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02/11/2022 | FRANCE | N°441058

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 02 novembre 2022, 441058


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 5 juin 2020 et le 2 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note du 7 avril 2020 de la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse relative à la continuité des missions de la protection judiciaire de la jeunesse face à l'épidémie de Covid-19 et aux modalités d'organisation de l'injonction ;

2°) d'enjoindr

e à l'administration de modifier la procédure applicable pour assurer la continuit...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 5 juin 2020 et le 2 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note du 7 avril 2020 de la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse relative à la continuité des missions de la protection judiciaire de la jeunesse face à l'épidémie de Covid-19 et aux modalités d'organisation de l'injonction ;

2°) d'enjoindre à l'administration de modifier la procédure applicable pour assurer la continuité en cas de crise sanitaire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de procédure pénale ;

- le code du travail ;

- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En raison de l'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et de sa propagation sur le territoire français, après de premières mesures arrêtées par le ministre des solidarités et de la santé et par le Premier ministre, en particulier l'interdiction, décidée par le décret du 16 mars 2020, de déplacement de toute personne, en principe, hors de son domicile, la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. L'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. L'interdiction de déplacement hors du domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, s'est appliquée entre le 17 mars et le 11 mai 2020, avant que ne soient prescrites, par décret du 11 mai 2020, de nouvelles mesures générales, moins contraignantes que celles applicables dans la période antérieure mais continuant d'imposer de strictes sujétions afin de faire face à l'épidémie de covid-19 puis, par décret du 31 mai 2020, des mesures moins contraignantes encore, compte tenu de l'évolution de l'épidémie et de la situation sanitaire.

2. Pendant l'état d'urgence sanitaire, l'activité des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a été adaptée de manière à tenir compte de la propagation du covid-19. La garde des sceaux, ministre de la justice, a annoncé le 15 mars 2020 le maintien de certaines activités au sein des services de placement de la protection judiciaire de la jeunesse. Elle a précisé que les activités collectives à l'extérieur des établissements étaient suspendues et que les consignes sanitaires devaient être respectées pour celles qui seraient organisées à l'intérieur des établissements. L'activité des services en milieu ouvert a été suspendue, à l'exception de l'accueil téléphonique et de la permanence physique d'un ou deux agents pour faire face aux urgences, de la disponibilité requise pour les présentations de mineurs au tribunal et des audiences qui seraient maintenues. Des plans de continuation d'activité ont été mis en œuvre dès le 16 mars 2020. Le 7 avril 2020, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse a adressé aux directeurs interrégionaux de la PJJ et au directeur général de l'école nationale de la PJJ une note relative à la continuité des missions de la PJJ face à l'épidémie de covid-19 et aux modalités d'organisation de l'injonction. L'Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette note et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de modifier la procédure applicable pour assurer la continuité en cas de crise sanitaire.

3. L'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose que " des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". L'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique précise que : " Les chefs de service sont chargés, dans la limite de leurs attributions et dans le cadre des délégations qui leur sont consenties, de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ". Conformément à ces dispositions, il incombe à l'administration de prendre les mesures destinées à assurer aux fonctionnaires, appelés à occuper leur poste afin de garantir la continuité du service public en cas de crise sanitaire, des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à protéger leur santé et leur intégrité physique.

4. La note attaquée précise que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a l'obligation d'assurer un fonctionnement minimum du service public qu'elle administre dans l'intérêt des publics qui lui sont confiés et que, à ce titre, les activités relatives à la mission éducative auprès du tribunal, les activités en hébergement ainsi que celles qui s'exercent auprès des détenus sont obligatoirement maintenues. Elle prévoit que la continuité d'activité peut nécessiter le concours d'agents pour assurer les missions essentielles dans d'autres services ou établissements que ceux auxquels ils sont affectés. Les tâches à réaliser peuvent ne pas correspondre à leurs fonctions habituelles sans que, pour autant, elles excèdent la qualification des agents concernés. Il est recouru aux agents, fonctionnaires et contractuels, qui se portent volontaires puis, si la situation l'exige, à des agents auxquels il est adressé une injonction valant ordre de mission.

5. En premier lieu, il appartenait à l'autorité hiérarchique de prendre les mesures d'organisation nécessitées par le fonctionnement des services placés sous son autorité dont la continuité devait être assurée durant l'état d'urgence sanitaire. A cette fin, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse pouvait, sans excéder ses pouvoirs, définir le service minimum devant être assuré par les services placés sous son autorité et notamment prévoir, en cas de besoin, de recourir à d'autres agents que ceux appartenant aux services concernés, pour des tâches, le cas échéant, différentes de leurs fonctions habituelles. Elle pouvait à ce titre autoriser les fonctionnaires stagiaires en deuxième année de formation à l'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse à remplir, dans certains services, des missions n'excédant pas leur qualification.

6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, la circonstance que les mesures prévues, notamment la possibilité d'adresser des injonctions à certains personnels, seraient similaires à celles prévues par une circulaire du 23 octobre 2001 en cas de grève au sein des services de la protection judiciaire de la jeunesse, n'est pas de nature à caractériser un détournement de procédure.

7. En troisième lieu, la note attaquée, qui ne constitue pas l'ensemble de la réglementation destinée à assurer le respect de l'obligation de protection de la santé des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse à l'égard des risques de contamination par le covid-19, prévoit que, lorsqu'une intervention éducative avec présence physique est nécessaire, du matériel de protection doit être mis à la disposition des agents, conformément aux directives du ministère des solidarités et de la santé. Elle précise également que les agents entrant dans la catégorie des personnes vulnérables, définie par le Haut Conseil de la santé publique, ne peuvent pas être sollicités par leur hiérarchie pour assurer des missions essentielles dans des structures dont l'activité est maintenue, ni se porter volontaires pour l'exercice de ces missions. Elle demande également aux chefs de service de veiller à limiter les déplacements lointains des agents volontaires ou faisant l'objet d'une injonction, eu égard au contexte de crise sanitaire. Par suite, le syndicat requérant n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que la note attaquée méconnaîtrait l'objectif à valeur constitutionnelle de droit à la protection de la santé et les règles du droit du travail en matière d'hygiène et de sécurité.

8. En quatrième lieu, la note attaquée énonce les différents principes devant guider le choix des agents appelés à assurer les missions essentielles de certains services de la PJJ durant la période de l'état d'urgence sanitaire. Il appartient aux chefs de service de combiner l'application de ces principes et celle des autres mesures et recommandations énoncées par le Gouvernement pour faire face à l'épidémie de covid-19, au regard de l'ensemble des éléments d'appréciation à leur disposition. Le moyen tiré de ce que la note attaquée n'aurait pas précisément déterminé l'ensemble des critères à prendre en compte et défini, pour chaque cas, un ordre de priorité ne peut donc, en tout état de cause, qu'être écarté.

9. En cinquième lieu, la note attaquée prévoit que l'injonction doit être notifiée directement à l'agent par tout moyen permettant de justifier de la preuve de la remise. Contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse n'était pas tenue de préciser les moyens permettant de respecter la condition ainsi posée.

10. En dernier lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ". Le premier alinéa de l'article 29 de cette loi dispose que " toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". D'autre part, aux termes de l'article 20 de la même loi : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement (...) ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961 : " (...) / L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité (...). / Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; / 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements. / (...) ".

11. En précisant que le non-respect d'une injonction par un agent de la protection judiciaire de la jeunesse est susceptible de donner lieu à une retenue sur traitement et à l'engagement d'une procédure disciplinaire sur le fondement des dispositions citées au point précédent, la note attaquée se borne à rappeler ces dispositions édictées par le législateur. Par suite, le syndicat requérant ne peut utilement soutenir que la note serait illégale en raison du caractère disproportionné de telles conséquences dans le contexte de l'épidémie de covid-19.

12. Il résulte de ce qui précède que l'Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse n'est pas fondée à demander l'annulation de la note qu'elle attaque. Il suit de là que ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des syndicats CGT Protection judiciaire de la jeunesse et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 octobre 2022 où siégeaient : Mme Suzanne von Coester, assesseure, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 2 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Suzanne von Coester

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 02 nov. 2022, n° 441058
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 02/11/2022
Date de l'import : 06/11/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 441058
Numéro NOR : CETATEXT000046519829 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-11-02;441058 ?
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