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15/11/2022 | FRANCE | N°462890

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 15 novembre 2022, 462890


Vu la procédure suivante :

Par une protestation et deux mémoires en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 avril, 7 juin et 15 juin 2022, Mme F... I... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Mua en vue de l'élection des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 mars 2022 portant publication des résultats en tant qu'il a déclaré élus M. L..., M. E... A..., M. M... C..., M. J..., Mm

e G... H... et Mme B... K... ;

3°) d'ordonner la mise en place de nouvelles électio...

Vu la procédure suivante :

Par une protestation et deux mémoires en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 avril, 7 juin et 15 juin 2022, Mme F... I... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Mua en vue de l'élection des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 mars 2022 portant publication des résultats en tant qu'il a déclaré élus M. L..., M. E... A..., M. M... C..., M. J..., Mme G... H... et Mme B... K... ;

3°) d'ordonner la mise en place de nouvelles élections dans un délai de trois mois.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- la loi n° 52-130 du 6 février 1952 ;

- la loi n° 52-1310 du 10 décembre 1952 ;

- la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 20 mars 2022 dans la circonscription de Mua pour la désignation des membres de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, la liste " Ofa mo'oni ki tou fenua " a obtenu 422 voix et deux sièges, la liste " Mauli fetokoniaki " 413 voix et deux sièges, la liste " Le'o akiha " 286 voix et un siège, la liste " Ofa peake gaue ki he kaha'u lelei " 277 voix et un siège. La liste " Taofi kite lelei fakatahi ", conduite par Mme I..., est arrivée en cinquième position avec 193 voix et n'a obtenu aucun siège. Cette dernière demande l'annulation de ces élections.

Sur la tenue des listes électorales :

2. Il n'appartient pas au juge de l'élection, en l'absence de manœuvre ou d'irrégularité de la procédure suivie pour dresser les listes électorales susceptibles d'avoir altéré la sincérité du scrutin, d'apprécier la régularité de l'inscription ou de la radiation d'un électeur sur ces listes.

3. Si la requérante soutient que 103 électeurs ne devraient pas être inscrits sur la liste de la circonscription de Mua car ils n'y auraient pas leur résidence réelle au sens de l'article L. 11 du code électoral, aucune manœuvre ne résulte de l'instruction quant à ces inscriptions. Le grief soumis au juge de l'élection ne peut, par suite, qu'être écarté, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la communication des procurations demandée par la requérante.

4. Par ailleurs, et en tout état de cause, il résulte de l'instruction que les trois électeurs qui ont été ajoutés manuellement sur la liste électorale le jour du scrutin l'ont été sur décision du tribunal de première instance de Mata Utu.

Sur les procurations :

5. Aucune disposition du code électoral ne fixe de délai maximum pour établir une procuration. Par suite, le grief tiré de ce que sept mandataires ont été ajoutés le jour du scrutin est, en tout état de cause, inopérant.

Sur le déroulement de la campagne :

6. Si la requérante soutient que M. C..., qui conduisait la liste " Le'o akiha ", aurait usé de ses fonctions de chef de service de l'environnement du territoire pour promouvoir sa candidature, il résulte de l'instruction que l'opération de distribution d'ampoules LED à la population qu'elle invoque avait été engagée dès le mois d'avril 2021 et que ce n'est qu'en raison des délais de livraison et d'une grève des agents territoriaux intervenue fin 2021 que leur distribution a été différée au début de l'année 2022. Par ailleurs, le communiqué de presse relatif à cette opération qu'elle produit est purement informatif, n'est pas signé par M. C... et ne fait pas sa promotion. Par suite, le grief doit être écarté.

Sur le déroulement du scrutin :

7. La requérante produit deux attestations affirmant qu'un électeur du bureau de vote Malaefoou 2 serait entré dans l'isoloir accompagné d'une autre personne sans motif médical. Toutefois ces attestations sont isolées et il résulte de l'instruction qu'aucune observation concernant ces faits n'a été portée sur le procès-verbal du bureau de vote concerné qui, en application de l'article R. 52 du code électoral, était tenu à la disposition des membres du bureau, candidats, remplaçants et délégués des candidats, électeurs du bureau et personnes chargées du contrôle des opérations pour y porter leurs observations ou réclamations.

8. Il résulte, en revanche, de l'instruction que l'électeur n° 597 du bureau de Malaefoou 2 a voté pour son frère jumeau sans procuration enregistrée sur la liste électorale et que, dans le bureau de Lavegahau, deux votes par procuration ont été effectués pour le compte de l'électeur n° 471. Ces trois suffrages ont ainsi été irrégulièrement exprimés.

9. Si la requérante fait valoir que de nombreuses autres irrégularités relatives au secret du vote et au contrôle de l'identité des électeurs ont été commises, elle n'apporte aucun élément permettant d'apprécier le bien-fondé de ce grief.

Sur les listes d'émargement :

10. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 62-1 du code électoral : " Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 64 du même code : " Lorsqu'un électeur se trouve dans l'impossibilité de signer, l'émargement prévu par le troisième alinéa de l'article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : l'électeur ne peut signer lui-même ". Il résulte des dispositions des articles L. 62-1 et L. 64 du code électoral, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l'encre, d'un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d'impossibilité dûment reportée sur la liste d'émargement. Ainsi, la constatation d'un vote par l'apposition d'une croix sur la liste d'émargement ne peut être regardée comme garantissant l'authenticité de ce vote.

11. S'il résulte de l'instruction que l'électeur n° 162 du bureau de Malaefoou 2 a signé lui-même la feuille d'émargement lorsqu'il a voté en son nom mais a fait signer un autre électeur avec la mention " l'électeur ne peut signer lui-même " lorsqu'il a voté pour le compte de son mandant, cette circonstance est sans incidence sur la régularité du vote qu'il a exprimé sur procuration.

12. Il ne résulte pas des dispositions de l'article L. 64 du code électoral que l'identité d'un électeur choisi pour signer à la place d'un électeur en incapacité de signer doive être mentionnée sur la liste d'émargement. Par suite, la circonstance que quinze émargements dans l'ensemble de la circonscription comporteraient la mention " ne peut signer lui-même " sans préciser l'identité de la personne choisie pour signer à la place des électeurs concernés est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité des votes exprimés.

13. Il résulte, en revanche, de l'instruction, d'une part, que les électeurs n° 82 et n° 424 du bureau de Malaefaouu 2 ont apposé en face de leur nom respectivement une simple croix et un trait, sans que ni la mention prévue par le second alinéa de l'article L. 64 du code électoral, ni la signature d'un autre électeur ne figure devant ces signes et sans qu'aucune pièce du dossier ne permette d'attester de l'authenticité de ces suffrages, et, d'autre part, que les électeurs n° 281, n° 536 et n° 605 du même bureau, titulaires d'une procuration, ont apposé des signatures différentes selon qu'ils ont voté en leur nom propre ou en qualité de mandataire, ce qui affecte la régularité des votes qu'ils ont exprimés en qualité de mandataire. Par suite, ces cinq suffrages doivent être tenus pour irrégulièrement exprimés.

Sur l'éligibilité de M. C... :

14. Aux termes de l'article 12 de la loi 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer : " Sous réserve des aménagements qui seraient rendus nécessaires par l'organisation du territoire et qui feront, le cas échéant, l'objet d'un décret en Conseil d'Etat, les règles relatives à l'élection et au mode de fonctionnement, ainsi que la compétence de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna sont déterminées par les textes ci-après relatifs à l'assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie : - articles 3 à 12 de la loi modifiée n° 52-1310 du 10 décembre 1952 (...) ". L'article 6 de la loi du 10 décembre 1952 relative à la composition et à la formation de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna susvisée dispose : " Les dispositions des articles 8, 9 et 10 de la loi n° 52-130 du 6 février 1952 sont applicables aux élections des membres de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ". L'article 10 de la loi du 6 février 1952 relative à l'élection de l'assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna susvisée dispose : " Le mandat de membre d'une assemblée locale est incompatible: / 1° Avec les fonctions énumérées aux alinéas 1°, 2°, 3°, 4°, 5° et 6° de l'article 8 de la présente loi quel que soit le territoire d'outre-mer où elles sont exercées (...) ". Aux termes de l'article 8 de la même loi : " Ne peuvent être acceptées pendant l'exercice de leurs fonctions pendant les six mois qui suivent la cessation de leurs fonctions (...) les candidatures aux élections des conseillers aux assemblées locales : 1° Du haut-commissaire de la République, du gouverneur général, du secrétaire général du gouvernement général, des gouverneurs et secrétaires généraux des territoires, des directeurs, chefs de service ou chefs de bureau du gouvernement général et des gouvernements locaux et de leurs délégués, des directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des hauts commissaires, gouverneurs généraux et gouverneurs, dans toute circonscription de vote (...) ". Aux termes enfin du III de l'article 21 de la loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer susvisée : " Dans les lois, ordonnances et décrets, pour leur application outre-mer : (...) 7° La référence aux gouvernements locaux ou aux gouvernements généraux est remplacée par la référence aux services du représentant de l'Etat ".

15. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les chefs des services de l'Etat n'ayant pas cessé leurs fonctions moins de six mois avant la date du scrutin sont inéligibles aux fonctions de membre de l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna, mais que tel n'est pas le cas des chefs des services territoriaux de cette collectivité, alors même qu'ils sont placés sous l'autorité du représentant de l'Etat.

16. Il résulte de l'instruction que le service de l'environnement dont M. C... était le chef à la date du scrutin relève de la collectivité territoriale de Wallis et Futuna et non de l'Etat. Par suite, le grief tiré de ce qu'il n'était pas éligible en application des dispositions précitées de la loi du 6 février 1952 doit être écarté.

Sur la destruction des bulletins de vote :

17. A la supposer même établie, la circonstance que les bulletins de vote n'auraient pas été détruits en présence des électeurs conformément à l'article R. 68 du code électoral est sans incidence sur les résultats du scrutin en l'absence de contestation alléguée de la validité de ces bulletins. Ce grief ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur les conséquences des irrégularités constatées :

18. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que seuls huit suffrages doivent être regardés comme irrégulièrement exprimés. Ces huit suffrages doivent être hypothétiquement et successivement retranchés du nombre de voix obtenu par chaque liste ayant obtenu un siège. En application de la répartition des sièges à la plus forte moyenne, le dernier siège est revenu à la liste " Mauli fetokoniaki ", qui bénéficiait d'une moyenne de 206,5 voix pour l'attribution de ce siège. La déduction théorique de huit suffrages du nombre de suffrages obtenus par cette liste aurait ramené sa moyenne pour l'attribution du dernier siège à 202,5 voix, soit encore 9 voix de plus que les 193 voix obtenues par la liste de Mme I.... Par suite, les irrégularités constatées ne sont pas de nature à avoir modifié les résultats de l'élection.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la protestation de Mme I... doit être rejetée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La protestation de Mme I... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme F... I..., à Mme G... H..., à M. L..., à Mme B... D..., à M. E... A..., à M. J..., à M. M... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 15 novembre 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462890
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 nov. 2022, n° 462890
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:462890.20221115
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