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15/11/2022 | FRANCE | N°463114

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 15 novembre 2022, 463114


Vu la procédure suivante :

La société Vitse a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'ordonner, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 31 janvier 2022 par lequel le préfet du Nord a ordonné la cessation immédiate et définitive de l'exploitation des installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique 2515.1 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement sur son site Vitse Devarem Environnement d'Houplin-Ancoisn

e. Par une ordonnance n° 2201555 du 25 mars 2022, le juge des référés...

Vu la procédure suivante :

La société Vitse a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'ordonner, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 31 janvier 2022 par lequel le préfet du Nord a ordonné la cessation immédiate et définitive de l'exploitation des installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique 2515.1 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement sur son site Vitse Devarem Environnement d'Houplin-Ancoisne. Par une ordonnance n° 2201555 du 25 mars 2022, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de l'arrêté préfectoral.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 avril et 3 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler cette ordonnance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Vitse ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la société Vitse exploite, depuis 1999, sur le territoire de la commune d'Houplin-Ancoisne (Nord), une installation classée pour la protection de l'environnement de criblage, concassage de béton et d'enrobés routiers et transit de produits minéraux. Trois récépissés de déclaration lui ont été délivrés le 4 octobre 1999, dont un portant sur une activité de broyage, concassage, criblage, ensachage, pulvérisation, lavage, nettoyage, tamisage, mélange de pierres, cailloux, minerais et autres produits minéraux naturels ou artificiels, correspondant à l'actuelle rubrique 2515.1 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, laquelle prévoyait qu'étaient soumises à autorisation les installations d'une puissance supérieure à 200 kilowatts, tandis que celles dont la puissance était comprise entre 40 et 200 kw relevaient du régime de la déclaration, un autre correspondant à une station de transit, regroupement ou tri de produits minéraux ou de déchets non dangereux inertes autres que ceux visés par d'autres rubriques relevant de la rubrique 2517. D'une part, par un arrêté du 29 août 2005, le préfet du Nord a imposé à la société Vitse des prescriptions spéciales pour la poursuite de l'exploitation de l'activité de transit. D'autre part, eu égard à la puissance maximale, supérieure à 200 kw, de l'ensemble des machines fixes pouvant concourir simultanément au fonctionnement de l'installation, le préfet l'a mise en demeure, par un arrêté du 18 mars 2016, de régulariser sa situation administrative. Puis, l'activité exercée au titre du a) la rubrique 2515.1 relevant désormais de l'enregistrement, par un arrêté du 31 janvier 2022, le préfet a opposé un refus à la demande d'enregistrement présentée par la société Vitse le 16 septembre 2021, au motif qu'une telle installation était incompatible avec l'affectation du terrain d'assiette en zone NL, correspondant à une zone naturelle de loisirs, prévue par le plan local d'urbanisme intercommunal de la Métropole européenne de Lille en date du 12 décembre 2019, et alors que le terrain d'assiette était situé, en outre, dans le périmètre de protection de l'aire d'alimentation des captages d'eau potable. Par un arrêté du même jour, le préfet a enjoint à la société de cesser de manière immédiate et définitive l'exploitation des installations relevant du régime de l'enregistrement au titre du a) de la rubrique 2515.1 sur son site Vitse Devarem Environnement d'Houplin-Ancoisne. La ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 25 mars 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille a suspendu, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution du second arrêté préfectoral du 31 janvier 2022.

Sur le pourvoi :

3. D'une part, aux termes du II de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " S'il n'a pas été déféré à la mise en demeure à l'expiration du délai imparti, ou si la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification est rejetée, ou s'il est fait opposition à la déclaration, l'autorité administrative ordonne la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation de l'utilisation ou la destruction des objets ou dispositifs, la cessation définitive des travaux, opérations, activités ou aménagements et la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le présent code. (...) ". D'autre part, en vertu de l'article L. 152-1 du code de l'urbanisme, le règlement et les documents graphiques du plan local d'urbanisme sont opposables à l'ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan. Il en résulte que les prescriptions de celui-ci qui déterminent les conditions d'utilisation et d'occupation des sols et les natures d'activités interdites ou limitées s'imposent aux autorisations d'exploiter délivrées au titre de la législation des installations classées. Enfin, aux termes du II de l'article R. 513-46-23 du code de l'environnement : " II. - Toute modification apportée par le demandeur à l'installation, à son mode d'exploitation ou à son voisinage, et de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier de demande d'enregistrement, et notamment du document justifiant les conditions de l'exploitation projetée mentionné au 8° de l'article R. 512-46-4, doit être portée avant sa réalisation à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation. / S'il estime, après avis de l'inspection des installations classées, que les modifications sont substantielles, le préfet invite l'exploitant à déposer une nouvelle demande d'enregistrement. / Une modification est considérée comme substantielle, outre les cas où sont atteints des seuils quantitatifs et des critères fixés par arrêté du ministre chargé des installations classées, dès lors qu'elle est de nature à entraîner des dangers ou inconvénients significatifs pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1. / S'il estime que la modification n'est pas substantielle, le préfet fixe, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires, dans les formes prévues à l'article R. 512-46-22 ".

4. Il résulte de ces dispositions que la modification ou l'extension d'installations existantes, lorsqu'elle nécessite de procéder à un nouvel enregistrement, constitue une ouverture d'une installation au sens de l'article L. 152-1 du code de l'urbanisme, qui doit alors être conforme aux documents d'urbanisme en vigueur. Il en est a fortiori de même lorsque la demande d'enregistrement est présentée afin de régulariser une exploitation irrégulière.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la demande d'enregistrement de son activité exercée au titre de la rubrique 2515.1 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement présentée par la société Vitse avait pour but de régulariser sa situation, puisqu'en raison de ce que la puissance maximale de l'ensemble des machines fixes pouvant concourir simultanément au fonctionnement de l'installation était supérieure à 200 kw depuis le début des années 2000, cette activité ne pouvait plus être exploitée sous le régime de la déclaration. La demande d'enregistrement devait, dès lors, être regardée comme une demande d'autorisation d'ouverture de l'installation et devait être conforme au classement de son terrain d'implantation au plan local d'urbanisme intercommunal de la Métropole européenne de Lille en vigueur. Par suite, en estimant qu'était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce que le préfet du Nord ne pouvait légalement se fonder sur l'incompatibilité de l'installation avec le classement du terrain au plan local d'urbanisme pour refuser d'enregistrer la demande présentée par la société Vitse au titre du a) de la rubrique 2515.1 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement et, en conséquence, ordonner le même jour à la société Vitse de cesser immédiatement et définitivement l'exploitation de l'installation concernée, le juge des référés a entaché l'ordonnance attaquée d'une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la ministre de la transition écologique est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande de suspension de l'arrêté du 31 janvier 2022 :

8. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

9. Pour justifier l'urgence à suspendre l'arrêté préfectoral litigieux, la société Vitse soutient que la décision litigieuse aura, d'une part, pour elle de graves conséquences financières, invoquant une perte de chiffre d'affaires d'environ 8 millions d'euros, dont il résulterait un dépôt de bilan à court terme et, d'autre part, d'importantes conséquences sur la filière de traitement des déchets de chantier, à rebours de la politique communautaire et nationale en matière de recyclage. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les pertes financières estimées par la société Vitse ne seraient que la conséquence de la diminution des profits qu'elle tire de l'exploitation irrégulière de ses activités, dans la mesure où les deux tiers de sa production et de ses bénéfices dépendent de l'activité qu'elle exploite au titre de la rubrique 2515.1 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, sans avoir procédé à la demande d'enregistrement nécessaire pour cette activité avant septembre 2016. En outre, l'intérêt public qui s'attache à la préservation de la ressource en eau dans une zone de protection des champs captants d'eau potable, particulièrement vulnérable aux risques, identifiés par la demande d'enregistrement présentée par la société pétitionnaire, de pollution des sols et des eaux souterraines en cas de déversement accidentel de produits polluants et d'imperméabilisation de nouvelles zones, en plus de celles déjà exploitées par la société, empêchant l'écoulement des eaux du bassin versant vers les nappes phréatiques, justifie que l'exécution de la décision ordonnant à la société Vitse de cesser l'exploitation de l'installation concernée ne soit pas suspendue. La condition d'urgence justifiant que, sans attendre que le tribunal administratif juge la requête au fond, l'exécution de l'arrêté contesté du 31 janvier 2022 soit suspendue ne peut, dès lors, être regardée comme remplie.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, que la demande de suspension présentée par la société Vitse doit être rejetée.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 25 mars 2022 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Vitse devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Vitse.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 15 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 463114
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 nov. 2022, n° 463114
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:463114.20221115
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