a pas été assorti, dans le délai de saisine du juge de l'élection, des éléments permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont écarté.

Sur les conclusions tendant à la rectification des résultats du scrutin :

13. Il résulte de ce qui précède que M. F... n'est, en tout état de cause, pas fondé à demander la rectification des résultats de l'élection contestée.

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Il résulte de l'instruction que c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a mis à la charge de M. F..., dans les circonstances de l'espèce, le versement d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, M. F... est fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement qu'il attaque.

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... et Mme A... devant le Conseil d'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... est seulement fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué.

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 2 du jugement du 1er février 2022 du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. F... est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D... F..., à M. C... B..., premier défendeur dénommé, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2022 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. Hervé Cassara, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 16 novembre 2022.

Le président :

Signé : M. Olivier Japiot

Le rapporteur :

Signé : M. Hervé Cassara

La secrétaire :

Signé : Mme Pierrette Kimfunia


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 462049
Date de la décision : 16/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 nov. 2022, n° 462049
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassara
Rapporteur public ?: Mme Cécile Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:462049.20221116
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