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14/11/2022 | FRANCE | N°468359

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 14 novembre 2022, 468359


Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, d'enjoindre au département des Bouches-du-Rhône d'assurer son hébergement et l'ensemble de ses besoins élémentaires, dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 250 euros par jour de retard passé ce délai. par une ordonnance n° 2208312 du 10 octobre 2022, le juge des

référés du tribunal administratif de Marseille, d'une part, l'a admis...

Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, d'enjoindre au département des Bouches-du-Rhône d'assurer son hébergement et l'ensemble de ses besoins élémentaires, dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 250 euros par jour de retard passé ce délai. par une ordonnance n° 2208312 du 10 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, d'une part, l'a admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, enjoint du département des Bouches-du-Rhône de poursuivre son accueil provisoire, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 octobre et 7 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Bouches-du-Rhône demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que :

- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- la fin de la prise en charge de M. B... est justifiée, sans méconnaissance de l'article 47 du code civil, dès lors que, d'une part, sa minorité n'est pas établie et, d'autre part, le jugement supplétif tenant lieu d'acte d'état civil guinéen produit par l'intéressé ne semble pas correspondre à la réalité.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 2 et 7 novembre 2022, M. B... conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du département des Bouches-du-Rhône en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département des Bouches-du-Rhône et d'autre part, M. B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 novembre 2022, à 16 heures :

- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département des Bouches-du-Rhône ;

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

Sur les dispositions applicables :

2. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 373-5 de ce code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. (...) ".

3. L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) / ; 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code dispose que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article L. 223-2 de ce code dispose que : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil ". L'article R. 221-11 du même code dispose que : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) / IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ". Le même article dispose que les décisions de refus de prise en charge sont motivées et mentionnent les voies et délais de recours.

4. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants ou par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Il en résulte également que, lorsqu'il est saisi par un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d'admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné. L'article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation mentionnée au point 3 ci-dessus, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.

6. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

7. Enfin, l'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

Sur l'appel du département des Bouches-du-Rhône :

8. Pour juger que le refus du département des Bouches-du-Rhône de poursuivre l'accueil provisoire de M. B... dans une structure adaptée portait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et lui enjoindre de reprendre cette prise en charge et d'assurer les besoins élémentaires de M. B..., le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a retenu que les éléments sur lesquels le département s'était fondé pour mettre en doute la minorité de M. B... n'étaient pas, en l'état de l'instruction, de nature à remettre en cause l'authenticité ni la force probante des documents produits par l'intéressé, et notamment du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu par le tribunal de première instance de Boke le 28 juin 2022, et légalisé par le service des affaires consulaires de l'ambassade de Guinée en France le 13 juillet 2022, ainsi que de la carte consulaire délivrée le 25 août 2022 par cette même ambassade.

9. En appel, le département des Bouches-du-Rhône reprend ces éléments, fondés, d'une part, sur certaines caractéristiques matérielles du jugement supplétif, dont l'authenticité n'est pas contestée, d'autre part, sur l'incohérence de l'apparence physique de l'intéressé et de son âge allégué, sur laquelle les photographies produites au dossier n'apportent pas d'indication probante, et enfin sur certaines notations psychologiques relatives à son audition par le service spécialisé de la direction enfance famille du conseil départemental de l'aide sociale à l'enfance le 29 juin 2022 qui ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à réfuter les éléments produits par l'intéressé pour établir son âge.

10. Il résulte de ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, compte-tenu de l'office du juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le département des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, lui a enjoint de reprendre la prise en charge de M. B... et s'assurer ses besoins essentiels.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... et de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du département des Bouches-du-Rhône est rejetée.

Article 2 : Le département des Bouches-du-Rhône versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au département des Bouches-du-Rhône et à M. C... B....

Fait à Paris, le 14 novembre 2022

Signé : Cyril Roger-Lacan


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 468359
Date de la décision : 14/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 14 nov. 2022, n° 468359
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:468359.20221114
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