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14/11/2022 | FRANCE | N°468448

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 14 novembre 2022, 468448


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 17 mai 2022 par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a prononcé la suspension de son droit d'exercer la médecine pour une durée d'un an ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecin

s la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 17 mai 2022 par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a prononcé la suspension de son droit d'exercer la médecine pour une durée d'un an ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, la décision contestée est immédiatement exécutoire et la prive de ses revenus professionnels pour une durée d'un an alors qu'elle doit supporter des charges mensuelles élevées et, d'autre part, elle exerce sa profession de médecin généraliste dans un " désert médical ", de sorte que son activité professionnelle revêt un caractère d'intérêt général ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- en effet, celle-ci est entachée d'insuffisance de motivation dès lors que, d'une part, elle se borne à affirmer que les pathologies dont elle souffre créent un état de dangerosité pour ses patients, sans pour autant le démontrer et, d'autre part, elle ne précise pas les motifs de la durée de la suspension dont elle fait l'objet ;

- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique et est entachée d'erreur d'appréciation en ce que, en premier lieu, le signalement émis à son encontre ne justifie pas le prononcé d'une sanction disciplinaire, en deuxième lieu, le Conseil national de l'ordre des médecins a commis une erreur d'appréciation quant à son état de santé, et, en troisième lieu, il l'a suspendue en méconnaissance des conclusions contraires de trois experts ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de la durée de la suspension d'un an qu'elle prononce dès lors que, en premier lieu, elle apparaît excessive au regard de sa situation médicale, laquelle ne justifie pas d'interruption d'activité, et, en second lieu, son activité professionnelle revêt un caractère d'intérêt général en raison du " désert médical " où elle est installée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2022, le Conseil national de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B..., et d'autre part, le Conseil national de l'ordre des médecins ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 novembre 2022, à 10 heures 30 :

- Me Sebagh, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 novembre 2022, présentée par Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il résulte des dispositions du I et du VI de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique que le conseil régional ou interrégional de l'ordre des médecins compétent ou, si celui-ci ne s'est pas prononcé dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il a été saisi, le Conseil national de cet ordre peut, dans les conditions précisées aux II à V du même article, prononcer la suspension temporaire, pour une période déterminée, du droit d'exercer d'un médecin qui présente un état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession.

3. Sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2, le Conseil national de l'ordre des médecins a, par une décision du 17 mai 2022, prononcé la suspension du droit de Mme B... d'exercer la médecine pour une durée d'un an. La requérante demande la suspension de l'exécution de cette décision sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

4. En premier lieu, la décision attaquée fait état des circonstances de droit et de fait sur lesquelles elle repose, notamment en citant l'article R. 4124-3 du code de la santé publique, en reproduisant les extraits du rapport d'expertise sur lesquels elle s'appuie et qu'elle analyse, ainsi que les faits à l'origine de sa saisine. Le moyen tiré de son insuffisante motivation n'apparaît pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, par une décision du 2 septembre 2020, dont elle n'a pas demandé l'annulation, le droit de Mme B... d'exercer la médecine a été suspendu pour une durée de six mois, sur le fondement de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique, en raison d'un " état pathologique à type de trouble lié à l'usage de l'alcool et des sédatifs ". Autorisée à reprendre son activité par une décision du 20 mai 2021, et alors qu'elle bénéficiait d'un suivi par un médecin addictologue et un psychiatre, elle a fait l'objet, dès le mois de septembre suivant, d'un signalement d'une patiente auprès du conseil départemental de la Sarthe de l'ordre des médecins, décrivant un état d'ébriété à l'occasion de consultations la concernant personnellement ou des tiers, puis, au mois d'octobre, d'un signalement de deux employés de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe lui ayant rendu visite à son cabinet le 30 septembre 2021 et relatant un état de très grande confusion, évocateur d'un trouble analogue. La requérante n'a pas, en l'état de l'instruction, apporté d'éléments circonstanciés permettant de mettre en doute la matérialité des faits ainsi relatés. Il ressort en outre des éléments du dossier, notamment des comptes rendus d'entretiens au conseil départemental de l'ordre et du rapport d'expertise ayant précédé la décision attaquée, que l'intéressée a constamment oscillé entre le déni et la reconnaissance de sa dépendance à l'alcool. Enfin, Mme B..., qui ne conteste pas avoir reçu la convocation à l'entretien devant la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins le 17 mai 2022, ne s'y est pas présentée pour des motifs qui apparaissent peu crédibles en l'espèce. Dans ces circonstances, et alors même que le rapport des experts, qui ne lie pas la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, indique que les troubles dont souffre la requérante ne sont pas actuellement de nature à rendre dangereux l'exercice de la profession, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait l'article R. 4124-3 du code de la santé publique et serait entachée d'une erreur d'appréciation en ce qui concerne le principe de la suspension n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

6. En troisième et dernier lieu, compte tenu des circonstances relatées au point précédent, des difficultés importantes que Mme B... semble éprouver pour maîtriser son addiction, à laquelle la suspension de six mois dont elle a fait l'objet en septembre 2020 n'a pas permis de remédier, et de la nécessité, relevée par le rapport d'expertise, d'une psychothérapie de fond permettant de prévenir les situations dans lesquelles elle éprouverait le besoin de consommer de l'alcool, le moyen tiré de ce que, en fixant la durée de la suspension à un an, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins aurait méconnu les mêmes dispositions et entaché sa décision d'une erreur d'appréciation n'apparaît pas de nature, en l'état de l'instruction, à justifier la suspension de son exécution.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête de Mme B... doit être rejetée, y compris les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce dernier titre par le Conseil national de l'ordre des médecins.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.

Fait à Paris, le 14 novembre 2022

Signé : Alexandre Lallet


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 14 nov. 2022, n° 468448
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 14/11/2022
Date de l'import : 17/11/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 468448
Numéro NOR : CETATEXT000046565162 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-11-14;468448 ?
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