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31/10/2022 | FRANCE | N°443191

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 31 octobre 2022, 443191


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 août 2020 et 22 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-274 du 17 mars 2020 modifiant certaines dispositions relatives à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur le point de savoir si les dispositions du paragraphe

1 de l'article 2 de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 août 2020 et 22 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-274 du 17 mars 2020 modifiant certaines dispositions relatives à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur le point de savoir si les dispositions du paragraphe 1 de l'article 2 de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques font obstacle à ce que les Etats membres adoptent des mesures plus favorables au bien-être animal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement ;

- la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le décret n° 2013-118 du 1er février 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'association One Voice ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 10 de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques : " 1. Les Etats membres veillent à ce que les animaux appartenant aux espèces énumérées à l'annexe 1 ne puissent être utilisés dans des procédures que lorsque ces animaux ont été élevés à cette fin. (...) / 3. Les autorités compétentes peuvent accorder des dérogations au paragraphe 1 sur la base d'éléments scientifiques ". Aux termes de son article 12 : " 1. Les Etats membres veillent à ce que les procédures soient menées dans un établissement utilisateur. / L'autorité compétente peut accorder des dérogations au premier alinéa sur la base d'éléments scientifiques. (...) ".

2. A la suite d'échanges entre le Gouvernement et la Commission européenne sur la transposition des dispositions des articles 10 et 12 cités ci-dessus de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010, le décret n° 2020-274 du 17 mars 2020 a procédé à plusieurs modifications du décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, dont les dispositions ont été codifiées aux articles R. 214-89 à R. 214-129 du code rural et de la pêche maritime. Le 4° de son article 1er a modifié l'article R. 214-90 du code rural et de la pêche maritime, dont le premier alinéa prévoit désormais que les animaux utilisés ou destinés à être utilisés dans des procédures expérimentales appartenant aux espèces dont la liste est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de l'environnement, de l'agriculture et de la recherche doivent avoir été élevés à cette fin et provenir d'éleveurs ou de fournisseurs agréés. Le troisième alinéa de ce même article prévoit que des dérogations peuvent être accordées à cette obligation sur la base d'éléments scientifiques dûment justifiés, la condition tenant à ce que la production des éleveurs agréés soit insuffisante ou ne convienne pas aux besoins spécifiques du projet étant dorénavant supprimée. Le 5° de cet article 1er a ajouté à l'article R. 214-99 du même code, prévoyant que " Tout établissement éleveur, fournisseur ou utilisateur doit être agréé. A cet effet, sous réserve des dispositions de l'article R. 214-127, une demande d'agrément est adressée par le responsable de l'établissement au préfet du département du lieu d'implantation de l'établissement (...) ", deux alinéas aux termes desquels : " Toute procédure expérimentale doit être menée dans un établissement agréé " et " Sur la base d'éléments scientifiques et par dérogation à l'alinéa précédent, l'utilisateur d'un établissement agréé peut être autorisé, dans des conditions définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de la recherche, de l'écologie et de la défense, à réaliser une procédure expérimentale hors d'un établissement agréé ". L'association One Voice demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 1er du décret du 17 mars 2020 en tant qu'il a procédé à ces modifications des articles R. 214-90 et R. 214-99 du code rural et de la pêche maritime.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / (...) / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif. ".

4. L'association requérante soutient qu'en permettant de déroger au principe selon lequel les animaux utilisés à des fins scientifiques sont élevés à cette fin et proviennent d'éleveurs ou fournisseurs agréés, sans que ces dérogations ne soient nécessaires ni encadrées par aucune condition, ainsi qu'au principe selon lequel toute procédure d'expérimentation doit être menée dans un établissement agréé, les dispositions du décret attaqué modifiant les articles R. 214-90 et R. 214-99 du code rural et de la pêche maritime ont une incidence directe sur la protection des animaux et, partant, sur l'environnement et auraient donc dû faire l'objet d'une consultation du public en application de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement.

5. Si le ministre chargé de l'agriculture fait valoir que le Premier ministre n'était pas tenu de soumettre le projet de décret à une procédure de participation du public dès lors qu'il était tenu de procéder à la transposition des dispositions précises et inconditionnelles de la directive 2010/63/UE, cette seule circonstance ne peut conduire à rendre inopérante l'obligation prévue par l'article 7 de la Charte de l'environnement de soumettre les décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l'environnement à la participation du public.

6. Toutefois, d'une part, si l'association requérante soutient que l'élargissement du champ des dérogations à l'obligation de n'utiliser, dans les procédures expérimentales, que des animaux élevés à cette fin et provenant d'éleveurs ou de fournisseurs agréés, résultant de la modification de l'article R. 214-90 du code rural et de la pêche maritime, va permettre le prélèvement dans la nature d'animaux d'espèces non domestiques, les dispositions de l'article R. 214-92 du même code, qui interdisent l'utilisation dans des procédures expérimentales d'animaux qui ne sont pas tenus en captivité, sauf dérogations pouvant être accordées dans des cas précisément déterminés, font obstacle à ce que le recours pour des procédures expérimentales à des animaux qui n'ont pas été élevés à cette fin conduise à augmenter les prélèvements dans la nature.

7. D'autre part, en ajoutant à l'article R. 214-99 du code rural et de la pêche maritime que toute procédure expérimentale doit être menée dans un établissement agréé et en prévoyant, par dérogation et sur la base d'éléments scientifiques, que l'utilisateur d'un établissement agréé puisse être autorisé à réaliser une procédure expérimentale en dehors d'un établissement tel, le décret attaqué n'a pas permis, contrairement à ce que soutient l'association requérante, qu'il soit dérogé au premier alinéa du même article, qui impose que tout établissement éleveur, fournisseur ou utilisateur d'animaux utilisés à des fins scientifiques soit agréé, mais a seulement encadré la possibilité pour des établissements utilisateurs agréés de conduire des expérimentations en dehors de leurs locaux, dans le respect notamment des conditions prévues par les dispositions de l'article R. 214-122 du même code.

8. Ainsi, eu égard à leur finalité et à leur portée, les dispositions contestées du décret attaqué ne peuvent être regardées comme ayant des effets directs et significatifs sur l'environnement. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de participation du public doit par suite être écarté.

9. En second lieu, aux termes du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, les autorités s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, du " principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ".

10. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 8, les dispositions contestées du décret attaqué n'ont pas d'effets directs et significatifs sur l'environnement, elles ne méconnaissent pas le principe de non-régression de la protection de l'environnement.

11. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'association One Voice doit être rejetée dans toutes ses conclusions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association One Voice est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association One Voice, à la Première ministre, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre des armées,

Délibéré à l'issue de la séance du 12 octobre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat ; Mme Pauline Hot, auditrice et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 31 octobre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - PORTÉE DES RÈGLES DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE - DIRECTIVES - DÉCISION TRANSPOSANT LES DISPOSITIONS PRÉCISES ET INCONDITIONNELLES D’UNE DIRECTIVE ET AYANT UNE INCIDENCE DIRECTE ET SIGNIFICATIVE SUR L’ENVIRONNEMENT – CIRCONSTANCE RENDANT - À ELLE SEULE - INOPÉRANTE L’OBLIGATION DE LA SOUMETTRE À LA PARTICIPATION DU PUBLIC (ART - 7 DE LA CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT) – ABSENCE.

15-02-04 La seule circonstance que le Premier ministre soit tenu de procéder à la transposition des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive ne peut conduire à rendre inopérante l’obligation prévue par l’article 7 de la Charte de l’environnement de soumettre les décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l’environnement à la participation du public.

NATURE ET ENVIRONNEMENT - CHAMP D’APPLICATION – INCLUSION – DÉCISION TRANSPOSANT LES DISPOSITIONS PRÉCISES ET INCONDITIONNELLES D’UNE DIRECTIVE ET AYANT UNE INCIDENCE DIRECTE ET SIGNIFICATIVE SUR L’ENVIRONNEMENT.

44-005-07-01 La seule circonstance que le Premier ministre soit tenu de procéder à la transposition des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive ne peut conduire à rendre inopérante l’obligation prévue par l’article 7 de la Charte de l’environnement de soumettre les décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l’environnement à la participation du public.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 31 oct. 2022, n° 443191
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Date de la décision : 31/10/2022
Date de l'import : 06/11/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 443191
Numéro NOR : CETATEXT000046511541 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-10-31;443191 ?
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