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15/11/2022 | FRANCE | N°454677

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 15 novembre 2022, 454677


Vu la procédure suivante :

La société Tahiti Luxury Resort a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de lui accorder la décharge de la " sanction fiscale " d'un montant de 1 349 460 000 francs CFP mise à sa charge le 10 avril 2018 sur le fondement de l'article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française à la suite du retrait prononcé par arrêté du 25 août 2017 de l'agrément d'éligibilité au crédit d'impôt qu'elle avait obtenu le 12 avril 2007 pour la construction d'une résidence hôtelière de tourisme. Par un jugement n° 1800438 du

25 avril 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a prononcé...

Vu la procédure suivante :

La société Tahiti Luxury Resort a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de lui accorder la décharge de la " sanction fiscale " d'un montant de 1 349 460 000 francs CFP mise à sa charge le 10 avril 2018 sur le fondement de l'article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française à la suite du retrait prononcé par arrêté du 25 août 2017 de l'agrément d'éligibilité au crédit d'impôt qu'elle avait obtenu le 12 avril 2007 pour la construction d'une résidence hôtelière de tourisme. Par un jugement n° 1800438 du 25 avril 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a prononcé la réduction de la somme mise à la charge de la société Tahiti Luxury Resort en tant qu'elle portait sur un montant supérieur à celui du crédit d'impôt dont elle avait bénéficié et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 19PA01800 du 20 avril 2021, la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel de la société Tahiti Luxury Resort, déchargé celle-ci de l'intégralité de la somme mise à sa charge, annulé le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et rejeté l'appel incident de la Polynésie française tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il avait réduit le montant cette somme.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 juillet 2021, 18 octobre 2021 et 3 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la société Tahiti Luxury Resort la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la " loi du pays " n° 2006-11 du 12 avril 2006 ;

- la " loi du pays " n° 2009-7 du 1er avril 2009 ;

- la " loi du pays " n° 2014-35 du 17 décembre 2014 ;

- le code des impôts de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Doumic-Seiller, avocat de la présidence de la Polynésie française et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Tahiti Luxury Resort ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu des articles LP. 911-1, LP. 912-1 et LP. 913-1 du code des impôts de la Polynésie française, dans leur rédaction résultant de la " loi du pays " du 12 avril 2006 portant modification du code des impôts dans le cadre de l'approbation du budget de la Polynésie française, les personnes physiques ou morales, dites " investisseurs ", redevables de l'impôt sur les bénéfices des sociétés ou de l'impôt sur les transactions et qui réalisent un financement dans un projet d'investissement en Polynésie française relevant d'un des secteurs d'activité énumérés par le premier article, dont la construction d'hôtels, peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt, sous réserve que le projet fasse l'objet d'un agrément accordé par le Président de la Polynésie française dans les conditions prévues aux articles 951-1 et suivants de ce code, à la demande de la société réalisant le projet. Selon l'article LP. 914-4 du même code, les investisseurs doivent s'engager à rétrocéder à la société réalisant le projet au moins 60 % de l'avantage procuré au titre des financements. En vertu de l'article LP. 916-1 de ce code, en cas de retrait d'agrément, " le bénéfice du crédit d'impôt est remis en cause, et l'impôt dont le crédit a été préalablement accordé devient immédiatement exigible ". Les articles LP. 916-4 et LP. 916-5 prévoient par ailleurs la possibilité pour l'administration d'infliger une " sanction fiscale " à l'entreprise porteuse du projet dans d'autres hypothèses que le retrait de l'agrément.

2. La " loi du pays " du 1er avril 2009 portant refonte des dispositifs d'incitation fiscale à l'investissement en Polynésie française et modification du code des impôts a réformé l'ensemble de ce dispositif et, en particulier, a inséré dans le code des impôts de la Polynésie française un article LP. 919-31 aux termes duquel : " Le retrait de l'agrément est prononcé en cas d'inexécution par l'entreprise qui réalise le programme d'investissement, des engagements souscrits par cette dernière en vue d'obtenir l'agrément ou en cas de non-respect des conditions auxquelles l'octroi de cet agrément a été subordonné. Ce retrait entraîne la remise en cause des crédits d'impôt attachés à l'agrément et l'exigibilité des impositions non acquittées du fait de cet agrément, assorties de l'intérêt de retard prévu aux articles LP. 511-1 et LP. 511-4 du présent code. / La remise en cause des crédits d'impôt consécutivement au retrait est effectuée conjointement dans les comptes de l'entreprise et des investisseurs à hauteur respectivement de la part de crédit d'impôt dont chacun a bénéficié en application du deuxième alinéa de l'article LP. 916-13. La remise en cause dans les comptes de l'entreprise se traduit par l'application d'une sanction fiscale égale à 150 % de la part du crédit d'impôt dont elle a bénéficié en application du deuxième alinéa de l'article LP. 916-13 ". La " loi du pays " du 17 décembre 2014 portant modification du code des impôts a ramené le taux de cette " sanction fiscale " de 150 % à 100 %.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Tahiti Luxury Resort a présenté, le 13 avril 2006, une demande d'agrément rectifiée pour la construction à Punaauia d'une résidence hôtelière de tourisme qui a donné lieu à la délivrance d'un agrément sur le fondement des dispositions mentionnées au point 1, par un arrêté du président de la Polynésie française du 12 avril 2007. Cet agrément, modifié en 2012, a été retiré par un arrêté du 25 août 2017. Sur la base de ce retrait d'agrément, le président de la Polynésie française a, sur le fondement des dispositions de l'article LP. 919-31 mentionnées au point 2, dans leur rédaction antérieure à la " loi du pays " du 17 décembre 2014, mis à la charge de la société Tahiti Luxury Resort une somme de 1 354 860 000 francs CFP, ramenée en cours d'instance à la somme de 1 349 460 000 francs CFP, correspondant à 150 % du montant de l'avantage fiscal dont elle a bénéficié par le jeu de la rétrocession imposée aux investisseurs. Par un jugement du 25 avril 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française, faisant application des dispositions de l'article LP. 919-31 dans leur rédaction issue de la " loi du pays " du 17 décembre 2014, a ramené la somme mise à la charge de la société Tahiti Luxury Resort à 100 % de la rétrocession dont elle a bénéficié. La Polynésie française se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel de la société Tahiti Luxury Resort, accordé à celle-ci une décharge totale.

4. Aux termes de l'article LP. 911-2 du code des impôts de la Polynésie française, dans sa rédaction issue de la " loi du pays " du 12 avril 2006, applicable, selon son article 5, aux projets d'investissement qui font l'objet d'une demande d'agrément intervenant à compter de la publication de cette " loi du pays ", le 13 avril 2006 : " Le projet d'investissement est régi par la législation en vigueur à la date à laquelle se réalise son fait générateur. Le fait générateur détermine le régime juridique applicable à l'ensemble des droits et obligations applicables au projet et notamment ceux attachés à la société qui le réalise et ceux attachés aux investisseurs qui y participent. / Le fait générateur du projet d'investissement est constitué par le dépôt de la demande d'agrément au secrétariat de la commission consultative des agréments fiscaux (...) ". Ces dispositions ont été reprises en substance à l'article LP. 919-21, issu de la " loi du pays " du 1er avril 2009. Aucune disposition de cette " loi du pays " ne rend les dispositions de l'article LP. 919-31 relatives à la " sanction fiscale ", issues de cette même " loi du pays ", applicables aux projets ayant donné lieu, antérieurement à son entrée en vigueur, au dépôt d'une demande d'agrément ou à la délivrance d'un tel agrément.

5. Il résulte des dispositions mentionnées au point 4 qu'en cas de retrait, quelle qu'en soit la date, d'un agrément délivré sur la base d'une demande d'agrément déposée entre le 13 avril 2006 et l'entrée en vigueur de la " loi du pays " du 1er avril 2009, les modalités de remise en cause du crédit d'impôt demeurent régies par les dispositions des articles LP. 916-1 et suivants du code des impôts de la Polynésie française dans leur rédaction issue de la " loi du pays " du 12 avril 2006. Il résulte de ces dernières dispositions, dont la portée est éclairée par les travaux préparatoires de la " loi du pays " du 1er avril 2009 qui a introduit le mécanisme de la " sanction fiscale " à l'article LP. 919-31 afin de pouvoir appréhender les sommes dont a bénéficié l'entreprise porteuse du projet en cas de retrait d'agrément, d'une part, qu'un tel retrait devait donner lieu à la restitution du crédit d'impôt par les investisseurs qui en ont bénéficié et non par la société réalisant le projet, laquelle n'est pas elle-même bénéficiaire du crédit d'impôt mais seulement d'un avantage résultant de sa " rétrocession " partielle par les investisseurs dans le cadre des financements dont ils ont bénéficié, et, d'autre part, qu'aucune " sanction fiscale " ne pouvait être infligée à cette société dans un tel cas.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'agrément du projet porté par la société Tahiti Luxury Resort a été délivré sur la base d'une demande présentée par cette société, dans son dernier état, le 13 avril 2006. La cour administrative d'appel a, en outre, retenu que la modification de l'agrément intervenue en 2012 pour tenir compte de celle du projet n'avait pas donné lieu à la délivrance d'un nouvel agrément mais à la modification de l'agrément existant. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en jugeant que les dispositions de l'article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française, issues de la " loi du pays " du 1er avril 2009, sur lesquelles a été fondée la " sanction fiscale " litigieuse, n'étaient pas applicables en l'espèce et qu'aucune disposition ne permettait à la Polynésie française de mettre une somme à ce titre à la charge de la société requérante, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni insuffisamment motivé sa décision.

7. En deuxième lieu, dès lors que la société Tahiti Luxury Resort, qui réalisait le projet, n'a pas elle-même bénéficié du crédit d'impôt accordé aux seules personnes ayant investi dans le projet de résidence hôtelière, la cour n'a, en tout état de cause, pas commis d'erreur de droit en ne maintenant pas à sa charge une somme correspondant au montant du crédit d'impôt lui-même.

8. En troisième lieu, les dispositions du premier alinéa de l'article LP. 7 de la " loi du pays " n° 2009-7 du 1er avril 2009 avaient pour seul objet d'impartir aux entreprises porteuses d'un projet agréé avant l'entrée en vigueur de cette loi, un délai de 12 mois pour fournir au service des contributions la déclaration de début de réalisation de leur programme d'investissement prévue par l'article LP. 915-2 du code des impôts de la Polynésie française, sous peine de caducité de l'agrément et, le cas échéant, de remise en cause du crédit d'impôt dans les comptes de l'investisseur, sans assortir cette caducité d'une " sanction fiscale " à l'encontre de l'entreprise porteuse du projet. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ces dispositions transitoires étaient sans incidence sur l'inapplicabilité des dispositions de cette " loi du pays " et n'étaient pas de nature à fonder la mesure prise par la Polynésie française.

9. En quatrième et dernier lieu, le motif par lequel la cour a relevé que la société Tahiti Luxury Resort n'a bénéficié d'aucun crédit d'impôt sur le fondement de l'article LP. 916-13 du code des impôts de la Polynésie française, auquel renvoie l'article LP. 919-31, présente un caractère surabondant. Par suite, la Polynésie française ne peut utilement soutenir que ce motif serait entaché d'insuffisance de motivation et de dénaturation.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le pourvoi de la Polynésie française doit être rejeté.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Tahiti Luxury Resort, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 3 000 euros à verser à la société Tahiti Luxury Resort au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la Polynésie française est rejeté.

Article 2 : La Polynésie française versera à la société Tahiti Luxury Resort une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Polynésie française et à la société Tahiti Luxury Resort.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 15 novembre 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 454677
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 nov. 2022, n° 454677
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP DOUMIC-SEILLER ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:454677.20221115
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