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09/11/2022 | FRANCE | N°459166

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 09 novembre 2022, 459166


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a refusé de lui verser la somme de 105 656,10 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2013, au titre de ses droits à revenu de remplacement depuis la fin de son détachement auprès du ministère des affaires étrangères, le 1er septembre 2009, jusqu'au 4 juin 2012, date de son admission à la retraite. Par un jugement n° 1801815 du 29 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a

rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 20PA01133 du 30 novembre 2021, en...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a refusé de lui verser la somme de 105 656,10 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2013, au titre de ses droits à revenu de remplacement depuis la fin de son détachement auprès du ministère des affaires étrangères, le 1er septembre 2009, jusqu'au 4 juin 2012, date de son admission à la retraite. Par un jugement n° 1801815 du 29 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 20PA01133 du 30 novembre 2021, enregistré le 6 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 30 mars 2020 au greffe de cette cour, présentée par M. A....

Par ce pourvoi, un nouveau mémoire, un mémoire récapitulatif et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 décembre 2020, le 3 février et le 19 avril 2022, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- l'arrêté du 30 mars 2009 portant agrément de la convention du 19 février 2009 relative à l'indemnisation du chômage et de son règlement général annexé ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., alors praticien hospitalier au centre hospitalier de Cambrai, a été détaché auprès du ministre des affaires étrangères par plusieurs arrêtés successifs à compter du 15 octobre 2004, en dernier lieu par un arrêté du ministre de la santé, de la jeunesse et des sports du 27 juin 2007, pour la période du 1er mai 2007 au 31 août 2010. Toutefois, par un arrêté du 27 juin 2009, M. A... a été démis de ses fonctions de conseiller régional de coopération à compter du 31 août 2009 pour insuffisance professionnelle. Par un arrêté du 14 septembre 2009, la directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière a, en conséquence, mis fin de manière anticipée à son détachement à compter du 31 août 2009. Puis, par deux nouveaux arrêtés, elle a placé M. A... en disponibilité d'office en attente de réintégration à compter du 1er septembre 2009. Enfin, le 4 juin 2012, M. A... a fait valoir ses droits à la retraite. Le 27 février 2012, M. A... a sollicité du centre hospitalier de Cambrai le versement des allocations d'assurance chômage qu'il estimait lui être dues du fait de sa privation involontaire d'emploi. La cour administrative d'appel de Paris ayant, par un arrêt du 16 décembre 2016, devenu définitif, jugé que le centre hospitalier de Cambrai n'était pas le débiteur de cette créance, qui incombait à l'Etat, M. A... a, le 29 septembre 2017, sollicité du ministre des affaires étrangères le versement de la somme de 105 656,10 euros au titre des allocations d'assurance chômage qu'il aurait dû percevoir du fait de son absence de réintégration au terme de son détachement. M. A... se pourvoit en cassation contre le jugement du 29 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus du ministre des affaires étrangères de lui verser cette somme.

2. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer.

Sur le pourvoi :

3. D'une part, si les praticiens hospitaliers ont la qualité d'agents publics, il résulte des dispositions de l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, désormais reprises à l'article L. 6 du code général de la fonction publique, que le statut général des fonctionnaires n'est notamment pas applicable aux " médecins, odontologistes et pharmaciens mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 6152-1 du code de la santé publique ". Le statut qui les régit est établi par voie règlementaire en application de ces dernières dispositions. En vertu de l'article R. 6152-51 du code de la santé publique, les praticiens relevant de ce statut peuvent être placés en position de détachement notamment auprès d'une administration de l'Etat. Aux termes de l'article R. 6152-59 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " A l'expiration de son détachement, le praticien est réintégré dans son poste si celui-ci ne pouvait être déclaré vacant ou si le praticien était détaché en application de l'article R. 6152-53. Dans les autres cas, le praticien est réintégré : / - soit dans son poste s'il n'a pas été remplacé ; / - soit dans un autre poste de même discipline, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 6152-7. / (...) S'il n'a pu être réintégré à l'issue de sa demande, il est placé en disponibilité d'office dans les conditions fixées à l'article R. 6152-63 ".

4. Il résulte de ces dispositions que le praticien hospitalier dont le détachement prend fin, y compris de manière anticipée, a droit, selon le cas, à la réintégration dans son poste ou dans un poste de même discipline. Lorsque ce praticien hospitalier est mis en disponibilité d'office faute de pouvoir être réintégré dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 6152-59 du code de la santé publique citées au point 3, il doit être regardé, durant cette période, comme ayant été non seulement involontairement privé d'emploi mais aussi à la recherche d'un emploi, au sens de l'article L. 5421-1 du code du travail.

5. D'autre part, les dispositions du 1° de l'article L. 5424-1 du code du travail étendent notamment aux agents fonctionnaires et non fonctionnaires de l'Etat et de ses établissements publics administratifs, aux agents titulaires des collectivités territoriales et aux agents statutaires des autres établissements publics administratifs le bénéfice de l'allocation d'assurance instituée par l'article L. 5422-1 du code du travail au profit des : " travailleurs involontairement privés d'emploi (...), aptes au travail et recherchant un emploi qui satisfont à des conditions d'âge et d'activité antérieure ". L'article L. 5422-2 du même code prévoit que : " L'allocation d'assurance est accordée pour des durées limitées qui tiennent compte de l'âge des intéressés et de leurs conditions d'activité professionnelle antérieure. (...) ". Il résulte de l'article 3 du règlement général annexé à la convention du 19 février 2009 relative à l'indemnisation du chômage, agréée par arrêté du 30 mars 2009, que la période retenue pour l'application de l'article L. 5422-2 correspond aux vingt-huit ou trente-six mois précédant la fin du contrat de travail selon que le salarié est, à cette date, âgé de moins ou de plus de cinquante ans. Aux termes de l'article R. 5424-2 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque, au cours de la période retenue pour l'application de l'article L. 5422-2, la durée totale d'emploi accomplie pour le compte d'un ou plusieurs employeurs affiliés au régime d'assurance a été plus longue que l'ensemble des périodes d'emploi accomplies pour le compte d'un ou plusieurs employeurs relevant de l'article L. 5424-1, la charge de l'indemnisation incombe à l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 pour le compte de l'organisme mentionné à l'article L. 5427-1. / Dans le cas contraire, cette charge incombe à l'employeur relevant de l'article L. 5424-1, ou à celui des employeurs relevant de cet article qui a employé l'intéressé durant la période la plus longue ".

6. Pour l'application de ces dispositions, lorsqu'au cours de la période de référence retenue pour apprécier la condition d'activité professionnelle antérieure à laquelle est subordonné le versement de l'allocation d'assurance, la durée totale d'emploi a été accomplie par l'intéressé pour le compte de plusieurs employeurs publics relevant de l'article L. 5424-1 du code du travail ou que la durée totale d'emploi accomplie pour le compte de tels employeurs a été plus longue que celle accomplie pour le compte d'un ou plusieurs employeurs affiliés au régime d'assurance, la charge de l'indemnisation incombe à celui de ces employeurs publics qui a employé l'intéressé pendant la période la plus longue.

7. La circonstance que la situation de travailleur involontairement privé d'emploi et recherchant un emploi au sens de l'article L. 5422-1 découlerait de l'absence de réintégration du praticien hospitalier à sa demande par l'établissement hospitalier au sein duquel sa réintégration était de droit est, à cet égard, sans incidence sur la détermination de l'employeur public auquel incombe la charge de l'indemnisation. Il en va de même des circonstances qu'il ait été mis fin au détachement de ce praticien hospitalier de manière anticipée à la suite de son licenciement par l'administration auprès de laquelle il était détaché ou que sa mise en disponibilité d'office ait été prononcée, faute de réintégration, par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, établissement public placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé.

8. En l'espèce, pour rejeter la demande de M. A... tendant à obtenir de l'Etat le paiement des sommes qu'il estimait lui être dues au titre de l'indemnisation du chômage, le tribunal administratif a jugé que, dès lors que l'intéressé relevait du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière pendant la période allant de la fin anticipée de son détachement à son départ en retraite, il aurait dû solliciter, non le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, mais le ministre chargé de la santé. En se fondant sur ce motif inopérant, alors qu'il lui revenait d'examiner les droits de l'intéressé et de déterminer si, comme ce dernier le soutenait au regard de sa durée du détachement auprès du ministère des affaires étrangères pendant la période de référence, l'Etat était l'employeur public auquel incombait le versement de l'allocation, le tribunal a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement attaqué. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le droit à l'allocation de retour à l'emploi :

10. Il n'est pas contesté par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères que M. A... remplissait les conditions pour bénéficier de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du terme de son détachement, le 1er septembre 2009, jusqu'à sa radiation des cadres en vue de faire valoir ses droits à la retraite, le 4 juin 2012. Par ailleurs, si le ministre affirme avoir continué à rémunérer M. A... jusqu'au terme initialement prévu de son détachement, au 31 août 2010, ce que celui-ci conteste, il n'en a pas justifié en réponse à la mesure d'instruction diligentée sur ce point par la 1ère chambre de la section du contentieux et cette circonstance n'est établie par aucun autre élément de l'instruction. Il résulte en outre de ce qui a été dit au point 1 que, sur l'ensemble de la période de référence de trente-six mois ayant précédé la date de sa privation involontaire d'emploi, M. A... a été détaché auprès de l'Etat. Par suite, il y a lieu d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a implicitement rejeté la demande de versement des sommes dues à ce titre que lui avait adressée M. A... par lettre du 29 septembre 2017, reçue le 6 octobre suivant. Toutefois, l'état de l'instruction ne permettant pas de déterminer le montant exact des droits de M. A... du 1er septembre 2009 au 4 juin 2012, il y a lieu de renvoyer M. A... devant la ministre de l'Europe et des affaires étrangères pour que soient calculées et versées, dans le délai de trois mois, les allocations d'aide au retour à l'emploi qui lui sont dues avec intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2017, date de réception par le ministre de la demande précitée.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à M. A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 29 janvier 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères refusant à M. A... le versement des sommes qui lui sont dues au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi pour la période du 1er septembre 2009 au 4 juin 2012 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... les sommes correspondantes avec intérêt au taux légal à compter du 6 octobre 2017.

Article 4 : M. A... est renvoyé devant le ministre de l'Europe et des affaires étrangères pour qu'il soit procédé, dans un délai de trois mois suivant la notification de la présente décision, au calcul et au versement des sommes dues à ce titre, conformément aux motifs figurant au point 10 de la présente décision.

Article 5 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Copie en sera adressée au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 9 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Damien Pons

La secrétaire :

Signé : Mme Anne Lagorce

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 459166
Date de la décision : 09/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 nov. 2022, n° 459166
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Damien Pons
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:459166.20221109
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