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15/11/2022 | FRANCE | N°461131

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 15 novembre 2022, 461131


Vu la procédure suivante :

Mme C... D..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses enfants, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 16 septembre 2021 par laquelle le chef d'établissement du centre de détention de Roanne a retiré son permis de visite concernant M. B... A..., incarcéré dans cet établissement pénitentiaire. Par une ordonnance n° 2107812 du 6 octobre 2021, le juge des référés a

rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire...

Vu la procédure suivante :

Mme C... D..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses enfants, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 16 septembre 2021 par laquelle le chef d'établissement du centre de détention de Roanne a retiré son permis de visite concernant M. B... A..., incarcéré dans cet établissement pénitentiaire. Par une ordonnance n° 2107812 du 6 octobre 2021, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 4 et 21 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son avocat, la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de Mme D... et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 521-1 du code de justice administrative dispose que : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article 35 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " Le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l'autorise, par les permissions de sortir des établissements pénitentiaires. Les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine. / L'autorité administrative ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille d'un condamné, suspendre ou retirer ce permis que pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions. / L'autorité administrative peut également, pour les mêmes motifs ou s'il apparaît que les visites font obstacle à la réinsertion du condamné, refuser de délivrer un permis de visite à d'autres personnes que les membres de la famille, suspendre ce permis ou le retirer. / Les permis de visite des prévenus sont délivrés par l'autorité judiciaire. / Les décisions de refus de délivrer un permis de visite sont motivées ". Le premier alinéa de l'article R. 57-8-10 du code de procédure pénale dispose que : " Pour les personnes condamnées, incarcérées en établissement pénitentiaire ou hospitalisées dans un établissement de santé habilité à recevoir des personnes détenues, les permis de visite sont délivrés, refusés, suspendus ou retirés par le chef de l'établissement pénitentiaire ". Aux termes de l'article R. 57-8-11 du même code : " Le chef d'établissement fait droit à tout permis de visite qui lui est présenté, sauf à surseoir si des circonstances exceptionnelles l'obligent à en référer à l'autorité qui a délivré le permis, ou si les personnes détenues sont matériellement empêchées, ou si, placées en cellule disciplinaire, elles ont épuisé leur droit à un parloir hebdomadaire ". Aux termes de l'article D. 403 du code de procédure pénale en vigueur à la date de la décision attaquée : " Le permis délivré en application des articles R. 57-8-8 et R. 57-8-10 est soit permanent, soit valable pour un nombre limité de visites. / Il précise, le cas échéant, les modalités particulières prévues pour son application, notamment en ce qui concerne le lieu et l'heure de la visite. / Pour des motifs de bon ordre, de sécurité et de prévention des infractions, et spécialement en cas de crime ou de délit relevant de l'article 132-80 du code pénal, le permis de visite peut être refusé à la personne victime de l'infraction pour laquelle la personne prévenue ou condamnée est incarcérée, y compris si la victime est membre de la famille du détenu. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les décisions tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite relèvent du pouvoir de police des chefs d'établissements pénitentiaires. Ces décisions affectant directement le maintien des liens des détenus avec leurs proches, elles sont susceptibles de porter atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il appartient en conséquence à l'autorité compétente de prendre les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées à assurer le maintien du bon ordre et de la sécurité de l'établissement pénitentiaire ou, le cas échéant, la prévention des infractions, sans porter d'atteinte excessive au droit des détenus et des membres de leur famille.

3. Il résulte des dispositions de l'article 35 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qu'une décision retirant un permis de visite précédemment délivré doit être motivée. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la décision de retrait du permis de visite faisant l'objet de la demande de suspension, si elle cite certaines dispositions législatives, ne comporte aucune mention de circonstance de fait la justifiant. Il s'ensuit qu'en retenant que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce qu'elle était entachée d'insuffisance de motivation, le juge des référés a entaché son appréciation sur le caractère sérieux des moyens de dénaturation.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés, que Mme D... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

5. Il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de se prononcer sur la demande de suspension présentée au titre de la procédure de référé engagée par Mme D....

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, d'une part, le garde des sceaux, ministre de la justice fait valoir que la décision est justifiée par les craintes pour les risques auxquels Mme D... pourrait être exposée en cas de visite à M. A..., dès lors que ce dernier a commis, de façon répétée, sur une période de plusieurs années, des actes de violences conjugales d'une extrême gravité et qu'il ne serait pas en mesure de mettre en place des mesures de sécurité telles que les visites pourraient se dérouler sans risques pour la requérante. Les préoccupations mises en avant par le garde des sceaux, tenant à la protection des personnes sollicitant un permis de visite et au maintien du bon ordre au sein de l'établissement pénitentiaire, doivent être prises en compte au titre de l'appréciation globale portée sur l'urgence. D'autre part, la requérante n'a pas souhaité rendre visite à son mari pendant ses premières années d'incarcération, entre 2016 et 2021, et ne fournit pas les raisons particulières qui la conduisent à souhaiter désormais lui rendre visite. Enfin, si elle met en avant l'intérêt pour ses enfants de pouvoir rendre visite à leur père, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que ces enfants ont pu continuer à rendre visite à leur père en dépit de l'absence de permis de visite de leur mère, en étant accompagnés par un autre membre de la famille, et que la requérante pourrait par ailleurs solliciter le concours d'une association à cette fin. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'établit pas que l'exécution de décision dont elle demande la suspension serait constitutive d'une urgence justifiant la suspension de la décision de retrait du permis de visite.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition de doute sérieux quant à la légalité de la décision, que Mme D... n'est pas fondée à demander la suspension de la décision attaquée.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 6 octobre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le juge des référés du tribunal administratif de Lyon est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... E... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 15 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 461131
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 nov. 2022, n° 461131
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461131.20221115
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