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15/11/2022 | FRANCE | N°449317

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 15 novembre 2022, 449317


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Milleis Patrimoine à procéder à son licenciement pour motif économique. Par un jugement n° 11903296 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 20PA00329 du 3 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Milleis Patrimoine contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mém

oire complémentaire enregistrés les 2 février et 3 mai 2021 au secrétariat du contentie...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Milleis Patrimoine à procéder à son licenciement pour motif économique. Par un jugement n° 11903296 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 20PA00329 du 3 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Milleis Patrimoine contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 2 février et 3 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Milleis Banque, venant aux droits de la société Milleis Patrimoine, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt attaqué ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 ;

- le règlement délégué (UE) n° 2017/565 de la Commission du 25 avril 2016 ;

- le code monétaire et financier ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Milleis Banque et à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. B... A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 17 décembre 2018, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle Paris 12 a autorisé la société Milleis Patrimoine à procéder au licenciement de M. B... A..., élu délégué du personnel et membre du comité d'entreprise au sein de la délégation unique du personnel. Par un jugement du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris, sur la demande de M. A..., a annulé la décision de l'inspectrice du travail. La société Milleis Banque, venant aux droits de la société Milleis Patrimoine, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 décembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : / 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés (...) ; / 2° A des mutations technologiques ; / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; / 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. / La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. / Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. (...) ".

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié protégé d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique. A cet égard, lorsque la demande d'autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, l'autorité administrative doit s'assurer du bien-fondé d'un tel motif, en appréciant la réalité de la menace pour la compétitivité de l'entreprise, le cas échéant, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.

4. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé que l'entreprise Milleis Patrimoine a demandé à l'inspecteur du travail de licencier pour motif économique M. A... au motif que ce dernier avait refusé la modification des clauses salariales de son contrat, alors que cette modification s'inscrivait dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise, nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, compte tenu, d'une part, de l'entrée en vigueur de nouvelles normes, issues du droit de l'Union, imposant de modifier la structure des rémunérations des salariés des entreprises d'investissement, d'autre part, de la concurrence accrue sur le marché des services financiers, en raison de l'apparition de nouveaux intervenants n'étant pas des établissements bancaires, et du développement de la " Fintech " (technologie financière). La cour a ensuite jugé que l'autorité administrative, en autorisant le licenciement de M. A..., sans vérifier si la modification de son contrat de travail proposée par son employeur était " strictement nécessaire " au motif économique que ce dernier alléguait, avait entaché sa décision d'illégalité. En statuant ainsi la cour, d'une part, a entaché son arrêt d'erreur de droit, dès lors que, comme il a été dit précédemment, il appartient à l'administration de vérifier que la modification du contrat de travail est, non " strictement nécessaire ", mais justifiée par le motif économique allégué, et, d'autre part, s'est méprise sur son office et a commis une autre erreur de droit dès lors qu'il incombe au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de se prononcer lui-même sur le bien-fondé de l'appréciation de l'autorité administrative sur le lien entre la modification du contrat et le motif économique du licenciement projeté, sans s'arrêter à une étape intermédiaire de son analyse sur ce point.

5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'arrêt attaqué doit être annulé.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge, d'une part, de la société Milleis Banque, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, d'autre part, de l'Etat qui n'est pas partie à la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 3 décembre 2020 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Milleis Banque et les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Milleis Banque et à M. B... A....

Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 TRAVAIL ET EMPLOI. - LICENCIEMENTS. - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS. - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION. - LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE. - LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE D’UN SALARIÉ AYANT REFUSÉ LA MODIFICATION DES CLAUSES SALARIALES DE SON CONTRAT – 1) CONTRÔLE DE L’ADMINISTRATION – OBLIGATION DE VÉRIFIER QUE LA MODIFICATION EST JUSTIFIÉE PAR CE MOTIF – 2) OFFICE DU JUGE – OBLIGATION DE SE PRONONCER LUI-MÊME SUR LE BIEN-FONDÉ DE CETTE APPRÉCIATION [RJ1].

66-07-01-04-03 1) Pour apprécier la réalité du motif économique allégué par l’employeur pour demander l’autorisation de licencier un salarié protégé au motif que ce dernier a refusé la modification de clauses de son contrat, il appartient à l’administration de vérifier que la modification du contrat de travail est non « strictement nécessaire » au motif économique mais justifiée par le motif économique. ...2) Il incombe au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de se prononcer lui même sur le bien-fondé de l’appréciation de l’autorité administrative sur le lien entre la modification du contrat et le motif économique du licenciement projeté, sans s’arrêter à une étape intermédiaire de son analyse sur ce point.


Références :

[RJ1]

Rappr., s’agissant de l’appréciation de la réalité des motifs économiques dans le cas où la société fait partie d’un groupe, CE, 29 juin 2020, Société Papeteries du Léman, n° 417940, T. p. 1037.


Publications
Proposition de citation: CE, 15 nov. 2022, n° 449317
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Date de la décision : 15/11/2022
Date de l'import : 25/11/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 449317
Numéro NOR : CETATEXT000046565134 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-11-15;449317 ?
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